L’impossible combat des marginalisés du « capital »

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An armed member of the Swiss Police watches from the roof of the Hotel Davos ahead of the World Economic Forum (WEF) in Davos, Switzerland, on Monday, Jan. 16, 2017. World leaders, influential executives, bankers and policy makers attend the 47th annual meeting of the World Economic Forum in Davos from Jan. 17 - 20. Photographer: Simon Dawson/Bloomberg

« Poursuivre l’impossible, c’est de la folie. Or il est impossible que les gens médiocres ne commettent pas de telles actions. » (Marc-Aurèle, livre V, 17) 

Pour baisser les flots d’angoisse qui montent dans notre cœur comme les vagues de l’océan, nous avons repris l’habitude de revisiter les grands philosophes des courants de l’épicurisme et du stoïcisme. Les chrétiens, en des moments de sombreur  spirituelle, lisent la Bible. Les musulmans, le Coran. Les judaïstes, la Torah. Les bouddhistes, le Dhammapada : quand ils ne se retrempent pas dans les citations fortifiantes du confucianisme. Lorsque l’âme humaine est plongée dans la tourmente, il lui faut une cure de « Sagesse » pour ne pas basculer dans l’opacité de la démence mortifère.

Toutes ces mauvaises nouvelles qui arrivent des quatre coins de la planète engloutissent notre capacité de résilience et détruisent petit à petit nos cellules de résistance. Tous les matins, nous nous réveillons avec des pensées pessimistes, sceptiques, qui sont devenues de plus en plus difficiles à chasser de notre mémoire torturée.

Nous souffrons de figurer parmi les témoins impuissants de si grandes « injustices ». Que l’auteur anonyme de ces vers qui lui furent inspirés par le comportement répréhensible du « ministre plénipotentiaire » de Louis XIII nous absolve de  l’usage décontextualisé que nous faisons de l’esprit de son œuvre.

« Le « Capital » fait plus de mal que de bien;
Le bien qu’il fait, il le fait mal;
Le mal qu’il fait, il le fait bien. » [1]

Le « Capital » conduit les sociétés planétaires à la catastrophe. Nous l’avons déjà répété plus de mille fois. Mais les victimes ne semblent pas en être conscientes. Chaque individu, chaque famille mène « l’impossible combat » pour sa propre survie contre un « cyclope » qui a sept têtes, quatorze yeux, et qui n’a pas d’oreilles pour entendre les cris des sacrifiés. Comme Rome a détruit Carthage, il y a nécessité pour la classe travailleuse d’unir ses efforts, de mettre ses intérêts en commun, de penser une nouvelle stratégie de lutte, de rassembler ses forces, en vue de marcher sur « Davos » et d’anéantir sa capacité de « nuisance », d’ « exploitation », de « paupérisation » et d’ « appauvrissement ». « Delenda Carthago »! Delenda Davos! C’est bien là-bas, dans le canton des Grisons, que se transporte le foyer incandescent de l’ « Injustice » qui consume l’énergie du « salariat » crucifié sur l’insécurité socioéconomique. Le vampire qui suce la moelle de sa force de travail et qui l’abandonne finalement sur le trottoir de la déchéance et de l’indigence. Il faut détruire Davos! C’est la seule façon pour les « misérables » des Amériques, de l’Europe, de l’Asie, de l’Afrique, de l’Océanie de reprendre possession de la « Terre », et de jouir pleinement des bienfaits de la « Création » selon les attentes individuelles et collectives.

Comme nous vous l’avons révélé au départ, c’est dans la relecture des éminents philosophes que nous recherchons présentement la paix intérieure et la sérénité spirituelle. Nous avons peur, terriblement peur de ce qui s’annonce devant nos yeux embués de larmes d’indignation, bien que l’empereur Marc-Aurèle nous exhorte dans sa « sagesse » à ne pas regarder en arrière et en avant. N’est-ce pas lui qui nous apprend : « On ne peut perdre ni le passé ni l’avenir : ce que nous ne possédons pas. C’est du moment présent que l’on doit se soucier d’être privé, car c’est lui seul que l’on possède [2]?»

Cette citation de Marc-Aurèle pourrait nous permettre également de réfléchir sur les enseignements des doctrines religieuses qui se reposent de préférence sur le passé et l’avenir, et qui n’aident pas leurs adeptes à bien profiter – au sens noble et moral – de l’« instant présent », comme le chante le nonagénaire Charles Aznavour. Et le monde devient pour ces sectes-là une sorte de « purgatoire » où les « croyants pauvres » souffrent jusqu’à la mort avant d’accéder à la « Cité de Dieu » admirablement défendue par Augustin d’Hippone dit saint Augustin qui, pourtant, nous commande d’ « aimer et de faire ce que nous voulons. » Naturellement, sans que nos actes soient préjudiciables à autrui.

Épicure, le fondateur de l’École du Jardin, nous laisse aussi sa conception philosophique de la vie au temps présent : « C’est pourquoi la sagesse est elle-même plus précieuse que la philosophie, elle qui engendre toutes les autres vertus et qui nous enseigne comment il n’est pas possible de vivre avec plaisir sans vivre sagement, honnêtement et justement, ni vivre sagement, honnêtement et justement sans vivre avec plaisir. Les vertus sont en effet connaturelles au plaisir de vivre, et le plaisir de la vie en est inséparable. »

Les puissants « seigneurs » de la mondialisation nous volent notre « présent » par lequel ils s’enrichissent impunément, et nous offrent un avenir truffé de rêves, d’incertitudes, d’utopies et de désillusions. Comme soulagement à leur situation de privations extrêmes, les indigents hériteront en tout et pour tout  la « vie éternelle »!

Le monde est « entré sous le signe du mal et du malheur » comme l’aurait signifié John Steinbeck dans Rue de la Sardine. Comment parviendrait-on à remonter les êtres humains des abysses de la bêtise et à l’extirper de la finitude de l’absurde ?

Dans L’exil et le royaume, Albert Camus fait dire à son « renégat » mutilé : « On m’avait trompé, seul le règne de la méchanceté était sans fissures, on m’avait trompé, la vérité est carrée, lourde, dense, elle ne supporte pas la nuance, le bien est une rêverie, un projet sans cesse remis et poursuivi d’un effort exténuant, une limite qui n’atteint jamais, son règne est impossible. Seul le mal peut aller jusqu’à ses limites et régner absolument… »

John Steinbeck constate lui-même, encore dans Rue de la Sardine, que « le culte de la vérité a peu de fidèles, et la vérité peut être une dangereuse maitresse ».

Difficile d’imposer la vérité au mensonge. Celui-ci a pour corollaires la haine, la méchanceté, l’amoralité, la dépravation, la corruption, enfin tous les « sept péchés capitaux » qui rapprochent les « salauds » du royaume des esprits malins. La puissance du mensonge condamna l’innocence lumineuse de Socrate, jusqu’à lui empoisonner le sang et lui bloquer le cœur. Le mensonge décapita Cicéron, sectionna ses mains, fit taire sa voix qui s’élevait à la défense de « sa vérité ». Jésus-Christ lui-même, qui se disait être le chemin, la vérité et la vie, succomba sous les coups audacieux du mensonge blasphémateur. Que peut-on contre ce monstre sans âme, sans conscience, ce fléau sans élan de commisération, surtout lorsqu’il sied au plus haut sommet de l’État, lorsqu’il détient le pouvoir discrétionnaire sur la vie et la mort. Le mensonge trancha le cou de Thomas More, fit rouler sa tête sur les pieds d’un bourreau impassible.

Il faut détruire Davos! C’est la seule façon pour les « misérables » des Amériques, de l’Europe, de l’Asie, de l’Afrique, de l’Océanie de reprendre possession de la « Terre », et de jouir pleinement des bienfaits de la « Création » selon les attentes individuelles et collectives.

Le mensonge est trop fort pour les faibles, les pauvres, les misérables, les honnêtes gens, pour les individus comme vous et moi qui avons appris à être corrects avec nos semblables, qui plaidons pour le respect des droits de la femme, de l’enfant et du vieillard, qui croyons que l’injustice sociétale doit être combattue par tous les moyens, qui nourrissons le vœu sacré que les biens de la terre, patrimoine commun, soit profitable à tous, quels que soient sa race, sa couleur, sa religion, son origine familiale, son pays, son quartier… Mais faut-il pour autant abdiquer son honneur, son courage, sa fierté devant la plénipotentiarité du mensonge ?

Nous n’oublions jamais les paroles que nous avons notées en visionnant tout jeune le film Alexandre Le Grand de Robert Rossen,  interprété par Richard Burton : « Les hommes endurants et téméraires accomplissent de grands exploits ; qu’il est merveilleux de vivre courageusement et de mourir en laissant derrière soi une renommée éternelle. »

Spartacus, l’esclave thrace, qui travailla dans les mines libyennes et qui se révolta contre ses « maîtres », savait qu’il menait l’impossible combat. Que pouvait une bande de gladiateurs entraînés à mourir dans l’arène contre les unités des armées de Rome rompues à toutes les stratégies et les techniques raffinées de la guerre? Mais entre se laisser massacrer sans combattre et mourir en combattant, les 6 000 esclaves crucifiés le long des 500 km de la Via Appia avaient refusé de continuer d’être les « biens négociables et exploitables » du proconsulat romain. C’est ce que nous appelons nous-mêmes « Mourir pour Vivre ».

Toussaint Louverture croisa un Crassus sur son chemin, il fut assassiné lâchement, mais il survécut. Souvenons-nous des paroles d’Épictète : « Homme, examine d’abord en quoi consiste l’affaire. Ensuite, entreprends de connaître ta propre nature : es-tu capable de pareil projet? Désires-tu t’engager dans l’épreuve du pentathlon ou dans la lutte? Regarde tes bras, tes cuisses, tes reins. Car chacun, par nature, est taillé pour une tâche différente

En 1804, Jean-Jacques Dessalines réussit glorieusement là où échouèrent Spartacus en l’an 71 av. J.-C, et Toussaint en 1802. Cependant, les trois personnages légendaires se plaçaient parfaitement à la hauteur des responsabilités historiques que la vie leur incomba. Comme affirma Sénèque dans sa lettre à Lucius: « Le destin conduit celui qui consent, celui qui refuse, il le traîne. »

Le prophète Samson vainquit ses ennemis, parce qu’il eut accepté le sort tragique de disparaître dans la mort avec les Philistins qui le mutilèrent, le raillèrent, l’humilièrent. Parfois, la « cause » exige que les « sacrifiés » s’autodétruisent pour détruire les « sacrificateurs » des temples maudits. Dieu seul savait combien le sacrifice du « nazir », le fils de Manoach, aurait servi d’« exemple radical » de stratégie offensive dans les conflits qui ont déchiré le XXe  siècle et qui continuent de bouleverser l’époque actuelle. Certains diraient même que Samson aurait été le père du « kamikazisme ».

L’anéantissement du « Capital » doit demeurer le souci majeur des milliards de salariés de la terre. Au nord et au sud, comme Iphigénie, ils se laissent immoler sur l’autel de la cupidité impériale et hégémonique.  Sans se révolter. Agamemnon ne fut pas allé à Troie, selon la légende homérique, avec mille navires, pour venger et réparer l’honneur de son frère Ménélas, et reprendre la pétillante Hélène que le prince Pâris avait enlevée. Le roi de Mycènes était plutôt intéressé par les richesses de la cité du sage Priam. Le commandement de l’armée achéenne servit de prétexte à ses intentions d’exterminer les Troyens pour piller leurs trésors. Le mouvement de délocalisation des multinationales dans les régions nécessiteuses de la planète, tel que nous l’observons avec l’économie globalisée, suit la même volonté qui animait l’esprit de destruction, de vols et de rapines relevé dans les comportements maléfiques  des fils d’Atrée, d’Ulysse et d’Achille. Cette logique se mesure à l’aune de l’asservissement des populations vulnérables par le pillage organisé, l’esclavage moderne et l’aliénation sociale. Roger Garaudy, dans Parole d’homme, témoigne : « Dans la réalité quotidienne où j’étais né et où je n’avais pas de vies militantes, je voyais, par milliers, des vies broyées par le travail et le besoin. »

Et l’écrivain gauchiste reprend à son compte l’observation de Marx dans Le Capital : « La peur de perdre son pain et celui de ses enfants enchaîne plus fortement l’ouvrier au char du capital que le marteau d’Héphaïstos ne rivait Prométhée aux rochers de Caucase. »

Les ouvrières et ouvriers, les travailleuses et travailleurs, les paysannes et paysans s’aliènent dans les usines de sous-traitance, s’épuisent dans les latifundia afin de se prémunir contre une mort lente occasionnée par la faim et la soif. Et la phrase lyrique qui revient sur les lèvres: « J’ai une famille à faire vivre. » Comme si la « vie » se résumait à d’exécrables conditions qui triturent le cerveau, qui bloquent le système somesthésique, et qui provoquent des troubles psychologiques ou psychiatriques dans l’environnement intrasociétal.

Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), une personne sur quatre dans le monde sera affectée par des problèmes de santé mentale. Pour être précis, 2 800 000 milliards d’individus sur une population planétaire estimée à 7 milliards sont concernés par ces sombres prévisions. Nous lisons dans le rapport de l’OMS: « Ce sont souvent les pauvres qui supportent la plus lourde charge de morbidité en santé mentale, que ce soit au niveau du risque d’être atteint d’une pathologie mentale ou à celui de l’accès au traitement. »

La désolidarisation de la classe laborieuse est à la base de leur état chronique d’appauvrissement. Le patronat fait tout pour diviser la masse prolétarienne. Il distribue à une échelle individuelle de petits privilèges économiques et accorde de minces avantages sociaux afin de saboter les rassemblements syndicaux qui incitent à la désobéissance et à la grève. De nos jours – pour cligner de l’oeil à Gilbert Cesbron – « les saints ne vont plus en enfer [2] ». Et c’est dommage. Car c’étaient eux aussi, les saints de la théologie de la libération, qui confectionnaient les bannières de l’unité des prolétaires accrochées aux barrières des industries manufacturières. À cette époque, les mouvements de résistance ouvrière chambardante  étaient véritablement porteurs d’espoir et de changement. Cela me rappelle le film d’Elia Kazan, Sur les quais, interprété par Marlon Brando, sorti sur les écrans en 1954. Un chef-d’oeuvre cinématographique réalisé sur le monde des travailleurs.

Le système impérial a changé considérablement le mode de vie des salariés et de la petite paysannerie. Toutes les familles des milieux défavorisés rêvent de posséder une grande maison et de rouler dans une voiture luxueuse. Dans des quartiers populeux des mégapoles, il n’est pas étonnant de remarquer des modèles de véhicules dispendieux stationnés dans des rues étroites et insalubres.

Les économistes du socialisme scientifique, parmi lesquels William Easterly, Chalmers Johnson, Éric Toussaint, préconisent de « déprivatiser  la propriété », dans le but d’établir l’équité économique et la justice sociale sur la terre. Le communisme a échoué à cette intersection épineuse. C’est cette démarche qui lui a valu la « grogne » des capitalistes. Le riche  demanda à Jésus : « Que dois-je faire pour aller au paradis ? » Le Christ lui répondit : « Débarrassez-vous de tous vos biens et revenez me voir. » L’homme était reparti attristé. Contrarié. Et n’était plus réapparu. Jésus expliqua aux apôtres  « qu’il est plus facile pour un chameau de passer par le chas d’une aiguille que pour un riche d’accéder au royaume de l’éternité ».

Aux confins des contrées de l’Afrique, de l’Asie et de l’Amérique, des centaines de millions d’êtres humains, engouffrés dans des chaumières soutenues par des panneaux clissés enduits de boue grisâtre, se diluent dans la crasse comme le sel marin dans l’eau bouillante, s’exposent aux intempéries assassines, lèvent les bras tous les matins à un ciel aveugle et sourd, sous les regards indifférents des « souverains pontifes » qui viennent exposer chaque année leur opulence et montrer leur arrogance dans les couloirs des luxueux hôtels de Davos. Parviendra-t-on à faire lever sur les châteaux inexpugnables, bien gardés, bien sécurisés,  la tempête de Joris Ivens [3]  qui permettra effectivement de casser les « ailes » bruyantes des « intouchables » de l’« oligarchie carnassière » ? À cette époque où l’individualisme de survie prend de plus en plus le dessus sur le collectivisme de libération, la tâche de désasservissement des populations marginales se complexifie. Les gouvernements, les parlements, les armées, les polices, l’intelligentsia petite-bourgeoise servent les « intérêts antinationaux » du « club restreint de la multimilliardisation » qui vampirise la résistance des masses.

De nos jours, les riches n’assautent pas la politique avec les baïonnettes, les fusils, les mitraillettes et les canons, mais par l’argent. Ils investissent considérablement dans les campagnes électorales truquées. Et ils font élire des dirigeants serviles constitués d’universitaires médiocres, de citadins ou de paysans analphabètes, de troubadours  incultescomme on le voit en Haïti – qui veillent au grain. Les « abusés » ne doivent pas montrer leurs poings aux « abuseurs ». Les manifestations de rue sont sauvagement réprimées. Les associations syndicales, injustement prohibées. Le salaire minimum, arbitrairement gelé. Le patronat international s’octroie les pouvoirs de Philippe de Macédoine ou de Jules César. Avec son pouce, il ordonne de tuer ou d’épargner. D’enlever la vie ou de laisser la vie. D’embaucher ou de révoquer. De construire des usines ou de les démolir. De donner du pain ou d’affamer.

Roger Garaudy nous fait toujours remarquer : « Le fait essentiel n’est pas que la base est pauvre, sans pouvoir politique réel, sans culture, c’est que les maîtres l’ont dépouillée de l’avoir, du pouvoir, et du savoir, par le jeu des exploitations, des oppressions, des dominations. » Et Garaudy cite encore l’économiste Karl Marx : « Les idées dominantes sont les idées de la classe dominante. »

C’est à ce niveau qu’il faut essayer de comprendre les difficultés sociales, économiques et politiques auxquelles se trouve confronté le bolivarisme hérité d’Hugo Chavez. Les États-Unis, la France, le Canada, l’Allemagne, l’Angleterre alliés aux bourgeois vénézuéliens ont juré d’avoir la tête du gouvernement de Nicolas Maduro. Le combat paraît de plus en plus impossible pour les chavistes. Les « gros bonnets » de Caracas ne sont pas à court d’idées novatrices : ils se servent des vieillards et des handicapés physiques comme boucliers humains dans les manifestations violentes qu’ils organisent à un rythme quotidien, dans l’intention d’abattre les acquis de la révolution. Les bourgeois espèrent provoquer une bavure policière ou militaire qui émouvra  l’opinion internationale et qui   fatalisera du même coup la présidence vénézuélienne. Même sans une loupe de clairvoyance, n’importe quel esprit simpliste pourrait voir les « mains de la CIA » derrière ce stratagème.

Les chacals mondialisés atomisent la Syrie. Les habitants de ce pays martyrisé ont perdu toute leur fierté nationale. L’Égypte, la Libye, l’Iran, le Pakistan ne sont pas épargnés. En Haïti, Barack Obama, Peter F. Mulrean, Sandra Honoré, Réginald Boulos et ses consorts ont  placé Jovenel Moïse, un petit domestique de la mafia port-au-princienne, un inculpé dans des affaires occultes de blanchiment d’argent provenant du trafic de la drogue, du crime organisé, à la tête de l’État. Ce président nous fait penser à une remarque de Frantz Fanon dans l’ouvrage « Peau noire et masques blancs » publié en 1952 : « Le nègre est un esclave à qui on a permis d’adopter une attitude de maître ». Le révolutionnaire martiniquais, qui prit le nom d’Ibrahim Omar Fanon, évoque les attitudes du nègre plat, dépersonnalisé, avec ses lèvres massives et larges, sans conscience de classe ou de race, qui cherche toujours à se « blanchir ». En présence du « néocolon », il s’émeut.  Exulte de joie. Et trépigne de bonheur. Jovenel Moïse et Jack Guy Lafontant se sentent honorés de travailler sous le commandement des ambassades étrangères et de la Minustah. Sandra Honoré dirige toutes les rencontres politiques importantes déroulées au palais national. Cependant, Fanon révèle parallèlement : « Mais l’homme est aussi un non. Non au mépris de l’homme. Non à l’indignité de l’homme. À l’exploitation de l’homme. Au meurtre de ce qu’il y a de plus humain dans l’homme : la liberté. »

Les expressions de rage que nous écrivons dans les journaux, rédigeons dans les livres, les  paroles de révolte que nous prononçons dans les discours révolutionnaires ne peuvent plus agir comme les baguettes de placebo d’Elisha Perkins et de John Haygarth pour soulager, guérir, éradiquer la  pandémie de la misère. D’ailleurs, d’un texte à l’autre, d’une conférence à l’autre, d’un rassemblement populaire à l’autre, les mêmes clichés reviennent : richesse, pauvreté, paupérisation, chômage, maladie, corruption, coercition, itinérance, exode, environnement, prostitution,  incompétence, gabegie, démagogie, dictature, exploitation, analphabétisme, découragement, désespoir, assassinat, drogue, banditisme, terrorisme, Xénophobie,  inégalité… Et pourtant, nous continuons à remplir des pages entières qui racontent les souffrances des franges oublieuses et méprisées de l’Humanité. Tellement bien racontées et bien documentées que certaines « oeuvres » et leurs « créateurs »  sont « nobélisés ».

Cette récompense internationale prestigieuse arrive parfois à transporter de l’autre côté de la barrière l’écrivain des bidonvilles et lui fait souvent oublier le « sens sacré » de son engagement social et politique originel. Car en commençant à écrire, certains n’avaient-ils pas choisi d’épouser une cause, de participer à ce combat qui consiste à élever l’ « existence humaine », durant son court passage, au faîte de la dignité, de l’honorabilité et du bien-être? Que constatons-nous? Hissés au fauteuil de l’incestueux et du corrompu cardinal de Richelieu, des stylos qui se sont trempés dans les ragots de « sexe » et dans les dures conditions de l’exil, et qui sont parvenus à trouver le chemin de la gloire immortelle, oublient aujourd’hui d’écrire les « qualifiants et les substantifs » qui dénoncent l’exploitation et l’humiliation des  gens simples. Et quand ils sont obligés de réagir, par peur de représailles, par couardise, par flagornerie, ils se noient de plein gré dans le fleuve des métaphores et s’empêtrent dans la mare des euphémismes. Ils n’osent pas appeler le « criminel » par son nom.

Au stade de ce constat de dérobade, d’abdication, de mollesse, Jean-Paul Sartre nous aurait tenu un discours flamboyant sur la « phénoménologie de l’être ». L’auteur de L’Être et le Néant, Les mains sales, Critique de la raison dialectique, aurait probablement rappelé le pouvoir de « néantisation » qui caractérise l’ « homme libre ». Et surtout insisté sur l’expression de « mauvaise foi ». Car, selon le dramaturge, romancier et philosophe, chaque individu réunit en lui-même le pouvoir de combattre les « déterminismes » qui contrarient ses desiderata : ce qui lui permet de moissonner les « idéaux » qu’il cultive en vue d’agrémenter le cours de son existence.

L’individu d’aujourd’hui paraît de moins en moins conscient de la légitimité absolue de ses droits naturels? La « liberté » n’a plus le sens de l’honneur que, jadis, on lui conférait.  La femme et l’homme du XXIe siècle tentent de survivre à n’importe quelles conditions. Par n’importe quels moyens. Dans quelle mesure l’une et l’autre accepteraient-ils de se sacrifier comme le prophète Samson, l’esclave Spartacus, l’Argentin Guevara, l’écrivain Alexis, le Mahatma Gandhi, aux fins de préserver et de conserver dignement les droits et les prérogatives que la « Création » leur a concédés à la naissance ?

Marc-Aurèle est convaincant : « C’est celui qui ne fait pas quelque chose qui est injuste, pas seulement celui qui agit. »

Aucun pays n’arrivera à se libérer tout seul de la dictature économique et financière imposée par la mondialisation impériale. Aucun individu ne pourra échapper à la pauvreté, à la paupérisation, à la misère sans investir sa force morale, son énergie physique, sa conviction sociale, son idéologie politique dans une guerre généralisée, globalisée contre les États flibustiers qui forment le G7. Karl Marx l’avait compris avant nous : « Prolétaires de tous les pays unissez-vous. Vous avez un monde à gagner… »

Une « victoire » des marginalisés du « capital » ne sera jamais possible  sans la « désectarisation » de la lutte prolétarienne, sans la « désindividualisation » des revendications sociales et économiques. Sinon, longtemps encore, les analystes politiques, les éditorialistes parleront de « l’impossible combat ».

Robert Lodimus

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Notes et références

[1] Le libelliste anonyme écrit à propos de Richelieu :

« Ci-gît un fameux Cardinal
Qui fit plus de mal que de bien;
Le bien qu’il fit, il le fit mal;
Le mal qu’il fit, il le fit bien. »

[2] Gilbert Cesbron, Les Saints vont en enfer, Éditions Robert Laffont, 1952.

[3] Joris Ivens, cinéaste avant-gardiste, Une histoire de vent, 1989.

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