Oppositions et Jovenel Moïse, dialogue impossible !

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Youri Latortue et Jovenel Moise

Ah comme il est difficile de s’asseoir entre Haïtiens ! C’est le triste constat fait par un membre de la hiérarchie de l’église catholique haïtienne après les semaines de cafouillage qu’on a enregistrées en Haïti suite à l’appel au dialogue lancé par certains partis politiques de l’opposition plurielle. Au cours de la première semaine du mois d’avril 2021, le pays et les médias en particulier avaient été informés dans une note de presse publiée par l’organisme œcuménique : Religions pour la Paix Haïti (RPPH), indiquant qu’il vient d’être chargé d’une mission de médiation initiée par quatre partis politiques de l’opposition sur la crise politique haïtienne. Les quatre formations politiques à l’origine de cette énième tentative sont : AAA (Artibonite An Aksyion) de l’ancien sénateur Youri Latortue, UNIR-Haïti dirigé par le journaliste Clarens Renois, MTV-Ayiti (Mouvement Troisième Voie) présidé par l’homme d’affaires Dr Réginald Boulos et ANFOS (Alliance Nationale des Forces Organisées pour la Solidarité) dont l’ancien sénateur Simon Dieuseul Desras est l’un des dirigeants.

 Elles sollicitent l’organisation religieuse pour prendre contact avec le pouvoir en vue de renouer le dialogue forcément dans la perspective de trouver un accord sur cette crise qui perdure. C’est une initiative qui était en cours depuis la fin du mois de janvier 2021 à l’approche du 7 février 2021, date à laquelle, selon les oppositions, Jovenel Moïse aurait dû quitter le Palais national. Mais, personne n’avait pipé mot pendant que les dirigeants de Religions pour la Paix Haïti entamaient discrètement les premières démarches avec les autres organisations politiques. Prudents, compte tenu des précédentes initiatives qui s’étaient toutes soldées par des échecs cuisants, les responsables de Religions pour la Paix Haïti voulaient, dans un premier temps, garder le secret sur les noms de ceux qui l’avaient sollicitée pour cet exercice incertain et périlleux tant cette affaire de dialogue demeure une Arlésienne, sinon, un dossier brulant et source de mésentente. 

 Même la branche vaudouïsante de cette assemblée œcuménique n’a pas voulu s’exprimer ouvertement tant que tous les acteurs ne se seraient informés de cette initiative. La manbo Euvonie Georges Auguste, de la Conférence Nationale des Vodouisants Haïtiens (Konfederasyon Nasyonal Voudouizan Ayisyen » (KNVA), l’une des responsables de cette structure pluri-religieuse contactée tout au début sur le sujet par la presse a avancé prudemment « Il n’y pas encore de matières à divulguer puisque c’est un processus qu’on essaie de mettre en place » disait-elle. C’est durant les fêtes de pâques que l’information avait fini par fuiter. Une fuite, certes, volontaire de la part des dirigeants de Religions pour la Paix souhaitant sans doute sonder ou commencer à déminer le terrain. Finalement, ils avaient tous raison d’être prudents. En effet, sous la pression constante de la DIRPOD (Direction Politique de l’Opposition Démocratique), le fer de lance des oppositions au Président Jovenel Moïse, l’organisme religieux a dû révéler en catastrophe l’identité de tous les dirigeants politiques ayant faire la démarche auprès de ses services pour tenter de se rapprocher de l’équipe du chef de l’Etat. 

 Sitôt la nouvelle rendue publique, l’affaire tourne au psychodrame entre d’une part les leaders de l’opposition radicale, particulièrement le Secteur Démocratique et Populaire (SDP) le groupe mené par Me André Michel, et d’autre part au sein même de Religion pour la Paix.  On se souvient qu’il y a déjà eu plusieurs ratages dans cette sempiternelle recherche de dialogue entre les deux protagonistes à savoir l’opposition plurielle et le pouvoir. En 2019, c’était la présidence de la République qui sollicitait cet organisme comme médiateur. Mais, compte tenu de la tension politique et le climat social de l’époque, Religions pour la Paix avait décliné l’invitation du pouvoir qui voulait l’avoir comme médiatrice dans cette crise politique sans fin. Pour la dernière en date, l’initiative venait directement de Religions pour la Paix qui souhaitait voir s’il serait possible de mettre face à face les acteurs de la crise politique. 

 Mais, très vite, l’affaire avait fait un tel tollé que les dirigeants de cette plateforme interreligieuse avaient rapidement abandonné le projet. Cette fois-ci, Religions pour la Paix n’était pas demandeuse. Elle avait accepté seulement de jouer les bons offices après consultation auprès de la branche internationale de l’organisme interreligieux qui, en quelque sorte, lui avait donné le feu vert à en croire le courrier qui a été envoyé par le Secrétariat de Religions pour la Paix Haïti aux différents leaders de l’opposition plurielle. En effet, le Révérend pasteur Clément Joseph du Secteur protestant, en tant que Secrétaire général de l’organisation, avait pris le soin d’expliquer les raisons pour lesquelles son organisation avait accepté de répondre positivement aux demandes des dirigeants politiques de UNIR, AAA, ANFOS et MTV en quête d’un dialogue qui paraît impossible. Dans un long courrier en date du 31 mars 2021 adressé aux responsables de la Direction Politique de l’Opposition Démocratique, l’ex-Secrétaire général, puisqu’entre-temps il a démissionné de l’organe de Religions pour la Paix Haïti suite aux controverses qu’a suscitées cette initiative, pasteur Clément Joseph écrit : « Comme le plan quinquennal 2020-2025 de Religions pour la Paix Haïti ne considère pas le volet médiation entre des leaders politiques, elle avait décliné ces demandes. 

« Tous les groupes et formations politiques ont le même objectif : faire partir Jovenel le plus tôt possible.

Cependant, la détérioration des conditions socio-économiques du peuple haïtien, les cas de kidnappings à répétition, l’insécurité généralisée et la polarisation de la situation politique du pays ont contraint Religions pour la Paix Internationale à publier un communiqué le 9 mars 2021 invitant les protagonistes de la crise haïtienne à dialoguer afin de trouver une solution négociée à cette crise qui a trop duré. Dans cette même note, Religions pour la Paix Internationale encourage Religions pour la Paix Haïti à répondre favorablement à toute demande de médiation qui viendrait des partis ou regroupements politiques et de la société civile. C’est ce cheminement qui a conduit RPPH à répondre favorablement aux demandes des uns et des autres et amorcer cette initiative de médiation en s’adressant à MTV et AAA (les premiers demandeurs) et à d’autres partis ou regroupements politiques incluant le parti au pouvoir ». Sur ce point, il n’y a pas de malentendu. Il est clair que c’est bien une initiative de certains chefs de l’opposition plurielle et pas de Religions pour la Paix Haïti. 

 D’ailleurs, cette démarche est confirmée par tous ceux ayant contacté ou sollicité le Secrétariat de cette organisation religieuse, certes, de moins en moins respectée par la classe politique dans un contexte où tout le monde se méfie de tout le monde. Que ce soit le Président du Mouvement Troisième Voie (MTV), Réginald Boulos, que ce soit le chef de UNIR, Clarens Renois, sans oublier le tout puissant patron de l’AAA, Youri Latortue, tous soutiennent que c’est bien à l’initiative de leurs partis que Religions pour la Paix s’est adressée aux autres acteurs y compris ceux qui sont proches du pouvoir. Selon Dr Boulos : « Tous les groupes et formations politiques ont le même objectif : faire partir Jovenel le plus tôt possible. Aucune stratégie n’est forcément meilleure que d’autres. Et toutes les stratégies sont importantes. La négociation, la mobilisation, la coopération avec les canaux diplomatiques. Nous ne sommes pas dans une confrontation avec nos amis de l’opposition tant que l’objectif est le même. 

Mgr Pierre André Dumas

 Il y en a qui croient que la stratégie du « Peyi Lòk » est la meilleure. D’autres utilisent les manifestations intensives. Le MTV-Ayiti salue le courage de tous ceux qui contribuent à la bataille, quelle que soit leur stratégie. Sauf celle qui consiste à « dekòde » lorsque tous les autres sont en train de « kòde ». Le MTV-Ayiti a choisi depuis plusieurs mois la stratégie de la négociation pour aboutir à la mise en place d’une gouvernance sans Jovenel Moïse ». Même son de cloche de Clarens Renois estimant qu’il faut dialoguer avec tout le monde. D’après ce journaliste devenu dirigeant politique « Dire non au dialogue, c’est ouvrir la porte à la confrontation, c’est choisir la violence comme arme politique. Dire non au dialogue, c’est tourner le dos à la démocratie » avance le Coordonnateur de UNIR-Haïti. Pourtant, une fois de plus, l’affaire va faire un flop. 

 Et la crédibilité de Religion pour la Paix va être rudement mise à l’épreuve jusqu’à ouvrir une énorme brèche au sein de la direction de cette institution religieuse. Puisque l’opposition radicale va mettre en cause l’indépendance de certains responsables de RPPH par rapport au pouvoir PHTK. Dès la réception de la correspondance de Religions pour la Paix, les dirigeants de la Direction Politique de l’Opposition Démocratique (DIRPOD) vont monter au créneau et marquer leur opposition à cette idée de dialoguer avec Jovenel Moïse. Le Secteur Démocratique et Populaire (SDP), toujours sous l’impulsion de Me André Michel, s’enflamme et presse la DIRPOD de donner une fin de non recevoir à l’idée de s’asseoir autour d’une table avec le pouvoir. Les radicaux vont mettre en doute l’honnêteté et l’objectivité de l’organisation religieuse tout le long de cette crise politique allant même à suspecter certains responsables de connivence avec le régime Tèt Kale. « Le Secteur Démocratique et Populaire demande à la DIRPOD de se démarquer de la démarche de médiation initiée par Religions pour la Paix. 

Le Secteur Démocratique et Populaire (SDP)

 Cette démarche, entourée de trop de confusions, est entachée d’irrégularités et ne peut que contribuer à compliquer la crise qui ravage le pays. La structure Religions pour la Paix, de par sa dépendance liée aux privilèges accordés par le pouvoir PHTK à certains de ses membres, n’a pas l’indépendance politique et l’autorité morale nécessaires pour conduire une telle démarche » avancent sans nuance les leaders de cette branche de l’opposition. En fait, les responsables du Secteur Démocratique et Populaire font allusion à Mgr Ogé Beauvoir qui serait, d’après eux, un soutien du pouvoir. Ainsi, dans un courrier à l’intention de Religions pour la Paix, la DIRPOD indique qu’elle n’est pas intéressée et n’entend pas s’asseoir avec des gens qui pensent qu’il faut discuter avec Jovenel Moïse. « La DIRPOD n’entend pas trahir les revendications des démocrates haïtiens ni s’engager dans la répétition de discussions stériles visant uniquement à affaiblir la mobilisation populaire et à accorder un sursis à celui qui occupe illégalement le Palais national pour mettre en œuvre ses plans d’organisation d’un référendum inconstitutionnel et des élections truquées pour garder le pouvoir. 

 La Direction Politique de l’Opposition Démocratique (DIRPOD) affirme qu’elle est engagée avec les partis et regroupements politiques de l’opposition et des organisations de la Société civile dans une unité d’action visant à œuvrer de manière désintéressée pour sortir le pays de cette crise institutionnelle et sociopolitique. La DIRPOD demeure en accord total avec les exigences formulées par l’ensemble de la population en faveur du respect de la Constitution, de la fin de l’insécurité et de l’impunité. » Suite à cette réponse de la plus importante organisation regroupant les principales structures politiques de l’opposition, le moins que l’on puisse et sans jeu de mots, la messe était dite. C’est comme si le message était passé d’une bouche à l’autre. L’initiative du Dr Réginald Boulos et ses camarades a essuyé un refus catégorique du reste de l’opposition qui ne voit aucune utilité d’un dialogue qui, de toutes les façons, ne devrait rien apporter de concret. 

 Un échec de plus à la recherche de solution dans la longue marche vers le chaos. D’après Clarens Renois, « L’échec de cette tentative de dialogue est une déception. Le dialogue doit l’emporter et l’emportera un jour. Il n’est pas loin ce jour. » Un beau rêve somme toute. Mais le mal est fait. Surtout la zizanie ne concerne pas seulement le camp politique. Cette tentative de dialogue va laisser des traces au cœur même des membres de Religions pour la Paix qui, depuis l’abandon du projet, ne cessent de s’entre-déchirer. Entre-temps, l’organisation fait sortir un communiqué le lundi 12 avril 2021 annonçant qu’elle quitte le processus de dialogue. Une note signée de son Secrétaire général dans laquelle elle détaille les raisons pour lesquelles elle abandonne le processus de dialogue qu’elle souhaitait mettre en place avec tous les acteurs. « Par la présente, la plateforme interreligieuse, Religions pour la Paix Haïti (RPPH), vous remercie pour votre intérêt et votre solidarité au processus de paix initié depuis le mois dernier en vue de trouver une solution pacifique à la crise que vit Haïti. 

Une note signée de son Secrétaire général dans laquelle elle détaille les raisons pour lesquelles elle abandonne le processus de dialogue qu’elle souhaitait mettre en place avec tous les acteurs.

 Elle en profite pour exprimer sa gratitude à l’égard des partis et regroupements politiques qui avaient sollicité ses bons offices pour ce processus de dialogue et de paix. La plateforme précise que sa décision a été prise après l’évaluation de la situation telle qu’elle s’est développée durant ces derniers jours. Par ailleurs, la RPPH estime que le moindre mal pour la plateforme est de se retirer de ce processus tout en gardant l’espoir de pouvoir continuer à servir le pays autrement. Ainsi, la plateforme interreligieuse, Religions pour la paix Haïti (RPPH), reste à la disposition du pays pour tout autre service et encourage toute autre initiative de dialogue qui tend vers une solution pacifique de cette crise » note pasteur Clément Joseph avant sa démission de la plateforme religieuse. 

 Mais, après avoir été désavoué par la plupart des dirigeants politiques y compris Youri Latortue qui s’en défend d’avoir écrit à Religions pour la Paix Haïti pour lui demander ses services, le leader de AAA a reconnu seulement avoir sollicité Mgr Pierre André Dumas lors d’une rencontre politique tenue au début de l’année 2021 pour jouer sur « toutes ses forces morales » afin de faire comprendre au Président Jovenel Moïse que son mandat était arrivé à son terme et qu’il devait quitter le pouvoir. Il y a eu des pertes en cours de route dans l’équipe de Religions pour la Paix Haïti. Tout d’abord, le pasteur Clément Joseph qui représentait le Secteur protestant au sein de la plateforme interreligieuse et qui était Secrétaire général de l’organisation interconfessionnelle avait jeté l’éponge. 

 Celui qui semble porter la responsabilité de cet échec a remis sa démission dans la foulée de la polémique sur l’opportunité ou non d’une telle initiative. L’ex-Secrétaire général de la plateforme se disait « attristé et choqué par les déclarations publiques qui ternissent cruellement l’image de la plateforme. » Il faut dire que, dès le départ, l’affaire était très mal partie. Puisque, même le Président de Religions pour la Paix Haïti, monseigneur Pierre André Dumas, était en désaccord avec l’initiative engagée par l’organisation qu’il préside. Selon Mgr Dumas, l’Evêque de Miragoâne et d’Anse-A-Veau dans les Nippes, dès le début, il sentait que l’affaire allait mal tourner. Et pour cause. « Je n’ai jamais signé en faveur de cette initiative que je ne comprenais pas trop bien d’ailleurs. 

 Je porte toujours plusieurs casquettes comme citoyen et chrétien catholique engagé et donc leader religieux et fanatique du dialogue comme moyen de résoudre pacifiquement les conflits entre frères visant les intérêts supérieurs d’Haïti. En tant qu’évêque sensible aussi à la cause des pauvres et au devenir de la nation, j’ai agi donc selon mes convictions profondes et dans le respect scrupuleux de ma foi d’évêque disant comme Pierre et Jean, je préfère obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes », explique l’évêque qui n’a toujours pas compris les bien-fondés de cette affaire. D’ailleurs, selon lui, « Il y avait trop d’anguilles sous roche pour pouvoir se lancer dans cette aventure sans fin dont les résultats étaient déjà hypothéqués à l’avance. Et aussi, même quand on aurait un accord partiel et limité avec quelques acteurs réduits, cela ne pourrait pas, à mon avis, endiguer la crise. Car elle est trop profonde et vraiment tortueuse ». En clair, monseigneur Pierre André Dumas n’étant pas né de la dernière pluie, connaît parfaitement les uns et les autres du monde politique haïtien. 

 À l’écouter, aucun de ceux qui ont cherché à avoir le soutien ou la bénédiction de sa plateforme religieuse n’est sincère dans sa démarche. Pour l’homme d’Église, il faut être certain que tous les acteurs veulent bien entamer le dialogue, sinon cela ne sert à rien de monter un show médiatique qui n’aboutira qu’à un énième échec. Enfin, l’Evêque des Nippes croit que « Nous devons être certains que le tout est supérieur aux parties comme la main par rapport aux doigts. En guise de conclusion, je pense que ç’aurait été mieux de prendre ce risque de recherche de consensus avant la date fatidique du 7 février qui était déjà très discutée entre les protagonistes. La Conférence Episcopale d’Haïti (CEH) dont je suis membre, dans son message de Noël 2020, avait lancé cette requête mais nous n’avons jamais eu de réactions substantielles et consistantes de la part des acteurs ». En clair, cette affaire de dialogue n’était qu’un écran de fumée. 

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