Mais où est passée l’opposition haïtienne ?

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Manifestation au Cap Haïtien contre Michel Martelly le jeudi, 27 septembre 2012 (Photo: Gérard Maxineau/Le Nouvelliste).

Autre temps, autre mœurs! Plus d’une année après sa prise de pouvoir, le célèbre inconnu de la République, Jovenel Moïse, poursuit sa marche, seul, sur le boulevard de la tranquillité politique. En face de lui, aucun obstacle politique. L’opposition n’est plus visible dans l’écran radar depuis bien longtemps. Les 150 partis politiques, voire plus, profitent de leur manne financière venue de la loi sur le financement des Partis politiques pour laisser Jovenel en paix. Ils  ne sont pas tous aux abonnés absents. En fait, une bonne partie d’entre eux n’ont jamais existé vraiment en tant que tel. Mais ce qui inquiète, c’est le silence des autres. Les vrais. Ceux qui ont pignon sur rue. Ceux qui ont une adresse avec des dirigeants connus pour leur pugnacité politique. Pire, même ceux connus pour leur capacité de nuisance font le mort. Disparus. Terrés dans un silence qui en dit long sur leur motivation réelle.

La division qu’a engendrée la distribution des émoluments aux Partis politiques ne peut à elle seule être responsable de l’absence de mobilisation des Mouvances et autres Organisations Populaires (OP) contre le pouvoir. Traditionnellement, même si les formations politiques ne montent pas en première ligne contre le régime en place, les OP qui fonctionnent en loup solitaire ne répondant à aucune consigne ne se gênent pas pour faire entendre leurs voix. En général, les Organisations Populaires ont toujours des revendications à faire, histoire de survivre à la disette après élection. Rien. Absolument rien de tout çà. Mais qu’est-ce qui se passe au pays des deux Moïse – Jovenel et Jean-Charles – ? La République s’inquiète du manque d’animation politique de ces groupes qui ont tenu la dragée haute durant quasiment cinq longues années à l’ex-Président Michel Martelly. L’élection de son dauphin en 2016, selon toute logique, ne devrait pas mettre fin à cette intense activité qui, pour certains groupements, relève du professionnalisme.

Mais qu’est-ce qui se passe au pays des deux Moïse – Jean-Charles et Jovenel ?

En tout cas, c’est ce qu’on pensait dans le milieu des observateurs dans la mesure où Jovenel Moïse est l’héritier politique direct de Sweet Micky qui lui a d’ailleurs passé non seulement la commande du Palais national, mais aussi de son parti, PHTK (Parti Haïtien Tèt Kale). Or, il se trouve que depuis le 7 février 2017, sur le plan des grandes manifestations politiques de l’opposition, c’est le calme plat. Certes, le pays s’habitue à ce genre d’accalmie politique après la tempête électorale des partis qui ne profitent que de la période du processus électoral pour se faire connaître dans l’opinion. Une fois que le nouveau Président de la République prend possession du Palais, la tension baisse d’un cran après quelques protestations de pure forme. Sauf exception notoire avec Jean-Bertrand Aristide en 2001. Même Michel Martelly avait eu sa période de grâce politique durant quasiment six mois. Mais pour Jovenel Moïse, il semble que les choses se compliquent davantage pour l’opposition qui peine à se relever après quasiment quatre années de lutte acharnée.

Surtout qu’elle a dû affronter un processus électoral sans précédent et particulièrement long qui s’est soldé par un échec cuisant. Puisque l’adversaire identifié de longue date a eu contre vents et marées gain de cause à la surprise générale. Epuisée, catastrophée et devenue quasiment amorphe, l’opposition semble perdre sa combativité et toute la fougue qui la caractérise depuis des lustres. Qu’est-ce qui a bien pu se passer pour traduire une telle capitulation de l’opposition face à un Jovenel Moïse qui semble prendre de la tangente ?  Pourtant, l’homme à la banane ne fait rien d’extraordinaire sur le plan politique. Encore moins de réalisations conséquentes qui puissent lui conférer une telle assurance et lui permettre d’écraser tous ses adversaires réels ou supposés. Les observateurs ont beau se questionner sur l’un des partis les plus combatifs du paysage politique haïtien, à savoir la Fanmi Lavalas. Ils se demandent où est passée sa cheffe, le docteur Maryse Narcisse ? Que fait-elle ? Qu’est-ce qu’elle mijote dans les coulisses ? A-t-elle un plan de rechange qu’elle est en train de peaufiner avant de se lancer à l’assaut de Jovenel Moïse ? Son silence signe-t-il l’acceptation enfin de l’élection de son rival qu’elle n’a jamais voulu reconnaître ?

le pays n’a enregistré aucune manifestation anti-Jovenel d’envergure depuis le début de l’année.

Bien des questions restant sans réponses pour le moment intriguent certainement les analystes et observateurs politiques haïtiens, ce silence assourdissant de la dirigeante de Fanmi Lavalas sur la politique que mène le gouvernement ne peut que rassurer l’homme à la « Caravane » dans ses pérégrinations à travers le pays et à l’étranger le mettant en situation de supériorité politique sur l’opposition en général. En effet, le pays n’a enregistré aucune manifestation anti-Jovenel d’envergure depuis le début de l’année. Les ténors lavalassiens sont tous devenus des attentistes qui espèrent un faux pas de Jovenel pour prendre le train en marche. Ils ne provoquent plus le pouvoir en place comme il est de coutume avec cette organisation politique. Ils sont devenus tout à coup des enfants sages attendant calmement chacun de son côté que les événements arrivent pour qu’on sollicite leur avis et ou leur concours.

Pendant ce temps, le Président Jovenel Moïse fait comme s’il était seul dans le champ politique haïtien. Il est présent partout dans le pays. Même pour l’atterrissage au Cap-Haïtien, le 11 avril 2018, d’un banal avion de Spirit Airlines en provenance de Fort-Lauderdale, en Floride, pour prendre la parole afin de dire tous les biens de sa politique. Laissant son Premier ministre Jack Guy Lafontant enfermé dans son blockhaus de Primature au bicentenaire à Port-au-Prince. Jovenel Moïse est sur les nuages. Il n’y a aucun obstacle en face de lui. Maryse Narcisse ne donne plus signe de vie. Elle reprend, semble-t-il, ses activités de médecin. Sak vid pa kanpe. En attendant de nouveaux scrutins qui ne sont pas programmés pour tout de suite. L’autre grande voix que la République n’entend plus, en tout cas pas sur le macadam, c’est l’ex-sénateur et ancien candidat à la présidence, Jean-Charles Moïse. Très affaibli après sa maladie, cet enfant prodigue de lavalas a bien tenté de reprendre du service après son retour de Cuba, mais peine perdue. Il semble qu’il n’a plus la force de se battre maintenant.

Lui aussi, après plusieurs tentatives de monter une manif anti-Jovenel sans succès, préfère marquer le pas. Tout le monde qui le rencontre le trouve un peu amer ces temps-ci envers ces anciens camarades de l’opposition qui sont tous partis voir ailleurs. Certains se retrouvent  dans les promesses de Jovenel qui leur promet de les intégrer dans son dispositif. D’autres, les plus radicaux, ont monté leurs propres structures, histoire de se positionner pour les années à venir et de se projeter tout de suite dans le groupe des attentistes espérant qu’on les appelle pour un strapontin. Du coup, le leader et nouveau Secrétaire général de Pitit Dessalines, Jean-Charles Moïse, se retrouve quasiment seul pour mener le combat contre son homonyme. Mais pour l’heure, impossible de conduire frontalement une lutte contre le pouvoir PHTK faute de combattants. Ce n’est pas l’envie qui manque à l’ancien candidat à la présidence d’Haïti Jean-Charles Moïse, mais la conjoncture ne lui paraît guère favorable.

Jovenel Moïse, lui, semble verrouiller toutes les issues possibles. Les « Baz », les bases, sont aussi occupées ailleurs. Elless cherchent à survivre dans un contexte de vache maigre. Le gouvernement ne soutient et ne finance que les petits projets portés par ses partisans. Bref, le temps est difficile pour les OP qui ne rallient pas le camp du PHTK. Aucune « subvention » n’est accordée aux OP qui n’ont pas affiché leur appartenance soit au PHTK soit à la mouvance des « Réseaux de soutien » au chef de l’Etat. Du coup, beaucoup de pertes dans le rang des mouvements anti-Jovenel d’où les difficultés pour les rares chefs d’opposition encore en activité d’organiser une manif contre les « Tèt Kale ». Maitre André Michel aussi a tenté de revenir au devant de la scène. Mais les temps sont durs pour tout le monde.

le leader et nouveau Secrétaire général de Pitit Dessalines, Jean-Charles Moïse, se retrouve quasiment seul pour mener le combat contre son homonyme.

La mayonnaise n’a pas pris. Les conférences de presse ont du mal à rameuter du monde.  Quant à Jovenel, il continue sa longue marche sur son boulevard sans aucun feu rouge. Comme avant son élection l’année dernière, la Communauté internationale continue à le soutenir sans aucune réserve. La cheftaine de la Mission des Nations Unies pour l’appui à la Justice en Haïti (MINUJUSTH), madame Susan D. Page, a bien fait les frais de ce soutien de la Communauté internationale au Président. Il a suffi d’un simple coup de fil de Jovenel Moïse pour que la Représentante spéciale d’Antonio Guterres, Secrétaire général de l’ONU en Haïti, quitte Port-au-Prince sans laisser d’adresse.

Tout semble sourire à « Nèg bannan nan » depuis le 7 février 2017. Est-il si populaire que cela en a l’air ? Pas sûr. Pas sûr du tout. Il suffit de descendre au centre ville de Port-au-Prince pour comprendre que Jovenel Moïse est en sursis devant une remontée de la colère populaire. Les habitants des quartiers chauds qui, pour le moment ne font que regarder passer la « Caravane du changement », n’attendent que le signal du départ pour se soulever contre ce « Président globetrotter » qui ne fait que passer sans prendre le temps de comprendre leur détresse, leur souffrance et leur misère dans des ghettos et bidonvilles où ils affrontent seuls les gangs. Il y a certes, depuis quelques jours, le mouvement social des employés de la SONAPI sur la route de l’aéroport à Port-au-Prince. Leur revendication de 1000 gourdes de salaire minimum les met face à face avec le patronat. Mais pour le moment, ces revendications ne secouent point le chef de l’Etat.

Ces organisations populaires voulaient déclencher un vaste mouvement de contestation populaire contre le « grand bluff » des « Etats généraux Sectoriels » et la manière dont le dossier de PetroCaribe est géré par l’Administration Moïse/Lafontant et leurs amis du Parlement.

Les syndicats n’en ont pas encore trouvé le point faible. Pour qu’il y ait de vrais soulèvements, il faut que les chefs de fils politiques se réveillent du profond sommeil dans lequel ils sont plongés depuis bientôt deux années. L’opposition absente de la vie politique haïtienne fait craindre le pire. Sans une opposition forte, la démocratie est peut être en danger, c’est la règle de l’équilibre démocratique. Un Président de la République qui se croit tout puissant  peut vite déraper et un accident peut facilement arriver. Un chef de l’opposition nous a raconté son désarroi face au vide et à la place laissée vacante par l’opposition. Pour lui, Jovenel Moïse est un hypnotiseur. « Il nous a bien endormis depuis longtemps et il faut le reconnaître, on a le plus grand mal à reprendre notre esprit » nous disait-il tout endormi. Totalement perdus et incapables de comprendre ce qui leur arrive depuis l’investiture de Jovenel Moïse à la présidence. Ce chef de l’opposition qui se présente comme un modéré n’explique pas le silence de ses camarades de lutte surtout pour les plus durs.

Selon lui, même André Michel qui a du verbe et du talent à en revendre a du mal à trouver le bon timing et les bonnes substances pour réveiller la population qui vit encore plus mal, selon lui, qu’au moment de la période de Martelly. En effet, si tant bien que mal la presse essaie de garder réveillés certains leaders de l’opposition en les invitant dans leur « invité du jour » matinal juste pour faire l’équilibre avec les propagandistes du pouvoir, il semble qu’ils ne sont pas vraiment en mesure de saisir ces opportunités pour reprendre leur place dans le paysage politique haïtien. Chose rarissime, Port-au-Prince vient de passer des mois sans une réelle grosse manifestation anti-gouvernementale. La mise en place des fameux Etats généraux Sectoriels du Président semblait vouloir activer certains secteurs de l’opposition. Mais pas vraiment les « Poto Mitan ». Donc rien qui puisse faire peur ni paniquer le camp du pouvoir. Certes, ce sont des organisations assez proches de Pitit Dessalines.

Elles ont pour nom MOVID, RASOH et AAPA. Des noms peu connus du grand public, donc peu enclin à mobiliser grand monde. Ces organisations populaires voulaient déclencher un vaste mouvement de contestation populaire contre le « grand bluff » des « Etats généraux Sectoriels » et la manière dont le dossier de PetroCaribe est géré par l’Administration Moïse/Lafontant et leurs amis du Parlement. Elles avaient comme ambition d’organiser pas moins de 19 manifestations sur 19 sites différents dans la capitale. Baptisées « Manifestasyon Sektoryèl 9.9 », ces mouvements de contestation avaient pour objectif, selon leurs initiateurs, d’obtenir le départ du Président Jovenel Moïse. Pour Etzer Jean-Louis, Coordonnateur de AAPA et Louisma Ulrick, porte-parole de RASOH (Rasanbleman Pou Sove Ayiti), « il faut faire partir Jovenel Moïse du Palais national si le pays veut connaître la vérité dans l’affaire PetroCaribe ». Cette mobilisation de grande ampleur anti-corruption devait débuter le 19 avril pour s’achever avec la fuite de Jovenel du Palais tout au moins, sinon son arrestation. C’est ce qu’espérait ce groupe d’opposants. Or, non seulement les grosses légumes de l’opposition n’ont pas pointé leur nez, la mobilisation elle-même a été un vrai fiasco. En réalité les grandes figures de l’opposition n’avaient pas répondu à l’appel.

Ce qui peut, là encore, renforcer Jovenel Moïse dans sa certitude comme quoi tout ce qu’il entreprend reçoit la bénédiction de la population, ce qui est loin de la vérité. D’ailleurs, au moment où vous lisez cette Tribune, Jovenel Moïse est toujours au pouvoir, affichant deux voyages coup sur coup à l’étranger. Le premier à Taipei en Taïwan  (26 mai au 2 juin) où il a été accueilli avec fastes et solennité par son homologue Taïwanais. En marge de ce périple dans la lointaine Asie, plusieurs promesses et signatures de coopération ont été signées entre l’île rebelle et Port-au-Prince aux dépens de la Chine continentale qui frappe à la porte d’Haïti en vue d’investir des milliards de dollars pour la reconstruction et le développement du pays. Le deuxième ce sera au Québec au Canada entre les 8 et 9 juin qui sera pour lui juste un acte de présence sans grands intérêts. Ce déplacement au pays des Trudeau pour participer au Sommet du G7 qui est un grand événement politico médiatique ne concerne, en fait, que les « grands » de ce monde, les sept Etats les plus riches et plus puissants économiquement de la planète. Alors dans ce cas, l’on s’interroge. Mais où est bien passée l’opposition haïtienne ?

C.C

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