Nous sommes fin décembre 2018. La crise politico-sociale débutée en réalité depuis le début du quinquennat du Président Jovenel Moïse inquiète de plus en plus les citoyens haïtiens qui ne voient pas le bout du tunnel à quelques jours de la nouvelle année. A dire vrai, cette crise inquiète aussi toutes les parties prenantes. Du Président de la République et de son chef de gouvernement, Jean Henry Céant, aux opposants politiques les plus radicaux. Cette inquiétude est d’autant plus justifiée que le pays est quasiment dans une crise permanente sans que personne ne voit comment s’en sortir. Pratiquement toutes les démarches ou actions entreprises par l’une des parties en conflit n’aboutissent à rien, sinon qu’à pousser l’autre à une surenchère de propositions ou de provocation. Un dialogue de sourd en quelque sorte. Du côté du pouvoir, surtout entre les deux chefs de l’exécutif, l’un surveille l’autre comme le lait sur le feu. A chaque initiative venue de la part de l’un ou de l’autre, elle est âprement discutée, analysée, pesée et sous-pesée afin d’éviter tout malentendu.
Car, chacun cherche à paraître comme celui qui a trouvé la bonne réponse. Dans ce jeu de surveillance réciproque, la politique n’est jamais loin. Elle est même présente en permanence car les enjeux sont grands pour celui qui aura apporté la meilleure solution pour clôturer ce chapitre de crise ouvert depuis si longtemps dans le pays. Jovenel Moïse sait qu’il joue sa présidence et pourquoi pas la place de celui qu’il aura à soutenir dans trois ans s’il arrive à sauver son quinquennat. Jean Henry Céant aussi joue sa place à la tête du gouvernement. Il sait que s’il n’arrive pas à quelque chose de solide afin de calmer l’opposition, sa présence à la tête du gouvernement n’aura pas de raison d’être. Certains, comme il sait, n’hésiteront point à le lui rappeler. Plus que le chef de l’Etat qui détient, même contesté, un mandat constitutionnel de cinq années, il est plutôt sur une chaise éjectable. En tant que Premier ministre, détenteur d’une mission capitale, sinon cruciale, il doit arriver avec les mains remplies de propositions pour convaincre d’abord la présidence de sa capacité à le protéger mais aussi convaincre l’opposition à négocier une paix durable ou du moins jusqu’à la fin de la présidence.
Jean Henry Céant propose clairement un « Partage de responsabilité avec l’opposition et la société civile dans le cadre d’un gouvernement d’ouverture mis en place par le pouvoir actuel ».
D’ailleurs, en cette période de fêtes de fin d’année, Jean Henry Céant vient de solliciter une trêve hivernale afin de permettre au pays de trouver un peu de sérénité et de calme. Chez l’opposition plurielle, la lutte pour le contrôle de l’espace politique n’est pas une mince affaire. Cette opposition plurielle et multiple aurait pu constituer un socle compact capable de parler d’une seule voix le temps de proposer une alternative au pouvoir qu’elle veut renverser. Mais, c’est plus facile à dire qu’à faire. D’où, d’ailleurs, toutes les difficultés du gouvernement de Jean Henry Céant de s’assurer qu’il est bien en mesure de dialoguer avec la bonne opposition et de ce dialogue constructif sortira un consensus devant permettre à Haïti de respirer au moins jusqu’au prochain processus électoral. Mais là aussi, la politique politicienne et l’ambition légitime de chacun des leaders ou chefs de partis de l’opposition ne faciliteront point la tâche à ceux qui veulent vraiment ce dialogue.
N’arrivant pas à s’accorder sur une ligne directive et adopter collectivement la marche à suivre pour s’opposer de manière constructive et rationnelle, l’opposition, à son corps défendant, joue contre elle-même. Mais force collective de nuisance face au pouvoir, elle empêche néanmoins ce dernier d’avancer comme il l’entend. Résultat des courses, les deux parties sont dans l’impasse. Alors, le locataire de la Villa d’Accueil qui agit sous le contrôle du Président Jovenel Moïse prend une initiative qui, pour lui, serait de la dernière chance. Il s’agit de proposer à l’opposition plurielle un document de travail de cinq pages que la Primature a baptisé : Pacte de gouvernabilité. Au moins sur ce plan, le gouvernement, conduit par le Notaire du haut Bourdon, marque un point sur l’opposition qui peine à se mettre d’accord pour présenter collectivement un document identique susceptible d’attirer l’attention du pouvoir, voire l’attirer dans un piège. Certes, l’opposition, depuis le début de la crise, a déjà présenté çà et là des documents dans lesquels elle donne sa position et son souhait.
Mais, sans jamais démontrer que ces propositions sont sujettes à discussion, donc modifiables au cours des pourparlers. Les propositions de l’opposition, c’est à prendre ou à laisser. C’est toute la différence avec ce qu’a proposé le Premier ministre bien que si l’on va un peu vite l’on pourrait penser qu’il s’agit d’un document fini alors qu’il n’en est rien. Ce Pacte de gouvernabilité ou Pacte de gouvernement n’est rien d’autre qu’un simple document dans lequel celui qui est commissionné par les trois pouvoirs, c’est important de le rappeler, fait des propositions sur les termes dont l’exécutif aurait souhaité entamer le dialogue avec l’ensemble des acteurs régissant la vie politico-sociale haïtienne. Incontestablement, Jean Henry Céant retrouve là son métier de Notaire qui ne se contente pas de discuter à l’oral comme aiment le faire les acteurs politiques haïtiens. En revanche, sur la forme tout d’abord du document, si l’on peut l’appeler ainsi, il y a quelques points à souligner. Pour un document qui veut être les points forts sur lesquels l’avenir du pays devrait être débattu, certains spécialistes le trouvent assez léger. Ils estiment que trop de sujets manquent à l’appel.
Surtout le Premier ministre a présenté le document comme quelque chose devant aboutir à un Pacte de gouvernement d’une durée de trois ans. Bien sûr, selon le document, après discussion, des modifications seront apportées. Mais, en terme de proposition et de sujets à débattre, ces spécialistes croient que la Primature aurait dû remplir davantage cette feuille de route en mettant l’accent sur l’institutionnalisation de certains organismes publics qui sont les causes premières de diverses crises politiques et institutionnelles depuis la promulgation de la Constitution de 1987. Deuxièmement, parler de Pacte de gouvernabilité alors qu’il s’agit tout juste d’un texte sur lequel le débat va être ouvert, c’est donner l’impression à l’opinion publique et à ses futurs interlocuteurs que tout est déjà bouclé. Surtout, la Primature a parlé de Pacte alors que personne, outre l’entourage du pouvoir, n’a encore donné son avis pour constituer le document. Donc le terme de Pacte est incorrect.
Ils soutiennent que c’était le même problème auquel avait été confronté le Pacte de gouvernabilité qu’avait proposé feu le Président René Préval en 2006 afin de construire dans la durée une stabilité politique et sociale dans le pays sur une période de 30 ans. Mais, faute de concertation en amont avec tous les acteurs, ce Pacte de gouvernabilité version Préval n’a finalement jamais vu le jour. Le processus avait été mal engagé. Et le pouvoir, une fois la participation de certains leaders au gouvernement du Premier ministre Jacques Edouard Alexis obtenue, avait tout simplement ignoré tout son engagement en vue de consolider les institutions d’où les crises politico-institutionnelles qui se sont poursuivies rendant pratiquement le pays ingouvernable et instable. Toujours sur la forme, certains pensent qu’il n’est plus nécessaire que des textes émanant du gouvernement ou de l’Etat en général reprennent dans leur mise en contexte que : Haïti s’étend sur X km2 et compte X millions d’habitants et autre statistique des organismes étrangers qui rappellent à chaque fois, comme une litanie, que le pays est le plus pauvre du continent ou bien est le seul PMA (Pays Moins Avancé) des Amériques, etc.
le Premier ministre a présenté le document comme quelque chose devant aboutir à un Pacte de gouvernement d’une durée de trois ans.
Ce genre de rappel est inutile et contre-productif. C’est aux dirigeants du pays de prendre leurs responsabilités et de trouver la bonne méthode pour permettre au pays de trouver sa place et son rang parmi les Nations développées du monde. Ce n’est pas en psalmodiant les chapelets des ONG (Organisations Non Gouvernementales) qui font leur beurre justement sur ces statistiques devenues des classiques injustifiées pour les Etats du Sud qu’on arrivera à changer les choses. Maintenant, jetons un regard sur le fond de ce document dit Pacte de gouvernabilité de l’ère de l’Administration Moïse/Céant. Ce document que nous estimons être un document de travail préparé en perspective des pourparlers à venir avec l’opposition et tous les secteurs de la vie nationale comporte sept points que le Premier ministre décline comme sept Pactes de gouvernabilité.
Ils se définissent ainsi : un Pacte politique ; un Pacte social ; un Pacte économique ; un Pacte de lutte contre le gaspillage, la contrebande, la corruption et l’incivisme ; un Pacte sur le Procès PetroCaribe ; un Pacte de justice, de lutte contre l’impunité, de sécurité publique et de respect des Droits Humains ; et enfin, un Pacte sur le paquet de lois à réviser ou mettre en place en 2019. Comme on peut le remarquer, s’il fallait relever tous les contentieux qui opposent la société, l’opposition et divers secteurs avec le pouvoir, il n’y aurait pas assez de place pour noter les pactes qu’il fallait signer. Car, un pacte est avant tout un contrat signé entre deux personnes ou entre deux entités. D’où notre première interrogation sur le terme de pacte qu’a employé le gouvernement pour présenter son document de sept pages.
Lorsque nous avons eu en main le document, notre première curiosité s’est portée sur la dernière page à la recherche des noms des partenaires, des organisations politiques et des secteurs de la Société civile ayant paraphé avec les autorités ce fameux Pacte de gouvernabilité. Il n’y en a aucun. On commençait même à faire notre autocritique en disant qu’on a eu tort de dire que le PM n’avait rencontré personne depuis qu’il a eu pour mission de dialoguer avec l’opposition.
Et on a même pensé dans un premier temps que le Président Jovenel Moïse n’aurait pas dû court-circuiter le Notaire avec la nomination du maire des Cayes, Jean Gabriel Fortuné, pour mener de son côté des pourparlers avec les leaders des partis politiques et autres acteurs de la Société civile organisée. Finalement, on a été déçu lorsqu’on est arrivé à la fin du texte qui n’est même pas daté puisqu’il se termine ainsi : fait à Port-au-Prince, le… Ce qui signifie que ce document n’est qu’un brouillon ou une ébauche de textes mise à la disposition des secteurs avant qu’ils entament réellement le dialogue avec le pouvoir. Car, contrairement à ce que pourrait penser le Premier ministre, tous ceux qui seront prêts ou avec qui il a déjà discuté ne sont pas des imbéciles. Ils savent pertinemment qu’en dialoguant avec le chef du gouvernement, ils ne se doutent pas un instant qu’ils discutent avec le pouvoir. Après tout, ils savent que seul le Président de la République a réellement le pouvoir de décider, d’accepter ou pas les propositions qu’ils auront à faire.
Dans le premier point qui, pour nous, et on n’est pas le seul à le penser, est le plus important parmi les sept propositions, c’est le Pacte politique. D’entrée jeu, Jean Henry Céant propose clairement un « Partage de responsabilité avec l’opposition et la société civile dans le cadre d’un gouvernement d’ouverture mis en place par le pouvoir actuel ». Ce point est capital dans le document et il est même essentiel et pour le Premier ministre et pour la suite de la mobilisation anti-Jovenel dans les jours et mois suivants. C’est l’acceptation de cette proposition qui avait permis au Président René Préval et son chef de gouvernement d’alors, Jacques Edouard Alexis, de respirer jusqu’aux émeutes populaires dites émeutes de la faim qui avaient fini par emporter en 2008 le Premier ministre Jacques Edouard Alexis. Mais, malgré la chute de celui-ci, tous les gouvernements qui se sont succédé au pouvoir et ce jusqu’à la fin de la présidence Préval, étaient basés sur le modèle des gouvernements d’ouverture ou de consensus. Tous ont survécu au nom de ce Pacte. Or, en réalité, de Pacte de gouvernement, il n’y avait que le nom. Il n’y a eu aucune signature entre le pouvoir et les partis politiques. Encore moins des membres de l’opposition qui ont paraphé le moindre texte les engageant vis-à-vis du pouvoir.
(A suivre)