Les saltimbanques « toujours sur le konpa »

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Les 8 sinécuristes de la fumeuse et fameuse Commission nationale de désarmement, de démantèlement et de réinsertion (CNDDR) dont le désarmant travail de démantèlement pava la route aux gangs actuels.

Depuis mon enfance, le mot saltimbanque traîne avec lui une connotation de ti vakabon nuancée de manque de sérieux.  À écouter ma grand-mère paternelle l’employer, c’était toujours péjoratif. Quand elle évoquait yon bann saltenbank, je savais à quoi m’en tenir. Avec le temps, j’ai sans doute appris à mettre un peu d’eau dans mon vin de compréhension du mot saltimbanque. Mais, jusqu’à un certain point, Grand-mère n’avait pas tout à fait tort. Je m’en vais vous dire pourquoi.

Au sens propre, originel du terme, un saltimbanque c’est un comédien ou marchand ambulant dont la profession est d’amuser la foule dans les foires ou sur les places publiques, par des acrobaties, des tours d’adresse, ou des boniments. Dans un sens « moins propre », c’est un bouffon de société, un mauvais orateur, outré dans ses propos et dans son comportement. Et puis, à force d’élasticité de la pensée, on en est venu à appeler saltimbanque tout individu qui, par son manque de sérieux, sa légèreté, ne se montre pas digne de considération. Ah ! Grand-mère, tu avais un peu raison…

Au sens où Grand-mère utilisait le terme saltimbanque, le monde politique et parapolitique fourmille de ces baladins, bouffons, charlatans, jongleurs, salisseurs dont l’absence de sérieux, le faire cabotin, crétin et égoïste sont un réservoir d’indigence, d’inconscience si ce n’est de malfaisance dans lequel nos présidents de la république puisent à pleines mains pour mener à bien leur politique outrancièrement démagogique et malhonnête. Le sieur Luckner Cambronne de sinistre mémoire illustre le propos. Chargé par le « petit médecin de campagne », président à vie, de changer Cabaret en Duvalier Ville, à l’image sans doute de Ciudad Trujillo, le mec n’a fait que transformer le projet en une vaste source de gaspillage de ressources et de corruption. Le seul bâtiment et centre d’attraction qui est resté de ce qui devait être une grande foire (sic), une sorte de « feria de la paz y confraternidad del mundo libre » est un gallodrome (gagè) mal entretenu, sans doute aujourd’hui en totale décrépitude, sinon inexistant.  Sic transit gloria Cambronni.

En 2010, de scabreuses et chanpwelleuses élections à l’ombre de la diablesse Hillary Clinton hissent Michel Martelly au pouvoir. Ce ti vakabon, musicien dévergondé, fait des siennes. Il vakabonde tant et si bien, allant de dérive en dérive, que la situation politique, la crise électorale plus précisément vire au pourrissement. Martelly, assuré de pouvoir puiser dans le réservoir d’indigence, d’inconscience si ce n’est de malfaisance dont regorge le pays, et déterminé à mystifier la population pour garder son pouvoir, sort de ses manches présidentielles deux magnifiques échantillons de la saltimbanquerie toujours  sur le konpa.

L’un, Chibly Langlois, a été oint cardinal par le pouvoir pontifical. Héritier des combines et magouilles séculaires tissées dans les couloirs du Vatican, le prélat de l’heure, met les pieds à l’étrier des machinations ElRanchottes pour sauver le régime de Martelly. Guidé par l’Esprit saint de toutes les indigences et au nom d’une alliance de classe de circonstance entre la vulgarité (politique, présidentielle) et le goupillon (cardinalice), l’homme d’Église, saltimbanque d’occasion, se prête joyeusement et saintement aux bacoulouteries du président qui tirera ses marrons du feu.

L’autre larron en foire, Evans Paul, alias K Plim, est un saltimbanque rompu à toutes les acrobaties, allant des plus dangereuses, bravant par exemple un général sanguinaire, aux plus pragmatiques. Durant les années St-Jean Boscottes, Aristide et lui, deux grands maîtres des mots et des slogans, seront tour à tour compétiteurs, alliés puis ennemis. Après un itinéraire en dents de scie, son heure de gloire et de percée politique va sonner en 2014 quand il va être le premier à proposer la formation d’un conseil de sages pour rechercher une sortie de crise face au pourrissement de la situation.

Voltigeant d’un trapèze à un autre, Privert manipule les saltimbanques autour de lui toujou sou konpa.

Tout de suite, Martelly reconnaît en lui le saltimbanque du moment qui va servir ses manœuvres politiciennes. Il le nomme dans la Commission consultative de onze membres chargée de proposer une sortie de crise. Et voilà ‘‘Compère-Plume’’ en orbite, toujours sur le konpa, puisque le 25 décembre 2014, Martelly fait choix de lui comme PM. L’homme providentiel se présente ainsi : « connu pour son esprit de pardon et de modération, un militant politique, un apôtre du vivre-ensemble et comme un homme politique d’avant-garde ». Paul, maintenant Compère Consensus, va naviguer à vue, maintenant Martelly à flot jusqu’à l’escale Privert.

Jocelerme Privert est un grand équilibriste. Il est élu par le Sénat à la présidence provisoire d’Haïti le 14 février 2016, dans l’attente d’élections générales dans un délai maximal de 120 jours. Son mandat présidentiel expire le 14 juin,  mais la chaise bourrée étant dous, Privert s’y cramponne et reste président de facto, après le 14, malgré les coups de gueule de l’ex-PM Evans Paul et de l’opposition, tous unis dans un « bel élan patriotique ». Voltigeant d’un trapèze à un autre, Privert manipule les saltimbanques autour de lui toujou sou konpa. Le président du CEP Léopold Berlanger aidant (au niveau de la tabulation) et toujours sur son konpa, Jovenel Moïse est berlangèrement ‘‘élu’’ président d’Haïti. Vive la démocratie ! Vive la bourgeoisie ! Vive Washington ! Vivent les saltimbanques !

Le ‘‘Comité de pilotage et d’organisation des états généraux sectoriels de la nation’’ : une pléthore de saltimbanques à-rien-à-faire dont le rapport de synthèse (sic) fut tuipé par Jovenel. Le Saint Esprit avait mal inspiré Mgr. Kébreau

Or Jojo qui avait promis l’eau, la terre, le soleil, la lune et aussi – imaginez – du fromage, n’arrive même pas à délivrer une queue de hareng saur. Les oppositionnels qui se nourrissent de filet mignon à la sauce au vin rouge et à l’échalote, de truites aux amandes, d’asperges au beurre citronné et de riz aux champignons à la Niniche Gaillard s’émeuvent et se meuvent « en groupe, en ligue, en procession ». Pour eux, la faim n’est pas une option. Presto, Jovenel fait appel aux saltimbanques toujours sur le konpa. Le voilà qui crée des commissions pour étudier les mécanismes de… la faim. Question politico-gastro-entérologique d’extrême importance.

Le Nouvelliste, à propos de ces commissions, rapporte : « Une commission par problème. C’est la stratégie que semble appliquer le président de la République depuis qu’il est arrivé au pouvoir le 7 février 2017. À cette date [12 mars 2018], Jovenel Moïse a déjà créé pas moins de 14 commissions pour autant de problèmes non résolus. Son premier ministre Jean-Henry Céant a aussi son petit lot de commissions et de tentatives d’en créer. » Grasses allocations mensuelles, fiches pour essence gratis petite chérie, voitures blindées aux vitres tintées, gardes du corps, oui, il faut absolument prendre soin de la saltimbanquerie toujours sur le konpa. 

C’est aussi, pour ces bouffons de société, l’attirance du fric, de flairer les aisselles du chef pour le pognon qu’il procure.

Déjà, dès la mi-avril 2017, Jovenel, ce génie du patriotisme (j’ai failli écrire du christianisme), mû par un élan christopho-estiméen et ému par le sentiment d’atroce désolation ressentie devant les ruines du palais national à faire rougir de honte, puisa dans le réservoir à saltimbanques pour créer l’impression d’un « roi bâtisseur » et laisser son nom à l’Histoire en grand genre. Le mercredi 19 avril 2017, en présence des représentants des trois pouvoirs de l’État, d’anciens zotobre, de quelques kokobe retraités des FAD’H, de grands et petits zouzoun de la société civile, Jovenel confia, grandiloquemment, à une Commission de Reconstruction du palais composée de 7 membres la noble tâche de rebâtir cet orgueil national, ce haut lieu de l’imaginaire collectif haïtien ; car depuis notre immortelle Lumane Casimir chaque Haïtien est un Papa Gede bèl gason en puissance d’aller « monter au palais ». Quatre ans plus tard, pas une seule pierre n’a été posée. Quelle douloureuse honte ! Entre-temps, le mec ne fait que s’emplir les poches, lui, sa femme (Madame Dermalog) et ses saltimbanques de sousou. Environ soixante-quinze ans plus tard, les plus vieux d’entre nous rêvent et se souviennent d’avoir chanté : « Souscrivons tous, payons les cinq millions ». Damn it ! Jovenel.

Le lundi 11 mars 2019, Jovenel Moïse installait au Palais national une Commission nationale de désarmement, de démantèlement et de réinsertion (CNDDR) de 8 membres afin « d’instaurer la paix et la stabilité ». Ces désoeuvrés ont si bien oeuvré que la capitale du pays est aujourd’hui livrée à une latriye de gangs dont les commanditaires et fournisseurs d’armes sont au sein de la bourgeoisie, du pouvoir et de la PNH. C’est franchement… désarmant. Saltimbanques, quand vous nous tenez !

Un an auparavant, le 28 mars 2018, Jovenel Moise avait installé un truc nommé ‘‘Comité de pilotage et d’organisation des états généraux sectoriels de la nation’’ et composé d’environ 22 à-rien-à-faire dans le but soi-disant de « réduire les conflits politiques, assurer la participation de toutes les couches de la population aux processus décisionnels (sic), permettre un dialogue entre toutes les couches de la société » (resic).

Or, depuis décembre 2018, le secrétariat technique des États généraux sectoriels avait soumis son rapport de synthèse (sic) au président de la République. Depuis, monsieur n’a jamais daigné répondre à cette structure qui avait coûté plus de 47 millions de gourdes au Trésor public. Une saltimbantesque foutaise. On ne devrait s’étonner de rien de ces saltimbanques toujours sur le konpa du fric et de l’indignité.

S’il fallait énumérer le grand nombre de commissions créées par Jovenel, les unes plus insignifiantes que les autres on finirait par croire que le type est timbré. Or il ne l’est pas. C’est plutôt de plaisir, de jouissance qu’il s’agit, d’avoir à sa portée autant de saltimbanques qui se prêtent à ses billevesées, l’échine à l’horizontale ; et c’est bien du délire de pouvoir qu’il s’agit. C’est aussi, pour ces bouffons de société, l’attirance du fric, de flairer les aisselles du chef pour le pognon qu’il procure. Car comment comprendre qu’un type bien, une femme bienne, de la « bonne société », puisse se laisser ainsi attirer dans les filets d’un médiocre, d’un corrompu patenté, d’un menteur fieffé, d’une doublure de la bourgeoisie, d’un restavèk des tuteurs polymorphes américains, d’un honteux appendice du fessard Martelly, si ce n’est par appât du gain, par akrèkté pour quelques liasses de billets verts, par besoin de relyasyon.

Une pluie diluvienne de Commissions a failli déluger le pays ces temps derniers. Seuls ont réchappé ceux et celles qui s’étaient réfugiés dans l’arche réservée aux saltimbanques. Les autres n’ont pas su comment naje pou sòti. La faute à… Préval, le créateur de l’expression, bien sûr. Pas une seule de cette pléthore de commissions strictement politiques n’a jamais décollé, survolé et évalué les dégâts au sol, voire « atterri ». Une politique nulle, terre à terre à vrai dire. Du tout à fait atterrant et embarrassant.

Et tant qu’il y aura des saltimbanques, il y aura des médiocres pour les faire saltimbanquer.  

31 mai 2021

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