La semaine dernière, la séance sur Haïti du sous-comité sénatorial des relations étrangères à Washington ne s’est pas transformée en un enchevêtrement partisan entre les deux partis Républicains et Démocrates comme nous l’avions prévu.
Au lieu de cela, le sénateur Marco Rubio, un cubano-américain farouchement opposé à la Révolution cubaine et candidat républicain à la présidentielle, président du Sous-comité pour l’hémisphère occidental de la criminalité transnationale, de la sécurité civile, de la démocratie, des droits de l’homme et des questions relatives aux femmes dans le monde a ouvert l’audience en présentant un examen banal de la situation politique et économique d’Haïti, sans la moindre critique ou remise en cause de la politique de l’administration d’Obama en Haïti.
En soulignant :« Je crois que Haïti est d’un intérêt vital pour la Floride, pour les États-Unis en général, et à l’ensemble de l’hémisphère occidental », a déclaré Rubio. « Si Haïti est stable et prospère, c’est à l’avantages des Etats Unis. Lorsque Haïti est instable, non sécurisée, et sans des possibilités à son peuple, elle crée des vides où des bandes criminelles peuvent y fonctionner, cela peut conduire à des embarcations aux Etats-Unis à des tragédies désastreuses et meurtrières en haute mer » ajouta t-il.
Cependant, l’audience de 45 minutes contenait quelques remarques intéressantes par son seul témoin, Thomas C. Adams, Coordonnateur spécial du Département d’Etat américain pour Haïti. En effet, il a précisé que le rôle central que les États-Unis jouent n’est pas seulement dans les élections à venir, mais dans la supervision des affaires gouvernementales d’Haïti.
Ses propos les plus étonnants se ramènent l’admission catégorique par Adams que Washington et son agence d’exécution budgétaire, le Fonds monétaire international (FMI), supervisent directement la conduite financière du gouvernement haïtien.
Affirmant que la « perception et la réalité de la corruption sont très élevées » et le système de comptabilité haïtienne « pas très transparent », Adams se plaint qu’« Haïti a commencé [sous le régime de Martelly] avec plus de 500 comptes bancaires pour le gouvernement, qui ont été mal utilisées ».
Sauf que, l’ancien « premier ministre [Laurent] Lamothe [qui a démissionné en Décembre] dernier était d’accord avec nous pour faire quelque chose à ce sujet » en concluant un arrangement avec Washington selon lequel « nous aurons un conseiller du [Département de la] Trésorerie [US] travailler sur cette affaire avec le FMI pour réduire le [nombre de] comptes et de mettre en place des unités comptables dans chaque ministère, et que ça marche assez bien maintenant ».
Ainsi, tout comme sous l’occupation des Marines US de 1915-1934 (dont on va marquer le centenaire le 28 juillet), en Haïti aujourd’hui il y a encore des superviseurs américains qui veillent sur les affaires gouvernementales haïtiennes.
Adams a également expliqué que « parfois ce [régime sous occupation étrangère] est au point mort parce que beaucoup de gens du pays détestent la supervision. Cependant à un des moments critiques, le premier ministre [Lamothe] est venu et a réuni tous les ministres et leur a demandé “d’obéir.”
Adams a également fait quelques remarques révélatrices sur les prochaines élections à savoir : « Comme la planification électorale continue », a-t-il dit, « les Etats-Unis soutiennent le CEP, les Nations Unies, l’OEA [Organisation des États américains] et le Gouvernement d’Haïti (y compris sa police nationale) dans leurs efforts pour coordonner et exécuter avec succès les élections ». D’une manière très nuancée, il a placé le CEP, seule et indépendante autorité électorale d’Haïti, sur un pied d’égalité avec deux organismes étrangers et un gouvernement partisan corrompu dans «l’exécution» des élections.
Adams a poursuivi pour dire: « Permettez-moi de souligner que les Etats-Unis n’ont pas de candidats ces élections et ne supporteront aucun candidat ou groupe de candidats ».
« Est-ce que l’administration croit que le Président Martelly est capable d’administrer des élections libres et honnêtes pour le peuple haïtien, et croyez-vous qu’il va se retirer après l’élection du prochain président d’Haïti? » a demandé Rubio.
Adams a répondu que le CEP « a démarré en retard en raison d’une impasse politique » et maintenant « ils jouent un peu de rattrapage, mais je pense qu’ils sont sur la bonne voie pour tenir le premier tour des élections le 9 août, et nous les soutenons certainement dans cet effort ».
Quant à Martelly, Adams a déclaré: « Je pense qu’il est profondément attaché, comme une partie de son héritage, à avoir des élections libres et honnêtes. Il veut les avoir parce qu’il veut coûte que coûte quitter en Février. Il me l’a dit à de nombreuses reprises ».
Le lendemain de l’audience du 15 juillet Washington, Adams s’est rendu à New York pour participer à la conférence des donateurs au quartier général de l’ONU le 16 juillet, avec Sandra Honoré, chef de la Mission des Nations Unies pour stabiliser Haïti (MINUSTAH), Evans Paul, le Premier ministre de facto et le président du CEP Pierre-Louis Opont. Plusieurs pays, dont les États-Unis, ont apporté leur soutien financier aux prochaines élections.
Malgré l’affirmation ouverte d’Adams de l’implication américaine dans le gouvernement et l’élection d’Haïti, le président du sous-comité semblait préoccupé par une autre implication étrangère.
« Est-ce que le Venezuela joue un rôle quelconque dans l’organisation de ces élections? » a demandé Rubio.
« Le Venezuela a mentionné qu’il le pourrait, » répondit Adams avec prudence. « Je pense qu’il pourrait faire un don demain pour soutenir financièrement les élections ».
« Mais seront-ils impliqués au-delà en termes de … » lui a demandé Rubio
« Non », a affirmé Adams avec la conviction d’une idée qui n’est pas claire et certaine.
« Parce que au Venezuela, le gouvernement actuel n’est pas tout a fait sincère à des élections libres et honnêtes, voil pourquoi je le demande », a expliqué Rubio.
« Je comprends bien, » répondit Adams, avec un sourire narquois. « Oui monsieur. »
En fin de compte, Adams a terminé en affirmant que seuls les capitalistes occidentaux peuvent sauver Haïti à travers “l’investissement direct étranger.» Ce diplomate fatigué des administrations américaines au cours des 50 dernières années rejette la puissance créatrice et transformatrice du peuple haïtien lui-même, entravé par la déstabilisation politique, le chantage économique, la violence contre-révolutionnaire, et l’occupation militaire. Mais en dernier lieu, Adams lui a offert cette évaluation de la situation:
« Haïti a besoin de beaucoup de nouvelles lois. Ils ont beaucoup de lois archaïques. Ils ont besoin de beaucoup de choses qui feront de ce pays un endroit attrayant pour les investisseurs. Bien que nous ayons les actes législatifs HELP et HOPE pour le faire, mais il n’y a pas assez d’aide étrangère ou de transferts de fonds pour réparer le pays. Si Haïti ne peut pas attirer les investissements directs des étrangers, ça va être la même vieille histoire. Il y a eu une bonne croissance économique depuis le tremblement de terre. Quarante ans avant le tremblement de terre il y avait un taux de croissance négatif en Haïti, légèrement négatif. Cela fait environ 3 ou 4 pour cent depuis lors, mais il doit être de 7 pour cent pour éradiquer la pauvreté. Pour cela, ils doivent fixer vraiment plusieurs de leurs institutions, leur système judiciaire, et passer à la modernisation des lois, et nettoyer la corruption. S’ils le font, je pense qu’ils vont obtenir l’investissement direct de l’étranger qui finira par résoudre leurs problèmes économiques. »
En clôturant l’audience, le sénateur Marco Rubio a déclaré au diplomate Thomas Adams sans la moindre trace d’ironie: « Nous tenons à vous remercier pour services rendus à votre pays et également à Haïti ».