Révolte populaire au Sénégal

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L’arrestation d’Ousmane Sonko, un des principaux opposants sénégalais, a déclenché un mouvement de colère inédit.

Au début du mois de mars, un épisode insurrectionnel a fait trembler le pouvoir au Sénégal. Des scènes de guerre civile se sont déroulées à Dakar. Un tribunal et un commissariat de police ont été incendiés avant que le gouvernement de Macky Sall ne déploie les chars d’assaut contre les manifestants. Les affrontements ont fait une dizaine de morts et plus de 500 blessés. Après le reflux du mouvement, l’armée montait toujours la garde, mais le calme n’est que de surface.

Un pouvoir sans opposition

Le mouvement a été déclenché par l’arrestation de l’opposant Ousmane Sonko, dirigeant du parti des Patriotes du Sénégal pour le travail. Sonko a été interpelé pour « troubles à l’ordre public », le 3 mars, alors même qu’il se rendait au tribunal pour répondre à une accusation de viol et de menaces de mort. Mais les causes profondes de l’énorme explosion de colère dépassent largement le sort de Sonko.

Sur le papier, le président Macky Sall domine le paysage politique depuis son élection en 2012. Réélu en 2019, son parti a également remporté une écrasante majorité aux dernières élections législatives. Cependant, cette domination s’explique aussi par d’autres causes. Depuis des années, la Justice sert de bras armé au pouvoir. Les opposants politiques les plus importants ont été écartés les uns après les autres. Ainsi, les deux principales candidatures de l’opposition aux élections présidentielles de 2019 ont été invalidées par le Conseil constitutionnel. Le président sortant a pu assurer sa réélection sans concurrents sérieux. Ces derniers mois, les arrestations d’opposants politiques se multiplient sous différents prétextes : « troubles à l’ordre public », « provocation à la révolte », « offense à l’encontre du chef de l’État », etc.

Les masses cherchent une issue aux conditions de vie intolérables que provoque la crise du capitalisme.

Ceux qui n’ont pas subi cette répression ont intégré l’appareil d’État. Le Parti socialiste, au pouvoir pendant 40 ans, ne joue plus aucun rôle indépendant. Il est même en charge de plusieurs ministères. Arrivé second aux dernières présidentielles, Idrissa Seck a été nommé président du « Conseil économique, social et environnemental ».

C’est dans ce contexte de vide politique qu’Ousmane Sonko a gagné en popularité en dénonçant la corruption, les très fortes inégalités sociales, mais aussi les liens entre le pouvoir et les intérêts impérialistes. Cependant, dès sa libération sous contrôle judiciaire, le 8 mars, Sonko a appelé ses partisans au « calme ». Il s’est contenté de réclamer la libération des prisonniers politiques et l’assurance que Macky Sall ne se présenterait pas aux élections de 2024. En limitant ses perspectives au seul cadre électoral (par ailleurs très lointain), Sonko a freiné le mouvement de colère du peuple sénégalais.

Inégalités et corruption

Ces dernières années, nous avons assisté à des éruptions soudaines de la lutte des classes dans le monde entier – du Chili à la Russie en passant par les États-Unis, l’Équateur, le Soudan, l’Algérie et le Liban. Les masses cherchent une issue aux conditions de vie intolérables que provoque la crise du capitalisme. C’est précisément ce qui se passe au Sénégal.

Fort d’une croissance économique de plus de 5% entre 2014 et 2019, le Sénégal passait pour l’un des pays les plus stables de la région. Mais derrière les « succès » économiques se cachait une réalité sociale beaucoup plus sombre. Quarante pour cent de la population vit sous le seuil de pauvreté. Seule une minuscule élite a bénéficié de la croissance.

Il faut d’ailleurs noter que les pillages se sont concentrés sur les enseignes françaises Auchan, Carrefour, Total et Eiffage.

La pandémie de COVID a été un accélérateur de la crise. Des émeutes avaient déjà éclaté en janvier, suite à l’imposition d’un couvre-feu. Les restrictions sanitaires ont fortement impacté le travail informel et le petit commerce, qui jouent un rôle central dans l’économie sénégalaise. « Défendre la démocratie » et « libérer le pays » étaient les deux principaux mots d’ordre du mouvement qui a éclaté début mars. Il faut d’ailleurs noter que les pillages se sont concentrés sur les enseignes françaises Auchan, Carrefour, Total et Eiffage. Si les médias français font l’impasse sur ce point, le Financial Times a moins de scrupules à souligner le rôle de l’impérialisme français au Sénégal, et notamment son soutien au régime de Macky Sall : « L’influence des anciennes puissances coloniales ont empêché [les pays francophones d’Afrique] de développer de meilleures institutions démocratiques. La France entretient des liens plus étroits avec ses ex-colonies que la plupart des autres anciennes puissances coloniales d’Afrique de l’Ouest. La France s’intéresse davantage aux présidents [et] aux candidats à la présidence qui défendront ses intérêts. […] Cela inclut le président sénégalais Macky Sall. » (Financial Time, 7 mars 2021)

Les masses ont instinctivement lié des revendications démocratiques à des revendications anti-impérialistes. Elles ont raison : seule une lutte révolutionnaire, s’attaquant directement au système capitaliste et à l’impérialisme, permettra d’en finir avec les contradictions dans lesquelles se débat le Sénégal. Si Ousmane Sonko recule devant cette lutte, les masses sénégalaises doivent se doter d’une direction déterminée à la mener jusqu’au bout.

La Riposte socialiste 8 Avril 2021

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