Référendum constitutionnel, chronique d’un malentendu !

(1e partie)

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Malgré les manifestations et les contestations contre le projet de la nouvelle Constitution, les autorités ne semblent pas prêtes d’abandonner ce programme de référendum

 Le samedi 1e mai 2021, lors d’un entretien avec un leader de l’opposition à propos du projet de réforme constitutionnelle et du référendum annoncé, celui-ci nous a sorti une phrase inattendue « Ou wè bagay referandòm sa a se yon malantandi li ye wi. Nou tout vle yon lòt Konstitisyon : Jovenel, opozisyon an, Entènasyonal la. Yon sèl pwoblèm, nou pa wè l menm jan ». Une phrase qui résume à elle seule toute la problématique actuelle entre tous les acteurs en présence. C’est la chronique de ce « malentendu » que nous vous proposons à un mois dudit référendum. 

 Le mercredi 7 avril 2021, dans une note de presse, le Core Group, l’organisme diplomatique regroupant dans la capitale haïtienne les ambassadeurs du Canada, de la France, des Etats-Unis d’Amérique, de l’Espagne, du Brésil, de l’Union européenne, le Représentant spécial du Secrétaire général de l’OEA et la Représentante spéciale du Secrétaire général de l’ONU, se disait inquiet de la situation socio-politique qui prévaut en Haïti depuis des mois. Quelques jours avant, c’est la République dominicaine qui exprimait, elle aussi, ses inquiétudes devant les détériorations générales de la situation. Selon Santo Domingo, « Une réforme constitutionnelle, largement acceptée par la majorité des forces politiques et sociales d’Haïti, serait le point de départ du développement d’une architecture institutionnelle plus appropriée pour Haïti, une architecture qui favorise une meilleure gouvernance ». En effet, avec la polarisation croissante de la situation politique et la problématique de l’insécurité avec les kidnappings en série dans le pays, il y a de quoi inquiéter tout le monde. 

 Et les plus hautes autorités haïtiennes devraient être les premières à s’en inquiéter. Et pourtant ! Le référendum sur la nouvelle Constitution reste d’actualité et semble être la seule vraie priorité pour le pouvoir en place. Malgré les manifestations et les contestations contre le projet de la nouvelle Constitution, les autorités ne semblent pas prêtes d’abandonner ce programme si cher au Président Jovenel Moïse. La dernière semaine du mois de mars 2021 a été l’occasion pour les chefs de l’opposition et de la Société civile organisée de démontrer au chef de l’Etat qu’eux non plus n’entendent lâcher prise. Ainsi, durant trois jours consécutifs, les 28, 29 et 30 mars, la capitale haïtienne a été le théâtre de vastes manifestations populaires que certains continuent à dire sans précédent. Celle de la journée du lundi 29 demeure incontestablement la plus importante par le nombre de gens qu’elle a drainé sur son parcours. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette réussite exceptionnelle. 

 En effet, cette date revêt une double motivation pour les contestataires. Dans la mesure où, d’une part, cette journée marquait le 34e anniversaire de la Constitution de 1987 et d’autre part les opposants au Président de la République voulaient marquer leur opposition à la campagne ouverte pour le référendum du 27 juin 2021 en vue de l’adoption ou non de la nouvelle Constitution mise en chantier par le régime. Le moins que l’on puisse dire, les adversaires du projet ont largement atteint, sinon dépassé leur objectif. Avec ces journées de contestation « manche longue », impossible pour les autorités et le gouvernement en particulier d’ignorer la position bien tranchée d’un pan entier de la population sur ce projet qui est, comme tout projet constitutionnel, loin de faire l’unanimité dans la société. 

le référendum apporte du sang neuf aux opposants du régime qui voient dans cette initiative une nouvelle provocation de la part du pouvoir

 Même en 1987, les anciens duvaliéristes ou les nostalgiques de l’ancien régime s’étaient farouchement opposés à la nouvelle Constitution. Puisque certains articles, entre autres, le fameux article 291, les avaient exclus de la vie politique pendant une décennie. Ces semaines de mobilisation d’une large partie des citoyens, certes motivés politiquement contre le pouvoir, ont été un sérieux avertissement que les autorités électorales et particulièrement le Président Jovenel Moïse, maître d’œuvre de cette réforme constitutionnelle, ne doivent pas sous estimer s’ils veulent réussir leur coup. Avec l’ouverture de la campagne pour le référendum, on a constaté que la crise politique ouvre une nouvelle page. 

 C’est-à-dire, le référendum apporte du sang neuf aux opposants du régime qui voient dans cette initiative une nouvelle provocation de la part du pouvoir. Puisque, en dépit de tous les efforts entrepris par les leaders de l’opposition, le Président Jovenel Moïse veut garder la route quoi qu’il arrive. Et, effectivement, il y a de quoi s’inquiéter pour les oppositions haïtiennes à un mois à peine des joutes référendaires. Puisque, malgré la crise politique qui s’accentue ; malgré l’insécurité qui s’abat sur Port-au-Prince et ses faubourgs ; malgré la quasi-faillite des forces de l’ordre devant protéger la population ; malgré les critiques légitimes de l’opposition, etc, le Conseil Electoral Provisoire (CEP) et le pouvoir politique continuent avec le processus électoral et le référendum comme si l’instabilité politique fait partie du paysage comme dans la plupart des pays de l’Europe de l’Ouest d’après guerre. En effet, sur le plan d’instabilité politique, depuis une trentaine d’années, Haïti a une petite ressemblance avec l’Italie des années 70, 80, voire la France sous la 4e République. 

 Jusqu’à maintenant, l’Italie se cherche à travers des Accords politiques éphémères entre différents Partis de gouvernement, ce qui n’empêche pas que toutes les institutions du pays continuent à fonctionner normalement surtout après avoir mené une lutte acharnée contre la mafia à travers l’opération « Mani Pulite », opération « Mains propres ». La France, quant à elle, n’a définitivement tourné le dos à l’instabilité politique et gouvernementale qu’en 1958. Le régime qu’on a appelé la IVe République a eu cours en France à la sortie de la seconde guerre mondiale, il a perduré 12 ans durant (1946-1958), c’est-à-dire jusqu’à l’adoption et ratification par référendum de la Constitution de 1958 introduisant ce que les constitutionnalistes appellent la Ve République. Toutefois, il faut noter que ce soit en Italie d’autrefois, que ce soit en France d’après guerre, aucun des régimes issus des crises politiques et de l’instabilité gouvernementale ne cessa de faire fonctionner les institutions et les administrations. On a relevé que certains gouvernements ont même réussi l’exploit de créer de nouvelles institutions et de faire adopter de nouvelles Chartes fondamentales. Jovenel Moïse et son équipe semblent opter pour cette stratégie en Haïti. 

 Puisque, contre vents et marées, la machine électorale du Conseil Electoral Provisoire (CEP) dit du 22 septembre, contesté par plus d’un, s’est lancée à vive allure sur les routes d’Haïti depuis quelques mois en installant ça et là des BED (Bureau Electoral Départemental) et des BEC (Bureau Electoral Communal) devant réaliser un référendum, à en croire l’opposition, que personne ne souhaite. Partout dans le pays, le CEP fait comme s’il évolue dans une atmosphère sereine et paisible. Du département du Centre (Hinche) aux Nippes (Miragoâne) et Sud (Cayes) en passant par l’Artibonite (Gonaïves) et le Nord-Ouest (Port-de-Paix), enfin, de la Grand’Anse (Jérémie) au Sud-Est (Jacmel), les membres du CEP s’activent. Par-ci par-là, ils mettent en place des infrastructures électorales et installent des membres locaux devant faire fonctionner l’institution en région. Dans cette course vers le référendum, il y a une sorte de répartition des rôles entre le CEP, le Comité Consultatif Indépendant (CCI) et la présidence de la République à travers le gouvernement et son Ministère délégué aux Questions électorales et Chargé des Relations avec les Partis politiques. 

les dirigeants de l’organisme électoral travaillent, en fait, à cheval à l’organisation de deux joutes électorales

Chaque entité semble s’occuper d’une tâche précise dans le processus électoral que l’opposition essaie de mettre en échec par tous les moyens. Si d’une part l’organisme électoral, quoique contesté par la plupart des acteurs politiques et sociaux, ouvre le processus pour la réalisation du référendum, d’autre part, le gouvernement, lui, se charge de la campagne de communication et de propagande en affichant un peu partout dans le pays et même sur des supports assez insolites des affiches appelant la population à aller voter pour ce référendum plus que controversé. Les stratèges en communication du régime n’ont pas trop creusé. Ils ont choisi comme slogan de propagande : « Nap vote wi » dont la traduction en français est un casse-tête, voire un dilemme dans le créole haïtien tant ce slogan commande le citoyen à aller « voter oui », c’est-à-dire en faveur de la Constitution mais en même temps qui peut vouloir dire « oui nous allons voter » sans pour autant approuver cette Charte. 

Encore un autre piège dans les baskets de l’opposition. Faisant d’une pierre deux coups, les dirigeants de l’organisme électoral travaillent, en fait, à cheval à l’organisation de deux joutes électorales : le référendum constitutionnel prévu officiellement pour le 27 juin, soit dans un mois et les élections générales dont le premier tour est fixé pour le dimanche 19 septembre 2021 si tout va bien d’ici là. Pour l’heure, la campagne bat son plein donc sous les yeux quasi indifférents de la population qui a certainement d’autres chats à fouetter en cette conjoncture de misère et d’insécurité généralisée. Le suspens continue donc pour les deux camps. L’opposition reste dans son jeu, étant farouchement contre le processus en cours, puisque entamé par un Président de facto selon elle, elle ne mène pas de campagne donc n’appelle pas la population à voter pour, contre ou à s’abstenir. Elle est dans une logique de boycott. Elle privilégie les manifestations de masse en mélangeant : fin de mandat, insécurité, élections, référendum, nouvelle Constitution, etc. C’est la stratégie de « Tout en un » ou la stratégie globale. C’est un choix ! Choix, somme toute risqué.

(A suivre)

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