La résistance populaire à Ouanaminthe

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Cette résistance est le symbolisme de l’âme révolutionnaire et de l’unité haïtienne. C’est un grand signe d’espoir, quand la population s’engage comme un seul homme, une seule femme à riposter contre la mauvaise foi des réactionnaires internationaux

(English)

« L‘eau est la ressource la plus fondamentale de toutes », déclare le Dr Nathan W. Snyder, professeur à l’Université Temple. « Les civilisations se sont développées ou ont dépéri en fonction de sa disponibilité ».

Certaines des plus grandes injustices de l’histoire découlent de la lutte pour l’eau. Par exemple, aujourd’hui, des dizaines de villages palestiniens ont été détruits pour ensuite être remplacés par des colonies israéliennes illégales. Chacune de ces colonies illégales est construite sur une source d’eau vitale. « À mesure que les colonies israéliennes prospèrent, les robinets palestiniens se tarissent », titre d’un article de l’AP du 17 août 2023 qui explique comment, à travers « la Cisjordanie, les problèmes d’eau sévissent dans les villes palestiniennes depuis que les accords de paix intérimaires des années 1990 ont donné à Israël [le droit de]contrôler plus de 80 % des réserves d’eau de Cisjordanie – et la plupart des autres aspects de la vie palestinienne ».

De la même manière qu’Israël refuse aux Palestiniens l’accès à l’eau sur leurs propres terres, le gouvernement dominicain tente aujourd’hui de refuser aux Haïtiens le droit d’utiliser l’eau de la rivière Massacre, qui longe la frontière nord entre les deux nations, pour irriguer les terres agricoles haïtiennes de façon à augmenter la production nationale.

Alors que dans la capitale haïtienne, la classe politique bourgeoise se démène dans une négociation démagogique pour le partage du pouvoir, pourtant à la frontière haitiano-dominicaine le peuple haïtien s’engage dans une lutte sans merci pour sa souveraineté contre l’administration raciste du président Luis Abinader de la République dominicaine.

Les masses populaires haïtiennes particulièrement à Ouanaminthe veulent tracer un exemple digne de nos ancêtres. Les travaux de construction du canal d’irrigation de la rivière Massacre pour irriguer les terres agricoles dans les villes de la frontière entamé pour de bon sous l’administration du président, Jovenel Moise ont été brusquement arrêtés suite à son assassinat le 7 juillet 2021.

Deux ans après, à l’instar de beaucoup d’autres activités abandonnées, restées sans suite par le gouvernement de facto sous la direction du Premier ministre Ariel Henry, le projet du canal d’irrigation de la rivière Massacre, malgré qu’il était une priorité absolue pour les riverains, passait parmi l’un d’entre eux. Et le pire, ce projet ne plaisait pas au président dominicain, car depuis sa genèse, il n’avait cessé d’exiger des autorités haïtiennes l’arrêt du processus.

La construction du canal d’irrigation de la rivière Massacre

Dans une entrevue accordée au journal dominicain El Nuevo Diario, le jeudi 10 juin 2021, Abinader avait insisté sur la nécessité d’un accord mutuel pour régler la controverse autour de la construction d’un canal d’irrigation en territoire haïtien à partir de la rivière Massacre « qui prend principalement sa source en République Dominicaine sans l’avis du Gouvernement dominicain. C’est tout simplement inacceptable pour nous ». Il avait qualifié cette action des dirigeants haïtiens comme « arbitraire » et « unilatérale ».  Puis, il indiqua avec une arrogance erronée : « Nous voulons d’abord, qu’ils arrêtent la construction du canal, et après nous pourrons discuter d’une gestion combinée et efficace des ressources en eau de la frontière. Mais ils doivent arrêter la construction du canal, c’est notre exigence ».

« Nous sommes convaincus qu’ils auront une attitude raisonnable et arrêteront la construction de ce canal. S’ils ne l’arrêtent pas dans les prochains jours, ils auront une réponse officielle du Ministère des Affaires étrangères et du Gouvernement dominicain », avait-il poursuivi.

En 2021, le ministère de l’Agriculture des ressources naturelles et du Développement rural (MARNDR) et le président Jovenel Moise n’avaient fait aucun cas, ni donné une quelconque importance aux élucubrations de Abinader, vu le caractère insignifiant, sans fondement mais hautain de ses déclarations.

Le lundi 24 mai 2021, lors de l’investiture à Quito du président équatorien, Guillermo Lasso, les présidents Luis Abinader et Jovenel Moïse avaient discuté de la question du fleuve.  A cette occasion, Moïse avait déclaré sur Twitter que les deux dirigeants étaient convenus « de ne pas tomber dans le jeu des ultranationalistes dominicains et haïtiens et de continuer à œuvrer pour le bonheur des deux peuples ».

Jouant le cynisme inouï, Abinader a fait semblant de ne pas comprendre les objectifs de la  réunion du 27 mai 2021 de la Commission mixte bilatérale dominicano-haïtienne qui s’était tenue à la Chancellerie dominicaine à Santo Domingo en vue de faire le point sur la construction en Haïti d’ouvrages en vue du captage d’une partie des eaux de la rivière Massacre, pour irriguer plus de 3,000 ha de terre de la plaine de Maribahoux.

Les présidents Jovenel Moïse et Luis Abinader

Au cours de cette réunion, le Premier Ministre a.i d’alors Claude Joseph avait fait la déclaration suivante au début de la réunion: « Ma présence à la cérémonie d’ouverture de cette réunion technique […] signifie la détermination du Gouvernement d’Haïti à prévenir un malentendu qui semble surgir dans la gestion et l’utilisation des eaux de la rivière Massacre, conflit latent entre les populations de la zone frontalière […] L’objectif de la réunion est précisément d’explorer les voies et moyens pour dissiper tout malentendu sur la portée et le but réels du projet d’irrigation que le Gouvernement haïtien mène sur la rivière Massacre […] Il est temps que les deux pays s’accordent sur un cadre global pour la gestion des ressources hydrauliques partagées, non seulement à Ouanaminthe / Dajabón, mais dans tous les autres points de la frontière terrestre. » À l’issue de cette réunion, une déclaration conjointe à été signé ou les deux parties se sont engagées à créer au sein de la Commission Mixte une Table Technique pour une meilleure compréhension des travaux réalisés dans la zone frontalière, d’après Haïti Libre de 31 mai 2021.

Pour l’édification de nos lecteurs, voici le texte intégral de la déclaration conjointe : « Réunion binationale sur la situation des eaux transfrontalières de la Rivière Massacre (ou Dajabon pour les dominicains)

Réunies au Ministère des Relations Extérieures de la République Dominicaine dans le cadre de la Commission VFIXTC Bilatérale Haïtiano-Dominicaine, les Délégations présentes se sont mises d’accord sur la déclaration suivante :

 Considérant que le Traité de Paix, d’Amitié Perpétuelle et d’Arbitrage signé le 20 février 1929 entre le gouvernement de la République d’Haïti et le Gouvernement de la République Dominicaine dans lequel est établi le droit qu’ont les deux nations d’utiliser les eaux des rivières qui se trouvent dans la zone frontalière de manière juste et équitable;

Considérant l’intérêt des deux nations à travailler de manière conjointe pour créer les mécanismes qui garantissent la gestion durable des bassins hydrographiques transfrontaliers et l’utilisation adéquate des cours d’eau binationaux;

Reconnaissant, sur la base des informations fournies aujourd’hui par les représentants de la République d’Haïti et dans l’esprit de compréhension et d’échange d’informations conformément à ce qui est stipulé dans le traité de Février 1929 que l’ouvrage en cours d’exécution sur la Rivière Massacre ou Dajabon pour le captage de l’eau ne consiste pas en une déviation du cours d’eau :

Ont convenu de ce qui suit :

Continuer à échanger des informations relatives à tous les ouvrages hydrauliques réalisés ou à réaliser dans la zone frontalière ;

Créer une Table Technique pour une meilleure compréhension des travaux réalisés dans la zone frontalière dans le cadre de la Sous-Commission Agriculture et Environnement de cette Commission Mixte Bilatérale en vue de la création d’une Table Hydrique Binationale ;

Elaborer, dans le cadre de la Table technique, un protocole technique pour la gestion coordonnée des bassins versants transfrontaliers, pour garantir la gestion des ressources de manière conjointe, conformément à ce qui est prescrit dans le Traité du 20 février 1929 et aux normes du Droit International.

Les deux parties conviennent de recourir, si elles le jugent nécessaire. à une assistance technique internationale en la matière.

La présente déclaration, en versions française et espagnole, les deux faisant également foi, est signée par la Secrétaire Technique et le Secrétaire Exécutif de la Commission Mixte Haïtiano-Dominicaine, le vingt-septième jour du mois de mai de l’année deux mille vingt et un.

Marie Andrée Amy
Secrétaire Technique a.i.
Commission Mixte Haïtiano-Dominicaine

Julio Ortega Tous
Secrétaire Exécutif
Commission Mixte Dominico-Haïtienne »

Deux jours après, soit le 29 mai 2021,  au grand étonnement de tout le monde, le Président Luis Abinader alors qu’il inaugurait un Centre de santé à Jarabacoa, a laissé entendre : « Je suis surpris par les opinions de certains médias et de certaines personnes qui pensent qu’il y a eu une approbation des travaux d’Haïti sur la rivière Massacre. La seule chose qui a été approuvée dans cette Commission a été la création d’une table technique, qui discutera de l’utilisation de toutes les ressources en eau de la frontière […] selon ce qu’indique le traité de 1929 […] pour qu’il n’y ait pas de conflits aujourd’hui ni demain ni plus tard ». Ce que voulait Abinader qui apparemment n’a jamais lu, le Traité de Paix, d’Amitié Perpétuelle et d’Arbitrage signé le 20 février 1929 entre le gouvernement de la République d’Haïti et le Gouvernement de la République Dominicaine, c’est lui qui devrait donner une certaine faveur, la permission à Haïti, d’activer sa prise de la Rivière massacre.

Article 10 du traité explique que les deux pays ont le « droit d’user d’une manière juste et équitable, dans les limites de leurs territoires respectifs, desdits rivières et autres cours d’eau pour l’arrosage des terres et autres fins agricoles et industrielles ».

Et d’après les riverains haïtiens, cité par Le Nouvelliste, « il est de bon ton de procéder à un tel ouvrage, arguant que les Dominicains jouissent déjà de plusieurs prises sur ce cours d’eau alors que ce n’était pas encore le cas pour les Haïtiens ».

En fait, comme l’actuel gouvernement de transition a montré que ce projet ne l’intéresse guère, le peuple lui, qui souffre de ce véritable besoin fut obligé de passer à l’action, en reprenant lui-même les travaux avortés, il y a deux ans, là où ils ont été arrêtés de façon à aboutir le projet.

A cet effet, Abinader reprit la charge et a récidivé par une note du Ministère des Affaires Étrangères et a indiqué : « que le Gouvernement Dominicain a fermement demandé à Haïti d’arrêter immédiatement la reprise de la construction d’un canal construit par des particuliers dont le but est de détourner les eaux de la rivière Massacre ».

Abinader est allé jusqu’à dénoncer le Premier ministre de facto Ariel Henry, agissant en tant qu’un allié authentique de Abinader. Selon un communiqué du ministère dominicain des Affaires étrangères, Henry a exprimé son inquiétude face à la situation et a indiqué qu’une délégation du Ministère de l’Intérieur a été envoyée sur place afin de chercher une solution définitive à cette situation.

Le ministère dominicain rappelle que le Premier ministre haïtien se décharge de toute responsabilité dans cette affaire puisque « le projet n’est pas gouvernemental ».

En réaction à la résistance populaire haïtienne, Abinader se jette dans des actes de représailles. Ainsi le lundi 11 septembre 2023, juste après une réunion du Conseil national de sécurité, Abinader a fermé la frontière de Dajabón et suspend la délivrance de visa aux Haïtiens. Dans une conférence de presse, il « déplore le manque de leadership d’Ariel Henry et son incapacité à prendre des décisions d’Etat ».

Le gouvernement dominicain, selon le ministre des Relations étrangères, Roberto Alvarez, et le ministre administratif de la présidence, José Ignacio Paliza, ne va pas s’asseoir pour des négociations dans le cadre de la Commission technique bilatérale Haïti-République dominicaine jusqu’à l’arrêt des travaux de la Rivière Massacre.

L’importance de ce mouvement nationaliste à la frontière où les haïtiens sont restés mobilisés le jour comme la nuit, 24 h sur 24, 7 jours 7, en chantant des chansons patriotiques, révolutionnaires. Une sorte de veillée populaire pour non seulement encourager les travailleurs mais surveiller aussi les travaux en cours de sorte que les réactionnaires dominicains à la solde de Abinader ne viennent pas saboter leur entreprise. Cette résistance est le symbolisme de l’âme révolutionnaire et de l’unité haïtienne, quand la population s’engage comme un seul homme, une seule femme à riposter contre la mauvaise foi des dirigeants dominicains.

En fait, c’est avec ses propres et faibles moyens, que le peuple avec l’aide sans doute de leurs compatriotes de la diaspora et la contribution financière de chaque citoyen du Grand Nord veut dans la fraternité et le respect mutuel tracer cet exemple.

Le plus grand problème du président dominicain, c’est qu’il ne peut avouer son vrai mal. Il est clair, cette prise d’eau va permettre à un grand nombre d’haïtiens de rester chez eux pour travailler la terre et vivre de leurs récoltes. Ils n’auront pas besoin de se rendre chez le voisin à Dajabon, ni pour aller acheter certains produits agricoles, ni pour aller travailler, car les haïtiens ont toujours été le moteur, la plaque tournante de l’économie Dominicaine. Chaque lundi et vendredi, des milliers d’Haïtiens traversent le pont sur la rivière Massacre entre Ouanaminthe et Dajabón, où ils dépensent entre 1,2 et 1,5 million de dollars par semaine, selon un rapport d’Haïti Libre de 2019. Avec 1 milliard de dollars d’exportations l’année dernière en Haïti, Abinader a déjà en quelque sorte fait la projection de la perte de son pays, si les paysans du Grand Nord arrivent à irriguer leurs terres cultivables.

C’est un grand signe d’espoir, si les haïtiens de tous les coins du pays sont conscients et conséquents. Les travailleurs lassés de se rendre en terre voisine pour vendre leur force de travail et ne recevoir que du mépris, la répression, et l’humiliation en retour peuvent réaliser qu’ils sont une armée robuste, s’ils peuvent s’organiser de la manière qu’ils le font pour construire le canal d’irrigation de la rivière Massacre, ils peuvent aussi compter sur leurs forces créatrices pour changer également le pays.

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