Les résistances haïtiennes à l’implantation du baseball par l’occupation américaine

Enquête

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A présent, le baseball reste dans le cadre du sport de loisir, cela sous-tend qu’il permet à un groupe très restreint d’entretenir la santé du corps et de l’esprit. Credit: Milo Milfort

Le contexte d’apparition du baseball en Haïti est loin d’être innocent. Encore moins son rapport avec l’histoire de ce pays meurtri par des occupations et colonisations étrangères. Il se veut le symbole de l’impérialisme américain si l’on se tient à la logique qu’il n’y a pas d’occupation sans un projet culturel.

Au cours de son histoire comme peuple, Haïti a subi pas moins de deux occupations américaines. La première occupation qui constitue un acte d’agression politique, économique et militaire, date de 1915 à 1934. Celle-ci s’inscrit dans la dynamique de l’essor américain dans la région relative  à la doctrine de James Monroe – lancée en 1823 – et la vision de Roosevelt. Ces deux visions du monde accordent aux Etats-Unis le rôle de gendarme ou de police internationale dans l’hémisphère occidental.

Ainsi, dès le début du 20e siècle, la nouvelle puissance de l’Amérique commence par affirmer sa présence en étendant ses intérêts stratégiques dans la région caribéenne avec l’occupation du Porto Rico en 1898, Cuba en 1902, Panama en 1903, Nicaragua en 1912 et la République Dominicaine en 1916.

La première occupation nord-américaine a divisé en deux le pays. D’un côté des pro-occupants et de l’autre côté ceux qui ont pris le chemin de la résistance.

Toute occupation militaire de longue durée s’accompagne d’un agenda culturel. Ainsi, la première occupation américaine a essayé d’implanter voire d’imposer le baseball en Haïti. Les occupants offraient même en cadeau des battes (bâtons) et balles de base-ball, rapportent des historiens.

Des jeunes pratiquant le baseball dans le pays. Credit: Milo Milfort

Haïti est l’unique pays occupé par les yankees à avoir résisté obstinément à la pratique du jeu de baseball, le sport traditionnel des Etasuniens. Le Nicaragua, le Panama, Cuba, la République Dominicaine, le Porto Rico, le Mexique et le Venezuela, occupés par l’empire américain ont tous été pris dans l’engrenage culturel de son impérialisme en adoptant le baseball introduit par les marines.

D’ailleurs, dans la majorité de ces pays, il est considéré comme le sport roi et connait un développement fulgurant. Ce, à tel point de faire de cette zone de l’Amérique Centrale et des Caraïbes un véritable bastion d’excellents joueurs mondiaux de baseball. Alors qu’en Haïti, il en est autrement. La pratique du baseball ne suscite aucun intérêt véritable chez l’écrasante majorité des Haïtiens.

Tentatives d’explication du rejet haïtien !

Entre 1915 et 1916, avec notamment Georges Sylvain, c’était le rejet de toutes formes d’expression de la culture américaine. Un fort mouvement de résistance intellectuelle et populaire se dressait contre l’occupation américaine sur ce territoire.

« Cela n’a jamais pris [de l’ampleur]. Ceci pour deux raisons : Ce n’est pas dans le goût des Haïtiens. C’est un jeu inintéressant. Mais aussi, en réaction à l’occupation », a fait savoir l’historien et médecin George Michel, qui se rappelle même d’un cliché historique où l’on voit une partie de baseball aux Gonaïves dans les années 20. La dernière équipe de Baseball qui à sa connaissance fonctionnait en Haïti date de 1956. Il y avait une partie de Baseball à la Saline. Le terrain sur lequel on le pratiquait n’existe plus. « On a érigé des constructions dessus », se souvient-il.

« On n’a jamais adopté le baseball parce qu’on le rejetait comme forme d’impérialisme. Dès lors, on avait des hommes et femmes [conséquent.e.s] au pays. Ce n’était pas uniquement les intellectuel.le.s qui étaient des êtres humains mais aussi le peuple. Maintenant malheureusement, c’est la déchéance. Nous n’avons pas d’élite intellectuelle, économique et financière », renchérit Auguste D’Méza, professeur et sociologue. Il dénonce le niveau surélevé d’acculturation des haitien.ne.s qui aboutit à la quasi disparition de toute forme d’idéologie. Il prend en exemple les hommes et femmes au pouvoir qui arpentent des partis politiques, se muent en démarcheurs et essaient de justifier de tel comportement. « Oui, il y a l’impérialisme américain. Mais au niveau sportif, cet impérialisme n’a pas eu gain de cause sur le territoire haïtien », argue-t-il.

Pour sa part, Dr Frantz Large, ophtalmologue, fiancé à une américaine dont le père aurait perdu un œil au cours d’une partie de baseball, est un fin connaisseur de cette discipline.

« A l’époque de l’occupation américaine, des gens pratiquaient le baseball, puis ce sport est tombé en désuétude. Ceci, surtout à cause d’un manque d’organisation. Ce n’est pas seulement le baseball, même un sport comme le basketball. C’est le sport en général. Le football était tellement populaire que toute l’attention lui était offerte. Un jeune qui le pratique a beaucoup de difficultés pour se confirmer », croit-il, pointant de préférence du doigt l’absence d’encadrement des activités sportives, non encouragées, pour expliquer le déclin du baseball. Aucun travail sérieux n’a été réalisé sur la sélection et la motivation des joueurs.

« Au niveau national, il y a une espèce de paradigme haïtien qui est opposé à l’initiative. Tout moun se rete chita. On attend que l’Etat fasse quelque chose pour nous. Alors que l’Etat a d’autres chats à fouetter », regrette-t-il.

Le président de la l’Association Haïtienne de Baseball et de Softball Gardy Cyriaque Prophète soutient qu’Haïti a « raté une excellente opportunité »  en rejetant la pratique du baseball au cours de l’occupation. Il affirme que le baseball n’a rien à voir avec les Américains. « Dommage on a connu une occupation et qu’on n’a pas profité des opportunités du baseball. Ceux qui résistent, résistent. On ne peut résister à la pratique d’un sport. Je ne suis pas un résistant. Je fais du sport », s’entête-t-il.

On n’a jamais adopté le baseball parce qu’on le rejetait comme forme d’impérialisme. Credit: Milo Milfort

S’il attribue au manque d’organisation l’échec des tentatives d’imposition individuelle du baseball chez nous, il prétend ignorer les véritables raisons de l’échec de l’implantation du baseball lors de l’occupation américaine de 1915. « C’est au cours de cette même époque que le basketball est rentré en Haïti et y resté », fait-t-il remarquer.

L’idéologie cachée derrière les pratiques sportives ne lui disent rien encore moins de l’importante résistance affichée par Haïti à la pratique de ce sport à travers son histoire de peuple.

Football vs Baseball : Choc des titans

Dans un article publié dans le journal Le National en juillet 2015 sous la plume de Gérald Bordes, le président de la Fédération Haïtienne de Football (FHF) Yves Jean Bart a avancé que le choix du football a été fait parce que sportivement nous avons eu plutôt la France comme mère-patrie.

« Le baseball a bien été introduit en Haïti pendant l’occupation et a été assez pratiqué dans les années d’occupation et après. Mais au fil des années, le football qui a connu un coup d’arrêt pendant les premières années de l’occupation par la fermeture du Parc Leconte, a repris ses droits sous la pression populaire », explique le fin connaisseur du foot local, M. Jean Bart. Le Parc Leconte est appelé de nos jours stade Sylvio Cator, l’unique stade de football en Haïti.

Il se retrouve dans un état d’obsolescence criante le rendant inapte à recevoir des compétitions internationales. Dans le passé, il était un bastion dans lequel le foot se jouait sous les regards passionnés de plusieurs centaines de personnes. « Les marines ont été contraints de laisser le Parc en 1918, année de la création du Violette [Athlétic Club], sous la pression du secteur sportif. L’implantation du sport et plus particulièrement du football a été réalisée par les jeunes revenus de France », continue M. Jean Bart.

Les Dominicains, Panaméens, Cubains et Portoricains ont adopté la culture américaine avec la boxe, le baseball et le basketball, tandis que le foot, sport numéro un du colonisateur espagnol, reste une discipline de seconde zone. D’où le résultat important de la force de frappe de l’occupation américaine sur ces territoires anciennement sous leur domination. En Haïti, le football est le plus pratiqué. Après vient le basketball. Le volleyball, la boxe et le tennis sont plus ou moins adoptés par un groupe marginal.

Pour sa part, le professeur et sénateur Patrice Dumont assure que le refus du baseball constituait une question idéologique nationaliste dominante dans le milieu sportif haïtien.

« On n’a jamais adopté le baseball parce qu’on le rejetait comme forme d’impérialisme ».

« On peut avancer l’hypothèse de la ligne idéologique nationaliste dominante dans le petit milieu sportif haïtien de l’époque déjà entiché de football et d’athlétisme, fait-il savoir au quotidien Le National tout en ajoutant que c’est l’occupation qui a laissé le volleyball en Haïti. Le noyau du volleyball était la ville de Hinche où l’armée américaine était concentrée du fait que c’était le fief de Charlemagne Péralte [l’opposant farouche à l’occupation Etasunienne de 1915] ».

Les joueurs de baseball venant de la République Dominicaine, de Cuba et de Porto- Rico font partie des meilleurs au monde et des plus demandés sur le marché international alors que les footballeurs d’Haïti peinent à se faire une place dans le monde footballistique international au même niveau. Toutefois, les deux spécialistes admettent pour autant que le pays n’ait pas fait le mauvais choix en adoptant le foot comme sport numéro un au détriment du baseball.

Déclin sportif et généralisé !

« Le niveau de notre sport est en grande partie en rapport avec notre sous-développement. Donc, quelle que soit la discipline sportive considérée, il n’est pas dit que nous pourrions vaincre l’obstacle de notre sous-développement matériel et mental », a soutenu Patrice Dumont, actuellement sénateur de l’Ouest.

Quant à Yves Jean-Bart, il pense qu’il est admis généralement que celui qui est doué pour un sport l’est aussi pour n’importe quelle discipline sportive. Pour cela, il n’écarte pas la possibilité pour que le baseball puisse être un sport quelconque dans le pays.  « Il reste à savoir ce qu’aurait été une discipline quelconque en Haïti dans ce contexte d’absence générale de stratégies et de politiques de sport où les décideurs continuent d’afficher leur ignorance en écartant le sport de tout programme de développement en continuant de penser que le sport est une activité pour ceux qui n’ont rien à faire », argue-t-il.

Fait défaut en Haïti, l’investissement public dans le sport, les apports financiers du secteur privé, l’encadrement des sports de haut niveau et la promotion des pratiques sportives.

Le sport – comme les autres secteurs de la vie nationale – subit l’effet de la dégradation continue de l’environnement institutionnel, socio-économique, culturel et politique global du pays. Ainsi, dans le document de cadrage de l’élaboration des politiques nationales de jeunesse, de sport et de civisme, le ministère de la Jeunesse, des Sports et de l’Action Civique (MJSAC) a fait savoir que les problèmes inhérents au secteur sportif haïtien, entre autres, sont les suivants :

« Les clubs, les associations et les fédérations sont pauvres, ils manquent de tout. Certaines institutions ont un grand besoin d’être encadrées, renforcées, refondées ou tout simplement instituées. Cette situation va en se renforçant puisqu’il n’y a pratiquement aucun investissement public ou privé significatif et viable dans les activités sportives qui sont financées de façon volontaire et sporadique », lit-on dans ce document qui dénonce l’absence de contrôle étatique sur les mouvements de création de centres privés de gymnastique, d’écoles de football, de karaté et de judo.

A présent, le baseball reste dans le cadre du sport de loisir, cela sous-tend qu’il permet à un groupe très restreint d’entretenir la santé du corps et de l’esprit. On est encore très loin de voir – si on aura à le voir en effet – le baseball comme sport spectacle donc professionnel conçu comme marchandise et activité économique rentable et vendable, comme l’entendent les initiateurs.

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