Haïti face au Coronavirus, la trêve politique et sociale

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Dès l’annonce de cette pandémie de Coronavirus, Jovenel Moise comprend qu’il va avoir un chèque en blanc de la part de l’opposition.

(5e et dernière partie)

 

Incontestablement, sur le plan politique, Jovenel Moïse est un fils de la providence. Tout ou presque dans son parcours politique relève du miracle ou du hasard. Sa première rencontre avec son ancien mentor Michel Martelly, alors Président de la République, a été un pur hasard. Le choix du chef du Parti Haïtien Tèt Kale (PHTK) pour le désigner comme son successeur en lieu et place de multiples prétendants du parti est un coup de chance inespéré, un vrai miracle, puisque, aujourd’hui encore, certains anciens barons du PHTK ne le pardonnent toujours pas à l’ancien chef de l’Etat. Survint alors la saga électorale de (2014-2016). Une épopée durant laquelle Jovenel Moïse qu’on n’appelait plus que « Nèg bannann nan » a dû se battre comme un diable dans un bénitier dans ce chaudron de la politique du pire pour réussir. Contre toute attente, il est sorti indemne de ce pari fou. Mais non sans avoir bénéficié des faveurs de la providence.

Le départ de Michel Martelly du Palais national lui avait enlevé somme toute tout espoir de victoire. Il était à deux doigts de jeter l’éponge. Mais, soutenu et encouragé par son ami Nahomme Dorvil, son actuel chef de cabinet à la présidence de la République, il repart au combat sans grande conviction. Car la conjoncture politique ne lui est pas favorable. Un ancien ministre lavalassien occupe le fauteuil présidentiel depuis février 2016. En plus, cet ancien ministre d’Aristide s’est entouré d’une cohorte de lavassiens qui n’attendait que la victoire du Dr Maryse Narcisse, la candidate du Parti de Jean-Bertrand Aristide pour continuer d’arpenter les allées du pouvoir. Surtout, ils espèrent tous dans leur for intérieur que le Président provisoire Jocelerme Privert va tout faire pour faciliter la victoire de Fanmi Lavalas. Jovenel Moïse, quant à lui, s’inquiète ! Ce d’autant plus que tous les autres candidats se liguent contre lui par peur qu’il ne poursuive la politique de son ami Tèt kale ou qu’il ne devienne un Président de doublure. Dans la tête de Jovenel Moïse, tout semble perdu d’avance même si, sur le plan financier, une grande partie du secteur privé des affaires jette son dévolu sur lui ; sans oublier le soutien incommensurable de la Communauté internationale.

En effet, cette entité de poids dans les affaires internes haïtiennes ne l’a jamais lâché depuis le début de son aventure présidentielle et le risque calculé de Martelly. Oh miracle ! A trois jours du premier tour du scrutin, tout bascule. Une terrible catastrophe naturelle ravage tout le Sud d’Haïti. C’est le tristement célèbre cyclone Matthew. Sans tarder, le Conseil Electoral Provisoire (CEP), en accord avec le gouvernement, annonce le report des élections. Une seconde catastrophe, politique celle-là, mais aux dépens de l’opposition. Un sursis positif pour Jovenel Moïse. C’est une opportunité politique. Bien plus qu’une aubaine, c’est un nouveau miracle pour le candidat du PHTK. Et pour cause. Les grands groupes économiques du pays vont mener une opération de sauvetage pour l’installer définitivement sur le chemin du Palais national. En effet, l’annonce du report du scrutin présidentiel va acculer totalement les autres candidats qui ne pourront pas suivre la machine qui finance la campagne de Jovenel Moïse à travers ce que certains appellent la « Campagne humanitaire.»

Sous couvert de venir en aide aux départements victimes du cataclysme, tous les candidats s’étaient transformés en agents humanitaires alors qu’il s’agit bel et bien de continuer la campagne électorale suspendue par les autorités pour cause de catastrophe naturelle. Sauf que, si tous les prétendants voulaient faire quelque chose, tous n’avaient pas les moyens de leur politique. Dans cette course à la solidarité, Jovenel Moïse avait pris le dessus dès le départ ; puisque le secteur économique avait pris les choses en main. Résultat des courses, le candidat du PHTK, malgré les protestations de l’opposition, est sorti gagnant de la compétition. Une fois installé à la tête de l’Etat, les ennuis commencent. L’opposition qui est toujours à la recherche d’un angle d’attaque ne chôme pas.

Durant les deux premières années, elle a tout fait pour renverser le pouvoir. Mais, à chaque fois, elle bute sur ce qu’on peut appeler : la malchance. Il y a toujours un caillou dans les chaussures des leaders de l’opposition. Alors que Jovenel Moïse, lui, plane sur sa bonne étoile qui lui trouve toujours une porte de sortie. Fatigué, en effet, d’un conflit politique inextricable avec un quarteron de sénateurs irréductibles, il a repris du souffle avec la caducité déclarée du Corps législatif. Sans perdre de temps, il a nommé un nouveau Premier ministre, Jouthe Joseph, après avoir usé d’au moins trois autres qui ne bénéficient d’aucun soutien politique du Parlement ni de la population. Ce dernier, en tant que chef d’un gouvernement de facto, puisque lui aussi ne sera pas ratifié par le Parlement, gère les affaires du pays. Il est placé sous l’autorité directe du Président de la République qui est le seul chef suprême en l’absence du Pouvoir législatif, ce qui lui donne le droit de diriger par décret. Une opportunité pour l’opposition et les ex-sénateurs qui n’ont pas digéré ce plein pouvoir que le Président s’accorde, pour reprendre le flambeau de la mobilisation ou du moins pour agiter le chiffon rouge de la dictature. Patatras ! La providence, une fois de plus, a répondu présent et s’empresse de porter secours au chef de l’Etat.

Devant un réveil imminent de la population sous l’impulsion des leaders de l’opposition plurielle, entre autres Me André Michel Porte-parole de l’Alternative Consensuelle pour la Refondation d’Haïti (ACRH), c’est l’arrivée inattendue d’un virus venu d’ailleurs qui anéantit l’espoir immédiat d’un Jean-Charles Moïse du Parti  Pitit Dessalines ou d’un Youri Latortue de AAA (Parti Artibonite An Aksyon) et de l’opposition en général. Le Coronavirus, l’autre miracle qui vient d’épargner à Jovenel Moïse de tomber dans un nouveau soulèvement populaire. Dès l’annonce de cette pandémie dans le monde, le Président comprend qu’il va avoir un chèque en blanc de la part de l’opposition. Afin de mettre toutes les chances de son côté, il embrasse à bras le corps cette nouvelle opportunité, certes un peu cyniquement, mais il n’avait pas le choix. Les autorités politiques du monde entier tremblent devant la maladie. Elles prennent toutes des mesures draconiennes pour empêcher la circulation du virus à travers leur territoire. De Pékin à Rome en passant par Madrid, Paris ou Washington, les médecins et le personnel médical sont débordés. Les autorités politiques, de leur côté, décrètent l’état d’urgence sanitaire. Le temps presse.

La maladie a pris une distance d’avance. En un temps record, la vie s’arrête à travers la planète. A Port-au-Prince aussi, les pouvoirs publics, sous l’impulsion du Président Jovenel Moïse, proclament à leur tour l’état d’urgence sanitaire et instaurent un couvre-feu dans les grandes régions métropolitaines. C’est le branle-bas de combat. Il faut tout faire pour sauver les Haïtiens contre le Covid-19 qui ne fait pas de quartier. On est tous égaux devant le virus, la contamination et la mort. Il faut rester confiné chez soi sous peine de finir ses jours prématurément. Le fléau est partout et s’attaque à tout ce qui lui donne l’occasion de continuer son parcours meurtrier. Si les pays les mieux équipés en matière médicale et sanitaire sont débordés par le nombre de personnes contaminées et de décès, qu’importe, Haïti fait ce qu’il peut pour répondre à l’urgence.

Les pouvoirs publics, sous l’autorité du Président de la République, se sont lancés dans une course contre l’invisible et l’imprévisible. Rien à redire, le gouvernement fait ce qu’il peut avec les moyens du bord. Tant pis si les consignes gouvernementales ne sont pas respectées par une population incrédule, méfiante et peu convaincue par les discours et les mises en garde des autorités politiques et sanitaires. Le Président, ne l’oublions pas, dispose de très peu de crédit auprès de ses concitoyens ; ils ne prennent pas au sérieux ses déclarations ni les conseils que lancent ses ministres. Mais l’essentiel c’est qu’ils sont omniprésents. Plusieurs organismes et entités publiques ont été créés. Attention tout de même au doublon ! Pour le pouvoir, l’objectif est triple : occuper en permanence le terrain social, l’espace médiatique et le terrain politique.

Les employés de la presse sont autorisés à parcourir le pays d’un bout à l’autre et à n’importe quelle heure en plein couvre-feu afin de suivre les activités des autorités sanitaires et gouvernementales même si l’on enregistre quelques bavures policières sur certains journalistes dans le cadre des mesures prises pour la protection de la population. Le pouvoir, à travers le Président de la République, lance des appels à l’aide à l’intérieur comme à l’extérieur. L’internationale n’a pas tardé à répondre. Sur le plan interne, cela a mis un peu temps, mais il n’est jamais trop tard pour bien faire. Tout le monde s’y met. Tous les secteurs et les forces vives de la nation ont répondu présent en donnant ce qu’ils peuvent. C’est la solidarité nationale. La nation est en danger ; il faut sauver tout ce qui peut l’être. Les grands groupes industriels, le secteur bancaire, les services, tous, veulent être en bonne position sur le tableau d’affichage. Cela fera certainement l’affaire du Président dont le but est de pallier à la carence des équipements sanitaire du pays. Devant tant de générosité, les politiques ne pouvaient rester les bras croisés.

Dans une Tribune précédente, nous avons déjà fait écho de cette générosité utile, certes, mais pleine d’arrière-pensées politiques. Justement, comme pour l’élection de Jovenel Moïse, le miracle s’est produit une nouvelle fois ; car, non seulement tous les partis politiques qui le peuvent volent au secours de la population afin de lui apporter de l’aide quitte à se faire ridiculiser parfois avec leurs seaux à eau, mais c’est surtout l’accalmie politique dont bénéficie le pays depuis l’arrivée du Covid-19 qui saute aux yeux. Sans aucune négociation, ni pourparlers ni appel au dialogue, du jour au lendemain tout s’est arrêté net. Pas une vraie manif anti-Jovenel à l’horizon. Pas de vrais appels à la mobilisation contre le fonds PretroCaribe. Un relâchement total dans le dossier Dermalog (Carte CIN), etc. Une trêve politique qui arrive à point nommé pour un Président Jovenel Moïse qui n’en attendait pas tant. Les leaders politiques et les chefs de partis se sont tous convertis comme en 2016 en « agents humanitaires ». Ils tentent tant bien que mal de copier les faits et gestes du chef de l’Etat qui, lui, ne semble guère se soucier des actions que mène l’opposition.

En vérité, l’opposition est, une nouvelle fois, tombée malgré elle dans un piège, celui du Coronavirus comme cela a été le cas pour le cyclone Matthew lors de la présidence en 2016.  Faute de pouvoir mobiliser la population contre le pouvoir, les leaders de l’opposition sont obligés de garder un silence qui, finalement, est perçu comme une sorte de soutien à l’action de l’Administration Moïse/Joseph dans la lutte contre la pandémie du virus.  Dotée de très de peu de moyens face à l’armada du gouvernement, une très grande partie des responsables de l’opposition préfère se calfeutrer sous prétexte de confinement contre le Coronavirus. Mais, en réalité, la lutte est inégale. Du coup, le pays assiste à une trêve politique qui ne dit pas son nom. Pour la première fois depuis l’élection du Président Jovenel Moïse, on n’a pas entendu une déclaration politique de l’opposition pour brocarder soit le chef de l’Etat soit son chef de gouvernement. L’arrivée du Coronavirus est cyniquement une  bonne affaire pour le pouvoir qui, selon toute logique, va profiter de cette accalmie politique pour mener ses petites affaires en prévision du processus électoral à venir.

Car, malgré le confinement et l’état d’urgence sanitaire prolongé, les Centre de l’ONI (Office National d’Identification) ne se désemplissent pas. Les gens, en dépit du danger qu’ils encourent, viennent en masse réclamer ou déposer une demande de Carte d’identité nationale qui est aussi la Carte électorale. On sait qu’avant le début du Covid-19, l’opposition était vent débout contre cette opération ; mais depuis plus rien. L’état d’urgence sanitaire et l’interdiction de tout rassemblement et de manifestation sur les voies publiques durant la pandémie sont passés par-là. Ainsi, la trêve politique, version Coronavirus, s’est imposée d’elle même. Alors, au nom de la solidarité nationale contre la pandémie, les leaders de l’opposition se sont tus ou du moins leurs discours ont été mis en mode pause en attendant un lendemain meilleur. Mais, d’ici là, on parie que le Président Jovenel Moïse et ses amis auront pris une bonne longueur d’avance sur leurs adversaires politiques.

Surtout s’ils arrivent à faire un bon usage de toutes les aides financières reçues de la Communauté internationale dans le cadre de la guerre mondiale que mène cette dernière contre ce fléau meurtrier du XXIe siècle. (Fin)

 

C.C

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