Le 7 février est consacré, en Haïti, comme une date historique à plus d’un titre. Ce sont les Constituants de 1986 qui ont fait de cette date celle d’une nouvelle ère pour le peuple haïtien après la période dictatoriale de la famille des Duvalier. Constitutionalisée en 1987, 7 février, dans le calendrier haïtien, devient une date charnière. Chaque année, quelle que soit la période, elle est célébrée suivant le prisme de chacun dans le pays et plus particulièrement du positionnement de chaque acteur politique.
Depuis plus de trente-six ans, elle reste un marqueur pour les observateurs politiques nationaux comme étrangers. Chaque 7 février, gouvernement comme opposition tentent de tirer profit de cette date devenue quasi mythique dans l’histoire contemporaine haïtienne. Les uns essayent de démontrer que la démocratie, même balbutiante, a droit de cité tandis que d’autres, par toutes sortes d’équation, veulent prouver le contraire. Un petit jeu qui finit par banaliser cette date qui, pourtant, devrait être sacralisée par tous pour sa signification politique et son importance dans la lutte de ce peuple pour la liberté d’expression et politique et pour la démocratie.
Du Conseil National du Gouvernement (CNG), dirigé par le général Henri Namphy après le départ forcé du dictateur Jean-Claude Duvalier, au feu Président Jovenel Moïse, l’idéal du 7 février a été bafoué, souillé, et piétiné par l’ensemble des acteurs politiques tous secteurs confondus. Comme une malédiction, le 7 février 2021, un groupe d’individus s’avisait de renverser le pouvoir sous prétexte qu’il avait terminé son mandat et que sa présence prolongée, d’après eux, était une violation de la Constitution.
Celui qui est à la tête de l’Etat est un « clone exécutif » mi Président mi Premier ministre.
Si l’opération a été un échec, certainement mal préparée, six mois plus tard le pays avait découvert que, contrairement à ce qu’on disait à ce moment au sujet de ce coup manqué compte tenu de la conjoncture, il y avait bien anguille sous roche, même si, faute d’une justice indépendante, aucune parmi les personnes appréhendées et accusées n’a pu répondre de ses actes par devant la justice. Bien au contraire ! C’est l’accusateur qui a été, finalement, accusé avant d’être criblé de balles et mutilé quelques mois plus tard dans sa chambre à coucher.
Preuve pour certains que le 7 février 2021 était bien un Plan A et que le 7 juillet 2021 les auteurs étaient passés au Plan B. N’empêche, d’autres continuent de nier l’évidence que cette affaire n’était qu’une invention du défunt Président. Mais passons. Arrive l’année suivante, celle de 2022 pour laquelle certains ont commis l’inimaginable, l’impensable en ce plein vingt-et-unième siècle. On pensait qu’une fois l’ancien régime disparu des temples du pouvoir, les choses allaient redevenir à la normale.
En tout cas, c’est ce qu’on nous avait dit. De bonne foi, on les avait crus. La Transition de rupture était et est sur toutes les lèvres de ceux qui tiennent leur revanche en s’accaparant du pouvoir et ceux qui tentent de l’accaparer. Naïvement, on a même cru un moment, durant les trois premiers mois de la transition, que les choses étaient rentrées dans l’ordre. En clair, 7 février 2022 allait marquer, enfin, la fin de ce cycle politique en Haïti. Erreur !
Finalement, c’est en désespoir de cause qu’on a assisté, avec la même virulence et la même incohérence, à un débat totalement sans fond puisque sans rapport avec ce qui est la réalité du moment. Pendant que certains se perdent en conjecture avec des propositions loin de la préoccupation de la population et de ses problèmes, sans attendre, 7 février venait à occuper toute la place. Comme d’habitude, deux camps se sont dressés et font face sur ce débat lui aussi sans fin qu’est la durée du mandat de l’occupant de la Primature. Si le débat est moins virulent que ceux du temps des Présidents de la République, tout simplement c’est parce que ce n’est pas la même stature. 7 février 2022, pas de bol pour les agitateurs ! Il n’y avait pas de chef d’Etat au Palais national. Ce n’était point un Président de la République qui coiffe le pouvoir exécutif.
Pire, celui qui est à la tête de l’Etat est un « clone exécutif » mi Président mi Premier ministre. Par conséquent, son statut ne le lie à aucun texte officiel, à aucune institution du pays. Du coup, les acteurs s’affolent ne sachant pas comment aborder cette équation qui devient pour eux une problématique. Le doute les envahit et ils s’interrogent. Faut-il paralyser le pays comme du temps des Présidents en exercice ? A quoi doit-on recourir ? Sur quoi doit-on s’appuyer pour lui demander de partir ? Doit-on mettre en marche le rouleau compresseur jusqu’à recourir à l’assassinat, puisque maintenant c’est une probabilité en Haïti depuis le 7 juillet 2021 ? Voilà à quoi se sont confrontés les acteurs de la transition face à Ariel Henry, un Premier ministre par forfait qui ne doit rien à personne sinon qu’à ses protecteurs de Washington surveillés de près par le Core Group qui assure le service après-vente. Après bien des hésitations et surtout après avoir fait le constat que les acteurs comme sous Jovenel Moïse ne sont en mesure de proposer rien de sérieux, ni de trouver un vrai consensus afin de déplacer Ariel Henry, les vraies autorités de la transition, depuis les Etats-Unis, ont sifflé la fin de la recrée.
Plus prosaïquement, par une simple phrase prononcée à l’antenne de l’un de leurs médias de propagande : la Voix de l’Amérique (VOA), le vendredi 21 janvier 2022, « Le mandat du Premier ministre Ariel Henry n’est pas lié au mandat du Président le 7 février. Ce que le peuple haïtien espère est de faire des progrès pour qu’il y ait des élections et un Président élu démocratiquement. C’est sur cela que le gouvernement travaille actuellement. Je ne crois pas que le peuple haïtien se concentre sur la date du 7 février » a simplement lâché Brian A. Nichols un simple Sous-secrétaire d’Etat. Sitôt prononcée, la nouvelle s’est répandue comme une trainée de poudre à travers la République de Port-au-Prince et dans le milieu des secteurs politiques haïtiens en Haïti et dans la diaspora.
Ariel Henry, même devenu chef de gouvernement, n’a jamais fait partie de ceux qui devraient prendre le pouvoir au départ de Jovenel Moïse.
Il fallait que cela arrive ou soit dit de Washington pour que les acteurs de différents accords, en dépit de leur activisme dans le cadre de la transition baissent la pression et calment le jeu. Pourtant, Ariel Henry qui n’était pas dans le secret des dieux sur ce dossier avait pris le risque de dire presque mot pour mot la même chose avant les américains. Sans oublier qu’il est toujours sur une chaise éjectable compte tenu, justement, de la conjoncture politique dans laquelle il dirige le pays,
« Le 7 février prochain ne marquera pas la fin du mandat du gouvernement qui a la responsabilité d’organiser des élections libres et démocratiques. Il n’y aura pas de vide à la tête de l’Etat. Le prochain locataire du Palais national sera un Président élu librement par l’ensemble du peuple haïtien. Je dois vous dire qu’il n’existe aucune disposition légale ni constitutionnelle qui autorise quiconque à s’arroger le droit de désigner un Président provisoire » avait prévenu le seul chef suprême en Haïti aujourd’hui ; bien sûr après les autorités américaines qui décident réellement depuis le 7 juillet 2021. Sauf que, même après cette déclaration, personne ne l’avait pris au sérieux. Le microcosme persistait à dire que le 7 février 2022 devrait être la date de fin de son mandat, oubliant, d’une part, qu’un Premier ministre en Haïti n’a pas de durée de mandat et de fait sa présence à la tête du gouvernement ne le lie pas au mandat constitutionnel d’un Président de la République.
Et d’autre part, et là c’est le cynisme absolu, si au moment de la nomination d’Ariel Henry comme Premier ministre par le défunt Président, ils étaient tous ligués contre lui, très vite, dans leur stratégie de prise du pouvoir, ils l’avaient intégré dans leur dispositif face au Premier ministre a.i Claude Joseph comme une prise de guerre. La question qu’on peut se poser, pourquoi prendre le 7 février 2022 comme un point de repère ou une date butoir pour mettre fin au mandat du Premier ministre a.i ? Puisque, en réalité, il n’en est pas un dans la mesure où il n’a aucune légitimité constitutionnelle ni qualité politique pour mener la transition. Ariel Henry, même devenu chef de gouvernement, n’a jamais fait partie de ceux qui devraient prendre le pouvoir au départ de Jovenel Moïse. La réponse se trouve dans les revendications que cette partie de l’ex-opposition menait contre le feu Président en décrétant la date du 7 février 2021 comme date de fin de mandat de celui-ci.
N’ayant pu faire du 7 février 2021 une année de victoire, la plupart des leaders de l’ex-opposition plurielle, surtout ceux de l’Accord de Montana, pensaient que le 7 février 2022 aurait pu remplacer le 7 février 2021, ce qui est une totale aberration. Et c’est aussi faire une mauvaise évaluation de la conjoncture politique. Une position, d’ailleurs, tellement incohérente puisque l’autre partie de l’ex-opposition et ceux de l’Accord du 11 septembre s’incrustent fermement à la cheville d’Ariel Henry pour qui, le 7 février 2022 n’était qu’une date comme les autres sauf qu’elle était la première dans la nouvelle transition qui commence. La seule chance pour les signataires des Accords du 30 août 2021 et du Protocole d’Entente Nationale (PEN) s’ils veulent vraiment faire partir Ariel Henry ou partager le pouvoir avec lui, selon les vœux des Etats-Unis, est de continuer le processus qu’ils ont initié depuis le début afin de paraître plus crédibles aux yeux de la population et de la Communauté internationale sans chercher à prendre prétexte d’une date qui n’a rien à voir de près ou de loin avec un mandant que Ariel Henry aurait obtenu du défunt Président.
En vérité, le locataire de la Villa d’Accueil n’est lié à personne ni à aucune institution en Haïti. Dans ce contexte, deux choses comptent pour ce Premier ministre sans attache institutionnelle et de redevance politique : continuer à exécuter le dictat de Washington et durer le plus longtemps que possible dans cette fonction où il n’a de compte à rendre qu’à lui-même. 7 février 2022 n’a jamais été une préoccupation ni pour lui ni pour la Communauté internationale. Juste une rhétorique qui, selon Platon, vise à une manipulation de l’auditoire.
C.C