Lundi 18 juin 2018 restera marqué au fer rouge comme le summum de la bêtise et de l’indécence de la présidence de Jovenel Moïse. Car, pour nous, il serait impensable qu’une telle ignominie se reproduise avant la fin du quinquennat. Bien que dans ce pays la mémoire reste quelque chose d’assez sélective et aléatoire. Suite aux scènes, puisqu’il y en a eu deux, qui se sont déroulées au Kiosque Occide Jeanty au Champ de Mars à Port-au-Prince, toute la presse haïtienne a eu son mot à dire sans oublier les différentes organisations féminines qui ont réagi après coup tant, à notre avis, elles étaient prises au dépourvu. A l’inattendu. A l’impensable. Sinon à une incompréhension totale.
Outre les différentes critiques et indignation de la part des médias, à la différence notable bien entendu des médias publics (gouvernementaux), les critiques fusent de partout contre le Président Jovenel Moïse. De tous les milieux sociaux, y compris dans les bidonvilles et les ghettos où la misère et la pauvreté, paraît-il, favorisent ce genre de sorties incontrôlées, juste pour pouvoir survivre. Toutes les critiques sont fondées. Argumentées. Et mises en contexte. Tout le monde ou presque a exigé du chef de l’Etat, Jovenel Moïse, l’excuse publique à la République. A la Nation. S’agissant non seulement d’un affront commun fait à la communauté féminine, aux femmes en général et aux enfants en particulier, cette orgie enfantine blesse tout le peuple haïtien dans son ensemble. La Nation réclame donc des comptes. Tout a commencé avec une initiative du nouveau ministre de la Culture et de la Communication, Guyler C. Delva. Journaliste de son état et communicant polémiste, tout le monde a été surpris, et l’on suppose que lui aussi, de sa nomination à la tête d’un Ministère dont le champ d’action couvre l’ensemble du pays.
Si pour tout le monde la culture ne se résume point à organiser le carnaval encore moins à financer des activités musicales en période estivale dans le pays et sur le Champ de Mars dans la capitale, le ministre semble penser le contraire. En tout cas, Guyler C. Delva semble avoir une idée précise du rôle de son immense ministère dont la compétence est nationale. Pour commencer, il croit à la bamboche permanente dont le peuple serait le demandeur. Qu’à cela ne tienne. Puisque pour lui, ministère de la Culture signifie ministère de la Musique, le peuple en aura pour son compte. Par conséquent, de la musique en veux-tu en voilà. A Port-au-Prince, le cadre du Champ de Mars est idéal pour débuter cette réjouissance perpétuelle à l’occasion de la fête du ballon rond avec la Coupe du monde de football en Russie. Car le peuple qui n’a rien à faire et de surcroît est amoureux fou de football serait forcément au rendez-vous. Surtout pour une société qui n’offre à sa population que le désespoir.
Du coup, le gouvernement de la République, comme un resquilleur, profite de l’aubaine pour plonger le peuple dans l’oubli le temps de cette réjouissance qui durera un mois. Ainsi donc, le Kiosque du célèbre musicien Occide Jeanty offre un spectacle quotidien au bon peuple afin d’oublier ses soucis et ses angoisses. Le peuple de Port-au-Prince et de ses environs est invité à venir se défouler et se saouler de plaisirs, de grivoiseries quitte à rentrer à la maison le ventre vide mais les tympans remplis de décibels, de fantasmes et d’illusion de vivre dans un pays qui rend les femmes et les hommes heureux. Un Etat dont le Président de la République est soucieux de leur vie culturelle. Un pays où toutes les petites filles sachant danser lascivement, il suffit qu’elles soient accompagnées de leurs parents totalement dépassés par les événements. Mais qui cherchent aussi de quoi survivre par n’importe quel moyen qui leur tombe sous la main quitte à livrer leurs progénitures à la curiosité d’un public ivre de joie comme du temps des César à Rome, où on présenta au maître du lieu des Gladiateurs prêts à mourir pour leur bourreau aux cris de : « Ave César ceux qui vont mourir te saluent » juste pour avoir le sentiment de servir à quelque chose ou pour devenir en l’espace de quelques minutes des hommes libres.
Ici en Haïti, comme récompense ce n’est pas la mort que les « Princes » offrent à leurs sujets. C’est une voiture ou une moto selon l’époque ou l’occupant du Palais national. Ce lundi 18 juin 2018, les chaines de télévision de Port-au-Prince retransmettent en direct les scènes qui auraient dû être dans un pays sérieux et respectueux des valeurs familiales « cryptées » comme cela se passe dans les pays où le sens de responsabilité ne se commande pas, mais est régi par l’instinct et le bon sens. Tout a commencé par la prestation de l’hymne national : La Dessalinienne. Interprétée par une brave dame dans une langue non répertoriée par l’ONU tant qu’elle ne chantait ni en français ni en créole ni dans un patois local du Nord ou du Sud du pays. Fière de chanter pour un Président de la République, cette dame ne sait et ne pouvait se rendre compte que non seulement elle chantait faux mais qu’elle était ridicule et ridiculisée par le public. Mon Dieu, quel pays ! On l’a souvent dit si l’on n’est pas responsable de son destin, néanmoins quand on est majeur ou adulte on est responsable de ses actes.
Cette femme aurait chanté l’hymne national en créole que personne ne trouverait pas matière à critiquer. Revenons au principal sujet de cette Tribune : le macabre mise en scène d’une fillette de huit ans. En effet, personne de responsable et sain d’esprit ne peut accepter sous aucun prétexte, fût-il de lèse-présidence, qu’on « viole » et exploite de cette manière devant tout un pays l’innocence d’une gamine de 8 ans en la livrant en pâture parce que c’était improvisé donc imprévisible, selon les dires des responsables de cette scène obscène et même offensante pour l’enfant dans l’avenir. Car justement, pris sous le coup de la folie contagieuse du rire et de la bonne humeur pendant l’événement, personne n’a pensé à l’avenir de cette petite fille qui, à vue d’œil, ne comprenait pas ce qu’elle faisait devant des milliers d’assoiffés de plaisirs simples et de bambocheurs à moindre frais. Certes, ses parents étaient consentants. Mais avaient-ils vraiment le choix vu la tradition en Haïti : l’on ne dit pas non à un « chef » ? Ce d’autant plus que ces malheureux savaient qu’à l’arrivée la providence pouvait les conduire, sans jeu de mot, à gagner cette voiture qui était la récompense suprême pour la gagnante.
personne de responsable et sain d’esprit ne peut accepter sous aucun prétexte qu’on « viole » et exploite de cette manière devant tout un pays l’innocence d’une gamine de 8 ans…
Il y a aussi sans doute le besoin matériel des parents. Peut-être sans se rendre compte du mal qu’ils faisaient à leur petite fille, ils espéraient qu’elle soit l’heureuse finaliste d’un concours qui allait les aider dans les difficultés qu’ils traversent tous les jours. Faut-il condamner les parents de la petite qui ont accepté en dépit de tout que leur fille se donne en spectacle de cette façon ? Sans doute pas. Mais les blâmer ? Oui. Car le rôle de la presse ce n’est pas de critiquer à sens unique si de toute évidence les responsabilités sont partagées. Oui parce qu’après tout, ils sont responsables de l’éducation de leur fille. Ce n’est ni Jovenel Moïse et son épouse ni Guyler C. Delva et consorts qui ont la charge de bien éduquer leur fille. Les parents ou le père présent à cet instant devraient mettre fin à cette mascarade et à cette danse suggestive que leur fille était en train de livrer au couple présidentiel et leur légion de conseillers. Sans oublier la classe gouvernementale qui les accompagnait. Dans la vie l’on a toujours le choix. La dignité, l’honneur et le respect de soi doivent être la lanterne guidant nos pas et ce, à chaque instant, dans chaque circonstance même au péril de notre vie.
Naturellement, certains diraient que c’est facile de dire ou de critiquer quand ce sont les autres qui sont victimes de telle abomination. Sauf que si personne ne dit rien sous prétexte que cela ne le concerne pas, d’autres parents naïfs ou vulnérables économiquement peuvent toujours tenter d’accepter ce genre de débauches publiques et honteuses pour leurs enfants parce qu’ils sont dans le besoin. On sait que la misère est l’une des causes de la prostitution enfantine en Haïti. Les parents vivant dans la pauvreté et la misère acceptent malgré eux de mettre leurs enfants mineurs dans la rue pour se débrouiller juste pour pouvoir apporter à la maison quelques sous pour faire vivre toute la famille. Il faut avoir le courage de dénoncer cette attitude et cette complicité relevant d’un délit, sinon d’un crime puni par la loi. Encore une fois, les parents de la fillette de 8 ans auraient dû avoir le courage et l’autorité pour demander à leur fille d’arrêter le simulacre de danse qu’elle exécutait devant le Président de la République et son équipe.
Déjà ce spectacle de mauvais goût n’a rien de culturel encore moins de l’art. Ces scènes de déhanchement plus qu’osées font partie des danses qu’on retrouve dans les Music-halls ou bordels privés ou publics réservés aux adultes donc forcément interdits aux mineurs. Elles ne sont pas exécutées sur la place publique encore moins par des enfants. C’est condamnable ! Il reste maintenant le comportement incompréhensible du Président Jovenel Moïse dans cette affaire non seulement en tant que garant de la protection de l’enfance mais aussi et avant tout père de famille. Ici, il ne s’agit nullement du puritanisme. Ni d’une quelconque entrave à la liberté ou au droit de l’enfance. C’est une question de responsabilité à double sens : parentale et de l’Etat. Jovenel Moïse est chef de l’Etat. En tant que tel, il doit avoir un comportement irréprochable vis-à-vis de lui-même et de la Nation.
Ses responsabilités doivent être à toute épreuve et en toute circonstance. Un Président de la République ne peut sous prétexte de satisfaire le public accepter que son devoir en tant que premier citoyen de la nation passe au second plan. Nous ne sommes plus au temps des rois de France où la reine devait obligatoirement accoucher en public et devant des témoins histoire que les sujets de sa majesté soient sûrs que le nouveau né est bien de la famille royale et donc héritier du trône. Dans cette affaire de concours de danse mise en scène par l’équipe de Guyler C. Delva pour amuser le public et par la même occasion cautionner la politique du gouvernement et du chef de l’Etat, Jovenel Moïse a commis une grave faute.
Certes, il n’était pas au courant qu’une gamine de 8 ans allait se produire de manière aussi provocatrice en sa présence. Le dire, c’est faire un faux procès au locataire du Palais national. Mais sa part de responsabilité est grande. Dans la mesure où il avait le pouvoir et le devoir de faire cesser sur le champ ce mal qu’on a fait endurer à cette petite innocente, ce dont sont conscients tous les parents qui étaient soit devant leur télévision soit sur place au Kiosque Occide Jeanty. C’était de sa responsabilité de demander soit à son ministre de la Culture soit aux organisateurs de mettre fin à cette torture pour la petite. Il ne l’a pas fait. Pire, il riait sans l’air de se sentir gêné ni mal à l’aise. Il n’a pas su assumer ses responsabilités de guide de la Nation. Pourtant, il y avait une façon très simple de le faire. Dès l’instant où il avait remarqué que la gamine était partie sur cette lancée, il aurait dû, dans un grand sourire, la remercier pour sa performance sans la laisser croire que sa façon de danser pouvait choquer.
Ensuite, il devait faire comprendre au public qu’en tant que père de famille et Président de la République, il ne pouvait accepter de laisser poursuivre ce déhanchement sans qu’il ne soit taxé d’incitation à la débauche enfantine. Sans même penser aux organisations des Droits de l’homme ou aux féministes, la fonction qu’il occupe devait lui commander sans hésiter de mettre fin au calvaire de la petite. Même sa femme qui lutte, semble-t-il, pour la cause et la dignité des enfants en Haïti aurait dû elle aussi conseiller à son mari de Président de demander aux organisateurs d’arrêter l’insoutenable. Elle ne l’a pas fait non plus. Elle partage avec son mari la faute grave du voyeurisme à l’encontre de la petite fille. Mais, après tout, elle n’a pas été élue à la magistrature suprême de l’Etat par le peuple.
Quant aux Conseillers du Palais qui accompagnaient le Président Jovenel dans cette bamboche musicale au Champ de Mars, comme toujours aucun d’eux n’a été capable d’aller au-delà de sa fonction pour aider le « Prince » à sortir de ce faux pas. Or, justement leur rôle en tant que Conseillers est d’aider leur chef à faire le bon choix tout au moins de le mettre en garde contre certaines décisions qui pouvaient le mettre en difficulté. Mais on saît comment cela fonctionne en Haïti. Les Conseillers sont là parce qu’ils sont amis avec le chef. Leurs avis sont rarement pris en compte. Dans ce pays, les Conseillers préfèrent le confort de leurs bureaux dans les Palais de la République au lieu de dire des choses pouvant déplaire ou mettre de mauvaise humeur leurs employeurs. Résultats, ils ne servent pas à grand-chose, sauf à applaudir le « Prince » et produire parfois de très bons textes mais qui ne servent finalement à rien. Enfin, il y a cette automobile qui a été remise en récompense à la petite « danseuse » par le Président Jovenel Moïse.
On imagine qu’elle a eu ce prix non point pour sa performance artistique, puisqu’il n’y avait rien d’extraordinaire à féliciter ni à honorer par une prime, mais seulement pour le bon vouloir du chef de continuer dans une vieille tradition haïtienne qui consiste à gaspiller les deniers publics. Cette affaire de donner tantôt une moto tantôt une voiture tantôt un camion ou toute autre chose gratuitement à un quidam dans la population sans raison apparente est un bel exemple de corruption pour un pays gangrené par ce mal. Or, le Président Jovenel Moïse ne cesse de dénoncer la corruption et ceux qui la pratiquent. Pour autant lui non plus n’a pas cessé de l’autre côté d’alimenter cette pratique. Par son comportement, le soi-disant combat contre la corruption ressemble plus à un coup d’épée dans l’eau. La première question que l’on doit légitimement se poser justement pour aider le Président dans sa lutte contre ce fléau, d’où vient l’argent qui a financé l’achat de cette voiture dont il a remis les clés à la « gagnante » ou « danseuse » du Champ de Mars ?
On ne peut pas imaginer que c’est de sa poche qu’il a financé l’automobile. Puisque ces activités récréatives, musicales et festives sont montées par les pouvoirs publics. Donc, il est impossible que ce soit un don personnel à la fillette. L’on connaît déjà la réponse. C’est du Trésor Public, malgré sa maigre ressource, qu’a été tiré le chèque qui a servi à faire plaisir au Concessionnaire de l’automobile qui a vendu la voiture et aussi servi à augmenter la popularité du Président. A juste titre, plusieurs personnalités et organisations sont montées au créneau pour dénoncer d’une part l’attitude du Président lors de cette prestation plus que grotesque et de la petite fille et de la fameuse interprète de l’hymne national et d’autre part l’aberration qui consiste à gaspiller l’argent public dans des choses futiles alors que des lauréats dans des domaines divers ne bénéficient rien de la part de l’Etat. Mais il y a cette pratique de dilapidation des caisses de l’Etat qu’il faut cesser au plus vite.
Comment expliquer qu’il suffit d’un coup de fil d’une Secrétaire du Président pour que le Directeur du Trésor Public accepte de débloquer des sommes énormes pour la présidence de la République sans aucune justification réelle ou ayant rapport avec la gestion du pays? Personne ne va nous faire croire que prélever sur les Comptes de la République pour donner à titre gracieux et sans raison valable une voiture ou un cadeau quelconque à un citoyen, non pas pour service rendu à la Nation ou au pays, fait partie des prérogatives du chef de l’Etat. Rien ni personne n’empêche le citoyen Jovenel Moïse ou n’importe qui se trouvant à la tête d’Haïti de faire des cadeaux à n’importe qui à partir du moment où cela vient de son cachet personnel ou est tiré de son Compte privé. En distribuant çà et là des cadeaux présidentiels sans aucun motif, Jovenel Moïse poursuit ainsi la même politique néfaste pour le Trésor Public que pratiquaient ses prédécesseurs longtemps avant les Duvalier.
Il faut en finir avec cette politique. Alors qu’il y a beaucoup de choses auxquelles aurait servi cet argent qui a financé l’achat de cette voiture. En tout cas tant mieux pour la petite. Bien qu’on doute que ses parents vont garder cette voiture pour des balades à travers la capitale. Tant mieux aussi pour le Concessionnaire qui a écoulé sans problème une énième voiture à travers des rues parsemées de nids de poule dans la capitale. Mais avec cet argent du Trésor Public, certains pensent que le Président aurait mieux fait de payer une année de cours de danse pour la fillette. Danse qui aurait pu lui faire entrer par la grande porte dans la société haïtienne et ailleurs.
C.C.