Pleins Feux Sur : Dr. Réginald Lubin

« Le dernier crooner » | (Port-au-Prince, 1961)

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Le docteur Lubin de son côté a eu une soudaine ascension musicale. Après avoir brillé de mille feux dans d’autres disciplines. Pourtant, cet ingénieux aux multiples facettes : médecin, activiste, m.c, animateur, scénariste, producteur, acteur, chanteur, poète, beau parleur et conteur, a connu une enfance infuse de timidité et de maladresse. Et n’a pu trouver son équilibre que sous la direction de sa grand’ mère qui lui a inculqué le goût de la poésie. Ce qui l’a considérablement aidé à sortir de son carcan ; tout en s’attelant à se procurer un souffle à la chorale de l’église paroissiale de son pasteur de père. Ses randonnées scolaires sont plus que satisfaisantes ; jusqu’en terminale au Petit Séminaire Collège Saint Martial. Où, il continue à polir les cordes de son arc. Avant de faire son entrée à la Faculté de Médecine de Port-au-Prince, où il a été diplômé en 1986 et s’est fait une expertise en pathologie.

Mais, tout cela n’est que le côté face. Car entre temps, Réginald a su bien gérer la face pile. En s’illustrant dans maintes  initiatives personnelles, qui le campent alternativement en maitre de cérémonie dans les mariages, communions, anniversaires, baptêmes et autres célébrations mondaines. Dont il en profite pour se muer occasionnellement en vocaliste ; avec pour chaperon musical, le talentueux Toto Laraque à la guitare. Dans des prestations qui n’ont pas laissé l’audience sur sa faim. Lesquelles l’ont aidé à colmater une brèche dans le monde musical. Tout en lui ayant permis d’émerger de la pénombre. En devenant l’animateur de l’émission télévisée « Top Jeunesse », sur la Télévision Nationale. Subséquemment, il se retire temporairement en vue des études sur les maladies sexuellement transmissibles à Londres. Suivi d’un passage au Columbia University de NY, pour une maitrise en Santé Publique.

Une sente qui l’autorise à être plus proche des plus démunis. Lorsqu’il a accepté le poste de coordonnateur puis de directeur du Centre de Développement pour la Santé. Avec pour mission spécifique d’endiguer la propagation des maladies vénériennes, notamment le sida. Et c’est dans l’atmosphère étroite de son bureau à élaborer les plans, établir le budget et concocter les scripts de sensibilisation que le docteur Lubin s’est soudainement trouvé une vocation de scénariste. Une intervention qui a permis la parution du film : ‘Pou ki se mwen’ ; lequel devait mettre en exergue un acteur désigné. Dont l’indisponibilité a nécessité un brusque revirement. Et, puisqu’une surprise en cache toujours une autre. C’est encore Mr. Lubin qui doit suppléer et improviser à sa place. Un succès spontané pour le toubib qui se découvre une nouvelle aptitude.

Une ascension météorique pour quelqu’un qui s’y connaissait peu à la cinématographie. Puis, les succès s’enchainent avec ‘La peur d’aimer’ ; un scénario qu’il a fini par exécuter lui-même. Suite au désistement de l’acteur principal. Rôle dans lequel il s’est surpassé ; donnant naissance à une star du grand écran. Et s’ensuivent : pluie d’espoir, la rebelle, vip, oasis et autres. Lesquels lui ont valu l’honneur de multiples distinctions telles : ‘Ticket d’or’ : meilleur acteur, meilleur film, meilleur réalisateur, ‘Prix Anita’ : du ministère de la culture et de la Coopération Française. Incluant deux mentions spéciales au Concours des Vues d’Afrique au Canada. Une étape qui a marqué une fulgurante montée du cinéma haïtien. Dans lequel, le jeune médecin a pratiquement pris tout le monde de vitesse. Fort de son talent, son charisme, son audace et ses coups d’éclat.

En s’imposant comme la tête d’affiche du 7e art local, fort de sa prépondérance. En plus, le mec est aussi le charme fait homme. Avec son langage fleuri mais efficace, diction impeccable sans zuzu. Tout un emballage sans encombre, comme les plus exorbitants n’ont pas besoin d’être gigantesques. Plus assimilé à l’homme de vigie qu’à l’aigle de la montagne. Pas étonnant que la gent féminine en soit si friande. Pourtant, là où on ne l’attendait pas, c’est dans le circuit musical. Dans lequel il n’avait rien accompli depuis le temps de son bénévolat avec Toto. Jusqu’à ce que le grand maestro Régi Policard lui ait permis de roucouler sur la bande originale du film ‘Pou ki se mwen’ qu’il a composée. Un signe encourageant pour le doc ; qui s’est vu proposer par le fameux musicien, qui a ce don de dénicher le talent insoupçonné. En l’invitant à prendre part aux excursions ‘policardiennes’.

les crooners locaux sont une espèce en voie d’extinction. Bien sûr, on a encore les : Dadou Pasquet,  Lyonel Benjamin et Joël Widmaïer…

C’est donc par la grande porte que Réginald Lubin est introduit dans l’une des œuvres évolutives en solo de l’incomparable Régi Policard : ‘’ki sa nou ye ?’’, agrémentant aussi à l’occasion : wa fèm konnen et chak jès nan kò w. Evidemment, aidé par un talent en veilleuse, maitre Policard le propulse dans la galerie des crooners. Au gré d’un gosier aux reflets nostalgiques, d’un registre pouvant sillonner les avenues du jazz standard, du bossa nova et des ballades fusionnées. A dessein d’un timbre cool et décontracté, imprégné de bonds intermittents et de ruées impromptues ; diffus de musicalité et de technique. Une orientation que le maestro Régi a pris soin de lui inculquer et dont les prémisses issues de l’école du légendaire Herby Widmaïer se repèrent dans des chantres comme : André Romain, Boulo Valcourt, Lyonel Benjamin, Joël Widmaïer etc.

C’est donc un terrain tout à fait exquis que le doc est donné à explorer et à exposer. Ce pour quoi il ne s’est pas fait prier et a accompli dans quelques productions successives de Réginald Policard, en mettant le paquet dans: Ki sa nou ye ? Sérénité, pou ki sa ?, twou foban, Gade w, la fleur d’amour, Jodi a, romance, kon-fusion, kote yo, elle, padon entre autres. Des examens de passage tout à fait réussis pour Réginald Lubin qui a eu le privilège de faire ses marques vocales sous les directives de l’un des plus avisés musiciens contemporains locaux. En fait, Régi reste avec Dadou Pasquet les plus décisifs du milieu, que l’auditoire soit à Londres, à Johannesbourg, à Tokyo, à L. A ou ailleurs. Il n’y aura pas d’ambiguïté sur l’unicité et l’originalité de leur sonorité, en plus de leur productivité. Avec eux, André et Fred Déjean restent aussi des élaborateurs d’envergure.

De même que des colosses comme Dernst Emile et Tit Pascal qui sont des novateurs ; ayant contribué à la genèse des sonorités contemporaines. En plus d’avoir formé une kyrielle de musiciens chevronnés. Et à l’élévation de cathédrales qu’ils n’habiteront jamais. Du fait d’être dépourvus d’une marque individuelle. Différemment de ces génies du quotidien pré- cités. Quelques arrière-pensées pour revenir à l’incroyable métamorphose musicale du docteur Lubin, sous la maestria de Régi Policard. Pourtant cette offrande reçue en plein triomphe cinématographique, s’est apparentée à des cerises sur le gigantesque gâteau-cocktail de Réginald Lubin. Lequel entre temps s’est installé en véritable homme-sandwich du business et du show. Omniprésent dans les spots publicitaires, les émissions radiophoniques et télévisées, la voix et l’allure en demande pour la fonction de maitre de cérémonie.

En plus que de s’adonner à ses routines coutumières comme pourvoyeur de la santé et, d’autres projets de développement qui le tiennent aussi proche des jeunes qu’il s’active à orienter dans leur aptitude tout en les sensibilisant sur les risques d’une vie de promiscuité. On comprend que dans ces conditions, la musique soit au second plan. Seulement qu’il y a des ponts qu’on ne se permet pas de brûler. Spécialement la musique, lorsque tu la touches du doigt et que le flux l’électrique subsiste encore. Et même quand il y a carence dans la vocation il n’y a pas moyen de  s’esquiver si le talent est là,. Et c’est ce qui est arrivé à notre docteur, qui, après avoir pris un sabbatique musical mérité s’est vu maintenant hanter par l’écho de ses propres vocalises. En fait, d’après les aveux de Lubin lui-même au musicien et présentateur Ralph Condé.

Faisant ressortir son désir de renouer avec la musique. Après avoir été pris dans d’autres activités prioritaires. Amer, il avoue vouloir refaire surface sous d’autres vibrations. Puisque ses excursions avec le grandiloquent Policard sont passées inaperçues. Du fait que les programmateurs pour une raison ou une autre n’ont jamais mentionné son nom. Préférant plutôt faire référence à une pièce de Réginald Policard. Vraiment doc ? Et, comment ai-je pu découvrir ton épatant pitch, n’était-ce à travers les œuvres du maestro! En tout cas, le bon doc doit être avisé des risques à encourir, à faire fi des canevas qui ont caractérisé sa brillance musicale. S’évader un peu de ses zones de confort, n’est jamais en soi une mauvaise chose. Mais chambarder sa base, lorsqu’il n’a pas d’assise établie serait de la démence.

Spécialement dans un domaine où il aurait tant de latitude. En fait, dans le raz-de-marée des vocalistes de groupe, on en connait pas mal, qu’ils soient animateurs, roucouleurs, amuseurs ou virtuoses buccales. Pourtant, les crooners locaux sont une espèce en voie d’extinction. Bien sûr, on a encore les : Dadou Pasquet,  Lyonel Benjamin et Joël Widmaïer sans doute éclectiques, en s’adaptant à tous les styles. Mais, ils peuvent aussi faire office de chantres dans la pure tradition des chansonniers. Ce qui n’est pas l’apanage de Réginald Lubin. Et, qui ferait mieux de cultiver un style qui lui va bien dans son prochain opus en solo. C’est pour lui un impératif que de rallier maestro Policard, même au niveau des arrangements. En vue de sa réintroduction comme artiste solitaire dans l’arène musicale. Car, il n’y a rien de plus motivant que de s’associer avec ceux dont on partage cette affinité pour la qualité.

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