Jovenel Moïse et sa Constituante contestée (2)

Dernière partie

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Guichard Doré, le Conseiller spécial de Jovenel Moïse.

Le Conseiller spécial du Président Jovenel Moïse, Guichard Doré n’a pas chômé. Dès le lendemain, il s’est mis à l’ouvrage en contactant différents responsables politiques, notables, société civile, acteurs sociaux et personnalités indépendantes sur ce sujet. Le moins que l’on puisse dire, Guichard Doré qui est, certes, un type charmant, n’a pu convaincre grand monde, en tout cas pas ceux qui comptent vraiment dans cette conjoncture de politique très tranchée où chaque camp compte ses soutiens et ses alliés. Selon le Conseiller spécial du Président qui s’est confié au quotidien Le Nouvelliste le mardi 16 juin 2020,  il a rencontré beaucoup de monde. A dire vrai, en regardant la liste, c’est du beau monde. Néanmoins, si ces gens reconnaissent tous la nécessité d’une reforme constitutionnelle, très peu semblent être prêts à s’engager dans l’entreprise avec l’actuel Président de la République. C’est le cas de la constitutionnaliste Mirlande Manigat qui reconnaît avoir eu par deux fois Guichard Doré au téléphone et qu’à chaque fois elle a dit sagement mais fermement à l’envoyé spécial de la présidence de la République qu’il ne faut pas compter sur elle.

en croire l’équipe du Palais, le projet de la réforme constitutionnelle de Jovenel Moïse est sur le rail même si le contexte est quelque peu troublant

Mais, celui qui est en mission commandée pour le Président Jovenel Moïse auprès des acteurs socio-politiques sur ce sujet éminemment sensible qu’est la reforme de la Constitution sous cette mandature croit qu’il est sur la bonne voie. Doré a fait l’étalage des personnalités et des organisations haïtiennes qui ont pignon sur rue à Port-au-Prince avec qui il a discuté du projet de la formation d’une Assemblée constituante: « J’ai déjà parlé avec le bâtonnier de l’Ordre des avocats de Port-au-Prince, Me Monferrier Dorval; des membres de l’Association des économistes, des personnalités de la société civile comme le professeur Rosny Desroches, Me Gédéon Jean, Edouard Paultre. J’ai parlé aussi à des hommes d’affaires, le Président de la Conférence des recteurs, Présidents et dirigeants d’institutions d’enseignement supérieur (CORPUHA), des anciens Premiers ministres, des hommes politiques, madame Mirlande Manigat, etc », dit-il. Car, selon ce Conseiller spécial de Jovenel Moïse qui parle certainement au nom du chef de l’exécutif « Il faut résoudre une fois pour toute le dilemme constitutionnel. Il n’est pas normal que chaque article de la Constitution soit interprété en fonction de sa compréhension. C’est un problème qui mérite d’être clarifié » résume Guichard Doré.

Malgré le refus très amical de certains interlocuteurs de Doré, celui-ci reste tout de même confiant dans ses Pourparlers avec les différents secteurs de la vie nationale ; puisque, selon lui, pour ce travail, les acteurs ne partent pas les mains vides car il existe déjà des propositions qui ont été émises suite à des travaux de deux projets distincts : le Rapport de la Commission de Jerry Tardieu et celui du tandem Claude Moïse et de Cary Hector sans compter d’autres travaux non officiels émanant d’éminents juristes et constitutionnalistes. Bref, à en croire l’équipe du Palais, le projet de la réforme constitutionnelle de Jovenel Moïse est sur le rail même si le contexte est quelque peu troublant et peu propice à ce genre d’initiatives. Ce qui n’empêche pas que la présidence se concentre sur deux agendas extrêmement conflictuels comme l’a laissé entendre le Conseiller spécial de Moïse qui sont : la formation de l’Assemblée constituante et la nouvelle Constitution qui y sortira et enfin l’organisation des élections l’année prochaine, puisque « Le Président a un mandat de cinq ans qui prendra fin en 2022 » selon Guichard Doré.

Sauf que ce bel ordonnancement et ce beau agenda présidentiel sont contestés d’une part par l’opposition plurielle qui crie à la mise en place d’un régime dictatorial dirigé par Jovenel Moïse car pour elle le mandat de celui-ci se termine le 7 février 2021 et d’autre part par certaines personnalités éminentes dont un ancien membre de l’Assemblée constituante de 1987, l’historien Georges Michel qui parle lui de « l’Assemblée constituante illégale et anticonstitutionnelle » si le Président va jusqu’au bout avec son projet de reformes constitutionnelles.

Les critiques et les positions de Georges Michel sur les décisions des pouvoirs publics de reformer la Constitution paraissent de moins en moins crédibles dans l’opinion.

Si c’est de bonne guerre que l’opposition conteste la décision du pouvoir de doter le pays d’une Constitution qu’elle estime qui va être taillée sur mesure pour le Président sortant et surtout un pouvoir dont elle n’a jamais reconnu  la légitimité, c’est la position du Dr Georges Michel qui vient d’apporter une nouvelle pierre dans le chantier de l’opposition. C’est une forme de soutien tacite pour la bande à André Michel sans que l’historien ne soit considéré ou soupçonné vraiment comme un membre de l’opposition. Pour cet ex-membre de la Constituante de 1987, c’est une question de principe et de fidélité à son œuvre constitutionnel. Pour les mêmes raisons, Georges Michel était déjà opposé aux travaux de la Commission de reforme constitutionnelle du député Jerry Tardieu qu’il a toujours traité comme un groupe de « rigolos». Pour le projet du chef de l’Etat, l’ancien Constituant estime qu’« Une Assemblée constituante ne sera profitable ni au Président de la République ni au pays. Elle va conduire le pays vers une crise beaucoup plus grave que celle que nous avons aujourd’hui. Le timing étant raté, c’est la prochaine législature qui doit entamer le processus d’amendement. On ne peut rien faire pour le moment », selon l’historien qui, il est vrai, a du mal à accepter qu’on touche à son bébé âgé de 33 ans, l’âge du Christ, en 2020.

A chaque fois qu’une tentative est prise par les pouvoirs publics soit pour amender soit pour proposer une reforme de la Constitution, Georges Michel monte au créneau soit pour critiquer soit pour s’opposer carrément au projet. Il était déjà très critique contre l’amendement, certes raté, sous la présidence de René Préval et finalisé sous Michel Martelly ; et à chaque tentative, l’historien se rangeait aux côtés des opposants sans pour autant faire des propositions allant dans le sens de rendre la Constitution moins problématique dans son application. Alors même qu’il admette qu’il y a lieu de « simplifier et d’alléger » certains articles. Ainsi,  les critiques et les positions de Georges Michel sur les décisions des pouvoirs publics de reformer la Constitution paraissent de moins en moins crédibles dans l’opinion. Pourtant, l’homme à des idées pouvant faire avancer les débats sur la Constitution comme ses critiques sur l’abrogation de l’article 149 de la Constitution de 1987 qui traite de la présidence provisoire de la République. En effet, pour amender ou faire une reforme constitutionnelle voire proposer une nouvelle Constitution comme le Président Jovenel Moïse souhaite le faire, il parait évident à tous dans ce pays de crises politiques permanentes qu’il faut un très large consensus politique et la participation de différents corps sociaux dans ce projet.

Donc, tous les experts, constitutionnalistes, juristes et autres ont leur place dans ce débat. D’ailleurs, même quand cette procédure doit suivre le cheminement prévu par les Constituants de 1987, il n’est pas toujours facile de trouver un accord politique au Parlement. D’où l’amendement un peu folklorique qu’on a eu en 2010-2011. Alors voire dans ce contexte aussi difficile qu’aujourd’hui où l’atmosphère politique et sociale est on ne peut plus anxiogène. Quand on jette un coup d’œil sur les Constitutions haïtiennes antérieures, ou de reformes constitutionnelles, pratiquement toutes ont été imposées soit par des régimes militaires par nature autoritaires soit par des gouvernements civils issus des régimes à caractère dictatorial ou sous l’occupation étrangère donc votée par un Parlement servile au service du pouvoir exécutif, dans ce cas point de contestation ou d’opposition possible. Cela fait plus de trente ans que tout le monde parle de la reforme, amendement ou nouvelle Constitution tant celle de Georges Michel pose plus de problèmes qu’elle n’en résout.

Pourtant, malgré certaine période d’accalmie politique et une Assemblée Nationale au complet et malgré la nécessité plus qu’évidente de faire quelque chose, aucun Pouvoir exécutif ni Pouvoir législatif n’ont pu sortir de ce bourbier constitutionnel qui ruine la base, le fondement même de la République. Une situation rendant la société haïtienne d’aujourd’hui instable, faible, ingouvernable et inadaptée. Le Président Jovenel Moïse n’est pas le premier à vouloir porter une reforme constitutionnelle ou à faire adopter une nouvelle Constitution. Dans cette conjoncture politique, il a peu de chance sinon aucune de parvenir à un consensus national. Le momentum  n’est pas le bon.

Vu qu’il n’y a pas de Parlement,  il peut toujours l’imposer de manière autocratique avec les seuls soutiens de la Communauté internationale. Mais, on sait d’avance que cette Charte fondamentale, si le Président parvient à la faire grâce à une Assemblée constituante de complaisance, puisque l’opposition n’y participera pas, est déjà contestée et prête à subir le même sort que sa sœur cadette de 1987, c’est-à-dire être un facteur de conflits politiques et institutionnels au lieu d’être un document sérieux, respecté, incontestable et inviolable qu’est une Loi mère. Même si l’idée d’une nouvelle Constitution est bonne, même si les intentions sont de faciliter la tâche de ses successeurs et enfin même si c’est pour garantir la stabilité politique et gouvernementale dans l’avenir, honnêtement, c’est mal parti.

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