La police haïtienne, un jouet pour les Etats-Unis !

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L’ancienne ambassadrice des États-Unis en Haïti, Michèle J. Sison passant les ordres de Washington à Normil Rameau lorsqu’il était le directeur général par intérim de la PNH.

A quelques milliers près, la population haïtienne est estimée à douze millions d’habitants. Dans le même ordre d’idée, le Corps de la police nationale d’Haïti (PNH), la seule force de sécurité légale du pays, son effectif avoisine moins de 20 mille policiers. Voilà la réalité pour les haïtiens. Depuis sa création en 1995, après la démobilisation des anciennes Forces Armées d’Haïti (FADH) par l’ex-Président Jean-Bertrand Aristide avec le soutien express de Washington, cette police ne cesse d’être au centre de la vie sociopolitique haïtienne. A chaque crise politique aigüe que traverse le pays, la PNH est toujours au cœur des préoccupations des acteurs politiques haïtiens. Mais pas seulement.

Etant née de la volonté des dirigeants américains, sur le modèle de la Garde d’Haïti en 1928, la police haïtienne demeure une institution hybride dont les directives viennent surtout de la capitale fédérale américaine. Ainsi, placée entre deux autorités de tutelle – Port-au-Prince et Washington – dont les objectifs sont diamétralement opposés, la PNH peine à fonctionner correctement. Cela peut paraître paradoxale pour plus d’un. Mais, c’est un fait. L’inefficacité de la police haïtienne ne vient pas seulement des autorités haïtiennes. Les Etats-Unis qui se servent de la police haïtienne pour faire de la politique en Haïti en sont pour beaucoup. Tant que la PNH fonctionnera sur cette double allégeance, jamais ce corps de sécurité ne pourra être efficace ni remplir la mission pour laquelle elle a été créée. A chaque fois qu’il y a une crise de quelque nature que ce soit en Haïti, on entend le même refrain : la police est politisée par le régime en place.

De l’ancien Président Jean-Bertrand Aristide au feu Président Jovenel Moïse, la même chanson, la police est noyautée par les partisans du pouvoir en place. A l’arrivée de chaque nouveau Président au Palais national, on tente de chambarder la hiérarchie de la PNH soit en nommant des chefs soi-disant plus fiables ou des éléments soi-disant apolitiques en expédiant dans les placards ceux qui, en dépit tout, ont tenté de faire leur travail et ce qu’ils pouvaient. Finalement, à force de jouer à ce petit jeu, on a fini par démotiver les policiers et la hiérarchie de la police tout en désorganisant, désorientant totalement le fonctionnement même de ce corps de sécurité dont la seule mission est de « Protéger et Servir ». Le plus incroyable dans ce jeu dangereux, un Président haïtien même s’il en avait envie, par peur d’être taxé soit par les oppositions en Haïti soit par les autorités américaines de politiser la police, ne peut décider un renforcement de la police ni en effectif, ni en matériels tactiques, ni en armement par quelque moyens que ce soit.

L’actuel DG par intérim de la police nationale, Frantz Elbé

 D’ailleurs, Washington a formellement interdit aux autorités haïtiennes de fournir des armes et des munitions sans son accord effectif et ce, avec les moindres détails. Prenant prétexte d’un embargo vieux de plus de trente ans, établi soi-disant par la Communauté internationale, en réalité selon la seule volonté de la Maison Blanche, les autorités américaines font de l’armement de la police haïtienne une arme politique qu’elles utilisent allègrement contre les occupants du pouvoir à Port-au-Prince au gré de leurs intérêts immédiats. Pendant ce temps, les armes de toute calibre et leurs minutions entrent sur le sol haïtien par milliers par voie de contrebande en provenance quasi exclusivement des ports et aéroports des Etats-Unis d’Amérique. Drôle de pays, et, l’on dirait aussi, drôle de dirigeants d’un Etat à qui la Communauté internationale interdit de s’approvisionner ni d’acheter légalement des armes pour équiper sa police et ses forces de sécurité nationale légalement constituées.

Alors même que le premier des Etats membres laisse embarquer sans quasiment aucune difficulté ni pratiquement aucun contrôle des cargaisons d’armes et de minutions à destination du pays dont tout le monde sait que ses ports, aéroports et frontières terrestres demeurent de vrais passoirs. Pire, certains ports maritimes sont même des propriétés privées où les autorités étatiques n’ont pratiquement aucun accès. La question que l’on peut se poser dans ce cas : de qui se moque-t-on ? Il est même inutile de revenir sur la sempiternelle question relative à la fabrication des armes dans la mesure où Haïti ne dispose d’aucune industrie de ce type. Or, les armes dont disposent les chefs de gangs et pratiquement tous leurs soldats de fortune n’ont pas d’équivalent parmi celles que possède l’institution policière, voire les Forces armées d’Haïti qui sont en cours de remobilisation. En fait, cette affaire de la faiblesse de la police haïtienne rentre dans la stratégie des Etats-Unis pour maintenir le pays dans une situation de dépendance perpétuelle sans pour autant assumer ses responsabilités dans la descente aux enfers des Haïtiens. En clair, la police haïtienne est une institution servant de chantage aux autorités américaines afin de mener sa politique de domination et raciste contre un peuple pour qui ils n’ont que mépris et indifférence.

On veut pour preuve, depuis près de trente ans, on répète que la police haïtienne est en sous effectif et sous équipée et mal préparée pour faire au face au banditisme urbain et à l’insécurité en général qui explose à travers tout le pays. Mais de grâce, à qui la faute ? Doit-on rendre les dirigeants haïtiens  seuls responsables de ces maux qu’on reproche à cette institution ? A notre avis, absolument pas. Et pour cause. Personne en Haïti, aucune autorité, aucun Président de la République ne peut prendre sur lui-même la décision d’augmenter les effectifs,  d’acheter des armes et même de choisir un autre partenaire pour l’aider à la formation des policiers sans avoir au préalable une autorisation et l’accord direct des autorités de Washington. Une situation de frustration qui, parfois, peut pousser les dirigeants haïtiens à laisser ce corps de police à l’abandon. Puisque, sans pouvoir réel ni vraiment d’autorité capable de choisir librement l’armement nécessaire et approprié pour équiper cette police devant la propagation des groupes armés dans le pays, c’est le fatalisme qui s’empare des responsables du pouvoir.

Léon Charles remettant le 4 novembre 2021, ses lettres de créances à Luis Almagro. Il a été tout simplement réexpédié à son poste à l’Organisation des États Américains (OEA), comme pour dire mission accomplie.

Sans vouloir dédouaner complètement les dirigeants haïtiens sur ce dossier, il est tout de même évident qu’ils ne sont pas tout à fait responsables du peu de moyens dont disposent les policiers pour faire leur travail. Mais, on peut pousser la réflexion encore plus loin pour comprendre la mauvaise foi de différents gouvernements américains dans cette situation ubuesque. Puisque, même pour changer le chef de la police nationale, il faut l’aval de Washington. Quand ce n’est pas lui qui propose le nom du titulaire, quitte à créer des mécontentements au sein de la hiérarchie de la police. Le retour surprenant au cours de l’année 2020 de Léon Charles à la tête de la PNH a été le plus choquant. Celui-ci avait déjà fait la démonstration de son incapacité à ramener l’ordre et la paix sur le terrain avec sa gestion approximative de ce corps de sécurité après avoir été Directeur général de l’institution.

Chassé de la direction de la police une première fois en 2005 pour être finalement nommé ambassadeur à l’OEA en récompense par Washington, Léon Charles avait perdu de vue la situation et la réalité sociopolitique haïtienne durant plus d’une décennie. Sauf que, en plein désarroi avec les cas de kidnapping qui explosent dans la capitale, le feu Président Jovenel Moïse, sans aucun doute à la demande des autorités de Washington, n’avait trouvé d’autre personne pour remplacer un Directeur général de terrain, Rameau Normil, mais sans grands moyens l’empêchant de donner de résultat, que l’ancien DG Léon Charles qu’on a fait venir expressément de Washington. Résultat, quelques mois plus tard, ce même Léon Charles a dû rendre son tablier devant les redoutables chefs de gangs imposant leur loi à Port-au-Prince comme ce fut il y a dix ans déjà.

La preuve que la police nationale est vraiment sous contrôle de la Maison Blanche, Léon Charles a été tout simplement réexpédié à son poste à l’OEA comme pour dire mission accomplie. Une gifle pour la hiérarchie de la PNH qui n’avait jamais compris ni ne s’est jamais associé à ce choix de quelqu’un venu commander une institution qu’il ne connaît plus. Autre exemple démontrant que la PNH pour les américains n’est qu’un gadget avec lequel ils tournent en bourrique tous les dirigeants en haïtiens depuis sa création en 1995, ce sont ces discours sur le renforcement de cette institution. En effet, depuis cette année-là, pas une Mission de Paix ou de maintien de l’ordre de l’ONU en Haïti ne comportant un volet de renforcement de la police haïtienne. Ceci, depuis la première Mission des Nations Unies en 2004, la MINUSTAH, jusqu’à la dernière encore en place dans le pays connue sous le nom de : Bureau Intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH) dont le mandat a été renouvelé le 15 octobre dernier pour une durée de 9 mois soit jusqu’au 15 juillet 2022 d’après la Résolution 2600-2021.

La police d’Haïti est soi-disant toujours en tête de liste de la Communauté internationale, en particulier les Etats-Unis d’Amérique qui, à travers ses Missions et Envoyés spéciaux à Port-au-Prince, se montrent toujours préoccupés par la faiblesse de cette police. Cette préoccupation des autorités de Washington se manifeste surtout en période de crise politique. Puisque, d’un point de vue américain, la police haïtienne est censée capable de contenir toutes les frustrations de la population allant des mobilisations sociopolitiques aux actes de kidnapping en passant par les gangs qui prennent en otage le pays. Après l’assassinat du Président Jovenel Moïse en juillet dernier, avec la complicité avérée de certains éléments de cette police inféodée aux autorités américaines, le premier discours de la Maison Blanche était justement qu’il faut renforcer la police sans que personne ne se demande comment. Et après combien de temps cette police va-t-elle finir par se renforcer ? Puisque, depuis sa création, on ne fait que ça, la renforcer. La question est de savoir si elle a vraiment été renforcée depuis qu’on entend cette litanie de discours sans jamais voir le moindre résultat.

Les différentes Misions américaines qui se sont succédé dans la capitale haïtienne depuis la disparition du Président Jovenel Moïse avaient pour principale mission de discuter avec les soi-disant autorités haïtiennes, les responsables de la justice et les Directeurs généraux de la police pour savoir encore et toujours comment aider la police à être efficace. De l’Envoyé spécial Daniel Lewis Foote au dernier en date le Secrétaire adjoint américain du Bureau international chargé de la lutte contre les stupéfiants et de l’application de la loi (INL), Todd Robinson, le discours n’a pas changé d’un iota. La police d’Haïti ; la police d’Haïti encore la police d’Haïti. Personne au sein de l’appareil de l’Etat et de l’institution policière n’a assez de courage pour dire aux autorités américaines d’arrêter avec cette plaisanterie. Surtout qu’après chaque annonce, les dirigeants haïtiens et les responsables de la police se font ridiculiser par ce qu’ils reçoivent comme aide dans le cadre de ce renforcement de la police devenu une alésienne.

Comment expliquer, en effet,  qu’un corps de police d’un effectif de seulement 15 mille hommes, équivalent d’une police d’une ville moyenne américaine, ne disposant toujours pas de moyens adéquats pour mener à bien sa mission après 30 ans  d’existence? On se pose encore et toujours la même interrogation : pourquoi la police haïtienne ne dispose toujours pas d’un nombre conséquent de véhicules et de matériels de sécurité suffisants pour assurer sa fonction dans un pays où il n’existe aucune autre force de sécurité ? Déjà, 15 mille policiers, c’est nettement insuffisant pour ne pas dire que ce n’est rien pour sécuriser une population de 12 millions de personnes et protéger plus de 28 mille kilomètres carrés du territoire. Lors de la dernière visite à Port-au-Prince du 8 au 10 novembre 2021 du Secrétaire d’Etat adjoint américain du Bureau international chargé de la lutte contre les stupéfiants et de l’application de la loi (INL), celui-ci, en compagnie du nouveau chef de la police haïtienne Frantz Elbé, a annoncé fièrement une aide de 60 véhicules à la police dont 19 sont déjà arrivés en Haïti.

« Aujourd’hui, je suis fier d’annoncer que récemment l’INL a donné 19 véhicules pour supporter les efforts de la police nationale. Ces véhicules constituent une première tranche de 60 véhicules que nous comptons fournir dans les prochains mois. En outre, 200 jeux d’équipements de protection vont être livrés dans les jours à venir. Tout comme les véhicules, ces équipements seront assignés aux unités qui luttent contre les gangs et contribueront à protéger les communautés et à maintenir l’ordre public », disait l’ambassadeur Todd Robinson. En vérité, c’est une insulte pour les policiers. Une honte même pour le gouvernement haïtien. Alors, c’est de cela qu’il s’agit quand le gouvernement américain parle de renforcer la police haïtienne? Comme quoi, l’Etat haïtien n’est même pas en mesure de s’offrir 60 misérables véhicules de police pour renforcer la sécurité de sa population? Franchement, il y a bien un problème dans ce pays. Haïti est vraiment un Etat failli. Et en toute honnêteté, sans jouer au nationalisme de façade, il faut comprendre l’inquiétude des dirigeants de la République dominicaine pour la sécurité de leur propre pays.

Il y a tout juste un mois, en octobre dernier déjà, une autre Secrétaire d’Etat adjointe américaine, Uzra Zeya, chargée de la Sécurité civile avait annoncé à Port-au-Prince que le gouvernement de son pays était prêt à aider la police nationale haïtienne à se renforcer. Elle avait indiqué que « Le démantèlement des gangs responsables de la violence est nécessaire pour la stabilité d’Haïti et la sécurité des citoyens. Aujourd’hui, j’ai rencontré le  DG a.i de la PNH, Léon Charles, pour réaffirmer que le Département d’Etat américain continuera de supporter le renforcement de la police communautaire, le renforcement de la confiance de la population, le renforcement du Service de renseignement et des capacités à appliquer la loi ». Donc, la police haïtienne est condamnée à vivre sous la dépendance des officiels américains qui se contentent de parler en fonction des brèves notes préparées à l’avance par l’ambassade américaine à Port-au-Prince sans tenir compte de la réalité du pays. Résumer le renforcement d’une institution policière à quelques voitures de police et quelques casques de protection pour affronter des gangs et l’insécurité dans une République en faillite, c’est vraiment sous estimer les problèmes que traverse cette institution et la société haïtienne en général.

Aussi, c’est passé en dérision non seulement les autorités policières mais surtout et principalement les autorités politiques du pays qui ont accepté depuis longtemps de jouer le rôle de subalternes sur leur propre territoire comme si, de fait, elles acquiescent petit à petit l’occupation qui devient inévitable ; même si les officiels américains, pour détourner l’attention, disent le contraire. Comme un avant goût, nous avons appris par un Tweet de l’ambassade américaine que « Le Secrétaire adjoint, Todd Robinson, a rencontré le DG par intérim de la police nationale, Frantz Elbé, pour discuter du groupe de travail anti-gang en Haïti. Le Département d’Etat continuera à s’associer et à renforcer la capacité de la PNH en fournissant des véhicules, une assistance technique, des  infrastructures et un accompagnement en conseils. Le Premier ministre haïtien, Ariel Henry, et le Secrétaire adjoint, Todd Robinson, se sont rencontrés pour discuter du soutien du gouvernement américain aux efforts anti-gangs de la PNH. Le Département d’Etat a récemment engagé 15 millions de dollars supplémentaires pour renforcer la PNH et son système correctionnel ». Finalement, les dirigeants haïtiens abandonnent leur rôle de pouvoir régalien en étant  convaincus que seul Washington peut s’occuper des institutions haïtiennes même en les traitant en quantité négligeable. Triste réalité !

C.C

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