A travers la gauche en Amérique latine: El Salvador, un pays préparé

Première partie

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San Salvador, 24 janvier 2017. Célébration du 11ème anniversaire de la mort de Shafick Handal, le légendaire dirigeant du Parti communiste salvadorien et ensuite du Front Farabundo Marti de Libération Nationale, FMLN. Fidel Castro a dit de lui: "Il était un véritable exemple de révolutionnaire. Il n'a jamais cédé". Photo par Alexandra Panaguli

1970-1980, dictature et répression brutale des paysans et ouvriers demandant des conditions justes
1980-1992, guerre révolutionnaire entre la guerilla FMLN et le régime oligarchique
1992, accords de paix et reconvertissement du FMLN en parti politique
1989-2009, gouvernement ARENA, extrême-droite
2009-2019, gouvernement FMLN

En quittant le Vénézuela, influencés malgré tout par la propagande, on n’a pu s’empêcher de penser: Nous en sommes sortis sains et saufs! Mais dix jours plus tard et 2500 kilomètres plus à l’ouest, nous sommes dans la ville qui détient le funeste titre de « capitale mondiale du crime », San Salvador: 103 attentats par 100.000 habitants, plus du double de l’Irak (43,8 par 100.000) et infiniment plus qu’aux Etats-Unis d’Amérique (4,5 par 100.000). 6.657 tués en 2015 (sur 6,4 millions habitants), et quand nous sommes arrivés l’année dernière à San Salvador le 15 janvier 2016, il y avait déjà eu 338 tués.

San Salvador, 24 janvier 2017. Célébration du 11ème anniversaire de la mort de Shafick Handal, le légendaire dirigeant du Parti communiste salvadorien et ensuite du Front Farabundo Marti de Libération Nationale, FMLN. Fidel Castro a dit de lui: “Il était un véritable exemple de révolutionnaire. Il n’a jamais cédé”. Photo par Alexandra Panaguli

Notre neveu Yuri a toujours un revolver dans sa voiture, il a déjà été poignardé à un feu rouge. Plusieurs rues du centre de la capitale sont barricadées dès la tombée du jour. Mais cela ne nous a pas empêchés de circuler partout, même la nuit. Néanmoins, quand nous sommes rentrés de San Idelfonso à 1h du matin, j’étais plus tranquille de voir que nous étions à deux voitures. Patelin perdu mais où habite une tante et où on célébrait la fête du village. C’était significatif de voir trois danseuses assez légèrement vêtues évoluer sous la garde d’un soldat en tenue de combat.

Un héritage de violence gouvernementale. San Idelfonso est à 4 km du Rio Lempa. Un peu plus au nord, là où ce fleuve de 422 km sert de frontière avec le Honduras, 600 personnes – surtout des femmes, enfants et personnes âgées – avaient trouvé la mort 35 ans plus tôt, le 17 mars 1981, par mitraillage d’hélicoptères de l’armée salvadorienne, avec participation des militaires honduriens, selon le témoignage de médecins et prêtres – « Ils n’auraient pu être confondus pour des guérilleros par le pilote de l’hélicoptère salvadorien qui volait si bas que les témoins disent qu’ils pouvaient scruter son visage ».

Un an auparavant et légèrement à l’ouest, c’est le Rio Sumpul qui avait vu un massacre de civils. Le révérend Earl Gallagher, prêtre capucin de Brooklyn qui travaillait dans cette partie du Honduras depuis cinq ans, a visité le site de la rivière Sumpul un jour après l’incident. «Il y avait tellement de vautours piquant les corps dans l’eau que cela ressemblait à un tapis noir», se rappelle-t-il.

Yvonne Dilling, âgée de 26 ans de Fort Wayne, Indiana, qui travaille avec les réfugiés, a déclaré qu’elle avait récemment été sur les rives du Sumpul. ” Des dizaines et des dizaines d’os sont toujours empilés, crânes et tout “, a-t-elle dit.

« Mlle Dilling et le père Gallagher sont également parmi ceux qui ont été témoins de l’agression contre les réfugiés au Lempa. Ils ont passé des heures à aider des centaines de personnes à traverser la rivière ; alors qu’un canon salvadorien et des soldats salvadoriens sur une colline surplombée faisaient pleuvoir des roquettes, des armes automatiques et des grenades sur toute la zone ». [1]

Inutile de dire que tant la dictature salvadorienne que leurs supporters étatsuniens avaient tenté de minimiser les faits. Mais comme avec la longue série de massacres – y compris le fameux de El Mozote, toujours en 1981 où un millier de villageois avaient été décimés par l’armée salvadorienne – les documents officiels finalement révélés sous le Freedom of Information Act étatsunien 35 ans plus tard établissent clairement les responsabilités.

« Les responsables étatsuniens et salvadoriens s’inquiétaient davantage de la façon dont ces compte-rendus étaient manipulés à des fins politiques par des sympathisants de la guérilla que de la façon d’empêcher leur répétition ». La guérilla étant le Front Farabundo Marti pour la Libération Nationale (FMLN).

Trois décennies et demi plus tard, El Salvador a maintenant pour la deuxième fois un gouvernement FMLN – la guérilla reconvertie en parti politique en 1992 –  élu en 2009 comme nous le prédisions (voir Haïti-Liberté 11-17 juin 2008) avec pour président Mauricio Funes, un présentateur de TV populaire et progressiste, et reconduit en 2014 avec pour président Salvador Sánchez Cerén, le vice-président précédent, un ancien comandante guerillero.

La violence des dictatures et régimes conservateurs précédents et de l’armée salvadorienne ne sont pas les seuls antécédents. La répression gouvernementale avait poussé dès le début des années 1970 des milliers de Salvadoriens à s’exiler, la majorité en Californie (un demi-million avec le Texas pour une population de 6,5 millions au El Salvador). Ceux-ci se sont évidemment établis dans les ghettos de Los Angeles qui étaient dominés par les gangs noirs et mexicains lesquels se sont empressés de brutaliser les nouveaux-venus. La ville est appelée “Gang Capital of America”, avec 1350 gangs et 120.000 membres [National Drug Intelligence Center, 2001]. Les jeunes immigrés ont dû s’organiser pour se défendre et c’est ainsi que les “maras” (gangs) salvadoriennes sont nées.

Fête au village de San Idelfonso à quelques kilomètres du Rio Lempa, lieu d’un massacre de civils par l’armée salvadorienne en 1981. Aujourd’hui, le public doit toujours être protégé par les forces de l’ordre, mais la violence gouvernementale a été remplacée par les gangs hérités de la dictature des années 1970-80 et de la politique des Etats-Unis. Photo par Alexandra Panaguli

Quand les accords de paix ont été conclus en 1992 entre la guerilla et le très conservateur gouvernement ARENA salvadorien, les Etats-Unis d’Amérique ont commencé à rapatrier ces jeunes accusés de divers crimes – même s’ils étaient des résidents légaux puisque le “Illegal Immigration Reform and Immigrant Responsibility Act” étatsunien de 1996 permettait désormais de leur retirer la résidence permanente pour des infractions mêmes mineures. Le rythme s’est accéléré sous Obama qui a renvoyé 2,7 millions d’immigrés dits illégaux, plus que tout autre gouvernement étatsunien, dont 150.000 au El Salvador, un pays qui sortait d’une guerre révolutionnaire et n’avait pas les moyens de recevoir et encore moins réintégrer ces jeunes qui avaient grandi, linquistiquement et culturellement, comme des adolescents étatsuniens et surtout qui “avaient fait leurs premières armes dans les rues de Los Angeles”, explique John Carlos Frey, le correspondant de PBS au El Salvador. “C’est comme si tu mettais le virus d’Ebola dans une boîte de Petri [boîte transparente utilisée en microbiologie pour la mise en culture de micro-organismes], il va se multiplier de façon dingue”, ajoute Al Valdez, un vétéran à la tête de l’équipe anti-gang du procureur du comté d’Orange en Californie.

Mais ce n’est pas tout, les Etats-Unis d’Amérique expulsaient les jeunes à une cadence tellement rapide que souvent ils ne se préoccupaient pas d’envoyer leurs casiers judiciaires aux autorités salvadoriennes. “Nous ne savions pas qui revenait et ils étaient libres de faire ce qu’ils voulaient”, dixit Carlos Ponce, ancien directeur de recherche à la police nationale du El Salvador. Sans travail, sans perspective d’avenir, stigmatisés par leur passé, dans un pays quasi-nouveau pour eux, les jeunes retombaient vite dans la violence. [2]

Victime une deuxième fois, El Salvador connait ainsi des taux de crimes plus importants que pendant la guerre révolutionnaire. Les gouvernements successifs ont essayé plusieurs tactiques, répression (“Mano dura” sous Flores d’ARENA en 2003, “Mano super dura” sous Saca d’ARENA en 2006), négociations, projets de développement, nous en sommes maintenant au “Plan El Salvador Seguro”. Le parlement a donné le feu vert à la police: aucun officier ne sera enquêté pour les fusillades effectuées en “légitime défense”.

La population a peur. L’investissement de sept millions de dollars qu’a fait le gouvernement dans ce plan montre le sérieux de la question. Le gouvernement devait agir. Dès novembre 2915, lors de son congrès national, le FMLN a précisé dans l’hypothèse numéro 49 de ses « Lignes directrices pour le travail du parti »: « Les gangs, le crime organisé et le trafic de drogue causent une atteinte grave à la sécurité publique et la qualité de vie de la population, détruisent le tissu social et l’unité familiale, et infligent des dommages considérables à l’économie».

On a fortement frappé les ‘marrerros’ [membres des maras/gangs], 700 (*) ont été tués dans des affrontements avec la police. Certains se sont réfugiés en dehors de la capitale. Ce sont des assassins, si on leur refuse quelque chose, ils vous tuent automatiquement”, raconte notre cousin Miguel, ex-maire FMLN de Apastepeque, une bourgade à une heure de la capitale. On compte quelque 50.000 “marreros” (dont 10.000 en prison) contre 2.000 policiers qui sont parfois secondés par l’armée.
(*) plus précisément: 693 tués et 255 blessés au cours de 1074 confrontations entre janvier 2015 et août 2016

San Vicente, place de l’église Nuestra Señora del Pilar, où le gouvernement a rénové le terrain de basket tandis que le maire a renversé la statue de Anastasio Aquino, le dirigeant indigène qui a mené un soulèvement paysan au 19ème siècle, laissant intacte celle d’un conquistador espagnol.
Tandis que le FMLN construit, le parti fasciste ARENA détruit. Photo par Alexandra Panaguli

L’opposition ARENA ne rate aucune occasion de saboter le gouvernement. Maintenant, ils ont lancé une campagne pour prétendre qu’il n’y a pas de paix dans le pays, qu’il y a des enlèvements d’enfants, etc. Les médias bourgeois, ne font pas beaucoup mieux, comme au Vénézuela où le but est de présenter le socialisme comme créant le chaos et l’insécurité. Tant le Guardian anglais (6 février 2017) que le Washington Post étatsunien (16 mars 2017) ont publié des articles dénonçant la nouvelle violence de la police et l’inefficacité de l’appareil judiciaire. Notre nièce Elizabeth, députée FMLN, répond: “Sont en cours d’exécution les mesures extraordinaires qui ont été récemment approuvées par le Parlement dans le cadre du Plan El Salvador Seguro, et les forces spéciales, qui sont une combinaison de police et armée, opèrent dans ces quartiers dominés par les ‘maras’ en ayant identifié les membres et leurs maisons, et bien sûr ils répondent aux fusillades. Nous voulons récupérer ces territoires et rassurer les honnêtes gens qui vivent dans ces lieux”.

Construire la paix

Mais les projets sociaux continuent en parallèle. A l’occasion de la célébration des 25 ans des accords de paix nous allons à San Vicente, le département au centre du pays que notre nièce représente à l’Assemblée nationale. Nous faisons le tour de la ville, notamment la Plazuela de l’église Nuestra Señora del Pilar, église baroque datant des années 1760. Dans la chapelle on peut lire qu’il y a 1.254 millions de catholiques au monde (17,7% de la population mondiale), 49% de ceux-ci sont en Amérique Latine, alors qu’en 1910 les deux tiers vivaient en Europe…

Sa crypte contient non seulement les restes de la famille Quintanilla qui a fait construire l’église mais également ceux de José Simeón Cañas, enterré le 4 mars 1838, connu comme le libérateur des esclaves d’Amérique centrale, et qui a donné son nom à l’Université centroaméricaine (UCA) de San Salvador rendue fameuse par les six jésuites professeurs et leur servante ainsi que la fille de celle-ci qui ont été assassinés par l’armée salvadorienne en 1989.

Sur la place se trouvait la statue d’un autre héros, Anastasio Aquino (1792-1833), un dirigeant indigène qui a mené l’Insurrection des Nonualcos, un soulèvement paysan au El Salvador au temps où le pays appartenait à la République fédérale d’Amérique centrale. ARENA – auquel le maire appartient – a fait tomber la statue. Par contre est toujours en place le buste du colonisateur espagnol Álvaro de Quiñones Osorio, marquis de Lorenzana, président, gouverneur et capitaine général du Royaume du Guatemala (1634-42)…

Le FMLN, lui, à travers la Direction de la Prévention sociale de la violence et de la culture de la paix (PREPAZ) du Ministère de la Justice et de la sécurité publique, a fait rénover la place devant l’église del Pilar et son terrain de basket afin d’offrir des activités sportives aux enfants et aux jeunes.

San Vicente, 25ème anniversaire des accords de paix de 1992. Les trois députés de l’Assemblée nationale répondent aux questions des écoliers. Les jeunes sont une priorité pour le FMLN. Ils doivent être conscientisés afin de participer pleinement à leur avenir. Photo par Alexandra Panaguli

Nous avons ensuite rencontré le directeur du Prepaz local, Leopoldo Chavarria qui nous a exposé les trois axes de leur travail: la prévention de la délinquance, l’attention aux victimes, la ré-insertion des délinquants.

Au vu des actions fortes du Plan El Salvador Seguro et des accusations que de nouveaux escadrons de la mort ont surgi, généralement composé d’éléments de la police, visant cette fois les marreros et non plus les révolutionnaires, je demande comment les forces de l’ordre peuvent-elles éviter d’agir comme par le passé. Leopoldo nous dit que l’accent est mis sur le renforcement et la transparence des institutions, et que plus généralement il y a eu un changement de philosophie dans la police. Tout d’abord elle est composée de jeunes recrues, et les hauts officiers ont été pour la plupart remplacés. Ensuite, leur rôle est présenté comme un service au public et non pas de répression, pour également rendre confiance à la population et les encourager à collaborer avec elle. C’est tout à fait possible, nous l’avons vu dans la Grèce des colonels où les forces de police étaient les véritables bourreaux de la dictature 1967-74 et qui sont progressivement devenus fort civils au retour de la démocratie. J’ajouterai que les très sanglantes Garde nationale et Police du Trésor ont été dissoutes au lendemain des accords de la paix.

Cette approche est également celle du jeune maire de la capitale, Nayib Bukele, qui fait construire de nouveaux espaces de vente hors du marché central qui est totalement contrôlé par les “maras”, illuminer la ville et rénover le parc Cuscatlan qui était abandonné depuis des décennies. Dans ce cas, le concept est de Felipe Uribe, un architecte colombien, “expert dans la récupération des espaces publics en pôles de transformation sociale et de dignité de nos peuples”.  En général Bukele vise à revitaliser la capitale, dans le but de convaincre ses compatriotes que le pays a un grand potentiel. Ainsi, l’illumination des rues sert à accroître la sécurité, mais également à briller “comme New York, comme Paris”.

Et il a beaucoup d’admirateurs. Marlon, un agent immobilier qui avait vécu quelques mois aux Etats-Unis d’Amérique, me disait que lui se sentait très à l’aise dans son pays où il y a beaucoup de potentiel, les Salvadoriens étant particulièrement travailleurs et ingénieux. Marlon est aussi celui qui nous a raconté cette anecdote véridique. Le majordome de l’ambassade étatsunienne cherchait une maison, et lui racontait qu’un jour il y avait une réunion de la CIA dans les sous-sols de l’ambassade et quelqu’un s’est demandé pourquoi il n’y avait jamais eu de coup d’Etat aux Etats-Unis d’Amérique. On lui a répondu: Parce qu’il n’y a pas d’ambassade des Etats-Unis!

Bukele est du FMLN. Pourtant il est le rejeton d’une riche famille d’entrepreneurs, mais quand la firme de relations publiques de celle-ci a pris le FMLN comme client, cela a été comme un réveil politique. “Cela m’a montré la réalité de mon pays”, a déclaré Bukele. “Cela représentait la lutte populaire pour la justice”. En 2011, deux ans après la première victoire présidentielle de son client, le FMLN, il est devenu son candidat à la mairie de Nuevo Cuscatlán, un faubourg aisé de la capitale. Il a secoué les pauvres qu’il voulait défendre, les admonestant: “Si vous continuez à voter pour un parti qui ne prend pas en charge vos intérêts [ARENA], vous ne pouvez pas vous plaindre si les choses ne s’améliorent pas”. Et il a été élu.

L’optimisme de Bukele vient de son expérience avec le FMLN. “Je n’ai jamais compris comment un groupe avec peu de ressources – sans médias, sans réseaux sociaux – ait inspiré des milliers, près d’un tiers ou de la moitié du pays. Avec une guitare? Avec une chanson? Je ne l’ai pas compris. Mais c’est grand!”

Avec les jeunes

Et c’est jeune. Elizabeth a dans la trentaine, Alex, son garde du corps et chauffeur dans la vingtaine, la trentaine aussi son autre garde du corps, Ada, une femme qui a débuté dans la guerilla à l’âge de 12 ans quand sa famille a été massacrée, elle porte toujours une arme dans son sac.

A San Vicente nous assistons avec eux à la célébration des accords de paix, et les trois quarts de la salle sont remplis par des écoliers. Les députés des trois partis représentés dans le département font leur discours. Elizabeth souligne que “La paix se construit jour par jour avec de bonnes intentions, mais davantage avec de bonnes actions”. Elle nous avait dit qu’“avec beaucoup de députés d’ARENA on ne se parle jamais, seulement ceux qui sont dans la même commission”. Ici, celui d’ARENA (Alianza Republicana Nacionalista), Donato Eugenio Vaquerano Rivas, deuxième vice-président de l’Assemblée législative, lui témoigne visiblement du respect. Evidemment, médecin comme notre nièce, ils siègent ensemble à la Commission de la santé de l’assemblée. Quant à Juan Pablo Herrera Rivas de GANA (Gran Alianza por la Unidad Nacional), il est également sympa car son relativement récent parti (2010) est une ramification d’ARENA, plus centriste, qui vote souvent aux côtés du FMLN pour obtenir la majorité à l’Assemblée nationale.

A la fin, le trio s’approche des écoliers et ceux-ci leur posent des questions. Que disent les accords de paix? Que signifie la paix? Que font-ils pour améliorer la paix? Des questions de base, trahissant un désarroi propre à la jeunesse de tout l’isthme dont la majorité ne savait pas comment définir la démocratie (15% des jeunes salvadoriens l’associaient à la liberté d’expression), lors d’une enquête par des chercheurs costa-ricains au début du millénaire [3].

D’où la nécessité de s’adresser aux jeunes et de les conscientiser. “Nous sommes le seul parti politique du pays où nos règlements exigent d’avoir 25% de jeunes, tant ceux élus au niveau national qu’interne”, dit la députée et secrétaire de la Commission Jeunesse et Sports, Cristina Cornejo Amaya. Elle-même n’a que 33 ans. A l’Assemblée nationale, sur 84 députés trente ont moins de 35 ans.

“Nous formons des centaines de jeunes dans des écoles idéologiques”, dit Miguel à qui je posais la question le même soir sur la qualité de la nouvelle génération qui n’a pas connu la guerre révolutionnaire. “Mais la mentalité a bien changé et la grande majorité ne voit que l’argent. A la fin ils vont dans d’autres partis qui leur offrent une meilleure rémunération. Sur 100 que nous formons peut-être en reste-t-il quatre”. “Avant on ne parlait pas tellement d’argent, on n’en avait pas besoin. Maintenant il faut 40.000 dollars pour l’élection d’un député, 5000 pour un maire”.

En tout cas ces quatre sur cent démentent les dires de Salvador Samayoa, un ex-commandant de la guerilla et négociateur des accords de paix de 1992 qui est devenu un analyste politique neutre et vient de dénigrer les jeunes à l’occasion de ce 25ème anniversaire: “ A notre génération, on peut dire tout, que nous avons raté, que nous nous sommes trompés, mais il y a une seule chose qu’on ne peut nous dire: que nous n’avons pas pris en charge les problèmes; par contre, moi, aux générations d’aujourd’hui, je peux leur dire qu’elles ne prennent pas en charge les problèmes ».

C’est aussi lui qui a défini l’essentiel de ces accords: au FMLN on a dit “Vous allez pouvoir faire de la politique mais sans armes », et aux forces armées, “Vous allez pouvoir garder vos armes, mais sans faire de politique».

Samayoa était un professeur de philosophie qui avait participé, à l’âge de 29 ans, à la junte civilo-militaire de 1979 ayant suivi le renversement de la dictature de général Carlos Humberto Romero par des jeunes officiers le 14 octobre 1979. Il était ministre de l’éducation aux côtés de Guillermo Ungo, le dirigeant du parti social-démocrate. Leur mandat n’a duré que deux mois et demi, avant que le cabinet entier ne présente sa démission face à la répression croissante des forces armées. C’était l’effondrement prévisible d’un centre pris entre l’oligarchie et les mouvements populaires. Tout en présentant sa démission devant les caméras de télévision, Samayoa simultanément rejoignait les Forces Populaires de Libération Farabundo Marti (FPL) – une des cinq organisations du FMLN quand il était la guerilla – aux côtés du commandant Leonel González, le nom de guerre de l’actuel président salvadorien, Salvador Sánchez Cerén.

Un autre ex-commandant FMLN, Facundo Guardado, est lui aussi revenu à ses sources centristes, après même un passage chez ARENA! Pourtant dirigeant légendaire du Bloque Popular Revolucionario vers la fin des années 1970 – le très développé mouvement de masse des FPL – et candidat présidentiel du FMLN aux élections de 1999, il avait commencé sa carrière politique dans le … Parti démocrate chrétien fondé par son père, Sixto Guardado. Un parti qui, depuis sa fondation en 1960 est seulement arrivé une fois à la présidence, en 1984, avec le fameux Napoleón Duarte (en fait en 1972 et 1977 il a gagné les élections, mais a été écarté par l’armée). Son union actuelle avec GANA et le Partido de Concertación Nacional (PCN), n’a pas amélioré son sort. Il a actuellement un député sur 84 (contre 31 pour le FMLN) et six maires sur 262 (contre 85 pour le FMLN). Le centre n’a pas de poids au El Salvador car les consciences sont trop aiguisées par plus d’un siècle de lutte pour la liberté et la démocratie pour se laisser égarer par des faux-fuyants.

Guardado lui-même explique son militantisme de circonstances: “Je fais partie de démocrates-chrétiens qui nous ont radicalisés à cette époque-là”, parlant de ses années au BPR. Puis, “Pendant la guerre, j’ai rencontré la moitié de la planète et il est devenu clair que ce qu’il y avait de plus civilisé étaient les modèles démocratiques dans lesquels l’Etat avait un rôle, le secteur privé et les citoyens et que tout le monde pouvait agir librement”. Edifiante analyse décrivant essentiellement la social-démocratie qui a, comme nous le verrons plus loin, embrassé le néo-libéralisme.

suivre)

Notes

  1. New York Times, 8 juin 1981, http://www.nytimes.com/1981/06/08/world/slaughter-in-salvador-200-lost-in-border-massacre.html?pagewanted=all]
  2. Who’s to blame for El Salvador’s gang violence? 8 novembre 2014, http://www.pbs.org/newshour/bb/central-americans-flee-us-policies-blame-el-salvadors-gang-violence/
  3. Avec l’héritage de la paix: la culture politique de la jeunesse centro-américaine, par Florisabel Rodríguez, Silvia Castro et Johnny Madrigal, Editorial Fundación UNA, San José, Costa Rica, 2003.

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