Pour garder l’espoir de vaincre la misère et le banditisme, Haïti doit se ranger sur l’axe des États de BRICS

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Après le renversement de l’État bourgeois, la nouvelle République d’Haïti doit rejoindre le clan des BRICS pour tenter d’aplanir les sentiers des difficultés devant son peuple.

« L’occident mentait à l’homme noir, à l’homme jaune, à l’homme blanc. Il mentait depuis au moins quatre siècles à tous les colonisés de la terre. »
                                                          René Depestre, poète et romancier haïtien

Pour comprendre les comportements des politiciens haïtiens, il serait important de lire ou de revisiter les ouvrages de Frantz Fanon. Cet auteur est décédé le 6 décembre 1961 à Bethesda dans un hôpital militaire de Washington.  « Peau noire, masques blancs », le livre maître de l’intellectuel révolutionnaire, convient parfaitement à la description du cas qui nous intéresse.

L’Haïtien constitue en lui-même un handicap majeur à son développement personnel, que nous traduisons par la valorisation de sa potentialité intellectuelle et professionnelle, par la capacité de parvenir à la concrétisation de ses rêves, et par le pouvoir d’imposer les principes légitimes de son autodétermination.

Où va aujourd’hui la République d’Haïti? Nous croyons avoir mal formulé la problématique. Car un pays n’a pas le pouvoir de se définir une orientation sociale, politique, économique et culturelle. L’échec catastrophique d’un État est avant tout celui de ses élites. Car l’État n’existe qu’à travers les femmes et les hommes qui le constituent. Il leur incombe la responsabilité patriotique d’entretenir les éléments de sa croissance et de sa modernisation. À tous les points de vue. Dans tous les domaines. Sur le plan aussi bien du constructivisme que du cognitivisme. La famille, l’école, l’église sont donc chargées de façonner les êtres qui ont le devoir de s’occuper et d’alimenter substantiellement les organes qui actionnent, dynamisent et perpétuent l’État, pour le bien-être des individus et des collectivités territoriales.

Nous avons rédigé trop de phrases, écrit des mots trop compliqués pour révéler une « vérité », à notre avis, déjà immanente. Qui saute aux yeux. Qui s’expose sans appareil microscopique. Qui s’exhibe à l’œil nu. Les conditions biosphériques sans cesse dégradantes révèlent la nature autodestructrice des terriens. L’espèce humaine se détruit et détruit son environnement. Sans même s’en rendre compte. L’Homme est l’unique producteur de ses malheurs. L’université nous a transmis la mauvaise manie de compliquer la pensée avec des considérations philosophiques, méthodologiques, argumentologiques, dialectologiques… Alors qu’une phrase simple aurait suffi à décrire un phénomène objectif, une situation subjective et un fait subversif. Les Haïtiens représentent la « Honte » de leurs descendants. Pourquoi y aller par quatre chemins? Il est extrêmement difficile pour quiconque de se dédouaner de l’affirmation qui se pose même en terme de postulat.

L’incompétence, le nombrilisme (Fanon dirait le narcissisme), l’absurdisme, l’amorphisme aliènent et annihilent graduellement la société haïtienne. À observer les attitudes incorrectes, répréhensibles  de la plupart de nos concitoyens, nous, qui passons des nuits à écrire et à publier des textes avant-gardistes, devrions peut-être nous arrêter un moment, prendre le temps de cerner, d’appréhender, de décoder les aspirations véritables de l’être haïtien. Que veut-il exactement pour lui-même et pour les autres?

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C’est complètement irrationnel de répéter, comme le font plusieurs : « Haïti passe avant toutes choses. Tout ce que je fais, c’est pour mon pays. » En fait, la langue française appelle ce procédé langagier une métonymie. Il existe une relation logique entre « Haïti et Haïtiens ». Notre amour de la patrie n’est autre que celui qui caractérise, relativise nos sentiments à l’égard de nos compatriotes. Nous sommes en train de franchir la frontière du monde métaphysique réservé aux « dieux » des grandes pensées philosophiques. Et ce n’est pas du tout le but de notre démarche. Nous ne saurions nous élever à la hauteur de Platon, d’Aristote, d’Avicenne, de Heidegger, de Mill…  « Changer Haïti » signifie concrètement « changer les conditions de vie de la population haïtienne ». La « révolution » est réalisée au profit et pour le bien-être du peuple. Haïti est un archétype.

Frantz Fanon déclare : « De partout m’assaillent et tentent de s’imposer à moi des dizaines et des centaines de pages. Pourtant, une seule ligne suffirait. Une seule réponse à fournir et le problème noir se dépouille de son sérieux. Que veut l’homme ? Que veut l’homme noir? » Il nous faudrait poser ces deux questions interreliées à chaque Haïtien indistinctement.

Il est extrêmement embarrassant de réfléchir sur l’avenir d’un État défaillant, comme celui qui caractérise le pays pris en otage, séquestré par les puissances hégémoniques qui ont sur la « conscience » les malheurs de l’humanité. Le substantif « conscience » pourrait ne pas convenir, lorsqu’il s’agit de décrire les conséquences désastreuses occasionnées par les situations de déprime sociétale que nous évoquons dans cette réflexion? Plus de deux cents ans d’errance politique, d’égarement social, de dystrophie économique et financière pour un peuple aliéné par les pays néolibéralistes et trahi par ses propres enfants! La traversée du désert se révèle longue et pénible pour des individus déboussolés, kidnappés, arrachés à la terre nourricière, dépersonnalisés et transformés en objet, vidés de leur énergie, incapables jusqu’à présent de trouver un Moïse, un Aaron et un Josué pour les guider… Quel espoir peuvent-ils garder du désir d’arriver un jour quelque part? Les Haïtiens ignorent où se trouvent le paradis et l’enfer. Ils ne vont nulle part.

« Changer Haïti » signifie concrètement « changer les conditions de vie de la population haïtienne »

Au début de ce XXIème siècle, la République d’Haïti est étonnamment  devenue un amoncèlement de parias qui cherchent un ailleurs impossible pour renflouer le fossé d’une misérabilité chronique. Pour marcher, il faut avoir une destination en vue? Sinon, l’on tourne. On n’avance pas. Marcher, c’est se déplacer dans une direction quelconque. Les enfants de Toussaint, de Dessalines, de Christophe, de Pétion ne savent pas que le soleil existe à l’extérieur de la « caverne de Platon ». Ils n’ont pas accès au « monde intelligible ». Ils courent après les ombres qui représentent pour nous, dans cette métaphore, les États occidentaux, les pays impérialistes gloutons, les puissances esclavagistes. Ils ne voient pas les régions du soleil levant. Ils restent prisonniers du « monde sensible », celui qui symbolise la ruse, l’hallucination, la désillusion, la fausseté, la tromperie consciente, l’affabulation, le mensonge…

L’élite intellectuelle de la République d’Haïti, – s’il en existe actuellement une –, devrait prendre le temps de parler à la Nation  d’Anténor Firmin, Jean Demesvar Délorme, Edmond Paul, Jean Price Mars, Jacques Roumain, Jacques Stephen Alexis, ces comètes qui ont brillé dans le ciel de la littérature universelle et qui font la gloire de notre patrie. Nous parlons de ces augustes vulgarisateurs d’idées progressistes, de ces olympiens constructeurs de pensées philosophico-révolutionnaires, qui ne se promenaient pas de foire en foire pour liquider quelques exemplaires d’ouvrages littéraires, dans l’unique but de faire bouillir la marmite de nouilles durant quelques jours. C’est le rôle aussi des politiques de revenir de temps à autre dans leurs discours sur ces différentes personnalités qui représentent des modèles et des valeurs sures de l’avenir d’Haïti. Anténor Firmin disait sur la tombe de Jean Demesvar Délorme le 28 décembre 1901, à Paris :

« Il avait des paroles, des gestes, jusqu’à des mièvreries qui exerçaient une espèce de magie sur la jeunesse enthousiasmée qu’il ensorcelait. Je ne sais pas si la politique réserve de plus grande satisfaction, un plus beau triomphe ! Sans doute, nous avons toute une pléiade d’hommes remarquables, en plus d’une spécialité…mais nul d’entre eux ne partage avec Demesvar Delorme l’immense gloire d’avoir ouvert chez nous l’ère du vrai épanouissement littéraire… [1] »

Les législatures haïtiennes devraient se souvenir d’Edmond Paul pour sortir le pays de l’impasse sociale, politique et économique gravissime, dans laquelle il s’enfonce davantage tous les jours. L’intelligence financière et économique d’Edmond Paul est arrivée à tirer l’État du mauvais pas. Comme les deux gouvernements illégitimes du PHTK, le président Sylvain Salnave avait conduit les finances publiques au désastre et à la ruine.

Nous avons demandé au défunt Gérard Pierre-Charles, dans une entrevue qu’il nous avait accordée en 1998, de nous parler de l’implication des élites haïtiennes dans les causes des malheurs du peuple haïtien. Sa réponse était on ne peut plus tranchante et claire :

« En termes de développement économique et social d’Haïti, on ne peut pas se libérer de toutes les fautes et les attribuer seulement aux autres. Je crois que l’élite haïtienne, l’élite gouvernementale, l’élite politique, l’élite économique de ce pays sont  responsables du fait qu’Haïti n’ait pas pu entrer dans une phase dynamique de développement.  À partir du 19e siècle, une telle dynamique a suscité le progrès de beaucoup de pays de l’Amérique Centrale et des Caraïbes: Guatemala, Honduras, Nicaragua, République Dominicaine et Jamaïque, qui étaient encore très arriérés. Au début du 19e  siècle, l’impérialisme s’est manifesté dans ces pays par des occupations militaires et par toutes les formes de main mise économique; en même temps aussi, dans ces pays, les élites ont su arriver à créer des processus d’accumulation, des processus de transformation qui leur ont permis à partir d’une époque d’arriération, où le latifundio excellait, de prendre le train du développement capitaliste et de la modernisation. Et aujourd’hui, la mondialisation, la globalisation…

« Pour moi, l’élite haïtienne a raté ce pari. Il y a un pays que j’ai étudié particulièrement : le Costa Rica. Ce pays, entre 1880-1890, avait une faible exploitation caféière en comparaison avec Haïti. Mais l’oligarchie caféière costaricaine a compris qu’elle devait se transformer en un secteur d’entrepreneurs de café. Eh bien, ils ont transféré leurs capitaux en transformant les latifundia de café, en des fermes modernes capitalistes. Les élites haïtiennes : intellectuelle, politique, économique et culturelle, ont failli à leur rôle de conduire ce pays vers les pôles de développement durable. Les responsabilités de l’environnement international ont été très fortes à un moment déterminé. Mais, à partir de la fin du 19e siècle, l’exercice de la capacité nationale devait se manifester – comme cela se manifesta, avec toutes les différences que cela suppose – en République Dominicaine, à la Jamaïque, c’est-à-dire dans des pays qui sont aussi des pays noirs ou métisses; des pays ex-coloniaux victimes de tout un exercice de discrimination et d’exploitation. Mais les élites n’ont pas pu se mettre à la hauteur des impératifs du développement [2]. »

Dès le milieu des années quarante, les pays du Nord ont cherché sérieusement – et ils y sont parvenus – à imposer leurs propres modèles de croissance économique aux pays du Sud. La course à l’augmentation des capacités de la productivité a entraîné la planète sur une pente de détérioration environnementale irréversible. Il s’en est malheureusement suivi un gaspillage phénoménal des ressources naturelles non renouvelables qui a occasionné partout des détresses sociales et des dégâts économiques aux conséquences irréparables. Soudainement, les États capitalistes exportateurs de la pollution industrielle se sont réveillés. Ils ont compris que leurs territoires faisaient partie de la même planète et partageaient les mêmes risques avec les  pays qu’ils utilisent comme poubelles pour déverser leurs déchets radioactifs. Ils ont commencé à sonner le tocsin au début des années 1990. Ils ont multiplié les « colloques sur la biodiversité » par ci, par là. Mais le mal était déjà fait. Le tissu environnemental est sérieusement, dangereusement dégradé. Le développement des pays riches s’est fait au détriment des régions périphériques.

Il n’est aisé pour quiconque, disons- nous, de tracer une ligne de trajectoire prévisionnelle en rapport au devenir de l’être haïtien. En particulier. L’espèce est menacée. Comme les animaux de la préhistoire. Comment cette Nation amputée de ses jambes, – d’abord par 29 ans de dictature politique, et ensuite par 37 années de transition politique chaotique et désordonnée –, arrivera-t-elle à se relever pour  se remettre finalement à avancer droit devant elle, en direction du « Rêve » porté par ses ancêtres légendaires? La République d’Haïti tourne comme une toupie dans le cercle des turbulences dissipatives. Elle a coulé dans le fleuve de la cruauté, de la corruption, de la nullité, de la médiocrité, de l’incompétence, de l’irresponsabilité, de l’immobilisme des opportunistes de tous bords, de tous côtés, qui ont investi la scène politique après le 7 février 1986. Il faut la repêcher avant qu’elle perde le dernier souffle qui fait encore battre faiblement son pouls.

Non, en ce qui concerne les populations du Sud, « Dieu » ne devrait pas écrire la pièce et confier la direction du théâtre au « Diable », pour paraphraser Victor Hugo. À notre façon. C’est profondément injuste et inhumain.  Il faut détruire le « Diable », reprendre la direction du théâtre et  repenser la dramaturgie de l’univers. Planifier et organiser une nouvelle mise en scène au moyen de laquelle les rôles seront mieux répartis. Installer les acteurs à la place qui leur convienne?

     Depuis que nous avons commencé à porter les épaulettes des artisans d’une révolution mondiale, nous avons perdu quelques amitiés sur la route de l’existence terrestre. Certains appels téléphoniques se raréfiaient avant de disparaître complètement du radar. Néanmoins, ce qui compte avant tout, ce qui valorise une vie, c’est le devoir d’appliquer la leçon tirée de la conscience morale de Guevara, en ayant la force nécessaire, la bravoure infaillible d’embrasser et de défendre toutes les causes qui dépersonnalisent, déshumanisent les êtres vivants retenus prisonniers dans les cavernes obscurantistes de l’impérialisme.

Après le renversement de l’État bourgeois, la nouvelle République d’Haïti doit solliciter l’aide économique et militaire de la Russie et de la Chine pour tenter d’aplanir les sentiers des difficultés devant son peuple. Elle doit rejoindre le clan des BRICS. Les États-Unis, le Canada, la France, l’Angleterre, l’Allemagne, le Japon, l’Espagne ne sont pas des alliés sûrs pour les populations de la périphérie. Leur présence sur le sol national coïncide avec des situations d’inhumanité et de cruauté indescriptibles : trafic de drogue, assassinat, gangstérisme, exode massif, misérabilité… Nous plaidons ardemment pour le refiletage des relations diplomatiques d’Haïti avec les États septentrionaux. Un gouvernement révolutionnaire y pourvoira. Il faudra privilégier les rapprochements avec la Russie, la Chine, Cuba, le Venezuela, la Bolivie, les pays de l’Afrique, du Proche-Orient et du Moyen-Orient.

Même dans une situation d’extrêmes malheurs, il y a des « mains sales » – comme le dirait Jean-Paul Sartre –  qu’il faut éviter de serrer, des accolades qu’il faut énergiquement repousser, des gestes d’hypocrisie subtile qu’il faut stopper.

Frantz Fanon déclare : « L’avenir doit être une construction soutenue de l’homme existant [3]. »  Les années 2022 et 2023  sont particulièrement éprouvantes pour nos compatriotes. Nous regardons à l’horizon les vents d’une insurrection populaire mondiale qui commencent à se lever tranquillement. Comme Karl Marx l’a prédit, le capitalisme est en train de creuser lui-même sa tombe. La pauvreté est devenue un phénomène mondial. Néanmoins, demain ne sera plus comme hier. L’espoir du « Changement » est présent.


Références

[1] Cité dans les notices biographiques des Éditions Fardin qui ont réédité l’ouvrage de Jean Demesvar Delorme, Réflexions diverses sur Haïti, paru pour la première fois en 1873.

[2] Robert Lodimus, La guerre des Lavalassiens ou Le scrutin de la discorde, ouvrage inédit.

[3]  Frantz Fanon, Peau noire, masques blancs, page 29, Éditions du Seuil, 1952.

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