Men wi, gen bouch

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Les forces vives de la nation doivent pouvoir s’unir sans désemparer jusqu’à renverser Jovenel, cette monstrueuse pesanteur politique qui menace d’écraser de son poids meurtrier l’avenir du pays, à force de discours mensongers, de promesses jamais tenues et de flagrante corruption.

Nous n’avons point de bouche pour parler”, écrivait Anthony Phelps. C’était au temps de la dictature satrapique de Papa Doc, quand nous étions muselés, babouquettés, camisolés de force, quand à la moindre tentative de dire la première syllabe du mot liberté, de défendre notre droit à la parole, les sbires en gros bleu macoute de l’impitoyable tyran montaient la garde, veillant à ce que nous ne dîmes ni ne fîmes kwik.

Merci au poète de nous avoir tenus compagnie  en ces temps ténébreux de duvaliérofolie, quand ma grand-mère paternelle elle-même disait: nan pwen bouch, nou kòm bèbè. Alors que la parole a été libérée depuis cet historique et mémorable 7 février 1986, aujourd’hui, en plein dans le chaos politique cacophonique qui étouffe la nation, il nous faut de préférence dire : men wi, gen bouch pou pale. Sans vouloir déplaire aux grammairiens, disons-le carrément : la chose est raide, mais gen bouch.

Phelps ajoutait : « Les mots usuels sont arrondis, collant du miel de la résignation ». Merci encore au poète pour sa collante et arrondissante métaphore. Mais au temps aberrant et scabreux de Jovenel Moïse, un président tout en brisure, les mots échappent à toute arrondissure. Nous les voulons carrés, rectangulaires, triangulaires, pentagonaux, hexagonaux, trapézoïdaux, n’importe quoi mais pas arrondis.                                                                                                                                     Gardons notre miel pour fortifier le courage des camarades en lutte. Nos mots à l’endroit de Jovenel ne sauraient être de résignation. Ils doivent être de dénonciation, de revendication, acides en images fortes qui commencent à cisailler la peau politique du « paysan » embourgeoisé et présidentialisé. Ils doivent être de nature bromhydrique, cyanhydrique, borique, nitrique, chlorhydrique ou sulfurique, peu importe leur ‘‘iqueté’’ pourvu que ça pique, taillade le cuir de Jovenel et accélère son déchiquettement politique.

Men wi gen bouch. Il nous faut parler haut et fort, de façon percutante, sans désemparer, sans jamais nous décourager. Les mots acides, dénonciateurs, rassembleurs de force mobilisatrice des idées, ceux des hommes et des femmes de courage, doivent être, à l’heure qu’il est, les armes de tout citoyen de bonne volonté pour extirper le mal jovenellien.

L’opposition, sans doute disjointe, branlante, pusillanime, peureuse, particulièrement son aile encore à la traîne du clan le plus réac de la bourgeoisie, doit se résigner à s’armer de force et de mots acides, brûlants, perçants, vrillants, taraudants, villebrequinants, pour percer, briser et émietter la carcasse politique de Jovenel et de ses acolytes.

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C’est à force de taraudance, vrillance, vaillance et villebrrequinance de la part des acteurs politiques haïtiens conséquents, nasyonalnasyono, appuyés par la marée populaire, que, je wont je, les décideurs locaux et internationaux agissant dans les coulisses finiront par jeter du lest et, le moment final venu, bousculer Jovenel ainsi que ses comparses, les pousser tous par la porte arrière de la honte.

Le temps n’est plus au lakòl de la résignation, nos lèvres ne sont plus collées d’aucun miel de désespérance, d’acceptation, voire de démission. La parole libérée ne sera plus jamais captive. Que Jovenel se le tienne pour dit et se tienne coi ! Il faut que de la bouche des masses populaires, de tous ceux et de toutes celles qui prétendent être leur porte-parole, leur haut-parleur, le débit de dénonciation, nommément des responsables de la catastrophe nationale, coule en jet puissant, continu, artibonitien de façon à balayer, emporter la malfaisance jovenello-PHTKiste.

Dans le temps, nous disions à la lavandière au bord de la rivière : « gen dlo, gen savon, gen lanmidon, sa k fè w pa lave, nègès ? » Aujourd’hui, au bord du trou sans fond, de l’abîme dans lequel Jovenel veut précipiter les Haïtiens, gen tèt, gen lide, il y a suffisamment d’esprits bien-pensants, de têtes pensantes, bien équilibrées pour organiser une massive levée de boucliers non pas seulement contre l’ignominieux Jovenel mais contre tout l’appareil politique pervers, malveillant, malfaisant, haineux, fielleux qui le soutient, l’encourage dans la malvivance, la malveillance, la malfaisance et l’ignominiance.

Il appartient à toute cette frange du milieu haïtien censée avoir de la visibilité et du « poids politique » de se faire entendre, parce que wi, nou gen bouch, tout bouch nou pou n pale. Les médias, les chroniqueurs, les faiseurs d’opinion, les analystes, les décortiqueurs de la situation politique, particulièrement  ceux et celles  qui se disent ou se savent progressistes, les institutions supposées défendre les droits des citoyens, les églises, oui, les églises, ces lieux de pouvoir qui ont toujours  pactisé avec quasiment tous les pouvoirs, toutes ces instances doivent conjuguer leurs efforts de façon continue, ferme pour déboucher sur une solution finale dans l’intérêt de la nation et surtout des couches défavorisées.

Une lettre « pastorale », un ti kominike par-ci, un gros communiqué par-là, une déclaration tonitruante, une rencontre à la hâte avec la presse, une table ronde (ou rectangulaire), un chita tande arrosé de vin à l’hôtel Kinam et autres interventions de la sorte, seulement à l’occasion, ne suffisent pas.

C’est cent mille fois sur le métier de la dénonciation des imposteurs locaux et internationaux que les acteurs politiques haïtiens doivent sans cesse, sans complaisance, sans mesquinerie, remettre leur ouvrage. Ils doivent souvent polir, ajouter, mais jamais ils ne devraient effacer, je devrais plutôt dire ne jamais reculer, tergiverser, calbinder. Pour être dans le bain haïtien, ils doivent être, 24 sur 24, dans le fiftiwann des profiteurs, des abuseurs de pouvoir et des mystificateurs de la population.

Même quand l’atroce devient en Haïti la règle, le nouveau credo, la nouvelle philosophie du pouvoir, et même quand selon d’anciennes habitudes nous sommes portés à poétiser, à dire « nous n’avons point de bouche pour parler », les temps ont changé. Le jeu force à couper, autrement Jovenel et les siens vont finir par « couper », croyant posséder l’as d’atout. Ils vont « couper », nous couper aussi, nous filanguer, nous taillader jusqu’à faire de nous des andui, des ti sale.

Men wi gen bouch, et nous devons nous servir de cette bouche, de cette force, l’utiliser à bon escient pour sortir du malheur jovenellien. Aussi les forces vives de la nation doivent pouvoir fiftiwanner sans désemparer jusqu’à renverser Jovenel, cette monstrueuse pesanteur politique qui menace d’écraser de son poids meurtrier l’avenir du pays à force de discours mensongers, de promesses jamais tenues et de flagrante corruption.

Et telefòn ne lâchez pas ! À la revoyure !

17 février 2020

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