Indiscutablement, les signataires de l’Accord de Montana ou du 30 août font de la résistance. Et de quelle manière ! Malgré des signes évidents laissant croire que ceux du 11 septembre ont définitivement pris le pouvoir, il semble que la bataille est loin d’être gagnée. Les signataires de l’Accord du 30 août n’ont, semble-t-il, pas dit leur dernier mot. Après un passage à vide qui a semé le doute chez certains, les signataires de Montana reviennent dans la course avec, cette fois, l’espoir de se faire entendre. Le laps de temps qu’ils ont mis à trouver un compromis en vue de former le CNT (Conseil National de Transition), ce qui peut paraître pour certains comme une éternité, a finalement servi de rampe de lancement afin de déclencher le processus devant aboutir à l’élection des deux chefs du pouvoir exécutif, ce qu’ils ont toujours promis. Depuis le dimanche 12 décembre 2021, il ne reste quasiment plus d’obstacle à la Commission pour la Recherche d’une Solution Haïtienne à la Crise (CRSHC) pour atteindre cet objectif.
Pratiquement toutes les instances prévues par l’Accord de Montana sont désormais en place et fonctionnelles avec la désignation des 52 membres délégués par leurs organisations sociopolitiques respectives. Ces délégués forment le CNT, l’organe prévu par l’Accord devant élire un Président provisoire de la République et un Premier ministre, chef de gouvernement dont le rôle est de conduire la « Transition de rupture » jusqu’aux prochaines élections générales dans le pays dans deux, trois ans suivant la conjoncture politique. En effet, les 52 membres ont été présentés au grand public à l’hôtel Karibe Convention Center devant un parterre de personnalités haïtiennes et du corps diplomatiques. Ce qui montre que les signataires dudit Accord avaient bien préparé leur coup et surtout continuent de marquer à la culotte le Premier ministre a.i Ariel Henry. A chaque fois que celui-ci pense que ce dossier était derrière lui, il revient comme un boomerang pour lui gâcher la vie.
Le plus curieux dans ce bras de fer entre les deux parties, c’est qu’il y a toujours soit une déclaration d’une personnalité américaine soit un article dans un grand quotidien américain qui précède ou succède la sortie des signataires de l’Accord du 30 août où Ariel Henry et son gouvernement sont mis en difficulté. Cette fois, c’est une longue enquête du journal The New York Times sur l’assassinat du Président Jovenel Moïse qui a succédé à la dernière sortie médiatique de l’Accord de Montana. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’équipe au pouvoir ou ses proches n’ont pas été épargnés. Si l’enquête tente d’orienter le meurtre sur la piste de trafiquants de drogue en laissant croire que le feu chef de l’Etat travaillait avec ses services sur une liste de grands trafiquants haïtiens pour les remettre aux autorités américaines, beaucoup de noms cités viennent de gens qui sont proches de l’ancien Président Michel Martelly dont son propre beau-frère, Charles dit « Kiko » Saint-Rémy.
Alors même que certains laissent entendre que Michel Martelly serait à l’origine de la nomination du Dr Ariel Henry à la Primature. Dans la foulée, un éditorial du quotidien conservateur, Washington Post, s’appuyant sur l’enquête du New York Times, a enfoncé le clou sur Ariel Henry pour dire en clair que celui-ci ne peut pas être la solution du moment. Tous les moyens sont bons pour s’approcher le plus près possible d’un Premier ministre qui sait qu’il aura du mal à tenir longtemps face à des offensives à répétition qui le déstabilisent chaque jour un peu plus. Ce d’autant plus que dans cette même enquête, les journalistes du Times n’ont pas oublié de revenir, encore une fois, avec le nom de son ami Joseph Félix Badio qui, définitivement, demeure au centre du complot qui a conduit à l’assassinat du Président le 7 juillet 2021. Une tache indélébile qui s’accroche à la veste du Premier ministre sans qu’aucune marque de lessive ne semble capable de l’enlever. Or, de toute évidence, les signataires de l’Accord du 30 août, même sans jamais y faire allusion, comptent sur ce point faible pour faire vaciller Ariel Henry qui, pour se rassurer, s’affiche aussi avec le corps diplomatique au grand complet dans les jardins de sa Résidence officielle à Bourdon.
Pourtant, celui qui est sous les projecteurs commence aussi à essuyer frontalement les critiques de son ancien chef de la diplomatie et son prédécesseur à la Primature, Dr Claude Joseph. Celui-ci ne se retient plus pour dire tout le mal qu’il pense de son ancien chef. Claude Joseph demeure persuadé que Ariel Henry fait tout pour bloquer l’avancée de l’enquête sur l’assassinat du Président. « Tous ceux qui ont été proches du Président Jovenel Moïse et qui luttaient pour faire avancer l’enquête, le Premier ministre Ariel Henry les a écartés. Vous avez révoqué un ministre de la Justice. Vous avez remercié un Commissaire du gouvernement. Vous m’avez révoqué, moi qui étais la seule personne du gouvernement qui luttait pour que le Président puisse trouver justice » reproche le mercredi 15 décembre 2021 sur radio Magik 9 Claude Joseph au locataire de la Villa d’Accueil qui reste un suspect aux yeux des partisans de l’ancien chef de l’Etat.
L’ex-Premier ministre a.i, classé parmi les jovenelistes affirmés et sans complexe, jouant désormais le rôle de chef de l’opposition, est devenu malgré lui un allié objectif des signataires de l’Accord de Montana pour qui, l’objectif est de ramener Ariel Henry sur terre, c’est-à-dire l’empêcher de continuer à jouer solo avec le pouvoir exécutif. Du coup, la mise en place de la CNT, en dépit des difficultés que cela pourrait rencontrer pour installer les deux chefs du pouvoir exécutif une fois élus, demeure un vrai pied-de nez pour les tenants de l’Accord du 11 septembre qui croient encore que l’installation au Palais national d’un pouvoir bicéphale en lieu et place d’Ariel Henry et de Me André Michel est une fiction. Certes, comme on dit dans le domaine sportif, le plus dur reste à faire : désigner les deux dirigeants de l’exécutif dans les jours et ou les semaines à venir. On peut s’attendre à ce que le Forum politique et celui de la Société civile vont certainement vouloir partager à part égale les deux postes à responsabilité (Président et Premier ministre).
Mais, l’optimisme est de mise chez différents leaders de l’Accord et même chez le Président du Sénat, Joseph Lambert qui, pour plusieurs raisons, ne supporte point la présence du Premier ministre Ariel Henry en tant que chef unique de l’exécutif. D’ailleurs, l’élu du Sud-Est qui était dès l’annonce de la disparition du Président Jovenel Moïse porté au pinacle par ce qu’on appelle le Protocole Entente Nationale (PEN) se réjouit de l’installation par le BSA (Bureau de Suivi de l’Accord) de la CNT. Puisque les deux organisations portent un même regard sur le texte de la Constitution de 1987 en ce qui concerne le pouvoir exécutif. « Il y a la nécessité d’avoir un exécutif bicéphale. L’accord de Montana et le PEN sont pour cela. Haïti se trouve dans une situation difficile. L’année 2022 s’annonce encore plus difficile avec, à l’horizon, un ensemble de problèmes d’ordre socio-économique et politique. Personne n’a de solutions toutes faites. Tout le monde doit se mettre ensemble et conjuguer ses efforts afin d’éviter un destin plus sombre au pays » a aussitôt déclaré le Président du Sénat qui soutient sans réserve la démarche, lui aussi qui était présent ce dimanche 12 décembre à l’hôtel Karibe Convention Center.
D’autres leaders politiques opposés à l’équipe au pouvoir ne sont pas en reste et ne cachent pas leur joie de voir enfin leur rêve commencer à se concrétiser avec l’entrée en fonction de la CNT. Tel est le cas du parti Fanmi Lavalas qui s’est exprimé par le biais de son représentant au sein du Conseil National de Transition, Jodson Dirogène, à la fois porte-parole de cette formation politique qui, hier encore, mettait en garde les signataires contre des comportements pouvant créer de fait une situation de conflit d’intérêts : « C’est une grande première dans l’histoire de ce pays. C’est une initiative qui prouve que le peuple haïtien a pris des dispositions pour orienter le pays vers un autre État. Nous voulons que le pays se dirige vers le progrès, vers la science. En tant que représentant de Fanmi Lavalas, nous avons l’obligation de rester vigilants pour que les bases du nouveau système soient jetées », a lancé fièrement Jodson Dirogène.
Il y avait de quoi, en effet, donner confiance, en tout cas, se réjouir de la réussite de cette première partie du plan avec tous les 52 délégués qui vont plancher sur les dossiers de candidature de celles et ceux étant intéressés à devenir Président provisoire de la République et chef du gouvernement intérimaire dans la cadre de la Transition de rupture. Puisque la quasi-totalité des diplomates étrangers accrédités à Port-au-Prince avait fait le déplacement pour venir marquer par leur présence leur approbation de cette énième démarche pour trouver le fameux consensus tant espéré par la Communauté internationale. Sans aucune gêne, le Core Group au grand complet était en première loge. Alors même que ce conglomérat de diplomates soit le principal soutien du Premier ministre a.i Ariel Henry dont il est la créature et de fait ne fait rien sans les consulter. On sait que le Premier ministre est sur une chaise éjectable. A tout moment, il peut être expulsé de la Primature si le camp d’en face arrive à forcer le destin. Ariel Henry, André Michel comme tous les autres protagonistes ne sont pas indispensables. C’est le camp qui donne à Washington plus de garantie de pouvoir pour tenir le pays sans émeute qui bénéficiera du soutien et de la protection de l’Oncle Sam. Pour le moment c’est Ariel Henry qui tient la corde.
À l’hôtel Convention Center de Pétion-Ville, le dimanche 12 décembre 2021, le Conseiller politique de l’ambassade américaine était placé sur un axe pour être bien vu et mieux voir. Il avait une mission et il était en mission. Ainsi, le lendemain de la brillante et joyeuse présentation des 52 membres du CNT venus de tous les secteurs de la société : politique, Société civile, Organisation Populaire, secteur d’affaires, vodouisant, religieux, etc. le Chargé d’Affaires américain en Haïti, Kenneth Merten s’est précipité dans les médias, entre autres sur radio télé Ginen dans la capitale haïtienne, pour dire que la porte du pouvoir demeure grande ouverte à toute éventualité. Le diplomate laisse croire que Washington attend que l’ensemble des acteurs se présente uni devant lui : « Comme vous le savez, le Premier ministre Henry a formé un nouveau cabinet. Les Etats-Unis attendent toujours que les acteurs politiques haïtiens, la Société civile, le secteur privé, les chefs religieux et la diaspora trouvent une solution dirigée par les Haïtiens pour ouvrir la voie vers les élections lorsque les conditions sur le terrain le permettront » déclare-t-il sur radio Ginen le lundi 13 décembre. Une façon d’envoyer les deux camps dos à dos et demander aux protagonistes d’aller revoir leur copie.
Lui, il n’attend qu’un « accord de l’ensemble des Accords. Dans notre analyse, c’est ce dont Haïti a besoin. Nous encourageons tout le monde à se mettre d’accord dans un accord pour faire avancer le pays. C’est la seule façon, selon notre logique, de débloquer la situation politique » insiste Kenneth Merten qui conclut « Nous ne voulons pas nous immiscer dans les affaires des Haïtiens. On nous avait accusés d’interférence. Nous ne le ferons plus. Nous ne l’avons pas fait avant. C’est ce que je veux souligner. Nous ne voulons pas qu’on nous accuse d’ingérence ». Somme toute, malgré ces déclarations ambiguës de ce diplomate qui a une parfaite connaissance du fonctionnement de la classe politique haïtienne, la population, quant à elle, attend avec curiosité, et sans se faire d’illusion, la suite du processus qui ne manquera pas d’intérêt pour la suite de la Transition à l’approche du 7 février 2022.
C.C