Lettre du Bureau Des Avocats Internationaux (BAI) à la CARICOM sur l’Intervention Internationale proposée en Haïti

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1969

Dr. Carla Natalie Barnett
Sécretaire Générale
Communauté caraibéenne

Dr. Barnett:

Nous vous écrivons au sujet de l’intervention internationale armée en Haïti qui a été demandée par le Dr Ariel Henry, le Premier Ministre de facto d’Haïti, et soutenue par les États-Unis et le Canada, pour expliquer que tout soutien à l’intervention par la Communauté des Caraïbes (CARICOM) violerait les principes démocratiques de la CARICOM, trahirait la lutte séculaire des Haïtiens pour la démocratie et la souveraineté et impliquerait la CARICOM dans des attaques contre des civils exerçant leurs droits humains fondamentaux.

Depuis que l’intervention a été proposée, les Haïtiens sont descendus dans les rues par dizaines de milliers pour s’y opposer. Nous avons publié des déclarations, parlé dans les médias et fait tout ce que nous pouvions pour faire savoir au monde que l’intervention est conçue pour soutenir le Gouvernement de facto inconstitutionnel, corrompu et répressif et étouffer la dissidence légitime.

Le Premier Ministre de facto Henry a accédé à son poste non pas par la procédure exigée par la Constitution haïtienne, mais par une annonce du Core Group, dirigé par les États-Unis. Il avait été nommé par le président Jovenel Moïse du Parti Haïtien Tèt Kale (PHTK), dont le mandat avait expiré cinq mois auparavant. Le PHTK n’a pas organisé d’élections équitables ou à temps au cours de la décennie où il s’est maintenu au pouvoir. Le Parlement haïtien est devenu inopérant en janvier 2020 et les mandats de tous les élus locaux ont pris fin en juillet de la même année. La Cour de Cassation (Cour Suprême) d’Haïti n’a pas d’effectif pour constituer un quorum de cinq ( 5 ) Juges depuis mars. Cette situation constitue une rupture brutale avec le droit à un système démocratique juste et ouvert garanti par l’article VI de la Charte de la société civile de la CARICOM.

La gouvernance du PHTK a été manifestement brutale. En avril 2021, l’Observatoire Haïtien des Crimes Contre l’Humanité (OHCCH) et la Harvard Law School ont publié un rapport établissant que des gangs et des responsables gouvernementaux ont collaboré à des attaques meurtrières contre des quartiers soupçonnés d’abriter des opposants politiques et des électeurs opposés au PHTK. Au cours de la vague actuelle de manifestations, la police a arrêté des dizaines de militants engagés dans des activités de protestation légales et a tiré sur des manifestations légales. Des journalistes ont été battus et tués. Cette répression constitue de graves violations des droits garantis par les articles IV (Droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne), VII (Réunions Manifestations et Pétitions) et VIII (Liberté d’information et d’accès à l’information) de la Charte de la société civile.

Tout au long du règne du PHTK, les membres puissants de la communauté internationale se sont abstenus de critiquer le bilan du gouvernement en matière de droits humains. Dans une exception qui confirme la règle, début 2018, la Représentante spéciale du Secrétaire Général des Nations Unies en Haïti, Susan Page, a publié un communiqué de presse exhortant diplomatiquement le gouvernement du PHTK à poursuivre des affaires notoires impliquant des massacres policiers et la corruption publique. Lorsque le président Moïse s’est plaint, l’ambassadrice Page a été démise de ses fonctions, sans aucun soutien public de l’ONU ou d’un autre membre de la communauté internationale. Dans le même temps, les mêmes membres puissants de la communauté internationale ont apporté un soutien diplomatique et financier substantiel au gouvernement du PHTK. Les Haïtiens sont convaincus que l’intervention proposée est une extension de ce soutien, destinée à protéger le gouvernement contre les protestations massives exigeant le départ du PHTK et au retour à l’ordre démocratique et constitutionnel.

Les Haïtiens sont bien conscients que la plus récente intervention armée internationale chargée de lutter contre la violence des gangs en Haïti, la MINUSTAH, a été un échec mortel et coûteux. La MINUSTAH a dépensé 9 milliards de dollars américains sur treize ans et a laissé Haïti moins démocratique qu’à son arrivée. Les soldats de la MINUSTAH, sous la pression des États-Unis, ont pourchassé des membres présumés de gangs – des jeunes hommes des quartiers populaires – et les ont battus, tuant parfois des femmes et des enfants à proximité. Les exécutions ont temporairement réduit la criminalité, mais ont sapé l’État de droit et préparé le terrain pour le rebond spectaculaire de la violence des gangs aujourd’hui. La MINUSTAH a encore érodé l’état de droit en arrêtant illégalement des dissidents et en fournissant un renfort pour les raids policiers meurtriers contre les opposants politiques.

Les Nations Unies ont également insulté le peuple haïtien, causé d’énormes souffrances et des morts et bafoué l’État de droit en déversant des eaux usées contaminées de choléra dans nos rivières et en refusant de se conformer à ses obligations légales de réparer les dommages causés. Il y a six ans, l’expert des droits de l’homme de l’ONU, Philip Alston, a déclaré que la réponse de l’ONU va directement à l’encontre des principes de responsabilité, de transparence et d’état de droit que l’ONU elle-même promeut à l’échelle mondiale. Le non-respect continu par l’organisation de ses obligations légales la prive aujourd’hui de toute position morale pour promouvoir l’État de droit en Haïti.

Les mauvaises pratiques documentées de la Police Nationale d’Haïti (PNH) au cours du régime du PHTK et des troupes de l’ONU durant le mandat de la MINUSTAH nous amènent à conclure que l’intervention armée proposée sera impliquée dans la répression des activités légales de mobilisations pour les Droits de Libertés Publiques et l’exécution sommaire de jeunes hommes et garçons dans les quartiers populaires.

Nous serions profondément attristés de voir nos frères et sœurs de la CARICOM venir ici pour fusiller, massacrer et arrêter arbitrairement des manifestants et soutenir un gouvernement répressif à la demande de pays puissants qui ont obtenu leur statut grâce à la traite atlantique des esclaves. Mais les Haïtiens se battent pour la liberté depuis que nous avons lancé notre révolution qui a engendré la première République noire indépendante. Nous continuerons à nous battre avec tous les moyens dont nous disposons. Notre tristesse face à la trahison de nos frères et sœurs de la CARICOM, qui ont tant bénéficié de notre lutte, ne réduirait pas notre détermination à défendre notre liberté contre tous ceux qui la menacent.

Les Haïtiens sont reconnaissants à la CARICOM d’avoir fourni au monde un exemple de soutien de principe à la démocratie haïtienne en 2004. Comme vous le savez, à la suite du coup d’État du 29 février, la CARICOM a refusé de permettre au gouvernement inconstitutionnel imposé par les États-Unis de participer aux grandes réunions. Malgré la pression substantielle des pays puissants qui dirigent maintenant l’initiative d’une intervention armée, la CARICOM est restée fidèle à ses principes et aux côtés du peuple haïtien, et a finalement aidé à forcer le retour à l’ordre démocratique en 2006.

Le peuple haïtien se tourne aujourd’hui vers la CARICOM afin de reproduire l’exemple que la communauté a donné en 2004, et non pour la trahir. Nous ne voulons pas que nos frères et sœurs de la CARICOM viennent avec des armes pour aider des pays puissants à nous imposer un régime répressif. Nous voulons que nos frères et sœurs viennent en solidarité, au respect des principes démocratiques. Nous voulons que la CARICOM insiste une fois de plus pour que la communauté internationale cesse de soutenir un régime inconstitutionnel et imposé pour permettre aux Haïtiens de trouver une solution démocratique et durable à leur crise politique.

En Solidarité,

Mario Joseph
4 novembre 2022

 

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