Haïti, les gangs armés au temps du Coronavirus !

(1e partie)

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Des bandits masqués au Village de Dieu.

L’insécurité n’est plus un phénomène occasionnel en Haïti. Elle est, depuis une bonne quinzaine d’années, une constante. Tous les pouvoirs qui se sont succédé durant cette période ont eu à affronter ce qui devient un fléau pour la population. Du Président René Préval (2006-2011) à Jovenel Moïse (2017 -) en passant par l’Administration de Michel Martelly (2011-2016), sans oublier la parenthèse de Jocelerme Privert (2016-2017), tous ont démontré leur impuissance à combattre les gangs et les groupes armés qui ont démontré de manière extraordinaire leur capacité de nuisance et surtout à mettre en échec les pouvoirs publics. Chacun de ces régimes a utilisé sa propre méthode qu’il a cru être le mieux pour atteindre son objectif qui est : de mettre fin à l’insécurité dans le pays. Peine perdue ! A chaque fois, tous se sont cassés les dents. Le feu Président Préval croyait identifier la racine du mal dont la souche aurait pris naissance dans le plus grand bidonville du pays : Cité Soleil.

Après avoir dépensé des sommes phénoménales tout en s’engageant personnellement dans cette entreprise à la recherche de la paix, le moins que l’on puisse dire, c’est que son engagement n’a pas été payé en retour. Certes, il y a eu une sorte d’accalmie durant un court laps de temps, mais bien vite, l’insécurité s’est rependue pour la plus belle non seulement dans la capitale mais aussi à travers les grandes métropoles de province. A l’époque, tous les yeux étaient fixés sur cette pauvre commune de Cité Soleil, considérée lors comme étant le berceau de la criminalité en Haïti. C’était une approche totalement biaisée dans la mesure où Cité Soleil n’était pas le seul foyer de la propagation de l’insécurité dans le pays encore moins dans la région métropolitaine de Port-au-Prince. En effet, pendant que tous les gouvernements concentrent tous leurs efforts sur cette Cité dortoir, d’autres sites et d’autres foyers d’insécurité s’organisent et s’apprêtent à propager le mal un peu partout ; d’abord dans les quartiers limitrophes de la capitale, ensuite au-delà du département de l’Ouest – Cité Lescot pour le Cap-Haïtien ; Nan Savann pour Les Cayes ; Raboto pour les Gonaïves, etc -.

Les citoyens prenaient  des précautions quand ils sortaient et surveillaient autour d’eux

Résultat de cette erreur d’appréciation, aujourd’hui le pays tout entier est recouvert d’une chape de plomb avec pour épicentre Port-au-Prince, la capitale. Sous la présidence de Michel Martelly, aussi curieux que cela puisse paraître, ce n’était pas les gangs armés qui contrôlaient les rues de la capitale même si l’insécurité n’avait pas été éradiquée pour autant. C’était plutôt les grandes heures des kidnappings menés par les fils des grandes familles haïtiennes et des anonymes. Les citoyens prenaient surtout des précautions quand ils sortaient et surveillaient autour d’eux afin d’échapper à un enlèvement, surtout les soirs d’ailleurs. De jour, on n’entendait pas forcément des rafales d’armes automatiques qui sèment la psychose dans la capitale. Sauf, naturellement, en période électorale et surtout à l’approche du scrutin. Bon gré mal gré, les forces de l’ordre qui n’étaient pas plus équipées qu’aujourd’hui arrivaient à faire de la dissuasion et les quartiers qui sont aujourd’hui des « No man’s land », des zones de non droit, comme le Bicentenaire, Martissant, les Avenues Bolosse, etc, on pouvait encore les fréquenter sans trop de risque.

Y avait-il un accord secret entre le pouvoir et les groupes armés en gestation ? Mystère ! Toujours est-il que ces groupes armés n’étaient pas aussi présents et actifs qu’ils ne le sont depuis l’avènement de Jovenel Moïse au pouvoir. Alors qu’il s’agit du même régime politique, en tout cas du même parti politique au pouvoir, le PHTK. Le bref passage du sénateur Jocelerme Privert au Palais national (2016-2017) a été relativement calme. Ni kidnapping sévère ni insécurité incontrôlable. Avec l’arrivée de Jovenel Moïse, tout bascule. Du jour au lendemain, le pays et particulièrement la capitale se sont retrouvés pris dans un piège dans lequel personne ne voit comment s’en sortir. Des quatre coins de Port-au-Prince et de sa périphérie, l’on est pris en otage. L’on est encerclé. Les responsables de cet encerclement : des groupes armés, des gangs et autres bandits dont l’objectif crapuleux demeure le rançonnement de la population.

Le gang « 5 secondes » basé au Village de Dieu.

Si certains chefs de gangs nouent des liens avec certains hommes politiques qui leur apportent une forme de respectabilité, de notoriété devant leurs rivaux et concurrents dans l’espoir de pouvoir les aider soit à accéder à un poste d’éligibilité soit à consolider leur pouvoir, rien pour le moment ne prouve que ces bandes armées soient réellement au service de ces hommes politiques qu’ils soient du gouvernement ou de l’opposition. C’est peut-être de là que viennent, d’ailleurs, toutes les difficultés pour combattre ce mal qui, depuis plus d’une décennie, s’installe comme un véritable fléau au cœur de la société. En général, l’insécurité en Haïti est périodique. On l’observe surtout en période électorale. C’est une insécurité politique que les fanatiques et les partisans zélés de certains candidats et des partis politiques instaurent pour intimider leurs adversaires. Mais, une fois les élections passées, le pays revit et prend une vie quasi-normale. Jamais dans l’histoire du pays, on a enregistré une période aussi longue dans le domaine d’insécurité publique. Une insécurité qui a pour but non pas d’effrayer une catégorie de la population mais d’engendrer une peur globalisée.

C’est du jamais vu ! L’insécurité à laquelle font face les citoyens et ce quel que soit l’endroit où ils habitent sur le territoire démontre clairement qu’il y a une double problématique : (1) c’est l’impossibilité pour les pouvoirs publics de reprendre le contrôle des foyers d’où vient le mal, c’est-à-dire, extirper les gangs de leurs repaires ; (2) c’est l’incapacité des autorités d’appliquer une politique publique sociale capable d’intégrer l’ensemble de la population sans distinction. C’est un défi que les gouvernements d’aujourd’hui et demain doivent lever s’ils veulent remporter la victoire sur les gangs et les groupes armés qui terrorisent la République et sapent en même temps le crédit de ceux chargés de conduire les affaires de la nation. Cette approche implique que les pouvoirs publics doivent impérativement appliquer la politique dite : théorie de la carotte et du bâton. Cela ne sert à rien de dénoncer et de pointer du doigt une catégorie de la population qui serait le cerveau intellectuel de l’insécurité dont la finalité serait la chute du pouvoir en place selon les autorités.

des assassins tuent impunément et sans se soucier du rang social et du quartier où habitent leurs victimes.

Cette vision, si elle est en partie vraie, elle ne saurait être le principal facteur de l’insécurité globale à laquelle on assiste impuissant. Depuis le début des années 2000, les pouvoirs en place n’utilisent qu’une seule facette de cette théorie dans leur recherche de paix avec les groupes armés : la carotte. Ils cajolent les chefs de bandes armées en les couvrant d’argent et de protection. Ils reconnaissent leur pouvoir. Ils forment des partenariats avec eux en discutant publiquement et d’égal à égal. Ils protègent même, dans certains cas, les territoires de la plupart des chefs de gangs comme si ces derniers étaient couverts par une sorte d’immunité diplomatique ou de légitimité politique. Or, non seulement cette politique de tolérance vis-à-vis des ces brigands n’a rien amené de concret sur le plan de sécurité ou de la paix publique, cela a même conduit à un partage du territoire dans certaines villes comme à Port-au-Prince qui est somme toute inconcevable et intolérable.

En clair, cette politique de tolérance envers les bandits s’apparente plus à la lâcheté pour enfin être soldée par un échec. La preuve qu’il ne suffit pas de donner seulement de la carotte pour que les chefs de gangs entendent raison. Il faut appliquer aussi l’autre revers de la médaille pour que cette politique donne des fruits. La force dans un Etat de droit n’a jamais été inutile. Tout au contraire ! D’ailleurs, la force fait partie intégrante de tout Etat de droit qui se respecte. C’est utile. Primordial. Impératif même pour que les pouvoirs publics puissent conduire les affaires de la Cité de manière cohérente et efficace. Sans quoi, tous les efforts entrepris seront voués à l’échec. A ne pas confondre avec l’autoritarisme qui est tout le contraire de la démocratie. Dans le cadre de la lutte contre les gangs et les bandes armées, la force est nécessaire proportionnellement à la conduite et à la réaction des assassins qui tuent impunément et sans se soucier du rang social et du quartier où habitent leurs victimes.

Les autorités politiques auxquelles on reconnaît le droit de rencontrer les bandits dans leur démarche à la recherche de la paix ne doivent non plus négliger l’emploi de la force si besoin pour faire entendre raison à des gens qui profitent de la faiblesse de l’Etat pour asseoir leur domination sur la population et imposer leur propre loi sur les citoyens. L’Etat ne doit et ne peut capituler devant quelques individus dont le seul courage demeure la faiblesse des pouvoirs publics.

D’autres pays de la région eurent à faire face dans le temps avec ce même phénomène tel que la Jamaïque, République Dominicaine pour ne citer que ces deux Etats voisins. Si certains gangs sévissent encore dans ces pays, ils sont en très nette diminution pour ne pas dire en passe d’être vaincus à force de se confronter à la volonté des autorités de les mettre hors d’état de nuire. Traqués jour et nuit et de manière continue, les gangs jamaïcains sont aujourd’hui à bout de souffle. Aujourd’hui, ils font plutôt la guerre entre eux pour défendre leur pré-carré de la drogue et autres filières de la prostitution mais plus pour le contrôle de villes entières comme ils le faisaient jadis. Certes, les gangs jamaïcains restent célèbres dans la région mais plus comme avant où ils rendaient la vie des habitants des villes où ils prolifèrent impossible comme c’est le cas aujourd’hui en Haïti et à Port-au-Prince en particulier.

(A suivre)

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