Sommet de la Jamaïque, retour sur un échec (3)

(3ème partie)

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Le Premier ministre, Andrew Holness (à droite), salue la secrétaire générale de la CARICOM, le Dr Carla Barnett lors de la cérémonie d'ouverture de la réunion des parties prenantes haïtiennes au ministère des Affaires étrangères et du Commerce extérieur au centre-ville de Kingston le dimanche 11 juin [Photo : Adrian Walker]

Le dirigeant du parti du défunt Président Jovenel Moïse, PHTK, Line Balthazar, qui a pris part au Sommet de la Jamaïque du 11 au 13 juin dernier, n’a pas compris les arguments de Mme Mirlande H. Manigat pour justifier son refus d’honorer l’invitation de la CARICOM.

Line Balthazar explique que : « Ce n’est pas la première fois dans notre histoire récente que nous acceptons d’initier un processus politique après des discussions en terre étrangère », avançait-il, avant d’annoncer : « Oui, le PHTK est invité et sera présent. Le PHTK est invité à participer à des discussions entre les protagonistes de la crise dont le Premier ministre Ariel Henry. Le PHTK participera à des discussions avec le Premier ministre Henry et ses représentants sur les perspectives de solution à la crise haïtienne ».

« Les discussions entre les protagonistes à la Jamaïque seront un point de départ vers une solution », avait-il déclaré. Pourtant, malgré cette disposition des oppositions à dialoguer avec le pouvoir, ses alliés n’étaient pas prêts à faire de concession quand on a entendu Me André Michel sur radio Magik9 le lundi 12 juin 2023, soit à la deuxième journée de ce dialogue haïtiano-haïtien, « Nous sommes ici à la Jamaïque parce que dans le consensus du 21 décembre 2022, pour les élections transparentes inclusives et transparentes, il est très clairement dit que nous allons continuer le dialogue avec les autres protagonistes de la crise haïtienne. Nous autres du 21 décembre sommes à la Jamaïque pour discuter, créer les conditions d’apaisement politique, social et sécuritaire pour aller vers les élections. C’est ce que nous appelons une application inclusive du consensus du 21 décembre » déclarait le chef du SDP qui ne s’intéresse pas  à autre  chose ou ne privilégie que le fameux Accord du 21 décembre dit Accord Karibe.

En martelant de la sorte, André Michel n’avait laissé aucune porte ouverte pour les oppositions qui espéraient convaincre les tenants du pouvoir de la nécessité de  leur faire une petite place.  Pourtant, en dépit de tout cela, certains ont cru comprendre que le Sommet de la Jamaïque n’a point été un échec puisqu’il est établi que chaque partie a clarifié sa position de manière claire. Et de ce fait, il y a lieu de noter deux points sur lesquels les protagonistes auront à discuter et doivent s’entendre : la forme du pouvoir et un accord sur l’intervention étrangère.

En effet, d’après l’ancien sénateur Jean Hector Anacacis qui est intervenu le lendemain du Sommet dans les médias haïtiens, ce sont ces deux points qui empêchent toute sortie de crise. Anacacis croit que « Le premier concerne la gouvernance. Les positions divergent sur un Exécutif bicéphale ou monocéphale. L’autre point, dont on fait rarement mention, est la question de l’intervention d’une force internationale de sécurité. C’est la priorité de la Communauté internationale qui voit dans ce scénario une nécessité pour mettre un terme à la crise.

Line Balthazar, le Président du PHTK de Michel Martelly

Pour ce faire, en plus de l’acceptation du gouvernement et du Secteur privé, l’international souhaite également l’accord du secteur politique. Les acteurs doivent savoir qu’ils doivent faire une concession si vraiment ils souhaitent que l’international lâche Ariel Henry. Il faut donner quelque chose d’important en contrepartie. Il faut évoluer » a avancé le dirigeant de LAPEH. D’autre part, d’après Line Balthazar, le Président du parti de l’ancien Président Michel Martelly, PHTK, deux groupes distincts se sont formés suite à la Conférence de la Jamaïque. Ce qui, selon lui, est une bonne chose dans la mesure où les positions se clarifient plus distinctement sur les points qu’il faut mettre en discussion. Car, Balthazar avance qu’il y a eu deux « Déclarations » différentes, chacune avec sa propre vision pour la poursuite de la Transition :

« Le Sommet de la Jamaïque tenu du 11 au 13 juin s’est achevé avec deux projets antagoniques.

Le projet de la « Déclaration conjointe » signée par les forces politiques et sociales à la majorité qui ont opté pour la mise en place d’un gouvernement bicéphale qui se rapproche de la Constitution et le projet esquissé par le chef du gouvernement dans sa déclaration faite le 13 juin disant s’attacher au projet adelante du 21 décembre.  Le groupe de personnes ayant signé la « Déclaration de Kingston » s’oppose à l’élargissement du 21 décembre, ils ne veulent pas non plus intégrer le 21 décembre parce que nous avons fait le constat que depuis deux ans le Premier ministre à lui seul a cumulé les fonctions de Premier ministre, de chef d’Etat et de ministre.

Il n’est pas question de laisser une seule personne pendant aussi longtemps prendre de mauvaises décisions à la tête du pays qui nous mène là où nous sommes » a-t-il argumenté. Pour justifier ce qu’il a avancé, il a présenté le texte dit de consensus sorti à la fin du Sommet sous le nom de : Déclaration conjointe de la Jamaïque. Dans cette déclaration de 4 points, on peut lire : «1- Le rétablissement d’un Pouvoir exécutif avec un Collège présidentiel et un gouvernement d’unité nationale dirigé par un Premier ministre; 2- le gouvernement devra satisfaire les priorités définies dans une feuille de route tenant lieu de termes de référence pour la Transition.

Il s’attèlera à respecter les prescriptions constitutionnelles concernant la participation des femmes; 3- le gouvernement devra créer les conditions nécessaires pour inspirer confiance à la population, instaurer un climat de sécurité favorable à la reprise des activités économiques, aux réformes et à la tenue des élections crédibles et inclusives; 4- la mise en place d’un Comité de suivi constitué, entre autres, de représentants de la CARICOM », lit-on dans la déclaration.

Ce document est signé par : Emmanuel Ménard (Force Louverturienne Réformiste / opposition démocratique) ; Jerry Tardieu (En Avant) ; Magali Comeau Denis (Accord du 30 Août 2021 dit Accord de Montana) ; Clarens Renois (UNIR-Haïti) ; J.R. Bob Limontès (MPP) ; Edgar Leblanc (OPL) ; Poincy Jeffsky (Nou Pap Domi-NPD) ; Claude Joseph (EDE), Collectif des Partis Politiques du 30 Janvier, dont PHTK de Line Balthazar ; Jean André Victor (MOPOD) et Maryse Narcisse (Fanmi Lavalas).

L’ancien sénateur Jean Hector Anacacis

Tous ces leaders politiques s’accordent à trouver un consensus afin de mettre fin aux drames que confrontent la population en particulier et le pays en général, selon les signataires. Alors que, pour tous les observateurs, ce Sommet a été un échec cuisant dans la mesure où aucun consensus n’a été trouvé entre les différentes entités ou tout au moins entre les principaux acteurs de la Transition, notamment, le Premier ministre Ariel Henry et ses alliés. Les signataires de cette Déclaration à minima refusent néanmoins d’accepter l’évidence.

Comme Line Balthazar, le Président du PHTK, ce parti qui était hier infréquentable pour tous les adversaires des Présidents Michel Martelly et Jovenel Moïse, et qui, aujourd’hui, joue sa carte de respectabilité parmi ses détracteurs de jadis, les signataires de l’Accord du Montana récusent le mot échec. Pour justifier ce qui est pourtant une évidence pour tous les Haïtiens et la Communauté internationale, ils soutiennent qu’à la rencontre de Kingston, Montana a défendu sa ligne et la position qu’il a toujours soutenues.

A la Jamaïque, «Nous proposons un consensus qui s’attellera à : rétablir sur une base consensuelle, transitionnelle et dans les trois Pouvoirs de l’État avec un Exécutif bicéphale ; les contours exacts de cet Exécutif bicéphale feront aussi l’objet d’un consensus; constituer une autorité de contrôle de l’action du gouvernement; s’assurer que l’autorité gouvernementale et l’organe de contrôle du gouvernement de Transition disposent d’une légitimité sociale; instaurer un gouvernement de Transition de rupture avec les mauvaises pratiques de pilotage et d’administration de l’État et qui prend en compte les revendications de la société. Rétablir le système judiciaire dans la plénitude de son indépendance et autonomie sur la base d’une entente politique et rouvrir les tribunaux qui ne fonctionnent pas; réaliser la Conférence nationale souveraine, y compris les questions en lien avec la Constitution, entre autres» a rappelé Jacques Ted Saint-Dic.

Cette position est aussi celle du dirigeant du parti « En Avant », de l’ex-parlementaire Jerry Tardieu qui considère même La Déclaration conjointe de la Jamaïque comme une avancée dans la recherche de solution à la crise. Invité le lundi 19 juin 2023 de l’émission panel Magik9, celui qui a toujours soutenu une réforme constitutionnelle pour avoir été Président de la Commission spéciale pour l’amendement de la Constitution de 1987, voulait démontrer les biens fondés de La Déclaration conjointe de la Jamaïque. Selon l’ancien député de Pétion-Ville, si ce Forum n’a pas été une réussite vu qu’il n’ait eu aucune avancée tangible dans le dialogue avec le pouvoir, il n’a pas été non plus inutile puisqu’il a permis le rapprochement entre d’autres acteurs qui ne se sont jamais rencontrés autour d’une table. « Je n’ai aucun problème à ce que la CARICOM continue de supporter et de faciliter le dialogue pour autant que les acteurs haïtiens soient souverains dans les prises de décision. La Déclaration conjointe de Kingston n’est pas le seul résultat du sommet.

C’est pour la première fois que des acteurs politiques et la Société civile acceptent de discuter autour d’une seule et même table. De ce fait, En Avant croit que ce Sommet n’est pas une finalité mais une étape d’un long et difficile processus. La Déclaration de Kingston est le dénominateur commun minimal entre les signataires. Ceux-ci ne partagent pas la même idéologie, toutefois ils s’entendent sur le fait que la gouvernance doit s’inspirer de la « bicéphalité » pour être plus proche de la Constitution. Avec la signature de La Déclaration conjointe de Kingston, l’opposition à Ariel Henry s’est renforcée. La crise haïtienne a deux enjeux : la gouvernance et les élections. Donc, on ne peut pas discuter d’autres choses. D’abord, on doit discuter de la gouvernance pour créer un climat de confiance pour l’application d’un agenda dont les axes prioritaires sont : le rétablissement de la sécurité ; la réforme constitutionnelle et la mise en place d’un Conseil Electoral Provisoire (CEP) impartial » a expliqué Jerry Tardieu en revenant de la Jamaïque.

Finalement, on a compris que ce Sommet entre les différents acteurs de la classe politique et de la Société civile haïtienne organisé par la CARICOM à la Jamaïque durant trois jours et trois nuits aura été une sorte d’Auberge espagnole. Chacun a pu trouver ce qu’il a été cherché auprès des organisateurs officiels et officieux de ce grand kombite où l’essentiel était de participer. D’ailleurs, même ceux qui, pour une raison ou une autre n’avaient pas été à Kingston, ont trouvé quelque chose de positif sur la manière dont les choses se sont terminées. Ils estiment que l’échec était prévisible et qu’ils avaient raison de décliner l’invitation de la CARICOM. Car, en rentrant bredouille à Port-au-Prince, sans aucun consensus trouvé après trois jours de dialogue, cela ne valait pas le coup et c’est la preuve que la solution à la crise ne se trouve pas en terre étrangère mais bien sur le sol haïtien.

C’est peut-être cette leçon qu’ont tirée  Kenny Anthony, (Sainte-Lucie)  Perry Christie (Les Bahamas) et Bruce Golding (Jamaïque), les trois anciens Premiers ministres, co-animateurs du Sommet pour le compte de la Caribbean Community (CARICOM). Ils estiment peut-être que ceux qui ont préféré rester à Port-au-Prince avaient raison et, pour réparer cette erreur, ils étaient prêts à se rendre dans la capitale haïtienne pour poursuivre le dialogue avec d’autres acteurs impliqués dans la crise mais qui ont été soit oubliés par les organisateurs ou tout bêtement ignorés par eux et enfin soit avaient refusé d’aller à Kingston où, en vérité, il ne devrait rien se passer, c’est-à-dire, c’était un échec attendu.

(Fin)

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