Dû à un attentat visant les enfants du dictateur François Duvalier pendant qu’ils allaient à l’école, des officiers, leurs parents aussi bien que ceux qui avaient les mêmes noms de famille qu’eux, mais qui n’avaient aucun lien de parenté, étaient forcés de prendre l’exil, d’autres, persécutés, arrêtés et assassinés. Mais comment cela s’était-il passé ?
Cela avait commencé un vendredi matin, le 26 avril 1963. Il était aux environs de sept heures vingt-cinq du matin, quand la limousine où se trouvait les enfants du président François Duvalier arrivait à l’entrée du Collège Bird. « Comme elle le fait chaque jour de classe. Les portières s’ouvrent et deux passagers descendent : Jean-Claude Duvalier, un adolescent grassouillet, et sa sœur Simone âgée de seize ans. Tous deux se préparent á pénétrer dans l’école. La limousine est en train de faire demi-tour. Elle a franchi le portail et se dirige déjà dans l’avenue bordée d’arbres, á trois pas de maisons du palais. Soudain, une série de détonations. Le chauffeur ainsi que deux gardes du corps s’effondrent, morts. Plus tard, des témoins déclarent qu’ils ont vu une voiture qui semblait attendre l’arrivée de la limousine et une autre qui la suivait. On n’a pas tenté de kidnapper les enfants du président ni même de leur faire du mal. » (1)
À la nouvelle de cet attentat, Papa Doc était très en colère. Parmi ceux qui avaient eu la chance, ce jour-là, de rencontrer le dictateur immédiatement après cette attaque à la vie de leurs enfants au Collège Bird, ils déclaraient que Duvalier était très furieux. Dans sa colère, le président était « persuadé que seul un tireur d’élite a pu abattre avec une vitesse et une telle précision l’escorte qui accompagne ses enfants. A son avis, il ne peut s’agir que du lieutenant François Benoît. Persuadé que Benoît est l’un des responsables de l’attentat, Duvalier donne l’ordre á sa garde de commencer les représailles. » (2)
Comment comprendre le 26 avril 1963
Pour mieux persécuter les opposants politiques, on rapporte que le président Duvalier était de nature à créer les événements. Comme il le faisait si souvent et si bien, donc il était passé pour un maitre dans cette affaire. Il avait fait école dans tout ça. À telle enseigne que, des décennies après sa mort ou le départ de son fils du pouvoir, à chaque fois qu’un président en fonction voulait persécuter des opposants politiques, il créait des événements. La formule la plus connue c’est : complot contre la sécurité de l’État ou tentative de coup d’État.
Mis à part son expertise dans l’art de créer des événements, l’homme fort du Palais national voulait-il vraiment se débarrasser du Lieutenant Benoit et de certains autres officiers de l’armée d’Haïti jugés jusqu’alors comme une menace à son gouvernement ? Puisqu’il savait comment gérer les emmerdeurs, l’attentat à la vie de ses enfants était-il vraiment un coup monté pour, tout en se débarrassant d’une certaine élite locale du pays, et du même coup, faire des marchandages politiques avec la communauté internationale. L’événement du 26 avril 1963, était-il un coup réel ? Venait-il vraiment des opposants du régime ?
Si on répond oui aux deux dernières questions, donc pourquoi le mercenaire assigné à cette difficile mission n’avait-il pas exécuté les enfants alors qu’il fallait le faire, particulièrement après la mort de ceux qui étaient chargé d’assurer leur sécurité. Voulait-il tout simplement envoyer un message ou un avertissement au dictateur pour lui faire savoir que leurs enfants étaient très vulnérables ?
Misant sur la vulnérabilité des enfants, celui qui était derrière cette tentative d’assassinat voulait-il faire croire au dictateur que, à tout moment, n’importe quoi pouvait arriver à leur famille et que son pouvoir présidentiel au Palais national était plus fragile qu’il le pensait. Autant de questions pour autant de réponses. Dans la foulée, seul le dictateur ou le chef de file du mouvement d’attentat pouvait effectivement faire de la lumière sur les doutes qui jusqu’à présent planent autour des événements sanglants du 26 avril 1963. Quoi qu’il en soit, vrai ou faux, l’événement de l’attentat à la vie des enfants du président au Collège Bird avait laissé, en termes de perte de dégâts matériels, de ressources intellectuelles et de vies humaines, un lourd bilan pour le pays.
Puisque, sous les ordres du président, les macoutes, renforcés par certains membres des forces armées s’étaient rendu à la maison de la famille Benoit pour tuer ses parents, son fils et, finalement bruler leur maison. Ils ne s’arrêtaient pas là. Comme ils avaient le feu vert pour tout faire ce jour-là, donc ils tuèrent des officiers et civils qui étaient soupçonnés dans cette affaire.
Selon des informations crédibles, au nombre d’une vingtaine, l’officier Benoît était parmi ceux-là qui avaient eu la chance de trouver refuge à la résidence de la mission Dominicaine à Port-au-Prince. Même là, il avait été poursuivi par les bourreaux assoiffés de sang du dictateur François Duvalier. Action qui avait occasionné de vives tensions pendant quelques jours entre les deux gouvernements, haïtien et dominicain. Situation qui devait, par la suite, nécessiter l’intervention de l’OEA et d’autres diplomates dans la région pour calmer les esprits et empêcher une crise politique entre les deux chefs d’État de part et d’autre de la frontière (3).
Tensions diplomatiques entre Haïti et la République Dominicaine
Dans son livre L’Armée d’Haïti, Bourreau ou Victime, l’ancien général Prosper Avril a mieux expliqué le conflit combien tendu entre le gouvernement de Port-au Prince et son homologue de Santo Domingo. « L’émotion soulevée par l’affaire du Collège Bird fut telle qu’elle eut des répercussions très graves sur les relations haitiano-dominicaines. Elle a failli même provoquer la guerre entre les deux pays. Des éléments des forces de l’ordre ayant, par excès de zèle, tenté d’atteindre le lieutenant François Benoît au siège même de l’ambassade ou il avait trouvé refuge, le ministre dominicain des Affaires Étrangères adressa á la chancellerie haïtienne une note sévère de protestation stigmatisant la conduite des unités de police : Mon gouvernement, écrit le chancelier dominicain Andres A. Freite dans un câble daté du 28 avril 1963, a appris que la chancellerie de l’Ambassade dominicaine dans cette capitale a été envahie par des membres de la Force Publique haïtienne et que des membres de cette force y sont demeurés. Ils se sont aussi introduits en la résidence de l’Ambassade, interférant brutalement dans le libre mouvement de cette dernière. Ces violations aussi insolites des normes du Droit Internationale universellement consacrées et reconnues de manière spéciale par le système interaméricain ont entrainé la plus énergique répudiation de mon gouvernement » (4)
Et dans cette note sévère adressée au gouvernement de François Duvalier, le ministre des Affaires Étrangères de la République Dominicaine avait dans sa conclusion lancée un ultimatum au gouvernement de Port-au-Prince. « Compte tenu de la gravité des faits et des circonstances dénoncés dans la présente, mon gouvernement espère que dans un délai irrévocable de vingt-quatre heures après l’envoie de ce message, le gouvernement haïtien agira de façon á donner des preuves non équivoques d’un changement radical de sa conduite vis-à-vis de la République Dominicaine » (5).
Plus de peur que de mal. Après quelques jours de négociations diplomatiques entre des dirigeants de la région, de cette situation de tension entre les deux homologues de la frontière, tout était rentré dans l’ordre. Subséquemment de cet incident diplomatique regrettable, beaucoup d’eau avait coulé sous le pont pour finalement rendre le dictateur plus puissant et plus déterminé dans ses sales besognes contre le peuple haïtien.
Le pouvoir politique de Papa Doc dans un contexte international
Entre-temps, il y avait des mouvements de résistances armées venant des Haïtiens de l’extérieur, question de dire non au régime sanguinaire de Duvalier dans ses basses œuvres. Cependant, il avait pu résister et faire obstacle à tous les assauts et tentatives de déstabilisation contre son régime montés de toutes pièces par l’opposition. Mais comment était-il en mesure de survivre à tous ces obstacles, et ceci pendant si longtemps, si toutefois il n’avait pas le support de la communauté internationale ?
Chercher à comprendre comment il avait pu survivre à tous ces actes de conspiration, de subversions, de mouvements armés contre son gouvernement, c’est arriver à cette conclusion que le contexte international, les conflits internationaux, particulièrement la guerre froide existant entre les États-Unis et la Russie avaient joué en sa faveur. Ce qui portait plus d’un à croire que le docteur François Duvalier semblait maitriser non seulement la classe politique locale, mais aussi les conjonctures internationales.
À un moment où les États-Unis mataient dans la région tous les gouvernements de tendance communiste ou socialiste, de son côté, le président Duvalier en avait profité pour se débarrasser de tous ses ennemis politiques aussi bien d’une partie de l’intelligentsia haïtienne que des prêtres catholiques. C’était sur cette base de crise internationale et locale qu’il avait pu, pendant quatorze ans, régner comme seul souverain d’Haïti. De l’amendement de la constitution à la création d’une force parallèle à l’armée d’Haïti dites les Tontons Macoutes, du changement des couleurs du drapeau national bleu et rouge en noir et rouge à l’arrestation, l’emprisonnement, l’exil, dans bien des cas, l’élimination physique des opposants politiques étaient les choses négatives réalisées pendant le régime de Papa Doc.
Comme dans l’Haïti dirigée par François Duvalier, le président avait un pouvoir à vie et des provisions constitutionnelles de pouvoir choisir son successeur. Ainsi, avant sa mort en 1971, avec des arrangements politiques au niveau local et bénédictions des grandes puissances occidentales, Papa Doc avait pu, pacifiquement, faire la transition du pouvoir politique à son jeune fils, Jean-Claude. Le jeune homme n’avait pas encore vingt ans quand il prêta serment comme président de la République. Ce qui fait de lui le plus jeune président dans toute l’histoire du pays à pouvoir accéder à la magistrature suprême de l’État d’Haïti.
De Papa à Baby doc
Héritier d’un pouvoir ou tous les conseillers et staff de son administration étaient des amis loyaux de son père, le jeune président avait pu gouverner et continuer la dynastie des Duvalier. Tout en étant un gouvernement soumis aux dictats de la bourgeoisie locale et surtout de l’international, l’administration de Baby Doc avait le support inconditionnel de Washington. C’était un pays indépendant sous la dépendance des américains.
Ce n’était pas un phénomène nouveau, puisque pendant toute la période de guerre froide, les pays de l’Amérique Latine et de la Caraïbe (à l’exception de Cuba après la révolution de Fidel Castro contre le régime de Batista en 1959 qui bénéficiait des supports des Soviétiques), ils étaient sous le contrôle de l’hégémonie américaine. Ainsi, que ce soit durant l’administration de Papa ou de Baby Doc, Haïti était directement contrôlée et influencée par des décisions venant des États-Unis.
Via la CIA ou l’ambassade américaine à Port-au-Prince, les ordres de Washington soit d’un gouvernement de Démocrates soit d’un régime de Républicains¸ étaient exécuté à la lettre par le président Jean-Claude Duvalier. Ce qui permettait, en dehors des mouvements sporadiques dans des zones côtières et frontalières du pays par des opposants venant de l’extérieur, il y avait une certaine stabilité politique apparente en Haïti.
Mais à partir des revendications populaires à la fin de l’année 1985, le peuple demandait, avec des conditions de vie meilleure et une chance égale pour tous, le partage équitable des richesses du pays. Il réclamait aussi son droit de vote, celui de choisir qui devrait le diriger. En un mot, dans un mariage politique pour libérer Haïti d’une dictature féroce de presque trente ans, les gens de la paysannerie, des masses populaires qui avaient toujours été exclus des affaires socio-politiques du pays, des leaders religieux et de la classe politique de l’opposition exigeaient le départ des Duvalier et associés. Ainsi, avec le départ de Jean-Claude Duvalier du pays le 7 février 1986, cette mouvance politique avait accouché le Conseil National de Gouvernement (CNG).
Le duvaliériste sans Duvalier
Arrivé au pouvoir dans un contexte très difficile, le CNG avait hérité d’un lourd héritage laissé par les vingt-neuf ans de la dictature. Faisant face presque chaque jour à des manifestations des rues où le peuple faisait des exigences de toutes sortes, le régime civilo-militaire se vit dépassé. Dans cet environnement politiquement pollué, donc faire obstacles aux groupes très forts d’opposants de différentes idéologies et d’expériences sociopolitiques acquises dans d’autres pays de la région n’était pas chose facile pour les nouveaux dirigeants post Jean-Claude Duvalier.
Aussi, pour mater le mouvement populaire grandissant dans le pays, le régime militaire n’hésita pas à utiliser la violence. Ainsi, du 26 avril 1963 au 26 avril 1986, de la dictature de Papa Doc à une transition démocratique, l’histoire de violence se répétait avec les militaires.
Les faits du 26 avril 1986
C’était en mémoire de tous ceux et toutes celles qui avaient été emprisonnés et assassinés à Fort Dimanche que, vingt-trois ans plus tard, particulièrement le 26 avril 1986, des parents, amis, activistes et leaders politiques manifestaient contre la barbarie de Papa Doc et de son fils, Baby Doc. En signe de représailles, des militaires avaient ouvert le feu pour finalement blesser et tuer des manifestants. « Le 26 avril 1986 en est devenu le symbole. Une grande manifestation du souvenir, exprimait un consensus quasi national, s’avance devant Fort Dimanche, la caserne ou furent torturés et exécutés bon nombre de 30,000 Haïtiens qui, selon les estimations, furent victimes des Duvalier. Des pétitions circulent pour en faire parc du souvenir avec un mémorial des disparus. Soudain l’armée tue : 6 morts, 54 blessés, le choc de la répression contre la libération, le nouveau pouvoir lève un coin du voile » (6)
Pour justifier l’action des militaires sur la population, une note émanant des forces Armées d’Haïti fit état d’hommes armés dans la foule qui voulaient entrer dans l’enceinte de ce fort.
Après la tuerie des manifestants le 26 avril 1986, le pays connut des bouleversements de type : protestations de rues, arrestations et assassinats des leaders communautaires et politiques. Face à ce renouvellement d’obsession à la violence des militaires et attachés de l’ancien régime, personne n’était épargné à cette forme de répression d’un régime tortionnaire sans Duvalier.
Parmi ces assassinats, celui qui illustre le mieux ce climat de violence, c’est celui de l’avocat militant, l’ancien militaire et homme politique Yves Volel en octobre 1987 au grand jour par-devant le Grand Quartier Général de la Police de Port-au-Prince. Cet assassinat, inutile comme tous les autres, portait la marque de fabrique des militaires et de leurs alliés attachés qui refusaient de se détacher de l’ordre ancien fait d’un pouvoir machiavélique.
Malgré tous ces actes de violence qui avaient pour objectif de déstabiliser la société et d’empêcher les élections programmées pour novembre de la même année, le gouvernement de transition avait d’autres plans beaucoup plus macabres dans son arsenal. Puisque, avec la complicité des nostalgiques duvaliéristes et des militaires en civil à bord des voitures pick-up, cagoulés, munis de leurs armes automatiques et de machettes, le 29 novembre 1987, les sinistres du pouvoir blessaient et tuaient les votants dans les bureaux de votes pour une fois de plus, endeuiller, ensanglanter la famille haïtienne.
Ainsi se matérialisait ce que, dans les premiers jours du gouvernement de transition, redoutaient certains analystes et critiques de l’époque : le refus pour le duvaliérisme sanguinaire d’accepter la marche évolutive de l’histoire du nouvel ordre mondial.
Et depuis, rien n’est stable dans le pays. 26 avril 1963, 26 avril 1986 et 26 avril 2022, même histoire de violence et de répressions d’un dictateur, des militaires et d’un PM de facto contre la libération d’un peuple.
Références
1, 2 & 3- Bernard Diederich, Al Burt. Papa Doc et les Tontons Macoutes, La vérité sur Haïti. Éditions Abin Michel, 22 Rue Huyghens, Paris p.195.
3, 4, 5 & 6 – Prosper Avril. L’Armée d’Haïti, Bourreau ou Victime ?
Imprimerie Le Natal S.A., octobre 1997.