Haïti : entre l’État virus et le coronavirus

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De gauche à droite : Jovenel et Martine Moise, Michel et Sophia Martelly, les vrais responsables de l'État virus.

Mwen se yon mò ki poko jwenn sèkèy li
Zotobre likide m deja
Lavi tchwipe m
Nan chak souf ki kase pye m gran chimen
Pa mande m pri lanmò
Se pa mwen ki te negosye pri vòt nou.
Jean Verdin Jeudi


Pendant que le coronavirus met à nu le système de santé des pays occidentaux, l’État haïtien, étant témoin de cette situation, n’a rien fait pour empêcher la pénétration du virus dans le pays. L’État avait quelques jours d’avance pour mettre en place une politique préventive contre le COVID-19, c’est-à-dire fermer nos « aéroports », nos ports, relocaliser des fonds des programmes bidon à la santé, sensibiliser la population sur la question et mettre en place une politique d’achat et de stockage des produits agricoles des paysans afin d’empêcher la rareté de certains produits et la dépendance alimentaire.

Malheureusement, la stratégie curative prend le dessus de la stratégie préventive. Pour comprendre le choix de l’État, il est important de comprendre son historiogenèse, ses fondements et sa nature. Selon Michel Hector (1), l’État en Haïti fait l’objet de nombreuses réflexions au-delà des caractérisations généralement admises, prend des qualificatifs comme (l’État faible d’André Corten; l’État duvalierien ou État contre la nation de Michel Rolph Trouillot; l’État prédateur de Mats Lundahl; l’État est contre le paysan de Gérard Barthelmy; l’État néo-patrimonial de Sauveur Pierre Etienne). De par tous ces qualitatifs, l’État en Haïti est un État virus.

En effet, grosso modo un virus est défini comme étant un agent pathogène qui pénètre dans un organe vivant et détruit le système défensif de cet organe. L’État en Haïti comme étant un État colonial dans tous ses états, procède de la même manière qu’un virus sur la population haïtienne. Pour comprendre le comportement de l’État face à la population haïtienne, il suffit de jeter un œil sur l’historiographie de la fondation de cet État. En effet, selon Gérard Barthelemy (2), après la révolution, les groupes qui allaient s’accaparer de l’État n’ont fait que continuer le projet colonial. Donc, l’État en Haïti est l’instrument à travers lequel la classe dominante, applique le système plantationnaire et l’économie extravertie. Pour matérialiser ce projet colonial de grande plantation, la classe possédante a mis en place une politique d’accaparement de la terre comme moyens de production à travers la stratégie de dons. Cette dernière n’est qu’une forme de distribution de terre aux officiels de l’Etat. C’est en ce sens que Jn Anil Louis-Juste (3) voit en l’État en Haïti un régime grandonarchie cherchant toujours à impressionner les masses populaires par les armes et la parole. En plus de ces stratégies, Walner Osna (4) nous a démontré comment cet État a mis sur pied un ensemble de dispositifs administratifs et coercitifs comme : la militarisation des principaux organes étatiques, la répression, les règlements de culture.

cet Etat a détruit les cochons créoles, expropriant les paysans, détruisant leurs jardins, prend des taxes sans penser à la création d’une politique publique

Cette réalité justifie la position de Jean Casimir (5) qui considère l’État en Haïti comme l’institutionnalisation de l’exploitation des Bossales par les créoles. Fort de ce constat, Kepler Aurelien (6) pense que l’État haïtien ne saurait mettre en place des mesures de politique sociale qui prennent en compte les revendications structurelles et conjoncturelles des masses, sans que ces dernières ne s’engagent dans des luttes suffisamment bien organisées afin de forcer cet État grandonarchique et bourgeois à faire des concessions sous forme de politique sociale.

En somme, l’État en Haïti dans tous ses états peut être définit comme un État virus car il participe à la destruction de toutes les bases de la vie. En effet, cet Etat a détruit les cochons créoles, expropriant les paysans, détruisant leurs jardins, prend des taxes sans penser à la création d’une politique publique pouvant prendre en considération les besoins de la population, détruisant l’environnement au profit de l’implantation des projets extractif coloniaux comme les zones franches industrielles, touristiques, agricoles les autorités qui se contentent. L’Etat a détruit le secteur agricole haïtien pour adopter la politique de barrière libre et de l’importation produits de premiers nécessité, qui parfois très cancérigènes pour la vie de la population et son environnement. Tant d’autres actions peuvent être avancées pour démontrer comment l’État en Haïti peut être considéré comme étant un virus. D’où la place de notre interrogation : comment un État virus peut-il contrecarrer le coronavirus ?

En guise de conclusion

Pour finir, il faut dire que la pandémie du COVID-19 est de taille. Elle a mis à nu tous les systèmes de santé occidentaux. Un État, comme celui de Cuba qui arrive à contrecarrer le virus, est un État qui met la vie humaine, la dignité humaine au centre de toutes ses politiques publiques, alors que les États virus mettent l’intérêt économique au centre de leurs actions. L’Etat en Haïti n’étant que bon « kopyadò » parle beaucoup de mesures et d’actions pour contrecarrer le coronavirus, alors que dans la réalité, pendant que le nombre de cas de personnes infectées augmente, aucune disposition n’est prise pour attaquer les problèmes structurels et conjoncturels des systèmes de santé en Haïti, où l’hôpital de l’Université d’État d’Haïti est en manque même de gants, des médecins fuient les hôpitaux pour manque d’équipements et de structures adaptées, alors que quatre milliards de dollars américains sont dilapidés. Pour comprendre le choix de ce modèle d’Etat, il est important de comprendre son historiogenèse, ses fondements et sa nature. Donc, l’État virus ne peut apporter des réponses adéquates à la pandémie de par sa nature. L’État virus et le coronavirus sont deux fléaux qui tuent, qui détruisent toutes les bases vitales de la population haïtienne.

Peterson Derolus
Etudiant en population et développement
Port-au-Prince, Haïti 20 Avril 2020

Notes

1 Michel Hector: Genèse de l’État haïtien (1804-1859). P-12

2 Gérard Barthelemy: Le pays en dehors; Essai sur l’univers rural haïtien. P- 25

3 Jn Anil Louis-Juste : La société civile à l’épreuve de la lutte des classes en Haïti. P-22

4 Walner Osna: État et paysannerie en Ayiti: coercition comme stratégie répressive aux lutes revendicatives paysannes (1818-1843). Article publié sur icklhaiti.org le jeudi 24 aout 2017. Consulté 10 Avril 2020, 10h43am.

5 Jean Casimir : Haïti et ses élites ; l’interminable dialogue des sourds. P-63.

6 Kepler AURELIEN; Une lecture historico-critique de la mise à l’écart des revendications paysannes par les mesures de politique sociale adoptées en Haïti de 1987à 2012. Mémoire de sortie FASCH/UEH, p-58.

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