Hulric Elima Maurice Solon Pierre Louis
(L’Acul du Nord, 1930 – Port-au-Prince, 2009)
« Un bâtisseur souverain »
Maestro inamovible du «Septentrional», Hulric Pierre-Louis a gagné presque toutes les guerres pour ce grand orchestre .Pendant plus de cinquante années, il assuma le leadership du groupe avec un élan bien paternaliste, mais d’une main ô combien qualifiée. Son émergence au sein du groupe remonte aux premiers jours de la fusion du «Quator Septentrional» avec le «Trio Symphonia», dont Ulrick fut l’un des dirigeants et, qui donna naissance au grand «Septentrional» du Cap. C’est ainsi qu’après Jacques Mompremier et Gérard Monfiston, il devint le troisième maestro du groupe et pendant des décades, a su le maintenir au devant de la scène malgré la prédominance durant un temps de : Nemours, R.Guillaume, Saint Aude, W. Sicot etc.
Comme tout aspirant musicien de son époque, il s’adonna très jeune à la musique et dès l’âge de 18 ans, s’imposa déjà au sein de “La boule de feu’’, avec son sax discret et ses connaissances musicales approfondies, qui le campèrent en spécialiste suffisant. Puis, il s’ attela à l’élaboration de son propre schéma rythmique découlé de la méringue traditionnelle et agrémenté de saveur régionale. Un style que les détracteurs qualifiaient de “campagnard”; ce qui relevait pourtant d’un compliment du fait que cette musique n’exprimait que la coloration nordiste. Avec des paramètres qui rentraient en ligne droite d’une musique de référence et d’une approche polymorphe, faite d’arrangements précieux. Ensoleillé d’un tempo ponctué, des accentuations tempérées et un balancement alterné de la ligne percussive, dominée par la magie diffuse du tambour, s’apparentant à un pétro provincial.
Evidemment, les débuts un peu laborieux furent difficiles et la reconnaissance nationale tarda à venir malgré les valeurs soupçonnées. La prépondérance des groupes de la capitale ne fut pas pour arranger les choses. Isolé dans son cantonnement, «Septent» se faisait même accaparer de ses succès par des groupes plus côtés. Et n’attendit que les années 1960 pour enregistrer son 1er album jusqu’à faire son trou sur tout le territoire national, grâce à un jeune producteur du nom de Marc Duverger à peine arrivé dans ce réseau. Perfectionniste et théoricien d’envergure, il imposa la méringue nordiste imprimée de singularité à toute la nation. Il guida la vertigineuse ascension et les destinées du groupe et le campa comme la fierté du nord d’Haïti. Entre l’hégémonie du konpa et la fièvre du kadans ranpa, le rythme “boule de feu” resplendissait d’originalité.
Sans pour étant négliger d’autres modes autochtones et exotiques qui attestaient de sa multidirectionalité ; comme ses compositions faites de : ballade, fox-trot, méringue, boléro, etc. A preuves, même le très exigeant Guy Durosier, en avait fait au début des années 1970, son chef d’orchestre favori. Celui qui a su tenir au chaud, la flamme du ‘’rythme de feu’’; version de la méringue pastorale du nord, laquelle domina les ébats après les règnes du konpa de Nemours, du kadans de Sicot, de la méringue urbaine de R. Guillaume etc. En installant suprême le «Septent» à la fin des années 60; comme seul «big band» dominateur dans le ras-de marée des groupes mini. Arrangeur compétent, il fut aussi un excellent compositeur, qui avait jalonné le répertoire de ce groupe d’une panoplie de succès dont entre autres: 2 fois 20 ans, Tanbou frape, Viergina, 25eme été, Caridad, Let us dance, Manman li jou, Nuit du feu vert, Mariana, Mambo bossu, En hiver, 36ème champètre, Rupture, Chat la, Surprise, 3 krab, Nèg kras, Vieux tonton, Nous deux etc.
Le «Septent» vint occuper en doyen mérité le devant de la scène musicale à la conquête de toutes les couches sociales du pays, et fit figure d’éminence. Même Port-au-Prince fut captivée par le “rythme de feu”. Cependant, la fin des années 70 ne restera pas l’une des plus mémorables pour Hulric. En effet, après une longue traversée faite de succès au pays et ailleurs, un terrible accident de voiture vint en 1978 faucher la vie de deux musiciens du groupe dont: l’irremplaçable guitariste, Ernst “papou” Léandre, et le jeune chanteur Pierre Charles “fredo’. Pis, pour compliquer les donnes, le dauphin du groupe, le grand trompettiste Alfred Moïse, et en plus son compositeur fétiche et prolifique qui partagea avec Hulric la fonction de co-maestros, passait de vie à trépas. La disparition de ces gars avait complètement secoué la fondation du groupe et pendant un bout de temps, l’essence même du «Septent» n’était plus la même et la musique en avait pris un coup.
Eventuellement un nouvel recrutement s’imposa. Ainsi qu’une nouvelle orientation musicale, avec une approche s’apparentant au konpa due à l’intégration du “gong” et les frémissements à outrance des cymbales. Ce qui fut une sorte de cavale que de sacrifier sa base à la vogue. Le calvaire de «Septentrional» dura plus long que l’espace d’un cillement. Mais au delà de tout, ce fut au maestro Hulric Pierre-Louis que revint le grand honneur d’avoir quitté passer l’orage, sans laisser effriter sous son leadership cet ensemble qui se mua en une vraie institution nationale. En établissant des entreprises permettant à chaque membre du groupe de bénéficier d’un plan d’assurance qui les protègerait des lendemains qui déchantent., comme c’est toujours le cas dans ce milieu.
Saxophoniste au phrasé sobre, expert en ballade, le style de Hulric Pierre-Louis bien que dépouillé n’en demeurait pas moins expressif. Avec sa sonorité transparente, faisant surgir de longues variations diversifiées. Et ce n’est que l’une des multiples facettes de ce maestro. Car, ce brillant chef d’orchestre, excella aussi dans un style fait d’accentuations, de syncopes et d’éclectisme. Cette approche qui lui permit de délivrer un son riche, traduisant la joie ou la mélancolie, fut un modèle d’équilibre qui jalonna la musique haïtienne contemporaine. Compositeur et arrangeur, il a laissé la marque d’un musicien authentique, d’un patron qualifié et des souvenirs inaltérables. Même après sa sortie de la scène musicale; lorsque vint un temps où le guerrier a eu besoin de repos et dut, la mort dans l’âme, rendre son tablier à Nikol Levy pour profiter d’une retraite bien méritée.
C’est à ce tournant que l’irréparable s’amena, lorsque le légendaire maestro qui souffrait déjà de graves maladies, rendit l’âme suite à des complications de troubles cardiaques. Pour le remercier de sa fidélité, il eut droit à des funérailles populaires et officielles, avant de s’envoler au ciel pour aller se reposer .Et pour avoir traversé le temps et l’espace, il a réussi à faire de la musique un sacerdoce de foi, en lui restant fidèle jusqu’au bout. Même quand la tentation de la facilité était toujours là, pour avoir préféré l’effort et la qualité, pour tout cela, le ‘’Mayès’(’1) est rentré par la grande porte au patrimoine de la musique haïtienne: .’’…Jodya wale,Zèv ya toujou rete/Rete pou sèvi limonite/Ou fè mizik an nou ,Konnen anpil siksè/Ou louvri pòt,Pou tout sa ki dèyè/ Hulric Pierre-Louis,Maestro ou se yon ero/Nan istwa wap toujou wo/Ou ba yon diaz yon lòt nivo,Lè wa rive anwo/W’a jwenn anpil kado…’’ Un hommage dûment rendu par ses disciples d’un “Septent” soixantenaire, dans une composition de Jocelyn Alcé. Au son d’une méringue entrainante dont s’évertua le maestro.
Note
- Diminutif du mot maestro que son entourage et fans l’appelaient affectueusement…
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Ipharès Blain
(Port-au-Prince, 1926-)
« Le dernier baroudeur de la musique classique et martiale haïtienne »
Grand maître de l’art majeur, “multi-instrumentiste”, spécialiste des“horn”, particulièrement de la clarinette alto ou cor de basset, avec lesquels il a infusé son style orchestral agrémenté de sophistication. Il demeure aussi un chorège explorateur doté d’une voix de diapason qui est la référence pour l’harmonisation des voix et des instruments, parementé d’un registre de baryton, tout en possédant les clefs du clavier en pianiste avisé. Ipharès fut introduit dans la musique par son père Duly Blain et son oncle l’illustre Augustin Bruno; lesquels lui avaient appris les fondements de l’art majeur et de l’eurythmie native.
Le vent en poupe, il s’est mis en évidence à la Fanfare du Lycée Alexandre Pétion de sa ville natale. Entre une admission au Conservatoire National de Musique et d’Art Dramatique et une rentrée remarquée à la Fanfare des Casernes Dessalines, fief de son intouchable oncle A. Bruno ; au sein desquels, il peaufina son talent. Le Major Blain s’est surtout imposé comme chef d’orchestre, grâce à une connaissance musicale approfondie, manifeste à travers ses arrangements colorés et complexes. Ses adaptations spectaculairement nuancées d’un profond langage esthétique, sont assorties de tempos vertigineux, d’une rare sensibilité. Ce musicien créatif s’est porté garant de la valorisation d’une cause aussi noble que la perpétuation de la musique savante haïtienne. Lui qui n’a jamais dévié de ses sources en disciple du génial Autrichien Frantz Schubert, l’auteur de ‘’Symphonie Inachevée..’’, dont il fit la découverte sur grand écran lors de la projection du film du même nom.
De même que ses références locales sont : Occilius Jeanty, Luc Jean Baptiste, Ludovic Lamothe, Anton Jaegerhuber et son fameux oncle Augustin Bruno. Le professeur Blain a aussi étudié la musique en France, suite à son introduction dans l’Orchestre des Casernes Dessalines comme protégé du général président, Paul Magloire qui le préféra comme boursier à la Schola Cantorum au détriment de l’émérite maestro Charles Paul Ménar (1). Il y passa quatre années (1956-1960), pour une maîtrise dans l’harmonie, le contrepoint, la fugue et la morphologie musicale. De retour au bercail, il devint Directeur Technique de l’Orchestre du Palais National et parallèlement, enseigna au Conservatoire National de Musique et ,fut en charge de la section musicale à l’Ecole Nationale des Arts .En 1972, il devint maestro de l’Orchestre National qui venait d’être réformé sur les décombres de la Fanfare Nationale disloquée sous François Duvalier,, et rebaptisée Orchestre de la Garde Présidentielle, sous son fils ‘’babydoc’’.
Dans la même lignée, il fonda aussi la Chorale Nationale constituée de deux-cent personnes (2). Orchestrateur et arrangeur d’envergure, Ipharès s’imposa aussi en compositeur prolifique dont les créations s’imprègnent de tous les styles: classique et moderne, vif et modéré. De requiem, valse, marches militaire et processionnelle; méringue, gavotte et des adaptations du folklore haïtien. Parmi lesquelles : Cœur d’artiste, Hymne à la coopération, Hymne des Casernes Dessalines, Manman, Ma petite valse, Marche militaire #1, #2, Opération coumbite, Révolution verte, Médisant ou Le chant de Vertières, méringue #1, #2, messe I, II, III, IV, Rameau d’olivier, Ramase li pou mwen ô (adaptation de Panama m tonbe), Symphonie de noël, Gede Zareyen* etc. Avec aussi, des envolées panégyriques inacceptables en faveur des Duvalier père et fils, à l’instar de son éminent oncle A. Bruno et auxquelles les musiciens de palais se devaient d’adhérer.
Après la dissolution de l’Orchestre National, suite à la chute de “baby doc”, le major Blain continua d’inculquer son expertise aux adeptes de la musique savante, sur demande, tant en Haïti qu’à l’étranger. Sa dernière initiative connue demeure une pièce d’Opéra populaire intitulée’’ Maryaj lenglensou’’ mise au point sur un texte de Rassoul Labuchin (Yves Médard); qui attendit près d’une décade pour l’aide des mécènes de l’art, afin d’assurer sa présentation effective. Introduite pour la première fois au début du mois de Juillet 2006, ‘’Maryaj lenglensou’’, est une adaptation de ‘’Noces de sang’’ de Frédérico Garcia Lorca. Finalement, c’est avec l’aide financière d’une ONG hollandaise du nom de DOEN que le projet se matérialisa. Sous forme d’un théâtre lyrico- populaire enraciné dans le quotidien et des éternelles chapelles d’une société sclérosée, en ‘’lavironn dede’’; à la recherche de la justice, la fraternité et la paix. Chaperonnée d’une musique inspirée, qui peina pourtant sous le décor sonore d’un ‘’trailer’’.
En effet, comme le veut la logique du consortium colonial, la Fondation qui offrit si généreusement? ou hypocritement son argent ; ainsi que les ambassades d’Espagne et de France qui contribuaient en matériels (fretins de plumes et papiers). Ce qui leur avait permis de s’amener avec leurs propres idées et un metteur en scène, le Hollandais Hans Fels, qui d’après les critiques locaux n’était point dans ses zones de confort dans le scenario de cet Opera populaire haïtien. Comme quoi, même au niveau de l’art, la nation demeure aux commandes de guides qui ne connaissent pas la route. Car, le but de la sinistrose, c’est d’engendrer des névrosés auxquels on demande de devenir des assistés. Néanmoins, si‘’Maryaj lenglensou’’ rata sa sortie dans la thématique d’un bond vers la perpétuation du patrimoine de l’humanité et la consolidation de l’art universel ,du fait de touts les détours incongrus qui n’ont pas permis aux créateurs et artistes de travailler à leur guise, elle a cependant tenu ses promesses en termes d’affluence et de la popularisation d’une forme d’art qui est à encourager, vu que malgré les inconvénients, 60. 000 mille spectateurs ont fait le déplacement lors des premières présentations mobiles à travers les villes du pays. Prouvant qu’il y a une audience silencieuse qui veut aller au-delà de la musique d’ambiance. Quant à la musique, elle a subsisté aux intempéries à la manière de son inspirateur Ipharès, qui a dû bien s’enorgueillir d’avoir de son vivant, voire de son octogénarité croissante, réaliser un rêve de jeune. Allant plus loin que ses maîtres F. Schubert qui n’a pas eu le temps d’achever sa ’’..Symphonie’’, ainsi que de son compatriote J.Elie qui rêvait de présenter son Opera vodou dans son vivant. Un grand exploit pour Ipharès, encore à l’heure d’une ultime révérence populaire, de la part d’un public reconnaissant envers un serviteur qui a sû l’accompagner à travers de multiples traversées.
Notes
- Il fut sans doute l’un des plus proéminents musiciens de son temps. Cet instigateur insatiable et universel est accrédité d’avoir formé la dernière génération des ‘’souffleurs’’ patentés du pays à travers la Fanfare du Centre d’Accueil qui remplaça celle de la Centrale des Arts et Métiers lorsque celle-ci devint moribonde sous la désastreuse administration des Duvalier. Au début des années 1970; lorsque le président libérien a visité Haïti, il fut épaté par les prouesses de ce musicien hors commun, duquel il sollicita l’expertise pour venir codifier les bases de la musique libérienne. Subséquemment, il finit par être adopté dans ce pays; jusqu’à sa mort violente durant la guerre civile qui éclata entre la guerilla et les forces gouvernementales. On le trouva mort, assassiné dans une rigole.
- L’auteur y avait pris part entre 1975-1976.