Dans un entretien avec Página12, Andrés Arauz, candidat à la présidence de l’Équateur, met en garde contre la possibilité d’un acte criminel le 11 avril.
Le président Lenín Moreno a décrété trente jours d’état d’exception dans les huit principales provinces du pays, interdisant ainsi rassemblements et manifestations. Andrés Arauz, le candidat de la révolution citoyenne lance une « alerte au monde ».
« Ils tentent de mettre en péril le processus électoral »
« Une fois de plus, la démocratie équatorienne est en danger », déclare Andrés Arauz, candidat à la présidence en Équateur, dans une interview accordée au quotidien argentin Página12, à quelques jours du scrutin qui l’opposera à Guillermo Lasso le dimanche 11 avril. Son « alerte au monde », intervient après que le président Lenín Moreno a décrété jeudi soir l’état d’urgence pour trente jours dans les huit principales provinces du pays.
« La mesure donne des pouvoirs exceptionnels à Moreno, et coïncide avec la date de l’élection ce qui génère évidemment un conflit de pouvoirs dans le processus électoral », explique Arauz. L’état d’exception interdit « la réalisation de tous les événements et rassemblement massifs », et prévoit le déploiement de la police nationale et des forces armées « afin de rétablir l’ordre public ».
Avec cette mesure « le président de la République pourrait modifier les protocoles du processus électoral alors que la fonction électorale est indépendante, et nous craignons que le processus et le résultat puissent être manipulés, encore plus si le processus est manipulé et nécessite une mobilisation citoyenne le 11 ou les jours suivants, l’état d’urgence rendrait théoriquement impossible la mobilisation des citoyens pour la défense de leurs droits démocratiques ».
L’inquiétude est fondée : « Il y a déjà des rumeurs selon lesquelles il y aurait des intentions de manipuler les élections, le processus électoral est en danger », déclare M. Arauz. Cette nouvelle alerte, juste avant les élections, s’inscrit dans un « processus électoral plein de menaces, de guerres judiciaires contre notre participation, depuis le moment même de l’enregistrement, quand ils ont décrété la non-existence de notre parti, qui nous a forcé à nous allier avec un autre parti ».
Le processus lui-même a été menacé, comme ce fut le cas lorsque la victoire d’Arauz a semblé se jouer en un seul tour, le 7 février, et qu’il y a eu de « sérieuses menaces de report » de la date. La possibilité d’un report, compte tenu de l’état d’urgence, « n’est pas impossible », dit-il. « J’espère que les autorités électorales agissent de manière rationnelle et dans le plein respect de la démocratie, le peuple équatorien n’est pas prêt à supporter une prolongation du mandat présidentiel de Lenin Moreno. »
La crise et les campagnes
L’Équateur est en crise. Arauz a parcouru le pays pendant la campagne : « cela m’a permis de renouer avec chacun des territoires, leurs activités productives, leurs problèmes en matière de santé, de services, leur besoin de politiques publiques et de développement institutionnel, mais aussi le désespoir, l’angoisse et la douleur des Équatoriens qui souffrent, il y a un sentiment général d’abandon, d’indignation face à la négligence du gouvernement face à la pandémie et à la crise économique ».
« C’est un signe de désespoir en raison du fossé et de la distance qui existe entre le candidat Lasso et moi-même »
Sa campagne a été déployée dans différentes régions du pays, la côte, les hauts plateaux et l’Amazonie, et les images de complicité entre Arauz et la population ont été constantes dans chaque endroit. « Cette tournée m’engage encore plus et avec de plus en plus de force, de fermeté, à tout donner pour rendre leur dignité aux familles équatoriennes », dit-il.
Arauz fait face, simultanément, à une campagne sale menée par Lasso et son conseiller, Jaime Durán Barba, avec l’utilisation de trolls sur les réseaux sociaux, le paiement de migrants vénézuéliens pour faire campagne contre lui, ou encore des accusations sur ses années de travail au sein de l’État. « C’est un signe de désespoir en raison du fossé et de la distance qui existe entre le candidat Lasso et moi-même », dit-il. « Cette campagne sale a été vile, cynique, elle a cherché à assassiner le personnage, à confondre le public sur mes états de service au pays, et à s’immiscer dans ce que chacun de nous a de plus intime, à savoir notre vie de famille. »
La campagne sale ne s’est pas limitée à l’équipe de Lasso, mais à des institutions telles que le bureau du procureur général, qui, avec le bureau du procureur général de Colombie et le magazine Semana, a lancé une fausse accusation selon laquelle Arauz avait reçu des financements de l’Armée de libération nationale colombienne (ELN). « Ils ont dit que j’avais rencontré un délégué de l’ELN en février 2020, je n’étais même pas candidat à cette époque, j’étudiais au Mexique, je ne vivais pas en Équateur, ce qui montre clairement que l’information est fausse. »
Quelque chose de similaire s’est produit en Argentine, quand Clarín a publié une fausse information affirmant qu’Arauz avait été vacciné avec le vaccin Sputnik V lors de sa visite à Buenos Aires, un fait impossible : le candidat était en Argentine jusqu’au 5 décembre et le vaccin est arrivé le 24 décembre, et le 19 décembre il a été testé positif au coronavirus. Clarín connaissait ces faits, mais le gros titre était qu’Arauz avait été vacciné. « Ils n’ont jamais vérifié quoi que ce soit, ils n’ont jamais opposé cela à ma version, ils ne m’ont jamais appelé pour me demander mon avis, et à travers cette nouvelle en Argentine, qui a été reproduite par les médias équatoriens, ils ont voulu installer un récit dans lequel j’avais été vacciné alors que ce sont les amis de Lasso, y compris des cadres de la Banque de Guayaquil — présidée pendant des années par Lasso — qui ont été vaccinés dans la liste des privilégiés du gouvernement de Lenin Moreno ».
Le plan du gouvernement
Moreno cherche à mener d’ultimes privatisations avant de quitter le gouvernement le 24 mai : les puits de pétrole, la Corporation nationale des télécommunications, l’espace radioélectrique, la Banque du Pacifique ou la raffinerie d’Esmeraldas. « L’action la plus dangereuse de toutes est celle qui concerne la privatisation de la Banque centrale de l’Équateur (BCE), en privatisant la gouvernance de la BCE, on détermine qui en est aux commandes. Avant de partir, Moreno veut nommer des délégués qui resteront en poste pendant cinq ans. Cela signifie que les réserves de la BCE sont privatisées, et la régulation des taux d’intérêt et des commissions du système financier privé sont privatisées ».
La tentative de privatisation de la BCE, dont la loi est actuellement devant l’Assemblée nationale, fait partie du projet des banques, du capital financier — un secteur auquel appartient Lasso — qui a le plus bénéficié des années Moreno. Cette politique est promue, à son tour, par le Fonds monétaire international (FMI), une organisation qu’Arauz a rencontrée à Washington avant le premier tour, après avoir rencontré Wall Street à New York. « Nous avons insisté pour que toute réforme juridique conditionnée par un accord avec le FMI respecte strictement notre Constitution, et dans la Constitution, la BCE est publique et fait partie de la fonction exécutive, elle n’a aucune indépendance, ce n’est pas une autre fonction, ce n’est pas un autre pouvoir de l’État, elle ne peut pas être privatisée », a déclaré Arauz.
Lors de la réunion avec le FMI, M. Arauz a expliqué « que dans le contexte de la pandémie, il n’est pas possible de promouvoir un ajustement fiscal agressif, nous avons expliqué qu’il est nécessaire de préserver les liquidités en dollars au sein de l’économie équatorienne, nous avons expliqué notre modèle d’investissement public et de développement durable pour les prochaines années, et ils ont réagi favorablement ».
Le candidat de la Révolution citoyenne, dès son entrée en fonction, devra faire face à une crise sanitaire et économique. « Nous avons des priorités fondamentales : faire face aux urgences sanitaires, éducatives, économiques. Toute cette année nous allons nous consacrer à faire face à ces urgences, la vaccination universelle, la restauration du système de santé publique, le retour des enfants dans les classes, la fourniture de vaccins aux enseignants, internet comme un droit humain, la fourniture d’équipements matériels pour que les enfants puissent continuer à étudier », a-t-il déclaré.
« Nous espérons que la démocratie en Équateur sera respectée et que la volonté du peuple équatorien sera écrasante en faveur de la récupération de son pays… »
Le plan gouvernemental devra faire face à la crise profonde, face à laquelle il prendra des mesures telles que l’octroi de mille dollars à un million de familles dès la première semaine, « une politique de crédit et de paiement de la dette sociale, y compris le paiement des dettes aux gouvernements locaux pour réactiver l’économie par des travaux publics », et un plan de vaccination massive. « Une fois cette récupération déployée, nous continuerons à restaurer l’institutionnalité démocratique de notre pays, qui a été victime d’une manipulation grossière, et nous récupérerons en même temps le modèle de développement lié au développement productif, agricole et de la construction basé sur les travaux publics, le logement et les services publics », affirme-t-il.
La perspective d’Arauz est latino-américaine. « Ma politique vise résolument et frontalement l’intégration », dit-il. Au cours de ses mois de campagne, il a rencontré, par exemple, Evo Morales, Alberto Fernández ou Pepe Mujica : « Avec les dirigeants de la région, nous allons avoir une relation très dynamique et permanente qui rappelle et récupère cette ère d’intégration latino-américaine que nous avons vécue au début de ce siècle. Ce sera sa priorité en matière de politique étrangère, explique-t-il, « ainsi que la justice environnementale internationale ».
Pour l’instant, l’attention est concentrée sur le déroulement des élections du 11 avril, menacées par l’état d’urgence, dans une situation politique qui a déjà montré de nombreuses irrégularités et obstacles à la candidature d’Arauz. « Nous espérons que la démocratie en Équateur sera respectée et que la volonté du peuple équatorien sera écrasante en faveur de la récupération de son pays, de son avenir et de sa dignité », conclut-il.
Marco Teruggi
Pagina12 03 Avril 2021
Traduction: Venesol 4 Avril 2021