Jean André Victor et son Président autoproclamé !

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Jean André Victor des Forces de l’Opposition Progressiste (FOP)

On imagine que beaucoup de monde ont lu et relu le texte de l’agronome Jean André Victor intitulé « C’est quoi un Président autoproclamé » paru dans le journal Le Nouvelliste du mercredi 8 mai 2019. C’est une mise au point sur l’intention de l’opposition radicale de nommer un Président autoproclamé pour remplacer l’actuel chef de l’Etat Jovenel Moïse au Palais national le samedi 18 mai prochain. Bien qu’il s’agit d’une belle blague, cette curieuse et absurde idée a quand même fait un peu de débats et provoqué quelques polémiques dans le milieu politique haïtien et dans la presse. Tout a commencé, en fait, le lundi 5 mai 2019 lors d’une rencontre avec les médias de la capitale, une conférence de presse durant laquelle le leader de MOPODH (Mouvement Patriotique Dessalinien Haïtien), Jean André Victor, a dévoilé son projet de création d’un Parlement populaire et la nomination d’un nouveau Président d’Haïti. Là aussi on peut penser que les « parlementaires » dudit Parlement seront eux aussi autoélus.  Si cette annonce avait fait rire beaucoup les journalistes présents, elle a été prise pour une très mauvaise blague par la classe politique, même par certains membres de l’opposition qui qualifient l’annonce de Jean André Victor de dérive politique.

Il faut dire que depuis quelque temps, l’opposition haïtienne, en particulier celle dite radicale, est en perte de vitesse au point de vue d’idées novatrices pour relancer la mobilisation contre le Président Jovenel Moïse. Au point mort depuis la cuisante défaite des dernières tentatives de soulèvement populaire contre le pouvoir Tèt Kale (PHTK) du mois d’avril, les membres de cette branche de l’opposition ont eu l’idée de créer un nouveau groupuscule à l’intérieur de cette même opposition dite radicale qu’ils appellent : Forces d’Opposition Progressiste ou Forces d’Organisation Progressiste (FOP). Une sorte de sous-marque, de sous produit qui, en vérité, ne pourra servir grand-chose à la branche dénommée Secteur Démocratique et Populaire (SDP) de la bande à André Michel, Marjorie Michel et Nènèl Cassy.

l’opposition haïtienne, en particulier celle dite radicale, est en perte de vitesse au point de vue d’idées novatrices pour relancer la mobilisation contre le Président Jovenel Moïse.

A la vérité, personne n’a pris au sérieux cette dérive de l’opposition baptisée pompeusement « Forces » qui est en somme une coquille vide et dont on ne voit point l’utilité dans la lutte contre Jovenel Moïse qui se préoccupe davantage  de la ratification et de l’installation de son nouveau Premier ministre et d’un nouveau cabinet ministériel. Totalement silencieux ces derniers temps, que ce soit sur le terrain que ce soit dans la presse, les responsables de l’opposition radicale qui n’ont pas pris part à la négociation devant déboucher sur la nomination d’un nouveau chef de gouvernement, devaient trouver quelque chose afin de revenir dans les débats. D’où la fameuse conférence de presse du lundi 5 mai en perspective des « évènements du 18 mai 2019 » dont le clou de l’affaire serait de nommer un deuxième « Juan Guaido » sur le continent américain. Or, celui-ci est un usurpateur du pouvoir au Venezuela. Il a commis un acte de forfaiture le 23 janvier 2019 passible de la prison pour s’être autoproclamé Président même pas de la République Bolivarienne du Venezuela, mais du Venezuela tout court. En clair, ce chef de l’opposition, député et Président du Parlement vénézuélien, est en violation flagrante de la Constitution de son pays.

Or, malgré le soutien actif et l’encouragement sans réserve de la Maison Blanche et la plupart d’autres pays alliés des Etats Unis pour cet acte anticonstitutionnel, Juan Guaido peine à exister même sur le plan intérieur. D’ailleurs, son coup, certainement monté avec l’appui financier, les moyens logistiques et le soutien politique de Washington, s’est soldé par un cuisant échec. La dernière manifestation organisée le samedi 11 mai 2019 dans le pays a été un fiasco total comparativement aux précédentes. Le Président Nicolas Maduro semble tenir les rênes du pouvoir à Caracas sans tenter de faire taire son pire adversaire politique. Un modèle du genre et une exception en Amérique latine. Dans d’autres pays même démocratiques, longtemps ce chef d’opposition aurait été réduit au silence. Soit par un assassinat soit par son embastillement pour crime de haute trahison.

Mais, revenons à ceux en Haïti qui pensent l’imiter à Port-au-Prince même s’ils n’ont ni sa légitimité puisqu’il est quand même Président du Parlement ni les moyens de leur politique. Après tout, l’opposition au Venezuela est unie contre le pouvoir, ce qui déjà fait toute la différence par rapport à l’opposition haïtienne qui est multiple. Au Venezuela, il n’existe pas de guerre des chefs pour prendre le pouvoir. Juan Guaido est le patron, point barre ! Peut-on dire autant pour l’opposition en Haïti ? Difficile donc pour elle de vouloir transposer à Port-au-Prince ce qui se passe à Caracas. Même si Jean André Victor et ses « forces » de l’Opposition Progressiste rêvent du pouvoir avec un Président autoproclamé, cela ne marchera pas. Il existe trop d’antagonismes et de rivalité au sein même de cette opposition balkanisée à l’extrême dont chaque leader se voit au sommet de la Pyramide. Tous n’ont qu’un seul but : se mettre à la place de leur ennemi commun, Jovenel Moïse.

La « Convergence démocratique » avait désigné à Pont Morin maitre Gérard Gourgue « Président » de la République le 7 février 2001 en lieu et place du Président légitime et constitutionnel Jean-Bertrand Aristide.

D’ailleurs, c’est cette attitude suicidaire qui fait la force du Président haïtien. Alors même qu’il n’a aucun soutien populaire dans le pays à la différence du Président Nicolas Maduro qui lui à l’évidence dispose d’une majorité dans son pays sans compter le Parti chaviste. Et surtout l’armée vénézuélienne qui constitue le dernier rempart à la défense des intérêts du pays et de la révolution initiée par le feu Commandant Hugo Chavez. On l’a vu la semaine dernière avec la tentative du putsch de Juan Guaido. Un coup monté sans aucun doute avec l’accord de Washington. Alors, lorsque les Forces de l’Opposition Progressiste (FOP)  envisagent de se lancer dans cette entreprise périlleuse avec cette abracadabrantesque idée de Président autoproclamé, cela a fait sortir de son gong l’ex-Premier ministre Evans Paul (KP). Pour cet ancien chef de l’opposition de la quasi-totalité des gouvernements haïtiens depuis Jean-Claude Duvalier jusqu’à ce qu’il soit devenu chef de gouvernement sous Michel Martelly, il y a forcément un problème dans l’opposition actuelle.

 

KP est persuadé que l’opposition actuelle aussi bien que les responsables du pouvoir sont définitivement en panne d’idées. Sans prendre de gant, Evans Paul croit que « ce projet est une régression pour la démocratie haïtienne » dans la mesure où cela rentre dans une logique qui n’a rien à voir avec la démocratie. En effet, comment peut-on parler de démocratie lorsqu’on veut faire fi de son principe de base qui est de se présenter devant le peuple pour obtenir ses suffrages ? André Victor a beau parcouru l’histoire jusqu’à remonter à Jules César en l’an 44 av. J.C. et à Napoléon Bonaparte, l’empereur de tous les français, d’ailleurs des figures qui ne sont nullement des modèles de démocratie, pour nous convaincre de sa démarche de Président autoproclamé, sa démonstration historique demeure néanmoins sans fondement. Au contraire, il s’y perd quand il dit que « Haïti figure parmi les pays qui ont reconnu ipso facto le Président autoproclamé du Venezuela, Juan Guaido ». Tout d’abord, ce n’est nullement Haïti qui a reconnu le factieux Juan Guaido.

C’est l’œuvre d’un Président qu’il qualifie de « parjure » que son Parti combat justement pour non respect de la démocratie. En aucune façon l’on ne peut se baser sur un acte illégal pour en accomplir un autre pareil. Pour répondre à Evans Paul qui estime que l’opposition fait fausse route avec son idée saugrenue de Président autoproclamé, Jean André Victor laisse entendre que « ce n’est pas par manque d’inspiration que les FOS ont agi mais plutôt par réalisme politique ». Absurde ! C’est une drôle conception de la réalité politique. S’il fallait obligatoirement copier les mauvais exemples de l’histoire, jamais les peuples du monde ne vivraient dans la paix et la démocratie. Il dit que « l’histoire d’Haïti regorge d’exemples de Présidents autoproclamés ». C’est vrai. Est-ce une raison pour poursuivre dans cette voie ? C’est donner raison justement à KP quand il dit que l’opposition est en panne d’idées. Selon Evans Paul qui pourtant a bien servi le régime de Michel Martelly, « Nous sommes dans un processus d’autodestruction dans le pays. On ne veut pas donner une chance aux valeurs, parce que les gens font montre de méchanceté. C’est peut-être à cause de l’autodestruction qu’on se dirige vers un Président autoproclamé ».

Puisque l’opposition se trouve dans une impasse politique, le seul moyen d’en sortir est de reproduire ce qui est le plus mauvais pour la société et la jeunesse. Sinon, on ne comprend pas pourquoi Jean André Victor cherche à embrouiller la population en citant les cas les plus négatifs de l’histoire universelle et d’Haïti afin de cautionner sa thèse. Faut-il commettre une forfaiture pour corriger les négations de l’histoire ? En citant François Duvalier et même le Précurseur de l’indépendance haïtienne, l’immortel Toussaint Louverture qui serait parvenu au pouvoir selon lui de manière non approprié.  Intellectuellement, c’est malhonnête de la part de l’agronome de prendre en exemple ces cas qui n’ont rien de commun avec son projet de nommer un « Président » à la tête du pays parce que ses partisans n’ont pas suffisamment de courage ni de popularité pour renverser le régime en place. Dans le cas de François Duvalier, le dictateur avait été au prime abord élu lors d’un scrutin organisé en 1957. Il n’y a eu ni coup d’Etat ni auto-proclamation. Ensuite, il avait au moins organisé en 1964 un référendum, certes contesté, pour se faire élire Président à vie.

on ne comprend pas pourquoi Jean André Victor cherche à embrouiller la population en citant les cas les plus négatifs de l’histoire universelle et d’Haïti afin de cautionner sa thèse.

Concernant Toussaint Louverture, nous pensons que le chef du MOPODH se fourvoie complètement et se perd en conjecture en comparant l’action et l’avènement de ce révolutionnaire au pouvoir, dans le but d’abattre un système esclavagiste cruel, avec la démarche saugrenue des FOP. Toussaint ne s’est pas autoproclamé. Il fut le chef naturel dans un contexte où les esclaves opprimés cherchaient un guide pouvant les mener à la libération et à l’abolition du système esclavagiste. Donc, c’est sans commune mesure qu’il avait pris la tête des révoltés pour les conduire à la victoire. Un objectif qu’il n’a pas pu atteindre complètement de son vivant compte tenu qu’il a été vaincu par ses ennemis. Mais son œuvre fut parachevée par un des ses plus glorieux et braves lieutenants, Jean-Jacques Dessalines, quelques mois plus tard. Or, le projet des Forces de l’Opposition Progressiste qui consiste à installer un Président autoproclamé est, en vérité, un signe de faiblesse. Il n’a aucune chance d’aboutir. Puisqu’il n’aura le soutien de personne à commencer par ses principaux chefs.

Tous les grands hommes politiques de l’histoire cités par Jean André Victor dans son texte de Le Nouvelliste, qui, selon lui, s’étaient autoproclamés dictateurs à vie ou Président, avaient au moins le soutien de leurs camarades et de leurs amis. Dans le cas du projet de FOP, difficile de croire que « l’heureux autoproclamé » aura le soutien et l’appui de tous les leaders de cette mouvance pluri-forme. Quand on voit la distance idéologique qui sépare les différentes branches de cette opposition dite radicale, on est en droit de s’interroger sur la réussite de ce projet à contre-courant de la marche du siècle. Dans Haïti Liberté de la semaine dernière, on a relevé une opposition radicale à trois branches dont chacune suit sa propre stratégie et son propre itinéraire. Entre le 4 et le 6 mai 2019, l’opposition radicale, en effet, a mené de front trois pistes diamétralement opposées. D’une part, la branche dénommée Secteur Démocratique et Populaire (SDP) était en voyage chez l’Oncle Sam pour faire le point avec les autorités américaines sur la situation politique haïtienne.

La délégation était composée des sénateurs Evalière Beauplan et Nènèl Cassy, de Simon Dieusel Desras, Marjorie Michel, du député Printemps Belizaire et du journaliste Jean Morin.   Cette démarche révèle le non sens de cette opposition. Entre-temps, c’est le leader du Parti Pitit Dessalines et membre des Forces de l’Opposition Progressiste qui a pris l’avion pour l’Amérique du Sud à l’invitation de certaines organisations progressistes de l’Uruguay. Enfin, à Port-au-Prince, Jean André Victor a annoncé la création d’un sous groupe au sein des Forces d’Opposition Progressiste, baptisé « Sove Pèp » dont le but n’est autre que le renversement du Président Jovenel Moïse. On est presque certain que toutes ces initiatives n’ont rien de commun entre elles et que chaque groupe opère selon ses propres objectifs, son agenda et son carnet d’adresse. Avec ces trois initiatives au cours de la même semaine, nul n’est besoin d’être « madame soleil » pour deviner que cela sent la division à plein nez. D’où l’intérêt de la question de l’hebdomadaire Haïti Liberté, « qui sera l’heureux Guaido haïtien » ?

Intéressant, en effet, de connaître le futur « Gérard Gourgue » puisque Jean André Victor lui-même y a fait allusion sans le nommer quand il écrit « Plus près de nous, il y a quelques années, les Partis de l’opposition avaient choisi un Président autoproclamé en lieu et place du Président soi-disant élu ». En effet, l’opposition des années 2000, célèbre pour sa radicalité envers le Président lavalas Jean-Bertrand Aristide et connu sous les noms de « Convergence démocratique » ensuite de « Groupe des 184 » avait désigné à Pont Morin maitre Gérard Gourgue « Président » de la République le 7 février 2001 en lieu et place du Président légitime et constitutionnel Jean-Bertrand Aristide. Un gag qui avait fait rire à l’époque toute Haïti. Là au moins le professeur avait eu le soutien de toute l’opposition qui était moins fractionnée que celle d’aujourd’hui. Enfin, la seule question qu’on peut se poser dans cette affaire de Président autoproclamé le 18 mai prochain, c’est quel rôle jouera l’ancien sénateur du Nord et membre de FOP, Jean-Charles Moïse ? Lui qui est un grand partisan de la République bolivarienne du Venezuela et qui se fait défenseur en Haïti du Président légitime de ce pays, Nicolas Maduro. Jean-Charles Moïse cautionnera-t-il cette infamie de prise de pouvoir sans passer par les urnes ? On attend la réponse du chef du Parti Pitit Dessalines pour se rassurer ou s’étonner.

 

C.C

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