Transition, l’internationale s’impatiente!

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De gauche à droite, l’ambassadeur de France à Port-au-Prince, Fabrice Mauriès et le Premier ministre de facto Ariel Henry

L’heure de la décantation semble sonnée pour les acteurs de la Transition en Haïti et leurs principaux soutiens que sont les Etats-Unis, la France, le Canada et le reste de la Communauté internationale. Pour le moment, on ne va pas dire qu’il y a de la friture sur la ligne entre Port-au-Prince et les autres capitales. Mais, ces dernières commencent à s’impatienter sur la durée de la Transition post-Jovenel Moïse. Ce qui inquiète le plus la Communauté internationale, ce n’est pas tant la position des signataires de l’Accord du 30 août dit de Montana qui posent des conditions quasi inacceptables au Premier ministre a.i Ariel Henry pour la reprise des pourparlers. De préférence, c’est la position et les critiques de certains alliés et membres de l’Accord du 11 septembre à l’égard du Premier ministre qui leur posent problèmes. Si Washington et Paris continuent de prôner le dialogue entre différents protagonistes de la Transition et militent pour un rapprochement, voire une fusion des Accords, néanmoins, les deux capitales veulent voir Ariel Henry avancer avec son agenda afin de sortir de la Transition pendant que les autres entités poursuivent leurs critiques.

Or, il n’en est rien. Pire, ce sont les partisans de l’Accord de Musseau qui mettent davantage les bâtons dans les roues de la Primature, le rendant totalement impuissant alors même que le temps passe. Au cours du mois d’avril 2022, il y eut toute une série de partis et d’organisations politiques signataires de l’Accord de Musseau qui ont carrément claqué la porte et tourné le dos à Ariel Henry. Quand d’autres, notamment, les plus proches, comme c’est le cas du Secteur Démocratique et Populaire (SDP) d’André Michel, le mettent en garde contre toute avancée en solitaire dans le dossier du processus électoral. André Michel et ses amis vont même à poser, eux aussi, mais pour d’autres raisons, des conditions quasi insurmontables pour l’heure, qu’il y ait un Conseil Electoral Provisoire (CEP) dans l’hypothèse que le Premier ministre a.i voudrait avancer sur la route des élections sous la pression de la Communauté internationale.

Rencontre entre le sénateur Joseph Lambert et l’ambassadeur Fabrice Mauriès

Le SDP, sous la houlette de son chef incontesté Me André Michel, a fait sortir une note le 4 mars 2022 dans laquelle il met en garde le chef de l’exécutif. Selon cette organisation proche allié de la Villa d’Accueil : « Il y a 4 conditions indispensables à l’organisation des élections en Haïti : 1) un CEP crédible ; 2) la sécurité des citoyens et du territoire ; 3) la déphtkisation du secteur financier de l’État ; et 4) un consensus suffisant. Sinon, c’est la pagaille ! Le PM doit assumer ses responsabilités » dit ce membre de l’Accord du 11 septembre. Autant dire, jamais il n’y aura d’élections en Haïti, en tout cas, pas avec cette politique de complaisance vis-à-vis des gangs qui ont de plus en plus de marge pour continuer à terroriser la population ou prendre l’Etat en otage. Pourtant, il y a péril en la demeure, à en croire la Communauté internationale, particulièrement la France et les Etats-Unis, qui croient que le Premier ministre ne doit pas attendre ad vitam aeternam pour passer à l’offensive en vue de lancer le processus électoral afin, disent-ils, de raccourcir le délai de la Transition.

Or, dans cette affaire d’élection, Ariel Henry fait face à une problématique qu’il est obligé de prendre en compte : l’hostilité même de la population, la première concernée, à toute opération électorale tant que la situation sécuritaire du pays ne soit pas au moins améliorée.  Sans compter l’hostilité même d’une grande partie de ses soutiens politiques au gouvernement. Car, on l’a souvent oublié ou très peu évoqué, il n’y a pas que le SDP d’André Michel qui soutient le gouvernement intérimaire d’Ariel Henry. Beaucoup d’autres organisations politiques, celles qui accordent encore leur confiance au locataire de la Primature et qui n’entendent pas pour le moment quitter le navire, ne cessent pour autant de mettre en garde le Premier ministre ou de critiquer la politique du gouvernement pour non-respect des clauses qui auraient été élaborées ensemble mais qui n’ont jamais été respectées.

Ainsi, les leaders de ces partis alliés du pouvoir et signataires de l’Accord du 11 septembre dénoncent : « Cette initiative du gouvernement, de monter en dehors de tout consensus un Conseil Electoral Provisoire (CEP) et d’entreprendre des démarches pour remplacer des juges de la Cour de cassation, dont leur mandat est arrivé à terme, est périlleuse et solitaire ». Bref, on l’a compris, Ariel Henry marche sur des œufs. Et, pour ne pas se retrouver seul face aux autres Accords et notamment le plus puissant d’entre tous, l’Accord de Montana, il préfère être prudent et surtout continuer à faire du marronnage politique. Sauf que la Communauté internationale et particulièrement les Etats-Unis et la France ne l’entendent pas de cette oreille. A tout prix et même seul s’il le faut, ils veulent encourager le chef de la Transition à accélérer la mise en place du CEP même sans l’accord des autres et en dépit du bon sens. Pour ces pays, la Transition a assez duré en estimant que cette forme de politique n’a pas vocation à durer éternellement.

Bref, Ariel Henry marche sur des œufs.

En effet, lors de la 3e réunion virtuelle organisée le jeudi 21 avril 2022 par la France et les autres partenaires internationaux d’Haïti, avec la participation tout de même de 20 Etats dont plusieurs institutions internationales comme : l’OEA (Organisation des Etats Américains), l’ONU (Organisation des Nations Unies) et l’OIF (Organisation Internationale de la Francophonie), il en est sorti un seul leitmotiv : des élections, des élections, des élections. Pour l’ambassadeur de France à Port-au-Prince, Fabrice Mauriès, qui faisait un compte rendu de la réunion en tant qu’invité de la radio Magik9 le lundi 25 avril, il n’y a aucun doute, le CEP peut être constitué, apparemment, sans problème d’après lui. Puisqu’il estime que : « Sur le plan politique, nous continuons à espérer que le Conseil Electoral Provisoire (CEP) puisse être établi dans les meilleurs délais. Non seulement le CEP pourra être établi mais que l’administration du CEP puisse être à nouveau fonctionnelle parce que nous avons deux problèmes : un CEP qui n’existe plus, mais aussi une administration qui doit être modernisée et refinancée. Ce sont les attentes les plus immédiates et qui permettraient d’enclencher une nouvelle dynamique afin d’aller vers les élections ».

L’ambassadeur français fait fi carrément de l’insécurité qui sévit dans le pays comme le blocage des entrées Sud et Nord de la capitale par des gangs et les cas de kidnappings au quotidien frappant surtout la région métropolitaine de Port-au-Prince. Il croit que seule la fin de la Transition peut ramener une vie normale en Haïti. Mais, il n’est pas le seul. Sa position reflète celle de l’ensemble des partenaires internationaux qui ont pris part à la réunion virtuelle dont la France a été le pays hôte. L’Ambassadeur Fabrice Mauriès indique que : « Plusieurs partenaires ont indiqué que nous étions aujourd’hui dans une période de transition. C’était une période évidemment nécessaire mais qui ne peut pas durer éternellement. Il faut qu’il y ait un terme à cette période de transition. Le Premier ministre lui-même l’a indiqué. Son objectif est de rendre le pouvoir à un gouvernement élu. Nous le partageons. Il faut arriver à un calendrier qui nous donne cet horizon, pour que nous puissions rétablir des autorités qui soient légitimement et démocratiquement désignées » avance le représentant de la France en Haïti le 25 avril 2022 à Magik9.

Les pays « amis » d’Haïti ont donc un seul objectif dans l’immédiat : mettre la pression sur Ariel Henry pour former un CEP et ensuite lancer le processus électoral même si les habitants de la région métropolitaine de Port-au-Prince restent coupés du reste du territoire par la guerre des gangs. Un objectif qui reste, en vérité, un vœu pieux dans la mesure où tout le monde, en tout cas en Haïti, pense que c’est impossible. D’ailleurs, même la Société civile haïtienne, le plus grand fournisseur de membres à cet organisme, demeure convaincue qu’il serait risqué et même irresponsable dans les conditions actuelles de demander à la population d’aller voter ou même aux éventuels candidats d’aller parcourir le pays, en particulier la capitale et sa périphérie, pour mener campagne à la barbe et au nez des chefs de gangs tout puissants.

Quand on demande à l’ambassadeur de France si cette position tient lieu de soutien de la Communauté internationale à la politique du gouvernement ou au Premier ministre Ariel Henry, il répond, laconique : « Ni sur le plan des faits actuels ni sur le plan historique. Les acteurs qui représentent la Communauté internationale en Haïti ont besoin d’un partenaire gouvernemental qui travaille avec nous pour rétablir la sécurité, opérer le pouvoir judiciaire, envoyer les enfants à l’école, améliorer le système éducatif. Voilà pourquoi nous discutons, dialoguons et travaillons avec le gouvernement actuel. Mais, j’ai aussi dit que c’est une période de transition. Cette période de transition doit avoir un terme, elle doit aboutir à un calendrier qui permettra de conduire à une dévolution du pouvoir, selon les termes qui seront les plus consensuels possible à un gouvernement élu ». Maintenant, il reste à savoir comment Ariel Henry et ses fidèles alliés comptent sortir de ce « piège à con » comme disait feu le Premier ministre français Raymond Barre dans les années 90 afin de faire la part des choses et de prendre la meilleure décision qui soit utile et bonne pour lui mais avant tout pour Haïti et les Haïtiens. Même si, sur un point, l’ambassadeur Fabrice Mauriès a effectivement raison : la période de Transition ne peut pas durer éternellement !

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