Les retombées du rapport de la Commission d’Évaluation Électorale

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Le samedi 2 Janvier 2016, tard dans la soirée, au Palais National, quelques membres de l’exécutif se sont réunis avec 4 des 5 membres de la commission pour recevoir leur rapport sur les élections-sélections du 25 octobre 2015, dont les résultats sont contestés par tous les candidats à la présidence. A quoi devrait-on s’attendre de la Commission d’Évaluation Électorale dite indépendante de Martelly-Paul qui avait pour membres Mgr Patrick Aris, Rony Desroches, Armand Louis, Evonie Georges et Gédéon Louis. Tout le monde s’attendait à ce que cette commission dise qui a réellement gagné les élections et s’il y avait des fraudes qui en étaient le grand ou les grands bénéficiaires ?

Cependant le rapport n’a fait qu’accentuer les divisions entre le gouvernement et l’Opposition qui reste dos dos sans un réel déblocage de la crise. Il n’a fait que consolider les attentes de certaines chancelleries qui faisaient même campagne pour ne pas dire influencer ou dicter aux membres de la commission les décisions prendre.

Dans une conférence de presse, Gédéon a indiqué que les 15% de PV étudiés indiquent, selon la conclusion du rapport (page 12), qu’il y a eu des « irrégularités souvent assimilées à de la fraude massive. J’estime qu’il faut, au moins, un recomptage de tous les PV, tout en tenant compte des cas de fraudes, afin de garantir le droit de vote des citoyens (une personne, une voix). Cet aspect, à mon avis, est fondamental et incontournable pour garantir le droit des peuples disposer d’eux-mêmes (au plan politique, économique et social) ». Alors que Rosny Desroches porte-parole donne un son différent à savoir que : «seulement 8% des tableaux de dépouillement et d’autres documents du vote du 25 octobre étaient exempts d’irrégularités. Les membres de la commission n’ont trouvé aucune preuve de la présence d’une fraude électorale répandue pour favoriser un candidat, seulement sur la base de témoignages recueillis la commission a indiqué dans son rapport que plusieurs candidats ont bénéficié de la part de leur représentants aux BV de ces irrégularités assimilables à des fraudes. »1

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Les réactions des politiciens ne se sont pas fait attendre ; tout d’abord le G-8 dans un communiqué rendu public le lundi 4 janvier a rejeté d’un revers de main le rapport de la commission et exigé une transition via la démission du CEP et la mise en place d’un Gouvernement Provisoire chargé de prendre toutes les dispositions en vue de boucler le processus dans la transparence.

Ce même jour Fanmi Lavalas dans une conférence de presse de la coordonnatrice du parti et candidate à la présidence, Maryse Narcisse a fustigé le rapport et réclamé également la formation d’un nouveau conseil électoral et annoncé deux journées de manifestations les 6 et 8 janvier à Port au Prince afin de poursuivre la mobilisation populaire.

Outre les déclarations de Moise lui-même pour rejeter le Rapport, la plateforme Pitit Dessalines de Moise Jean-Charles, pour sa part, par la voix de Mathias Pierre, membre du directoire et Rosny Timothée, porte parole de Pitit Dessalines, dans une conférence de presse, ont tous deux critiqué les membres de la Commission qui n’ont pas eu de courage pour dénoncer les fraudes massives au profit de Jovenel Moise. Et ils n’ont pas oublié de souligner que d’après leurs procès verbaux, c’est le candidat Moise Jean Charles qui a gagné le scrutin. Richard Doré, un dirigeant du Parti Haïtien Têt Kalé (PHTK) a rejeté toutes les considérations des dirigeants de Pitit Dessalines.

Par ailleurs, l’Union européenne dans un communiqué le dimanche 3 janvier a salué les recommandations formulées par la Commission d’évaluation électorale indépendante pour inciter par la suite à la poursuite du second tour : « Il est à présent essentiel que le processus aille à son terme afin de doter le pays d’institutions politiques légitimes qui reflètent le choix des citoyens librement exprimé dans les urnes. L’évaluation menée par la Commission a permis de relever un certain nombre d’irrégularités qui, sans avoir remis en cause les résultats du premier tour, appellent à des mesures correctives pour le prochain scrutin présidentiel. Il appartient désormais au CEP et aux autres autorités haïtiennes concernées d’assurer la mise en œuvre des mesures nécessaires pour renforcer la transparence et la confiance de l’électorat en vue de la tenue du deuxième tour de l’élection présidentielle dans le respect des échéances constitutionnelles »11

Dans la même veine, le « Core Group » (les Ambassadeurs du Canada, de la France, de l’Espagne, du Brésil, des Etats-Unis d’Amérique, de l’Union Européenne, et le Représentant spécial de l’Organisation des Etats Américains), par l’organe de la cheffe civile de la force d’occupation ,Sandra Honoré, « reconnaissent les efforts visant à renforcer la crédibilité et la transparence du processus électoral en cours et à assurer des règles du jeu équitable, demandent instamment à tous, institutions de l’Etat et acteurs politiques, de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer un transfert pacifique du pouvoir à un Président nouvellement élu le 7 Février, selon les prescrits de la Constitution »

Voici quelques extraits du Rapport :

Recommandations générales sur le processus électoral :

Les témoignages recueillis sont unanimes à reconnaitre que les élections du 25 octobre 2015 étaient entachées d’irrégularités, et que plusieurs candidats ont bénéficié de la part de leur représentants aux BV de ces irrégularités assimilables des fraudes. Il faut donc des mesures correctives et dissuasives pour la poursuite du processus électoral, sachant que dans les circonstances actuelles il n’existe pas de solutions parfaites. Ainsi après avoir conduit cette évaluation conformément à la mission qui lui a été confiée, la Commission, à partir de ces constats d’irrégularités graves, propose des recommandations partir des résultats produits par la mise en œuvre de la méthodologie adoptée. Elle a l’honneur de les soumettre comme convenu dans l’Arrêté de nomination du 22 décembre 2015, au Chef de l’État haïtien pour toutes suites utiles.

Ces recommandations s’appuient sur la volonté des acteurs impliqués dans la crise actuelle de chercher vivement et trouver rapidement une solution consensuelle afin d’éviter au pays une catastrophe. Elles visent à :

a) Améliorer le processus électoral ;

b) Protéger les structures et les institutions du pays en sollicitant des différents acteurs engagés dans le processus électoral de 2015, un compromis raisonnable ;

c) Permettre l’installation de la confiance au sein de la population haïtienne en faveur de qui les élections sont organisées ;

d) générer un climat de paix pour redonner de la crédibilité au processus électoral et aux institutions du pays chargées d’organiser ou d’accompagner les élections.

Elles doivent permettre un dialogue politique; fixer les responsabilités; opérer un minimum de changements dans l’appareil électoral ; garantir la vérité du prochain scrutin électoral

Pour la poursuite du processus électoral il faudrait les mesures immédiates suivantes :

1. Étant donné que l’article 171-1 (premier paragraphe) qui stipule “Le Directeur exécutif, après avoir reçu du Directeur du Centre de tabulation les résultats des élections, les transmet au Conseil électoral provisoire qui ordonne leur affichage dans les BED et les BEC après les vérifications de droit”, la Commission estime que le CEP est tenu pour le vrai et dernier responsable des résultats qu’il publie et non les instances inférieures de la machine électorale. Voilà pourquoi elle recommande très fortement que le CEP fasse tous les contrôles nécessaires et indispensables au préalable avant publication des résultats définitifs des élections.

2. Pendant tout le temps où la commission a siégé, elle a reçu un nombre important de plaintes et de dénonciations de candidats aux dernières élections législatives sur les injustices dont ils auraient été victimes. Il y a même des troubles publiques liés à certains de ces cas. L’institution électorale ne peut cautionner les injustices par le biais du BCED ou du BCEN dont on a dit tellement de mal de leurs juges. On a même parlé de corruption. La Commission recommande une réévaluation et un examen approfondis de ces dossiers.

3. La Commission recommande au CEP de renforcer le système de supervision, de contrôle et de sanctions sur tous les rouages de la machine électorale et toutes les phases du processus, afin de s’assurer que les différents acteurs respectent les dispositions du décret électoral et les règles de neutralité. Une attention particulière doit être accordée au travail des membres des BV qui disposent d’un vaste pouvoir et d’une grande marge de manœuvre le jour du scrutin.

4. Le CEP devrait assurer une bonne formation des membres des différentes Instances contentieuses, BCEC, BCED, BCEN et préparer à leur intention un document présentant les règles d’application des dispositions du décret électoral.

5. La Commission recommande que le CEP ne place plus des centres de vote dans des maisons privées et qu’elle améliore considérablement les conditions de travail des membres des Bureaux de votes: calculatrice, éclairage. Certaines erreurs sont dues par exemple à un éclairage Insuffisant.

6. La Commission recommande que 1e CEP rende publique la liste des organismes d’observation électorale et que les critères d’accréditation des observateurs électoraux soient plus solides et sérieux.

7. Les photos des procès-verbaux prises par les superviseurs doivent être affichées dans chaque centre de Votes et envoyées au CTV et postées sur le Site du CEP. En vue de cela la Commission recommande vivement que les superviseurs reçoivent une formation et les moyens adéquats.

8. Pour le deuxième tour des élections, des dispositions devraient être prises pour que le nombre de mandataires soit limité dans chaque bureau de votes. Et les membres des bureaux de vote doivent s’assurer que l’appendice de la carte d’accréditation du mandataire soit détaché et que son pouce soit marqué à l’encre indélébile après avoir voté, pour éviter qu’il ne vote plusieurs fois.

9. La Commission recommande que soit reconsidérée totalement la question du recrutement et de la formation des membres des Bureaux de Vote. La chaine pléthorique de relais humains dans le processus électoral constitue en soi un problème et non une solution. La Commission estime que les membres des BV ne doivent plus être du personnel vacataire soumis à l’influence impitoyable de certains acteurs politiques.

10. Les Responsables des Partis politiques doivent bien choisir et bien former leurs mandataires afin que ceux-ci ne soient plus des auteurs possibles de fraude électorale. Tout mandataire qui s’aviserait de profiter de sa présence dans le bureau ou le centre de votes pour faire de la propagande pour son candidat serait exclu du centre de vote.

11. Les différents secteurs ayant délégué un membre au sein du CEP devront considérer avec sérieux et attention les dénonciations et les suspicions de corruption contre leurs membres et le cas échéant, prendre les dispositions qui s’imposent pour obtenir leur démission et leur remplacement dans un délai de 72 heures. Cela suppose un replâtrage du CEP et aussi de la machine électorale. Ce pour sauvegarder la crédibilité et la poursuite du processus électoral dans les meilleurs délais.

12. Les membres du CEP et de l’appareil électoral qui font l’objet de plainte, doivent se mettre à la disposition de la justice.

Au plan politique :

1. Selon les acteurs rencontrés, la crise actuelle a une dimension politique qui exige un dialogue politique. Il est hautement souhaitable qu’ils trouvent un consensus de sortie honorable pour tous. Ceci devra conduire impliquer les deux autres pouvoirs de l’État l’intérieur du compromis politique qui doit être dégagé pour réaliser un second tour avec la plus large adhésion possible de la population haïtienne.

2. Le Président de la République et le Chef du Gouvernement devraient s’asseoir avec tous les acteurs impliqués dans la crise électorale actuelle afin de trouver un consensus pour la bonne tenue du second tour des élections.

3. Les candidats au deuxième tour doivent signer un pacte ou un accord pour moraliser le processus électoral et inviter leurs partisans à se garder de toute tentative d’irrégularités, de fraudes et/ou de violence.

Conclusion :

La Commission a effectué son travail conformément à sa mission. Les plaintes reçues traduisent clairement que l’institution électorale ne jouit plus du crédit qui lui permettrait de poursuivre le processus sans danger d’enfoncer le pays dans une crise encore plus grande. La Commission croit que pour poursuivre le processus et espérer une participation appréciable aux élections et la paix sociale, il faudrait deux choses : un dialogue politique entre les différents acteurs du pays et un examen plus approfondi au plan technique de la responsabilité de la machine électorale dans les irrégularités souvent assimilée à de la fraude massive.”

Cependant le rapport n’a pas tout dit parce qu’il n’est pas allé au fond du problème comme l’explique un des commissaires, Gédéon Louis, Secrétaire de la Commission d’Évaluation Électorale Indépendante qui n’a pas lui-même signé et n’a pas participé à la cérémonie de remise dudit Rapport.

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