Si le cinéma ne peut pas changer le monde, il peut néanmoins changer la vie d’un individu. Raoul Peck
L’idée de ce film (Le Jeune Karl Marx) est qu’après l’avoir vu, les gens iront prendre un livre, auront envie de continuer cette conversation, d’aller plus loin. Raoul Peck
Entre les deux films
Ce qui nous intéresse chez Peck, c’est la liaison revendiquée entre les deux films : « Le jeune Karl Marx » et « I am not your negro ». Il insiste dans tous ses entretiens pour signaler la complémentarité existante entre ces deux figures de libération. Il fait de ces penseurs ses deux maîtres à penser car, dit-il, ils mènent le même combat. Baldwin et Marx l’aident à se « structurer, à trouver sa place, à trouver sa forme de combat (40) ». Il s’identifie aux combats de ces penseurs tout en y ajoutant l’histoire de son pays d’origine, Haïti. Peck cible les exactions produites par le capitalisme, telles que l’exploitation, le racisme et l’appauvrissement. La pensée de Marx et de Baldwin s’inscrit dans un combat continu contre le mode de production capitaliste dont les formes ne cessent de varier. Les Noirs pauvres subissent une double exploitation de ce système dont le stade suprême au XXème siècle est l’impérialisme. Comment inclure la lutte pour les droits civiques dans les combats communistes ?
L’un des points forts du couple Marx/Baldwin est la rencontre et le dialogue entre les classes sociales et la race. La lutte des classes mobilise la question de la couleur pour cerner les contradictions sociales. Les Blancs pauvres rejoignent la lutte contre le racisme afin de sortir des violences d’un système marchand axé sur le profit et la marchandisation de tout, y compris des êtres humains. La réification ne concerne pas seulement le monde des ouvriers, elle traverse aussi le monde des Noirs et des colonisés qui, parfois, ne sont pas dans une dynamique de travail. Le pouvoir économique discrédite toute sensibilité humaine pour valoriser l’argent qui devient la mesure de toute la vie quotidienne. Ces relations de pouvoir instaurées par le capitalisme déshumanisent le monde en érigeant le Blanc (riche) en modèle d’existence par excellence, ceci au détriment de l’Autre qui serait un être inférieur : « La question raciale aux États-Unis est un problème de classe, pas de couleur de peau. Le fond du problème, c’est le mode de fonctionnement du capitalisme, cette recherche du profit au-dessus de tout (41) », affirme Peck dans un entretien accordé au magazine TéléObs pour montrer l’imbrication des questions raciales aux contradictions du capitalisme. Marx et Baldwin ont permis de fonder une humanité inclusive, exemptée de toute aliénation et de toute frustration. Il y a avec eux une nécessité de redéfinir « l’essence humaine » sur de nouvelles conditions d’existence. Raoul Peck s’explique ainsi dans un autre entretien : « Baldwin et Marx ont permis de comprendre la société dans laquelle nous vivons ; ce que signifie le pouvoir ; ce que l’avidité induit, ce que la politique implique et pourquoi la poursuite insatiable de l’argent ne peut être le but ultime de ma vie (42) . »
Baldwin, de tendance trotskiste, peut être considéré comme un marxiste hétérogène qui a su intégrer dans la pensée de Marx les questions civiques. Il analyse d’un point de vue marxiste l’exclusion économique, politique et épistémologique des Noirs dans l’espace occidental. Il insiste sur une déconstruction des écrits occidentaux ayant fait du Noir un Être sans histoire. L’apport de Baldwin se situe sur l’angle de l’aliénation qui ne concerne pas seulement les ouvriers mais plutôt les Noirs, les homosexuels et les femmes. Baldwin permet de décentrer la question d’aliénation vers l’être humain. Cette orientation humaniste de Baldwin le conduit à aller au-delà du prolétariat pour penser les nouvelles conditions d’un être non angoissé par les affres du capitalisme. Le travail de déconstruction de l’histoire (pour la reconstruire) demeure un moment important de la voie décoloniale du marxisme. Dans le marxisme acolonial, il reste encore d’autres brèches à ouvrir surtout dans ce qui a trait à la conceptualisation de nouvelles thématiques.
La question de la décolonisation constitue l’une des facettes de la rencontre de Marx et Baldwin. En faisant référence aux conditions de vie des nègres, Baldwin instaure une place pour la question coloniale dans le marxisme. Il invite ainsi à décoloniser la théorie marxiste ancrée dans l’Occident colonial et eurocentriste. La révolution est pensée comme une sortie radicale du capitalisme et de son versus colonial. Marx et Baldwin sont deux fondamentaux qui seraient capables de fonder un marxisme anticolonialiste axé sur la discrimination envers les Noirs.
Le cinéma demeure le lieu de remise en question d’un ensemble de présupposés théoriques du marxisme.
Le couple Marx/Baldwin célébré par Peck se centre sur la question de l’exil. Peck fait de l’exil un moment stratégique d’élaboration des pensées critiques. Karl Marx a écrit ses œuvres les plus importantes pendant ses séjours en France et à Londres. Il a été expulsé de plusieurs pays, notamment de son pays d’origine, ce qui l’a poussé à construire une critique systématique sur le capitalisme. L’exil était chez lui une thématique importante : dans son ouvrage Les grands hommes de l’exil (43) , il cite de grandes figures d’exilés qui brillent ailleurs. Quant à Baldwin, il est victime du racisme au point de ne plus pouvoir vivre dans son pays d’origine, les États-Unis. Il a écrit une bonne partie de ses œuvres en France ou il est enterré. L’exil lui a permis de cerner les structures discriminatoires de la société états-unienne et de penser un horizon libérateur fondé sur les analyses de Marx. Le réalisateur Raoul Peck a vécu entre États-Unis, la France et le Congo. Il a réalisé toutes ses œuvres en dehors de son pays d’origine, Haïti, avec un intérêt particulier pour ses multiples ailleurs. Chez Peck, l’exil, étant nécessaire et productif, aide à bien saisir son objet. La compréhension du racisme mérite parfois des détours afin de vivre le regard de l’Autre sur soi. L’exil permet aussi d’opérer de véritables décentrements théoriques à force d’approfondir nos savoirs sur le réel. La déterritorialisation s’institue comme condition importante de l’avènement d’un marxisme ouvert et décentré.
Peck accorde une importance exceptionnelle au cinéma avec ces deux films qui accouchent de la pensée marxiste hybride. Le cinéma devient le lieu de ré-élaboration de la pensée de Marx en fonction de nouvelles questions. En plus de sa capacité à attirer plus de gens, le cinéma favorise de par ses techniques une diversité et une extrapolation des thématiques représentées. Par-là, Peck rappelle que la science et la philosophie n’ont pas le monopole de la pensée, l’art pense dans une dynamique singulière propre à elle. La pensée engendrée par le cinéma se distingue des autres par son faible niveau de conceptualisation. Comme l’a dit Gilles Deleuze (44), ce qui distingue la philosophie des autres formes de pensée, est sa nature à créer des concepts. Le cinéma peut nous aider à fonder de nouvelles questions que la philosophie devrait approfondir en les conceptualisant. Le cinéma demeure le lieu de remise en question d’un ensemble de présupposés théoriques du marxisme. Néanmoins, sa capacité créative devrait être complétée par la philosophie. Un vrai travail de reconceptualisation du marxisme en fonction du réel postcolonial devrait profiter de cette synergie forte entre cinéma et philosophie.
Liaisons et ruptures avec le marxisme haïtien
La réception de Karl Marx en Haïti remonte de la fin du XIXème siècle avec Louis-Joseph Janvier (1855-1911) qui a relu le Capital en fonction de la réalité haïtienne. Dans La République D’Haïti et ses visiteurs (1840-1882), (45) il montre la nécessité de décentrer l’accumulation primitive du capital élaborée par Marx. L’originalité de sa démarche réside dans sa défense de la « race noire ». Sa critique du Capital puise ses racines dans une lutte contre l’Occident raciste et eurocentriste. Néanmoins, Louis-Joseph Janvier n’était pas de conviction marxiste mais il reconnaît les apports de Marx dans la compréhension et la transformation du monde. A cette époque, on n’était pas encore dans un marxisme politique mais plutôt dans une approche marxienne qui fait acte de la publication en 1867 du premier livre du Capital. C’est avec Jacques Roumain dans les années 1930 que le marxisme haïtien émerge. Ce marxisme n’a pas eu le temps de se développer. De 1930 à 1944, Jacques Roumain, le premier communiste haïtien, a été arrêté plusieurs fois, exilé et affaibli. En dehors de quelques œuvres importantes, comme Analyse schématique 1932-1934 et Gouverneurs de la rosée, il n’a pas eu la chance de conceptualiser un marxisme à l’aune de la réalité haïtienne. Il a quand même initié quelques questions essentielles et a aussi instauré une démarche de relecture que nous nommons distillation, en référence à une déconstruction libératrice. Ce sont des amis de Jacques Roumain réunis d’abord sous forme de cercle qui vont approfondir à partir de 1946 l’héritage marxiste. Le marxisme haïtien sera doté d’une pensée structurée, conceptualisée et hétérogène. La pensée marxiste haïtienne développée à partir de la « révolte de 1946 » est un corpus de textes d’un ensemble d’auteurs qui se réclament du marxisme. Ces discours marxistes portés notamment par Étienne Charlier, Jacques Stephen Alexis, Yves Montas et René Depestre sont axés sur les questions de la nature de la formation sociale haïtienne, sur l’usage du concept d’aliénation, sur la critique du capitalisme, sur l’exploitation des paysans, sur le modèle de lecture de Marx et sur les questions de couleur.
Ces marxistes étaient tous des intellectuels ayant faits des études universitaires mais leurs travaux n’étaient pas publiés au sein d’une entité. Ça sera fait progressivement dans les années 1960 avec Gérard Pierre-Charles, Michel Hector et Yves Montas qui sont tous attachés à une institution universitaire. Ainsi, la pensée marxiste haïtienne a connu cette transformation lui permettant de standardiser ses productions. La première étape sera avec Jacques Stephen Alexis (médecin), Étienne Charlier (docteur en Droit) et René Depestre (écrivain) accouche de rigoureux travaux, en dehors d’un monde universitaire formel. Ces travaux pionniers demeurent importants pour saisir la haute conceptualisation du marxisme haïtien dans les années 1960-1970. Par exemple, Jacques Stephen Alexis est l’un des rares à participer à deux débats importants de l’époque : la crise du marxisme et les écrits de jeunesse de Marx. Ce qui aidera Yves Montas à analyser la forme de la transmission du marxisme en Haïti. La pensée marxiste haïtienne est marquée par de véritables soubresauts lui permettant de s’enrichir conceptuellement.
L’intérêt de Raoul Peck pour le jeune Marx me pousse à revoir les termes de ce débat dans la pensée marxiste haïtienne. De prime abord, il faut dire que Jacques Stephen Alexis s’oppose à toute division de la pensée de Marx de sa jeunesse à sa maturité. Il estime que le marxisme n’a pas une « date » d’apparition dans la pensée de Marx. Alexis rejette la démarche de la « sociologie du jeune Marx » pour montrer le coté systémique de cette pensée. Il s’explique ainsi en 1959 : « L’œuvre de Marx et d’Engels de 1844 à la révolution de 1848 est une œuvre authentiquement marxiste ou la pensée cependant s’affermit peu à peu pour atteindre par la suite la matrice complète de la méthode du matérialisme dialectique et des sommets inégalés par eux auparavant, s’enrichissant sans cesse en beaucoup de domaines (théorie de l’État, origine de la famille, thèses sur l’esthétique, etc…) en relation avec la lutte des classes et les découvertes scientifiques de leurs temps . » (46) Alexis tend à montrer l’importance des œuvres de jeunesse pour comprendre le nœud de la pensée marxienne. Il souligne que Hegel et Feuerbach restent les figures de réflexion de Marx qui reconnaît leurs apports. De Jacques Roumain jusqu’à Jacques Stephen Alexis en passant par Étienne Charlier, la nécessité de lire les œuvres Hegel s’impose. Alexis se positionne ainsi à propos des œuvres de jeunesse de Marx : En somme pour nous résumer, nous pouvons dire que tous les écrits de Marx avant 1844 portent dans une mesure variable l’empreinte de l’idéologie puis d’une négation feuerbachienne de cet hégélianisme qui continue à survivre dans son esprit dialectique. Ces œuvres de Marx, tout en ayant pour nous comme celle Hegel et de Feuerbach une immense valeur doivent être étudiées avec un ‘esprit critique’, le même que Marx, Engels et Lénine ont appliqué aux textes de Hegel à la lumière du matérialisme dialectique. Il n’est pas question pour nous de récuser les œuvres que les idéologues bourgeois d’aujourd’hui qualifient sous le terme de ‘sociologie du jeune Marx’, pas plus que Marx lui n’avait à renier les œuvres marquant les étapes préalables de l’itinéraire de sa pensée philosophique (47).
Cette approche d’Alexis des œuvres de Marx domine la pensée marxiste haïtienne. Elle est un refus des termes du débat autour du vrai ou faux Marx. Alexis évite cette mésinterprétation ayant engendré pas mal de déformations. En refusant cette séparation étanche dans les œuvres de Marx, Alexis esquisse le débat althussérien qui aura lieu dans les années 1960. On peut comprendre pourquoi chez Alexis la problématique de l’aliénation s’institue en haut lieu de conceptualisation du réel haïtien. Il précise ceci : « D’un autre coté l’étude des problèmes de l’aliénation humaine dans les sociétés d’exploitation a été à peine ébauchée par Marx dans ses rapports avec la politique, çà et là dans le Capital et dans les diverses autres œuvres ? Il importe que les marxistes haïtiens étudient concrètement ce problème en évitant d’en faire un cheval de bataille ou une catégorie abstraite ainsi que le font les révisionnistes si férus en matière d’aliénation. Ce problème est lié à l’élévation continue de la conscience politique des diverses classes sociales et couches sociales (48). »
Baldwin est-il capable de proclamer la mort de la colonialité ?
L’appel de Baldwin comme écrivain stipule l’importance de la littérature pour le marxisme haïtien ayant émergé sous la période dictatoriale des Duvalier. Le recours à la littérature était lié à la brutalité de la période qui interdisait toute production critique. Il a fallu jouer sur la forme en exploitant toutes les ressources de la langue afin de sensibiliser le peuple haïtien. La fonction esthétique de la littérature lui permet de travailler la mise en forme des idées à transmettre. Le marxisme haïtien qui s’érigeait contre le pouvoir dictatorial des Duvalier a fait ses premières armes idéologico-politiques dans la littérature. La poésie et le roman étaient très sollicités dans le corpus de ces intellectuels. La poésie était l’un des premiers modes d’expression des intellectuels haïtiens. Un tel rapport entre Haïti et la littérature oblige les intellectuels à se plonger dans les romans et poésies pour élaborer leur pensée. Le marxisme haïtien reste un moment de croisement entre la littérature et la science. Considérant l’intérêt de Peck pour le cinéma, ce marxisme diversifie son contenu en mariant cinéma, littérature et science. La décolonialité des marxismes périphériques doit être tributaire de ces multiples formes de pensée.
Un marxisme acolonial, qu’est-ce que c’est?
Toute la tradition théorique du marxisme haïtien est traversée par la question coloniale. Elle reprend cette question en fonction de l’idéal porté par la Révolution haïtienne de 1804. La radicalité de cette Révolution pousse ces intellectuels à penser un détachement direct de l’Occident colonial. Ce qui n’empêche pas qu’ils baignent dans les présupposés de la modernité. Depuis la fin XIXème siècle jusqu’à nos jours, la réception haïtienne de Marx est toujours tributaire de l’appareil épistémique occidental ancré dans un certain eurocentrisme. Les tentatives d’en sortir ont été prises au piège de l’Empire dont le spectre envahit toutes les sphères d’activités dans les pays anciennement colonisés. La décolonialité du marxisme haïtien n’arrive jamais à bon port, vu les voies préconisées et la nature des emprunts effectués. Cette sortie décoloniale étant toujours visée, il reste à déterminer les directions suivies. Le projet de marxisme acolonial répond à cette interrogation liée à la décolonisation des marxismes périphériques.
Le philosophe haïtien Adler Camilus explique l’acolonialité par une reconfiguration du monde axée sur les idéaux de la Révolution haïtienne de 1804. Cet événement radical, soutient-il, n’a rien à voir avec une « reconfiguration postcoloniale mais décoloniale » s’inscrivant dans un travail constant sur toutes les formes de pouvoir instituées. La marginalisation de cet événement dans les écrits occidentaux est l’un des obstacles à l’élaboration d’une intelligibilité décoloniale. L’acolonialité de Camilus se fonde sur une disjonction avec la pensée de Marx qui pense dans Sur la question juive (1844) à une émancipation radicale sans mobiliser la Révolution haïtienne de 1804. Karl Marx aurait mieux cerné les limites de la « Déclaration des droits de l’homme et du citoyen » en se penchant sur les ambitions de cette Révolution haïtienne. Camilus puise dans Karl Marx, auteur des thèses sur Feuerbach, l’idée d’auto-changement pour sa « praxis décoloniale ». Le sujet douloureusement colonisé doit être en mesure de penser sa libération. Cette privation de colonialté doit utiliser son dehors sans qu’il soit soumis aux injonctions du capital. L’acolonialité devient le fondement même de la décolonialité.
Le projet latino-américain « Modernité/colonialité » peut enrichir les armes de l’acolonialité. Malgré son attachement à la tradition haïtienne, l’acolonialité camilusienne devrait se ressourcer dans les nouvelles approches de la modernité apportées par Enrique Dussel, Walter Mignolo, Anibal Quijano, Edgardo Lander et Arturo Escobar. Ils rejettent tous l’opposition entre modernité et postmodernité pour voir les questions coloniales. Ils invitent à déconstruire les mythes occidentaux afin de dévoiler leur discrimination épistémique. Leur objectif consiste à créer un « paradigme autre » (Walter Mignolo) tout en pratiquant la « pensée de frontière » (Arthuro Escobar). Boaventura de Sousa Santos inscrit ces pratiques dans une « épistémologie du Sud » axée sur les forces créatrices des marges. Ce projet propose l’idée de géopolitique de la connaissance qui remet en question les notions occidentales d’objectivité et d’universalité. Ces déplacements pourraient contribuer à redéployer les présupposés de l’acolonialité.
Les œuvres de Baldwin peuvent jouer ce rôle épistémique envers les productions occidentales. A quel niveau peut-il être efficace ? Comment l’utiliser sans souiller ses fondements anticolonialistes ? Baldwin est-il capable de proclamer la mort de la colonialité ? Ces questions s’orientent vers la valeur épistémique des œuvres des intellectuels afro-américains se livrant à une lutte contre l’Occident raciste et capitaliste. Elles permettent de passer au crible de la critique décoloniale les résistances de ces intellectuels. Faire de Baldwin une figure complémentaire à celle de Marx pour comprendre le monde d’aujourd’hui, c’est reconnaître son écart par rapport aux modes classiques de production de connaissances. Baldwin reste une figure qui a su déplacer plusieurs régimes différents de savoirs fondés sur une suprématie de l’Occident Blanc. Le réflexe de Peck sur Baldwin est à approfondir si on veut créer un marxisme à l’aune des sociétés postcoloniales. Son attitude peut engendrer un « plan d’immanence pré-philosophique » (49) permettant l’émergence de nouveaux concepts pour un marxisme ouvert. Ce marxisme pourrait-il être capable de se dépouiller radicalement du spectre de la colonialité ? Comment penser l’acolonialité du marxisme haïtien en dehors et avec l’épistémologie occidentale ? Comment créer une marge « purifiée » et productrice du marxisme acolonial ?
Jean-Jacques Cadet, docteur en philosophie de l’Université Paris 8
Notes
40 Raoul Peck, pour « Le jeune Karl Marx », magazine L’Avant-Scène Cinéma, Ibid.
41 Raoul Peck : « Mon film raconte la mainmise de l’homme blanc sur le pouvoir occidental », entretien fait par Olivier Toscer, Téléobs, 22 avril 2017.
42 « Baldwin et Marx – Même combat ? », InvestigAction, Ibid.
43 Karl Marx et Friedrich Engels, Les grands hommes de l’exil, traduit de l’allemand par Lucie Roignant, édition établie et préfacée par Sylvie April, Marseille, éditions Agone, 2015,
44 Gilles Deleuze et Félix Guattari, Qu’est-ce que la philosophie ?, Paris, les éditions de Minuit, 1991, page 8.
45 Publié à Paris, en 1883, chez Marpon et Flammarion.
46 Jacques Stephen Alexis, Le marxisme, seul guide possible de révolution haïtienne, éditions CRESFED, 1959, page 102
47 Jacques Stephen Alexis, Le marxisme, seul guide possible de révolution haïtienne, Ibid, page 101
48 Jacques Stephen Alexis, Ibid, page 127
49 Dans le sens deleuzien du terme. Voir Qu’est-ce que la philosophie ? (1991), Ibid.