L’histoire ne m’acquittera pas!

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« En ces jours d’incertitude,

Je marche sur les tessons

D’une peine immense

Et d’une funeste frayeur.

J’ignore encore

Où vont s’arrêter mes pas

Sur la route infinie

De mes lugubres pensées. »

(Robert Lodimus, Couronne d’’épines et de ronces)

 

Les yeux embastillés dans la noirceur, le paysage gourd, encore sous l’effet de l’hébétude, reçoit en plein visage la vague de froidure de l’aube. À cette période de l’année, la nature n’arrive pas à s’échapper de l’emprise des ténèbres épaisses libérées par Nyx, la déesse de la nuit. Les maisons glacées et les arbres effeuillés se dévoilent lentement à la clarté rebelle du jour. Je me rends compte, comme la plupart de mes camarades, que je vieillis dans « Le pays sans étoiles » de Pierre Véry. Loin des forêts tropicales, touffues et verdoyantes, qui berçaient de l’hiver à l’été mon enfance joyeuse avec les chants symphoniques des grives de Bicknell, les jacassements des pies, les coassements des crapauds, les cancanements des canards, les trissements des hirondelles, les béguètements des chèvres… Hélas! ce pays duquel je rêve n’existe plus. Charles Baudelaire dirait lui-même 

« Et le ciel versait des ténèbres

Sur le triste monde engourdi. »

Presque en titubant, et le dos voûté de fatigue, comme «le bossu de Rome », je dépose le lot de mes réflexions tortueuses sur la crécence de l’autel où j’offre quotidiennement mes libations à Athéna et Arès, les  divinités de l’intelligence et  de la guerre. Je traverse l’atrium  de mon « Confiteor ». Et je suis allé me réfugier, comme d’habitude, dans ma crypte de pénitence. C’est là que j’ai aménagé depuis plusieurs années la couche rugueuse sur laquelle s’allonge – à l’heure où les loups-garous achèvent leurs festins de chair et de sang – ma nostalgie térébrante jusqu’au réveil brutal des matins grisailleux. C’est toujours à ce moment de la nuit solitaire que les larmes des pensées mélancoliques forment sa rivière d’inquiétude et d’angoisse et inondent le cœur accablé, atterré des poètes casaniers. De ce coin d’où je viens, tout est mirage. Les individus, la faune, la flore, la terre, les maisons, le ciel, les nuages… n’existent pas. Et même le temps…! Là-bas, il ne se passe rien. Absolument rien! Tout s’est arrêté comme les vieilles pendules de Brierre, le petit horloger qui habitait à quelques mètres de la demeure de mes premiers vagissements. « Quand il ne se passe rien, écrivait Albert Jacquard, le temps n’existe pas…! » Alors, par ennui,  le temps s’est retiré de ma presqu’île mourante. Avec la promesse de ne pas y revenir avant la saison de la « danse des guerriers » dans les cluses où s’entredévorent les « cadavres ambulants », demeurés sous l’emprise des « nouveaux maîtres du monde »! 

 

Ma patrie s’élève dans l’atmosphère brouillardeuse comme une acropole de cauchemars. Ses années, comme il en fut pour la cité de Babylone, paraissent « comptées, pesées, divisées ». Des « prédiseurs » plus sceptiques pensent même qu’elle est déjà entrée dans sa phase  d’autodestruction. Serait-elle condamnée à partager le sort de Ninive ? Et ses pauvres habitants, celui des dinosaures? Le drame de cette République est aussi immense que l’océan. Pourtant, elle ne couvre qu’un tout petit espace sur la carte de l’épouvante qui bouleverse l’univers. Cet « endroit » bizarre, situé sur la ligne frontalière qui sépare la terre et le néant, est habité par des créatures fantomatiques. Le langage vernaculaire, à juste titre, a inventé le substantif « zombi » qui les qualifie ingénieusement. Elles n’ont aucune conscience du déclin. Et s’abandonnent entièrement, depuis des lustres, à la merci de « Satan (1) ». Quoique j’aie répété à tue-tête que « le train a sifflé trois fois », que les bandits se sont déjà installés dans la ville, personne n’a voulu réagir. Toute la population, par crainte et couardise, est allée s’enfermer au baptistère. Et, ce qui est triste, il n’y a même pas de Will Kane (Gary Cooper) pour affronter la bande de Miller.  

Je n’arrête pas d’y penser. Mon tour viendra, comme celui de tous les camarades qui sont partis sans avoir eu le temps de préparer leurs valises pour ce voyage qui dure l’éternité. Comment ne pas penser à ces démiurges consacrés ou oubliés de l’histoire universelle qui ont accepté de sacrifier leurs êtres pour libérer l’humanité de la cruauté d’Orthos ?  Étendu sur le dos, les yeux ouverts comme une bête noctambule qui plane sur le vide de l’inconscience, je relance ma mémoire révoltée aux trousses des souvenirs qui lézardent mon cerveau affligé. Mon âme rebelle est devenue pareille à celle de René Char devant « Nacht und Nebel [2] ». Elle refuse de se laisser abattre. Et résiste vaillamment aux assauts de la désespérance

Dès ma tendre enfance, les aubes crépusculaires commençaient déjà à clisser la tanière de mes pensées chagrines. Elles ont rempli à ras bord le panier de douleur qui triture mon âme subjuguée, terrassée par les crispations d’incertitude des lendemains apeurés. Elles sont parvenues à imprimer dans mon cerveau les affres qui houlent l’océan de ma vie amertumée, et qui font déferler sur la surface crevassée de mon humeur maussade les ondes d’une rage exponentielle. Ma chair écorchée, entaillée par les lames du temps insane refuse de s’abandonner à la paralysie du  déclinisme léthargique et à l’aboulie du fatalisme eschatologique. Car, comment pourrai-je oublier que de l’autre côté du Canal du Vent, il existe un pays qui trépasse  dans les bras débiles de son peuple paralysé? Et cet « endroit » handicapé, sans soleil et sans rire, où le dernier lampion d’espoir achève de s’éteindre,  n’est-il pas le lieu sacré où quelque part sous la terre grisâtre est enfoui le cordon ombilical qui a relié à la vie ingrate l’embryon que j’étais à l’origine dans les entrailles de la maternité protectrice ? 

Dans la prison de mes souffrances, les larmes enflammées coulent sur mes joues comme le fleuve en crue d’une hécatombe prémonitoire. Devant les portes barricadées d’une chapelle désaffectée, livrée aux orgies contestataires de ma conscience en éveil, je me suis arrêté un soir sous la pluie battante pour faire secrètement mon  «mea culpa, mea maxima culpa… » « Peut-être que le « Maître » est encore là, disais-je, recroquevillé quelque part sur des flocons d’impuissance et de déception générés par l’état de dépérissement célère de sa « Création ». Peut-être qu’il est tapi dans une zone ombreuse de l’iconostase, en train de vomir le dégoût sur son « Œuvre »  infidèle et déloyale. » Et je ne sais combien de fois ma bouche acariâtre, ce soir-là, durant quelques secondes de fléchissement, a repris la prière de contrition que, gamin, je récitais  innocemment dans les séances de dévotion vouées à la Vierge Marie, conduites par  frère Ludovic :

« Confiteor Deo omnipotènti

Et vobis, fratres,

Quia peccavi… [3]»

  Et de quel péché pouvions-nous nous rendre coupables à cet âge-là, pour que les cieux nous astreignissent au rythme de quatre fois par jour à cette torture expiatoire ? Alors que les adultes, qui avaient l’expérience de la mondanité impure, en furent largement dispensés? 

« Peccavi…! » N’ai-je pas vraiment refusé à mes bras, en des moments périlleux pour la nation, l’heureux et noble privilège de s’immortaliser dans la gloire, la  dignité et la vaillance d’un Pierre Sully, d’un Rodrigue le Cid, ou d’un Jean Moulin ? « Peccavi nimis cogitatiòne, verbo, òpere et omissiòne. » (J’ai péché par pensée, parole, action et omission). Inaction, devrais-je plutôt écrire ? Car, en ce qui me concerne, je me suis quand même révélé aux générations contemporaines comme un compositeur ennuyeux d’une succession d’églogues  à la sapidité utopique. En clair, je me suis contenté de « formuler des vœux pieux et de faire des déclarations d’intention sans parvenir à donner un prolongement concret à mes écrits (4)», comme l’a si bien exigé David Mandessi Diop, le poète de la militance

Quoique je sois déjà rendu à une bonne distance sur le parcours de mon voyage, c’est aujourd’hui que j’accepte enfin de confesser ma faiblesse, mon apragmatisme devant le fléau qui consume mon Alma Mater… À présent, je dois reconnaître et admettre que la littérature à elle seule ne pourra pas jouer le rôle « libérateur» dans le long et dur combat que mènent les gueux contre les carnassiers. En dépit de tout, et c’est peut-être ma seule satisfaction, je ne serai pas une pie bavarde, un bouffon auréolé d’hypocrisie dans l’hémicycle du cardinal de Richelieu. D’ailleurs, je n’ai jamais séjourné au pays des « fouaces ». J’ai appris à cracher sur « Agrios ». Et que dire des « nègres maison » comme les Mmusi Maimane [5] qui lèchent les semelles de leurs anciens « bourreaux ». Boivent la bave qui coule de leur bouche sans éprouver le moindre sentiment de gêne ! Ou sans ressentir l’envie de vomir…!

Dès le début de mon adolescence, je suis  devenu l’aède d’un « Mal » qui ravage un peuple que l’on pourrait comparer à un troupeau de buffles sauvages que les mauvaises passes ont écornés, alors que j’aurais pu être un sculpteur de « Liberté », élevé (qui sait ?) à la grandeur de Michel Ange. Ou un « Visionnaire » aguerri de la « Justice » et de la « Légalité » de la trempe de Thomas Sankara, Frantz Fanon, Antoine Izméri… Ce mal des siècles qui sème la souffrance et la désillusion, et qui se répand comme des vers grouillants dans un fruit pourri, paraît plus que jamais « inéradicable ». Indéracinable. 

Tous les jours, mes pensées fébriles survolent Roncevaux, le lieu légendaire de l’amphithéâtre horrifique où « Roland » et tant d’hommes intrépides sont tombés sous leurs chevaux dépecés, victimes de la félonie de Ganelon. L’histoire de mon peuple ressemble étrangement à ce poème épique nommé « La chanson de Roland », découvert durant la première moitié du 19ème siècle par l’historien Henri Monin. Elle se déploie aux yeux complices de l’univers comme une saga théâtrale ou cinématographique à forte teneur en tragédie. En Infernalité. Une œuvre sardonique, méphistophélique interprétée par des personnages qui tiennent à la perfection leur rôle de réalisateur, de metteur en scène, de bourreau, de traître, de victime… Et dans laquelle, au bout du compte, périront tous les comédiens  – désabusés ou dépravés – qui font partie de la distribution pernicieuse. Les balbuzards débauchés, les dramaturges pervertis, les scénaristes dévoyés ne seront pas eux-mêmes épargnés. Ils disparaîtront à leur tour dans les décors grotesques qui ont servi à tourner les plans-séquences de l’apocalypse… Les génies de l’horreur ne survivront pas longtemps à leur ignobilité.  Peut-il y avoir de bourreau sans victime ? Le seul grand regret, c’est qu’il n’y aura ni procès, ni condamnation à mort pour la multitude des Ganelon et les prédateurs de l’hégémonie septentrionale !  

Les Achéens sont revenus. Et puis, étaient-ils jamais partis ? Les avatars de Belzébuth ont transformé le temple d’Apollon en un lieu de griserie et de débauche. Ils veulent détruire à jamais la « Cité mythique » qui a forcé « Napoléon de Corse » à baisser la tête et à faire des génuflexions de reddition devant le péristyle des « bossales » et des « créoles ».  Aujourd’hui, le tiers de mon île agonise. Il est devenu la « Troie » du 21ème siècle. La « Rome » de l’Amérique est en train d’anéantir le « Carthage » de la Caraïbe. Et il n’y a plus de mains vaillantes pour relever les défis de l’humiliation et de l’arrogance lancés par les Scipion de l’ère assassine… Dans cette sale guerre de mépris haineux, de hargne insoutenable qui s’acharne contre les victimes de l’absurde, mine la résistance des déshumanisés de la géhenne mondialisée, mon pays est placé en première ligne, comme le malheureux Urie de l’Ancien Testament. Ma terre est mise à sac, à feu et à sang. Les cris de douleur des femmes, des vieillards et des enfants assourdissent les bruits des vagues de désespoir qui se fracassent contre les parois de mes chagrins.  Et pourtant aucun des camarades, que je sache, n’a séduit et enlevé la femme du roi de Sparte. Ô ciel ! si intense est le mal que  l’espoir de  lutter  semble vain !

La terre entière s’est transformée en un cirque de déprime et en un foyer de frustration. Les  proscrits, ces créatures de la bohème, sautent de trapèze en trapèze, sans filet de sécurité, sous les regards amusés des « bricoleurs » de méchanceté. Qui peut nous dire, Ô martyrs de l’impassible destin, où s’arrête l’escalier de l’abattement que les misérables du « Bon Dieu », à l’instar d’Etzer Vilaire, Coriolan Ardouin, Jean Genet, Nicolas Gilbert, Paul Verlaine, Gérard de Nerval…, sont condamnés à grimper de la première à la dernière marche d’une existence ébouriffée, faite de papier froissé? 

Ce pays lypémaniaque, qui peine depuis plus de deux cents ans sur une pente raide et glissante et qui, comme dans un film de Charlie Chaplin, éprouve du mal à se hisser au sommet de la félicité, est devenu pour certains d’entre nous une amulette de persécution et d’insomnie. Comme François Rabelais, je répète dans mes moments de délire et de morosité :

 « Mon cœur ne peut choisir aucun autre sujet,

Quand je vois le deuil qui vous mine et consume… »

Hélas! En pensant à cette terre brûlée sous le soleil de la flétrissure, le jour s’est retiré de mon espace temporel et tout devient une voûte enténébrée de fatalité indigeste. Dans ce tabernacle de désolation où Méphisto règne sur les esprits,  les croyances et les mœurs, les poètes, anciens et nouveaux, n’arrivent pas à déchagriner les mots qui exposent et amplifient les maux. Dès la puberté, n’en déplaise à l’auteur de Gargantua, ils écrivent des larmes plutôt que des rires [6]. Dites donc, vous qui appartenez comme moi au royaume de la Malchance et de la Tribulation, ne ressentez-vous pas dans vos entrailles endolories, à l’instar d’une mère éplorée par la perte d’une progéniture, les tressaillements des vers pleurards de Vilaire ?

 

« L’espoir fuit, las enfin de tromper nos regards,

C’est le néant qui s’offre à nous de toutes parts. »

    Depuis des décennies, je traîne mes fantasmes dans un baluchon d’utopie névrosée. Je passe des journées entières à maudire les génies de la malfaisance qui ont remplacé  le  bleu éclatant du ciel des Antilles par les couleurs blafardes de la misère et du trépassement. Je ne peux plus regarder la mer en face, sans avoir des sanglots dans la gorge. Elle incarne à mes yeux le tombeau des « désespérés » de Léon Bloy. L’endroit damné où, dans les abysses, s’étalent les ossements décharnés des milliers de nomades chassés par la guerre et par la famine. « Le monde est ainsi, écrit Max Gallo. L’égalité n’est qu’une chimère. Malheur aux pauvres et aux vaincus. [7] » 

Les cathédrales vampires, instigatrices et alliées de la monstruosité castillane, sont restées volontairement taciturnes, malgré la pluie de croix qui s’abat sur les vallons où  reposent les « divinités» aujourd’hui déchues, outragées, blasphémées. Depuis ce 28 juillet 1915, les «Procustes » du Nord ont saboté et « dénimbé » les piédestaux de la gloire et de l’héroïsme de Vertières. Cette petite portion de terre lumineuse, jadis aussi sacrée que l’Olympe des déités légendaires, est  transformée en une léproserie de misère par les « Alegdas » locaux, et ces « aryens » prétentieux à l’iris d’émeraude et de saphir, porteurs de malédictions et proliférateurs d’abominations. Avant que les rideaux de mes paupières éreintées ne retombent sur la néantité  du temps fuyard, aurais-je le privilège d’entendre résonner dans les plaines et les montagnes « Le chant des partisans » porté dans le vent siffleur par la voix ferme d’Yves Montand, sur les arpèges d’une guitare en métal et repris en chœur par les prolétaires téméraires en furie ? 

Compagnons de la résistance, cette nuit, pour une dernière fois, les yeux embués de larmes de remords, j’ai fait « mon mea culpa… » Serait-il trop tard pour vous inviter à chanter solennellement sous la pluie de l’ « Injustice »  et de l’ « Ignominie », dans un élan de patriotisme pur et de solidarité  sincère, « El pueblo unido jamás será vencido », cette turelure de combat composée avec les notes subliminales de l’artiste Sergio Ortega, fidèle ami du poète Pablo Neruda

Me revient aussi à la mémoire « Le temps des cerises » de Jean-Baptiste Clément! En cette saison de dépenaillement globalisé, je m’approprie toutes les « meringues » explosives qui ont le même effet que la potion magique d’Astérix : 

« Le peuple uni ne sera jamais vaincu !

La patrie forge l’unité.

Du nord au sud, elle se mobilisera,

Du Salar ardent et minéral

A la forêt australe,

Unis dans la lutte et dans le travail, ils iront

Ils protègeront la patrie… [8] »

    N’est-ce pas peut-être comme cela que « Les feuilles mortes » seraient revenues à la « Vie »; que les « communards » du monde entier seraient sortis de leur tombeau  pour  participer à la « Fête de la Libération » et se soûler aux côtés des hérauts rayonnants d’un nouvel ordre mondial? 

Ces mots héroïques que nous aurions repris dans nos élans de liesse incontrôlable n’appartiennent plus à un peuple singulier, ils font désormais partie du patrimoine de la « Lutte globale pour le Respect des Droits et Libertés  des Individus » (LGRDLI). 

La « Terre » est la « Patrie » des poètes. Leurs « inspirations » transcendent toutes les frontières. La « pauvreté » n’a pas de couleur. La « Révolution » est la « cause légitime » de tous les « êtres dominés ». « La Dessalinienne », « Chacun de vous est concerné », « En la plaza de mi pueblo », ils appartiennent à tous les peuples exploités, asservis, souffreteux, qui se battent pour faire régner la «Lumière » de la vie sur les « Ténèbres » de la mort.

« Sur la place de mon village,

 dit le journalier au maître :

 « nos enfants naîtront

           avec le poing levé. »

Dans la nuit frileuse, sous le coup de minuit, le menton soudé à ma poitrine haletante, j’ai encore dit mon « mea culpa ». Pendant mon périple imaginaire, je me suis prosterné solennellement devant les débris de l’échafaud dressé le 16 septembre 1931 à Solouk par le colonel Rodolfo Graziani pour l’exécution par  pendaison d’Omar Al-Mokhtar, le noble bédouin qui a porté honorablement son surnom de « Lion du désert ». Je me demande s’il est trop tard pour laisser la ville morte et aller habiter dans le « Djebel Akhdar ». 

Ô cruelle et injuste sensation ! C’est à l’approche de l’hiver que me viennent  le courage de vaincre la « peur » égrotante, l’idée de marcher contre la « stupidité » guillotineuse de conscience et l’envie d’emprunter la route du « Soleil levant » !

« Mea culpa, mea maxima culpa », pour n’avoir pas compris à temps que, pour se rendre au « Paradis », il fallait aussi traverser des rapides, grimper sur des falaises escarpés, marcher au  milieu des forêts denses, dormir d’un œil à la belle étoile sur le sol empierré, se nourrir de sauterelles sauvages comme Jean le Baptiste, l’ermite martyr… Et le plus important : être capable de valser bravement sous la musique des orages, quand les éclairs écorchent les flancs du ciel et quand la foudre se déchaîne! L’histoire ne m’acquittera pas ! 

J’aime paraphraser ou citer Henry de Montherlant : « La Liberté existe toujours, il suffit d’en payer le prix. » Je me surprends souvent à parler à voix basse, comme le pauvre « chemineau », le « trimardeur » solitaire qui s’apitoie sur son sort : « Ai-je jamais su payer le prix de ma Liberté? » J’aurais beau briser le miroir comme dans un film de Jean Cocteau, mais chaque particule me renverrait « le fond de mon âme » faiblarde, impuissante devant le drame qui ombrage la quotidienneté des populations marginales. Le « néocolonialisme » est un compacteur impitoyable qui aplatit l’espoir et écrase la résistance des indigents.

En conclusion 

    Bertolt Brecht conseille : 

« Je vous le dis : souciez-vous en quittant ce monde, non d’avoir été bon, cela ne suffit pas, mais de quitter un monde bon. » À regarder ce pays – qui est aussi le mien – dépérir comme un clochard  abandonné aux aléas de la rue,  un indigent sans espoir et sans secours, je ne saurais échapper aux assauts des remords qui subjuguent mon âme et laminent ma conscience. À quoi bon, pour l’adolescent précoce que j’étais, d’avoir commencé très tôt à lire « Les chemins de la liberté » de Jean-Paul Sartre, « Tarass Boulba » de Nicolas Gogol, « Mathias Sandorf » de Jules Verne… si plus tard, devenu adulte, je ne suis pas arrivé à déraciner le « Mal » horrifiant que caractérisent les mois de « juillet » et « septembre » dans notre histoire?

Je dis publiquement mon « mea maxima culpa » afin d’implorer pour moi-même le pardon des héros de l’indépendance qui ont sacrifié leur courte existence pour forger dans le sang cette « Liberté » qu’ils ont léguée à nous, leurs descendants, et que les Garat méprisables, placés aux ordres des mercenaires, des goujats, des « goinfres » du « néolibéralisme », ont poignardée trois fois dans le dos. D’abord en 1915. Puis en 1994. Et enfin, en 2004.

 

Notes et références

[1] Mot fréquemment utilisé par feu Hugo Chavez pour qualifier le néolibéralisme.

[2] Nuit et brouillard : nom du décret signé le 7 décembre 1941 par le Maréchal Keitel en rapport à la déportation des Juifs dans les camps de concentration et de gazéification.

[3] Je confesse à Dieu tout puissant, je reconnais devant mes frères que j’ai péché…

[4] David Léon Mandessi Diop : extrait d’une lettre écrite à son oncle Alioune Diop une semaine avant de mourir dans un accident d’avion.

[5] Mmusi Maimane : Leader noir sud-africain, chef de l’Alliance Démocratique, considéré comme un parti blanc.

[6] François Rabelais a dit de préférence : « Ils écrivent des rires plutôt que des larmes. »

[7] Max Gallo, Napoléon : Le chant du départ.

[8] Chanson de révolution du Chili écrite par le groupe Quilapayun en juillet 1973 et mise en musique par Sergio Ortega.

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