Une nouvelle période révolutionnaire prendra-t-elle forme en Haïti ?

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Jimmy « Barbecue » Cherizier. Le but du G-9, selon les propos de son principal leader et porte-parole, était de mener une « révolution » contre le « système pourri et corrompu » en Haïti, présidé par les « 12 familles » de la minuscule bourgeoisie d'Haïti.

(English)

Tout marxiste sait, comme l’ont clairement indiqué Friedrich Engels et Vladimir Lénine, que l’essence de tout État est constituée  «de corps spéciaux d’hommes armés disposant de prisons, etc., sous leur commandement », comme ce dernier l’a expliqué dans son classique de 1917 L’État et la Révolution.

Les « groupes spéciaux d’hommes armés » sont principalement l’armée et la police d’une nation, qui protègent les intérêts de la classe dirigeante. En Haïti, l’armée, après avoir été démobilisée par le président Jean-Bertrand Aristide en 1995 et ressuscitée par Jovenel Moïse en 2017, n’est encore qu’une force naissante d’environ 500 personnes, tandis que la Police nationale d’Haïti (PNH) est composée de quelque 15 000 policiers ce qui en fait le principal corps armé d’Haïti.

Mais Haïti n’est pas actuellement une nation à part entière jouissant de souveraineté et d’autodétermination. C’est une néo-colonie, et les États-Unis sont son principal suzerain impérialiste, la France et le Canada agissant comme deuxième et troisième violons. Les surveillants d’Haïti à Washington comprennent également l’importance centrale jouée par la PNH dans le contrôle d’Haïti, et ils ont toujours porté une attention particulière à la gestion et à la supervision des forces de police, comme Haïti Liberté l’a illustré dans plusieurs articles au cours de la dernière décennie grâce au câbles secrets diplomatiques américains fournis au journal par l’éditeur Wikileaks.

Washington a très certainement joué un rôle dans la nomination l’an dernier du chef de la PNH, Léon Charles, qui a toujours été leur serviteur fidèle, sinon toujours apprécié ou efficace.

Après l’émergence l’été dernier de la famille G-9 Famille et Alliés (une alliance d’organisations armées de quartier), beaucoup ont tenté de présenter le mouvement – de façon inexacte –  comme un simple accessoire, sinon une création du régime de Jovenel Moïse, plutôt que l’inévitable et largement autonome « organisation armée de la population », comme l’aurait appelé Engels. Le but du G-9, selon les propos de son principal leader et porte-parole, Jimmy « Barbecue » Cherizier, était de mener une « révolution » contre le « système pourri et corrompu » en Haïti, présidé par les « douze familles » de la minuscule bourgeoisie d’Haïti.

La légitime défense et les représailles du G-9 contre les gangs rivaux de Bélair, Cité Soleil, Grand Ravine et Village de Dieu ont été présentées comme une agression.

Ce mouvement et son objectif affiché ont semé la panique non seulement dans la bourgeoisie, mais aussi dans l’ambassade américaine, qui a rapidement imposé des sanctions économiques à Cherizier, tandis que son allié des droits de l’homme, Pierre Espérance du Réseau national de défense des droits de l’homme (RNDDH), rapport après rapport contesté, a diabolisé Cherizier comme un monstre, rejetant ses objectifs déclarés d’éliminer les enlèvements et la criminalité dans les bidonvilles et de faire pression pour obtenir des écoles, des cliniques, des routes, des installations sanitaires et d’autres services pour les bidonvilles désespérément pauvres. La légitime défense et les représailles du G-9 contre les gangs rivaux de Bélair, Cité Soleil, Grand Ravine et Village de Dieu ont été présentées comme une agression, et les rapports unilatéraux du RNDDH sur les droits humains sont devenus ouvertement partisans.

De nombreux critiques ont émis la question suivante comme leur carte maîtresse pour soutenir que le G-9 était à l’emploi du régime de Jovenel : si le gouvernement n’était vraiment pas du côté de Cherizier, pourquoi la police ne l’a-t-elle pas arrêté pour le mandat non exécuté émis contre lui en 2018 ?

Le chef de la PNH, Léon Charles, le 19 juin.

Il y a bien sûr de multiples raisons pour lesquelles la PNH n’aurait pas pu s’en prendre à Cherizier jusqu’à présent : rapport de force, sympathie au sein de la PNH (Cherizier était un ancien officier de l’Unité Départementale de Maintien de l’Ordre – UDMO), la peur de déclencher une bombe à retardement, d’être occupé sur de multiples autres fronts, etc. 

En tout cas, cet argument s’est effondré cette semaine alors que l’État haïtien a lancé une offensive tous azimuts contre le G-9 avec son unité du Corps d’intervention pour le maintien de l’ordre (CIMO) attaquant le quartier de Cherizier – Delmas 6 – brûlant ou démolissant de nombreuses maisons, tandis qu’un nombre encore incalculable de personnes ont été tuées ou blessées. L’assaut est venu comme le coup de grâce après que des gangs rivaux de Belair, Ruelle Mayard, Grand Ravine, Croix des Bouquets, Village de Dieu et d’autres régions eurent lancé des attaques meurtrières contre les quartiers du G-9 il y a trois semaines de cela.

La violence s’abat désormais sur Port-au-Prince. Un officier de la CIMO, Gasely Limage, a reçu une balle dans la tête lors de l’assaut de Delmas le 17 juin et est décédé plus tard des suites de sa blessure, au grand chagrin de Cherizier, tel qu’exprimé dans un message vocal public sur Whatsapp. Deux entrepôts ont été pillés – l’un étant le « Marché Ti Tony », appartenant à l’homme d’affaires Antony Bennett, près de la gare routière de Carrefour des Gonaïves, près de l’ancienne raffinerie HASCO, juste au sud de Cité Soleil. Certains articles de presse accusent le G-9 du pillage, tandis que d’autres disent que le G-9 se défendait contre les pillards à Delmas.

Ils en ont marre de la faim, de la pauvreté, de la négligence et d’être utilisés dans les jeux de pouvoir des élites haïtiennes.

[Joint au téléphone, le 23 juin, à 8 heures du matin, notre heure de presse, Cherizier a déclaré à Haïti Liberté que le G-9 a changé son nom en « Forces révolutionnaires G-9 anfanmi e alye», que le G-9 n’a eu « aucune implication » dans le pillage du « Marché Ti Tony », et que la version de Léon Charles le 19 juin dernier sur la mort du policier Limage était « un mensonge ». Le G-9 est en train de travailler de sorte qu’il soit « plus fort que jamais ».]

Le RNDDH se rend compte que l’offensive de la PNH contre le G-9 réfute effectivement son postulat central selon lequel Jovenel Moïse et Jimmy Cherizier sont des alliés. Espérance répète maintenant son argumentation malgré ses incohérences logiques.

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, [Pierre Espérance] affirme qu’il n’y a pas de divorce ou de divergence entre le G-9 et ceux au pouvoir », écrit Franklyn B. Geffrard sur le site du Réseau d’information haïtien. « Cette organisation criminelle, a-t-il dit, ne fait qu’exécuter la volonté des dirigeants actuels qui croient pouvoir détenir le pouvoir grâce à la violence des gangs. »

Cherizier ne s’est transformé que très récemment en un aspirant pour le changement radical des conditions des masses. Il a été, jusqu’en 2018, un policier dévoué et zélé, et, en tant que leader de Delmas 6, il a travaillé un temps en étroite collaboration avec des personnalités de l’opposition comme l’homme d’affaires Réginald Boulos et l’homme politique vénal Youri Latortue. Cependant, il a été terriblement trompé, trahi et désillusionné à la fois par la police et les directions de l’opposition bourgeoise, qui l’ont mis sur sa nouvelle voie, potentiellement contre la bourgeoisie corrompue et pourrie.

Bref, ce à quoi nous assistons, comme le soutenait l’intellectuel et chroniqueur haïtien de longue date André Charlier dans Haïti Liberté en avril, c’est l’émergence d’une forme de « guerre populaire », encore rudimentaire, désorganisée, contradictoire et immature. Mais son essence et son potentiel sont plus dangereux pour l’ordre néolibéral que Washington cherche à établir en Haïti que mille déclarations injurieuses des partis et politiciens traditionnels de gauche. Les masses du lumpen-prolétariat qui poussent comme des champignons en Haïti sont armées, en colère et n’ont pas peur de mourir. Ils en ont marre de la faim, de la pauvreté, de la négligence et d’être utilisés dans les jeux de pouvoir des élites haïtiennes.

Aujourd’hui, Jimmy Cherizier et tous les dirigeants du G-9 se battent pour leur vie. S’ils perdent et sont tués ou emprisonnés, leur mouvement de quartier armé peut s’affaiblir et reculer pendant un certain temps. Mais s’ils gagnent, ou même survivent, et trouvent un terrain d’entente avec l’intelligentsia révolutionnaire d’Haïti à l’écart depuis longtemps, cela pourrait présager un changement radical dans un avenir proche d’Haïti. 

Article traduit de l’anglais par la Rédaction.

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