Où sont passées les recettes des entreprises autonomes de l’État ?

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Le Sénateur Joseph Lambert connaît parfaitement le fonctionnement de la plupart de ces entreprises autonomes surtout l’ONA où son nom était cité parmi tant d’autres dans une affaire de « prêt » sous la présidence de feu René Préval.

Il y a quelques semaines sur radio Magik9 à Port-au-Prince, le Président du Sénat de la République, Joseph Lambert, a lancé un pavé dans la mare sur les recettes des entreprises publiques autonomes. A notre grand étonnement, cette intervention du sénateur du Sud-Est est passée quasiment inaperçue dans les milieux politiques et même au niveau de la Société civile organisée. Pourtant, cette émission matinale, animée par une équipe conduite par Roberson Alphonse, est fort écoutée dans la capitale et ses banlieues. Pratiquement aucune reprise dans les autres médias. Sauf un article paru dans le quotidien Le Nouvelliste sous la signature de Jean Daniel Sénat en date du 29 janvier 2018 relatant l’entrevue.

Cette absence de commentaires des acteurs politiques et économiques et même du gouvernement, particulièrement du Ministère de l’Economie et des Finances, en dit long sur le regard que porte la société sur ces vaches à lait que sont ces entreprises publiques commerciales. Sur un point, l’on dirait que les acteurs socioéconomiques accueillent la déclaration du sénateur avec dédain. Jugée peut-être sans grande importance ; vu que les entreprises autonomes de l’Etat servent en général de sources de revenu personnel pour la plupart des hauts dirigeants du pays et en particulier pour les parlementaires de tout bord.

Mais si l’on veut porter un autre regard sur ce comportement cynique des acteurs, on peut aussi dire qu’il s’agit du m’en-foutisme qui caractérise le système de fonctionnement des élites haïtiennes. Bref, la déclaration du sénateur est donc considérée comme un non événement. Or, dans cette interview, le Président de l’Assemblée Nationale touche là un point capital dans le remplissage des caisses de l’Etat, ce qu’on appelle couramment, le Trésor Public. Se basant sur les dividendes de deux années fiscales qu’a perçues l’Etat en provenance des principales entreprises publiques autonomes, Joseph Lambert estime qu’il y a une grave anomalie à laquelle il faut toute suite apporter des corrections.

Le Président du Sénat de la République, Joseph Lambert

Son incompréhension et sa surprise s’expliquent du peu de recettes qu’ont versées au Trésor Public des entreprises publiques connues pour leur rentabilité et le peu d’investissement qu’elles font par ailleurs. Le sénateur reste dubitatif et s’interroge devant le chiffre de 483 millions de gourdes versés à l’Etat pour l’exercice fiscal de 2016-2017 par cinq entreprises commerciales de l’Etat dont on connaît le poids financier. Il s’agit de l’Autorité Portuaire Nationale (APN), l’Office d’Assurance Véhicules Contre Tiers (OAVCT), la NATCOM, l’Autorité Aéroportuaire Nationale (AAN), la Banque Nationale de Crédit (BNC) et l’Office d’Assurance Accidents du Travail, Maladie et Maternité (OFATMA). Si pour la Natcom, la deuxième entreprise de téléphonie mobile du pays, on peut être indulgent vis-à-vis de ses dirigeants compte tenu qu’ils ont des investissements assez lourds à effectuer pour contrer la concurrence de la Digicel, le numéro un du pays au capital 100/100 privée, pour les quatre autres entreprises, l’Etat est actionnaire majoritaire quand il n’est pas carrément le propriétaire à 100/100.

Le Président du Sénat veut donc connaître l’état financier de ces entreprises qui peuvent apporter une part significative dans le budget de l’Etat. Il a découvert avec effarement le montant de la redevance pour l’exercice fiscal 2017-2018 de ces entreprises vis-à-vis de l’Etat. Tout juste un petit ajustement qui ne changera rien de la balance budgétaire du pays, ce montant passant de l’ordre de 483 millions en 2016 à 548 millions de gourdes en 2017. Un chiffre ridicule qualifié de « pitance » par Patrice Dumont, un des sénateurs du département de l’Ouest. Le Président du sénat veut des explications ou du moins veut comprendre. Ce d’autant plus que Joseph Lambert connaît parfaitement le fonctionnement de la plupart de ces entreprises autonomes surtout l’ONA où son nom était cité parmi tant d’autres dans une affaire de « prêt » sous la présidence de feu René Préval. Le Président du Sénat n’avance pas masqué. Il réclame seulement un audit de certaines de ces entreprises entre autres l’Office National d’Assurance Vieillesse (ONA), l’Office d’Assurance Véhicules Contre Tiers (OAVCT) et l’Autorité Portuaire Nationale (APN).

C’est bien connu en Haïti, des entreprises comme APN, OAVCT et ONA, sont les chasses gardées des sénateurs et des députés

Tout le monde et les pouvoirs publics en particulier savent comment ces entreprises gargotent, gaspillent et utilisent des dizaines de millions de gourdes sinon plus tous les ans en finançant les parlementaires qui ont favorisé la nomination de leurs directeurs et autres responsables. C’est bien connu en Haïti, des entreprises comme APN, OAVCT et ONA, sont les chasses gardées des sénateurs et des députés qui nomment et révoquent à souhait pratiquement tous leurs dirigeants en accord avec le pouvoir exécutif. On connaît les multiples dérapages, frasques et largesses des Directeurs de l’ONA d’hier et d’aujourd’hui avec l’argent des contribuables et les cotisations des petits ouvriers et employés. Qui ne se souvient pas de l’affaire Sandro Joseph du temps du Président René Préval ?

Ce Directeur de l’ONA qui s’amusait à payer cash des voitures neuves à ses maîtresses en guise de cadeau d’anniversaire. Ce scandale avait soulevé une vague d’indignation au sein de la société ; mais aucune leçon n’a été tirée, bien que cette affaire avait mis en lumière la profondeur de la corruption au sein de cette entreprise publique et démontré combien les dirigeants de cet organisme public autonome pouvaient disposer à leur guise des fonds appartenant aux sociétaires.  On avait aussi appris que tout un aéropage de personnalités politiques, de notables, de parlementaires et des membres de la Société civile avaient des prêts défiant toute concurrence auprès de cet organisme d’assurance chômage. Mais cela n’a pas changé pour autant le fonctionnement non seulement de l’ONA, mais aussi des autres qui ne  s’en différencient guère dans leur gestion. L’autre vache à lait de l’État et aussi de ses responsables se nomme OAVCT. Cette entreprise publique d’assurance de véhicules ne couvre en réalité qu’une infirme partie d’accidents causés par ses assurés.

OAVCT est l’exemple type des organismes publics autonomes qui, en théorie, devraient rapporter énormément d’argent dans les caisses du Trésor Public. Dans la mesure où, même si le propriétaire dispose d’une vraie police d’assurance, tout véhicule à moteur se trouvant sur le territoire national doit être obligatoirement assuré par elle. Parfois, disons souvent, sans aucune garantie ni protection de sa part. Des millions de gourdes enregistrés pratiquement au quotidien qui ne servent qu’à remplir les poches de ses dirigeants et de la plupart des autorités de l’Etat. Des entreprises types OAVCT, ONA, APN ne peuvent être déficitaires puisqu’elles n’investissent pratiquement pas et n’ont quasiment aucun passif. Quant à la BNC, cette banque publique à caractère commercial est depuis toujours bénéficiaire même si elle continue son déploiement dans le pays et donc consentit des investissements pour sa modernisation. Une politique payante puisqu’aujourd’hui la BNC est au troisième, sinon, au deuxième rang des banques commerciales haïtiennes.

En clair, elle est censée rapportee gros à l’Etat, actionnaire majoritaire. Pour la Natcom, la situation est plus compliquée. Dans cette entreprise semi-publique, l’Etat n’a pas le contrôle vu qu’il est actionnaire minoritaire. Il est représenté par la Banque de la République d’Haïti (BRH) dans son Conseil d’Administration. Les bénéfices et les dividendes sont plus difficiles à quantifier et d’évaluer. Néanmoins, la Natcom rapporte de l’argent au Trésor Public bien que cela reste assez opaque. D’où peut-être la sonnette d’alarme lancée par le sénateur Joseph Lambert afin qu’il y ait un audit sur la gestion et les comptes de ces entreprises publiques auxquelles les pouvoirs publics contribuent tant à leur  développement qu’à leur épanouissement, sans participer à leur gestion. Des entreprises comme AAN, APN, OFATMA, BNC, OAVCT, ONA et Natcom peuvent à elles seules contribuer de manière très significative au budget national puisqu’elles ont un trésor de guerre à leur disposition.

D’ailleurs, Joseph Lambert et son collègue Patrice Dumont ne sont pas les premiers ni les seuls à s’étonner du peu d’apport de ces entreprises publiques autonomes au budget de l’Etat. Plusieurs économistes de renom du pays entre autres Etzer Émile se sont penchés sur la question en soulignant la complaisance de l’Etat actionnaire et propriétaire vis-à-vis de ces entreprises. L’autonomie, en effet, ne signifie point indépendance. Et encore. L’Etat ne peut se décharger et laisser piller ses biens sous prétexte d’autonomie de gestion.

Ces Entreprises doivent pouvoir contribuer à une hauteur beaucoup plus conséquente aux Comptes de l’Etat qui peine à boucler ses fins de mois. Tandis que les dirigeants de ces entreprises gaspillent ou distribuent aux parlementaires et autres agents de l’Etat les fonds qui auraient dû atterrir dans les caisses du Trésor Public. Le Président de l’Assemblée Nationale, en réclamant cet audit pour les entreprises publiques autonomes, donne à l’Etat actionnaire, si vraiment cela l’intéresse, l’occasion de connaitre réellement les fonds de ses propres entreprises. Car, il est insensé que ces cinq entreprises publiques n’apportent qu’une « pitance » de huit millions de dollars américains l’an dans les caisses de l’Etat. Alors que l’AAN et l’APN sont tous les jours des pourvoyeurs de devises américaines compte tenu de leurs activités respectives et exclusives dans le domaine des transports aéroportuaires et maritimes. A en croire le sénateur Lambert, l’Etat ne connaît pas très bien le fonctionnement des entreprises publiques autonomes. Pour lui, c’est une aberration qu’il faut vite corriger.  Les pouvoirs publics sont en droit de connaître comment sont dirigées ces entreprises et surtout combien elles rapportent réellement à la collectivité nationale.

A en croire le sénateur Lambert, l’Etat ne connaît pas très bien le fonctionnement des entreprises publiques autonomes.

Que ces cinq entreprises réunies ne fournissent que 500 millions de gourdes est intolérable et incompréhensible pour la population qui a aussi le droit de connaître la vérité. Où sont passées les recettes des entreprises autonomes de l’Etat? Le sénateur du Sud-Est est soutenu dans ses démarches par d’autres initiatives, par exemple celle du sénateur Patrice Dumont qui a déjà écrit au ministre de l’Economie et des Finances, Jude Alix Patrick Salomon, pour s’inquiéter de cet état de fait. Mais aussi pour avoir plus d’explications. Le Président du Sénat ouvre là un dossier qui mérite le soutien et l’appui de l’ensemble du Corps législatif pour que la lumière soit faite. Après tout, ces entreprises publiques autonomes appartiennent à l’Etat, en l’occurrence à tous les Haïtiens et donc aux électeurs qui en demandent des comptes. Joseph Lambert qui promet une présidence différente de celle de son prédécesseur de l’Artibonite, Youri Latortue, s’il obtient cet audit des entreprises publiques autonomes pendant son nouveau mandat à la tête de l’Assemblée Nationale, fera vraiment la différence. En tout cas, le fait même de soulever la question mérite d’être encouragé et ce pour une plus grande transparence dans la gestion et le fonctionnement des biens appartenant à l’Etat donc faisant partie du patrimoine  national.

C.C

 

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