Entrevue de Jean-Robert Sabalat accordée à Robert Lodimus en 1997!

En 1997, le défunt sénateur Jean-Robert Sabalat parlait déjà de l’éclatement, du déclin, de la ruine et de la chute du mouvement politique lavalas dirigé par Aristide!

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Jean-Robert Sabalat : un homme difficile à interviewer.

(1ère partie)

Mise en contexte

Le problème  de  l’insécurité  en  Haïti  est  devenu  un sujet  de   préoccupation nationale. Avec la mort de Ti Je, le chef de gang de Carrefour-Feuilles, les langues  se délient graduellement. Tout n’est pas encore dit. Seulement, la presse haïtienne n’est pas en mesure d’enquêter rationnellement sur les circonstances qui entourent la mort du bandit. Des noms de complices, – et ce n’est pas étonnant –, sont cités. Le parlement haïtien accuse ouvertement l’ex-député Arnel Bélizaire d’avoir développé des « relations de proximité » avec les criminels qui terrorisent la population. D’autres énergumènes sont également pointés du doigt. La République d’Haïti est kidnappée par une mafia internationale qui est représentée elle-même sur le terrain par un « parrain suprême » : une sorte d’Alcapone qui n’a pas froid aux yeux. Les États impérialistes ont installé une véritable « organisation criminelle » sur tout le territoire. Les ambassades accréditées à Port-au-Prince détiennent probablement des informations secrètes sur l’historique du gangstérisme dans les quartiers défavorisés. La police nationale, si elle le veut, peut – et nous ne disons même pas « pourrait » – remonter facilement au « cerveau principal » de la secte mafieuse. Le directeur de la PNH, Michel-Ange Gédéon en sait quelque chose. Seulement, ce « petit chef controversé » se comporte comme un dégonflé. Est-il vraiment difficile de découvrir l’odieux personnage qui se cache derrière le masque du « Fantômas » de l’insécurité? Nous ne le croyons pas! Haïti occupe une superficie de 27 750 kilomètres carrés. Elle n’a pas la grandeur de la Russie et du Canada. Tous ces individus qui ont entretenu ou entretiennent des conversations téléphoniques avec des « massacreurs corrompus » comme Arnel, Bougòy… qui endeuillent et terrorisent les familles haïtiennes devraient se retrouver au pénitencier national. En attente de leur jugement pour association de malfaiteurs. Y compris l’inculte, l’analphabète Gracia Delva! La nouvelle constitution d’Haïti se penchera-t-elle sur la possibilité de rétablir la peine de mort pour certains crimes? Le photojournaliste Vladimir Legagneur a été assassiné à Grand-Ravine. Aucune lumière n’a été projetée sur ce meurtre affreux. Abominable. Saura-t-on jamais l’identité de cette personnalité importante que la victime pourrait avoir rencontrée en compagnie des gangsters et qui, par peur d’être dénoncée, aurait demandé sa tête? Pour notre part, en y réfléchissant profondément, nous ne voyons aucune autre raison probable de son exécution sommaire.

c’est le défunt sénateur Jean-Robert Sabalat qui ouvre le procès du mouvement Lavalas pour les lecteurs d’Haïti Liberté.

Nous avons publié dans les colonnes de ce journal une série d’analyses sur le phénomène de l’insécurité qui s’est développé à Port-au-Prince et dans les villes de province. Malheureusement, les médias de Port-au-Prince fuient Haïti Liberté comme « la peste » qui a fait le titre du célèbre roman d’Albert Camus. Même dans leur revue de presse, ils n’en font aucune mention. Et nous comprenons pourquoi… Haïti Liberté soutient une lutte révolutionnaire pour l’affranchissement total de la classe ouvrière mondiale de l’impérialisme occidental. Nous prônons la décapitation du système capitaliste. Et la mise en place de la dictature du prolétariat, dans le sens le plus pur et le plus radical du marxisme, du léninisme, du guévarisme, du castrisme, du chavisme… Un ex-ministre de Jocelerme Privert, qui exploite une station de radiodiffusion et un hebdomadaire, de passage à Montréal, nous a déjà dit au téléphone : « Mon cher Robert, tes textes sont vraiment sauvages. » Nous lui avons répondu à peu près ainsi : « La cause qu’ils défendent guide nos pensées et notre stylo. » Nous n’appellerons jamais « nos amis » les bourreaux qui sucent le sang du peuple haïtien. Voire manger de la « pizza » chaque semaine avec eux dans cette ambiance bruyante de médiocrité intellectuelle ! Les bourreaux des masses populaires sont nos « ennemis ». Nous avons traversé le  Rubicon. Et nous les combattrons, par tous les moyens, jusqu’à ce qu’ils franchissent à leur tour les portes du cimetière. Comme les François Duvalier, Luc désir, Franck Romain, Albert Pierre, Michel François, William Régala, etc. La classe politique d’Haïti, – nous n’en faisons aucune exception –, est constituée de petits réseaux d’opportunistes professionnels et d’affairistes éhontés. La « Révolution » se fera non solum contre les « bourgeois » décrits par Jacques Brel, sed estiam contre les « politiciens traditionnels » qui parlent de dialogue avec les « fils de pute ». Comme les États-Unis ont qualifié Anastasio Somoza.

Dans le texte « Police nationale d’Haïti : il faut épurer, voire refonder cette institution de ripoux contre ripoux », nous croyons avoir fait des révélations qui mériteraient toute l’attention et l’intelligence des autorités judiciaires haïtiennes. En remontant le courant des informations rendues publiques, elles arriveront certainement à établir des liens importants entre les causes et les effets.

Le mois dernier, nous avons repris une entrevue que nous avait accordée Me Théodore Achille sur le système politique duvaliérien, auquel ce dernier appartient. Même si l’intervenant a fait preuve d’un niveau d’avarisme, en répondant à certaines de  nos questions, il n’en est pas moins vrai qu’il nous ait permis de mieux appréhender l’esprit du françoisisme et du jean-claudisme. Cette semaine, c’est le défunt sénateur Jean-Robert Sabalat qui ouvre le procès du mouvement Lavalas pour les lecteurs d’Haïti Liberté. Lavalassien lui-même de naissance politique, l’homme – vous le remarquerez certainement – est sorti déçu, blessé d’une expérience qui l’a marqué au fer rouge. Sa croyance, sa foi et sa conviction se sont effondrées comme le temple des Philistins. Lavalas est devenu aux yeux de Jean-Robert Sabalat un mangeur, un extincteur d’espoir de la lutte engagée en 1990 par les masses populaires haïtiennes pour sortir de l’esclavage capitaliste, de l’exploitation impérialiste, de l’enfer néocolonialiste, de la cruauté hégémoniste. Jean-Robert Sabalat, – à l’époque sénateur de la république  –, dénonce, accuse, juge, condamne… ouvertement sa famille politique. L’ex-président du Conseil électoral provisoire de 1990, devenu ministre des Affaires étrangères en 1991, ensuite sénateur de la République en 1995, répondait à nos questions dans le cadre de l’émission « Ces mots qui dérangent » diffusée sur Radio Plus, le medium parlé que nous dirigions.

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Préambule

Cette année, l’été s’annonce particulièrement chaud. Pendant le jour, et en début de soirée, la chaleur est vraiment accablante. La chemise nous colle à la peau. Et c’est avec difficulté que nous arrivons à nous frayer un passage sur les trottoirs qui fourmillent d’êtres humains. Si toutefois on peut les appeler encore ainsi. Des dizaines, des centaines, des milliers d’individus qui se dirigent dans toutes les directions. Qui marchent inlassablement sans savoir où aller. Sans aucune destination. Des citoyens qui se comportent donc comme leur pays. Un pays qui vogue sur un océan d’improvisation. Et qui menace de temps en temps de couler à pic. Pour aller se reposer au fond de l’eau salée. Comme la Santa Maria de Christophe Colomb.

C’est bien de marcher parmi les gens. De les entendre aujourd’hui parler tout haut de ce que, hier encore, ils ne pouvaient déclarer tout bas. Dire que certains des citoyens que nous croisons ont encore le courage de sourire. Pays bizarre ! Peuple bizarre ! Cet homme qui passe à côté de nous, et qui tousse, n’est plus, à notre avis, qu’un lambeau humain mobile qui se déplace péniblement. Comment a-t-il fait pour se tenir encore debout ? Ce misérable a donc choisi de mourir dans la rue, plutôt que d’errer dans la cour de l’hôpital général, en attente de soins médicaux qu’il ‘aura jamais les moyens de payer. Haïti est trop cruel pour les pauvres. Et les dirigeants vraiment trop cyniques pour être à la tête d’un pays tellement désorienté qui exige une attention particulière. La femme qui demande l’aumône au type gras, ventru explique que ces quatre enfants dorment depuis trois jours avec un grain de sel sous la langue. Celui-ci lui répond en claquant la portière gauche de la Mitsubishi que, elle, au moins, a encore la chance de trouver du sel. « Certains n’ont même pas cela, madame. Ils se nourrissent de galettes de terre et de racines sauvages », ajoute-t-il. Il lui donne quand même cinq gourdes. La malheureuse femme sourit, remercie et disparaît dans la foule. Un autre mendiant qui observait la scène se précipite à son tour vers l’inconnu. Mais lui, il n’est pas chanceux. La Mitsubishi démarre avant même qu’il atteigne le niveau de la porte du conducteur. Les conversations de deux marchandes de tissus et de vêtements se mêlent aux tintamarres des klaxons et des voix des passants toujours pressés. « Préval a mis trop de taxes sur les marchandises. Les petits commerçants ne peuvent plus vivre. Le président Aristide connaissait la douleur des gens infortunés. Même si l’’on raconte qu’’il a ramassé avec ses amis tout l’argent du pays. » Enfin, qu’est-ce que l’on ne raconte pas dans ce pays ? Une fillette de cinq à six ans nous tient par la main. Elle lève la tête pour nous fixer droit dans les yeux. Son regard pèse sur nous comme une accusation. C’est comme si elle voulait nous dire : « Voyez dans quel état vous  m’avez mise ! Constatez à quel état de misérabilité vous m’avez réduite ! Vous n’avez pas donné de travail à mon papa et à ma maman. Vous n’avez pas fondé assez d’écoles dans ce pays pour nous apprendre à lire et à écrire. Vous n’avez pas construit des maisons d’orphelinat pour les jeunes et les moins jeunes. Nous sommes abandonnés dans la rue. Nous grandissons dans la rue. Nous enfanterons dans la rue. Et demain, c’est la rue que nous laisserons en héritage à nos enfants. »

Nous posons notre regard sur ce petit être sans défense qui nous dévore des yeux sans arriver à sourire comme le font dans les pays normaux les enfants de son âge. « J’ai faim. Je n’ai rien mangé depuis ce matin. Tu me donnes quelque chose ? » Les lèvres crispées, il y a eu un court moment de silence. Et puis, nous avons sorti les cinq gourdes qui permettront, probablement, à cette fillette de manger un morceau de pain noir et d’acheter un verre d’eau pour calmer sa faim et sa soif. De nos jours, que peut-on acheter dans ce pays avec cinq gourdes ? Ce  n’est pas juste ! Il ne s’agit pas du tout de faire la révolution. C’est plus simple que cela… Il s’agit pour l’État haïtien de faciliter un plat de lentilles par jour à ses citoyens. La misère avilit, dévalorise, dépersonnalise. Un père de famille nous confie que certains jours, il est obligé de fuir la maison : ne pouvant plus contempler cette scène de désolation quotidienne des 3 enfants tenaillés par la faim, couchés sur le ventre et qui ne jouent plus. L’épouse qui se retire dans un coin de la vieille chaumière et qui a avalé sa langue. Elle n’a même plus de vêtements décents à porter. Alors qu’autrefois, ce n’était pas pareil… « Nous n’étions pas riches, mais nous avions les moyens de survivre. Je travaillais, et tous les jours, nous arrivions à faire bouillir la marmite deux à trois fois. » Dieuseul n’est pas le seul à se retrouver dans cette situation. C’est ce que les sociologues, les économologues, les politologues appellent le phénomène de la paupérisation. Des individus qui avaient autrefois les moyens de vivre décemment, auxquels aujourd’hui il ne reste presque ou plus rien. Pressé par la pauvreté, étranglé par la misère, chiffonné par des privations de toutes sortes, l’Haïtien marginal a perdu toutes les notions de civilité. Quelqu’un ramasse votre stylo, il exige que vous lui donniez de l’argent en retour. Il arrivera peut-être un jour où les gens se feront même payer pour leurs salutations ! Scruter l’avenir d’Haïti d’un  œil optimiste traduit une utopie audacieuse.

Notre pays est devenu une jungle sauvage où chacun cherche sa proie pour rester en vie. Pour subsister. Impossible de faire confiance à quelqu’un dans les moindres petits détails. Il faut être toujours vigilant. Cela ne signifie pas pour autant qu’il n’existe pas de compatriotes sérieux sur le territoire de la République d’Haïti. Et ce prétendu leader politique qui nous a déclaré orgueilleusement : « De temps en temps mon cher,  je fais un petit geste avec des journalistes qui viennent me voir. Vous savez, ils sont vraiment dans le besoin. Il faut les aider. » De pareilles révélations montre à quel point le niveau de prostitution est élevé dans tout le pays. Des intellectuels qui prostituent leurs idées et leurs connaissances. Des écrivains qui prostituent leurs plumes. Des dirigeants politiques qui prostituent leur mandat. Des journalistes en exercice au service de la propagande irrationnelle et ratée. Encore. Et Encore. C’est la loi du ventre. Nous comprenons pourquoi certains se laissent aller au découragement, chaque fois qu’ils abordent les problèmes épineux de la Nation. Il y a trop de choses à changer ici. Les autres pays sont trop en avance sur nous. Comment pourrons-nous les rattraper ? Pas impossible. Mais difficile. Et puis, il faudrait que les Haïtiens se soient mis à penser, à réfléchir, à élaborer dès à présent des méthodes de développement capable de réduire au moins les écarts socioéconomiques entre ces pays-là et Haïti. Malheureusement, ce projet n’occupe pas une place importante dans l’échelle des grandes priorités qui demeurent avant tout : plan néolibéral, programme d’ajustement structurel, etc.

Antoine Simon, après avoir passé une bonne partie de sa vie à la campagne accède à la présidence de son pays. Les citoyens de son époque n’arrêtaient pas de répéter qu’il était un ignorant, et qu’il ne savait ni lire ni écrire. Aujourd’hui encore, les mêmes considérations reviennent de la bouche d’individus bien ou mal intentionnés. Mais une fois parvenu à la magistrature suprême de l’État, savez-vous ce qu’il a fait, Antoine Simon ? Il savait ce que le peuple attendait de lui. Alors, il prend le soin de s’entourer de femmes et d’hommes valables, qualifiés. Ils forment un cabinet dans lequel figurent des citoyens compétents. Réputés. Jouissant par leur position sociale, leur statut social, de la confiance de tout le pays. Dès que le président ouvrait la bouche, tout Port-au-Prince s’esclaffait. Se tordait de rire. Au palais national, au cours de ses interminables homélies qui disaient toutes la même chose, il ne cessait de répéter : « Plantez, plantez, plantez. » Une façon d’indiquer que les richesses de ce pays se trouvent également dans la terre : l’agriculture, le développement de l’agriculture. Les réalisations du président Antoine Simon se classent parmi les  plus utiles, les plus précieuses : l’électricité, le chemin de fer, etc. Il ne s’agit pas pour un chef d’État d’être un génie, lorsqu’il est capable de compenser ses lacunes en s’entourant d’une équipe de collaborateurs compétents, valables, honnêtes, sérieux, visionnaires et conséquents. La plaie de corruption et d’incompétence qui gangrène la société haïtienne évolue de manière inquiétante. C’est aujourd’hui qu’il faut penser à la freiner et à la guérir. Sinon demain sera trop tard.

Cette semaine, Ces mots qui dérangent a réussi à déplacer l’ex-président du Conseil électoral provisoire (CEP) chargé d’organiser le scrutin du 16 décembre 1990 qui a porté M. Jean-Bertrand Aristide au pouvoir, l’ex-ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement Aristide/Préval, l’actuel président de la commission des Affaires étrangères au Sénat de la République, le sénateur Jean-Robert Sabalat.

Ce n’est pas du tout facile de déplacer un « Monsieur » comme le sénateur Sabalat. L’homme préfère et exige que les journalistes viennent à lui. Il les appelle lui-même, quand il veut faire passer ses notes de presse, faire des déclarations sur le fonctionnement du Sénat et d’autres institutions étatiques. C’est ce qu’il nous a dit. Pseudo-complexe de supériorité ! Nous avons expliqué au parlementaire que cela ne doit pas se faire à sens unique. Alors, l’Honorable a accepté de descendre du piédestal hallucinant et de faire le déplacement jusqu’au studio de production de Radio Plus.

Sénateur Jean-Robert Sabalat : un homme difficile à interviewer. Peut-être à cause de la chaleur accablante qui rendait la cabine inconfortable. De grosses gouttes de sueur perlaient sur les joues de l’ « invité spécial ». À cette heure, nous souffrons toujours des effets nuisibles des coupures de l’Électricité d’État d’Haïti (EDH). Après plus d’une heure d’entrevue, le sénateur est reparti quelque peu contrarié. Selon lui, nous sommes allés trop loin avec nos questions. Nous avons voulu savoir trop de choses à  propos de ces dossiers dont nous n’entendons plus parler. Comme celui  de la vente illégale des avions de l’État haïtien. À Ces mots qui dérangent, vous comprenez que c’est un devoir pour nous d’aller chercher les informations dans leurs moindres petits détails, de façon à pouvoir informer, bien informer nos auditrices et nos auditeurs. Nos lectrices et nos lecteurs. Le sénateur Jean-Robert Sabalat a donc accepté de se placer sous les feux de la rampe de Ces mots qui dérangent. Y reviendra-t-il ? C’est une autre histoire !

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Robert Lodimus :

– Sénateur Jean-Robert Sabalat, une commission des Affaires étrangères au Sénat de la république s’occupe de quoi exactement ?

Jean-Robert Sabalat :

– Avant tout, permettez-moi d’adresser un cordial salut à tous les auditeurs de Radio Plus. C’est la première fois que je participe à cette émission. J’espère que ce ne sera pas la dernière. Et que j’aurai l’honneur d’être invité à nouveau. Le nom l’indique. C’est une Commission qui a pour fonction principale de contrôler ce qui se passe au ministère des Affaires étrangères. Comme pour beaucoup d’autres Commissions, nos rapports avec cette institution ne sont pas des plus cordiaux. Des plus efficaces.

– Quelles en sont les raisons ?

– Il y aurait comme un blocage…  Le ministère des Affaires étrangères ne nous communique aucune initiative. Aucun dossier. Par la voix de son titulaire, nous avons appris étonnamment qu’il y a des informations que cet organe étatique n’est pas obligé de fournir au Sénat de la République. Ce qui avait choqué plus d’un.

– Pourtant, vous partagez les mêmes champs de compétences.

– Exactement ! Mais lorsqu’il n’y a pas de collaboration, vous savez, c’est difficile. Nous avons procédé à plusieurs convocations du ministre. Cependant, rien n’a avancé. Nous sommes restés déçus. La constitution nous donne le droit de convoquer le ministre, lorsque nous avons besoin de savoir ce qui se passe dans le domaine des affaires extérieures de notre pays.

– Et cela englobe les relations internationales.

– Évidemment…

– Vous êtes responsable de cette commission des Affaires étrangères au Sénat de la République. Depuis qu’elle a été formée, votre Commission, qu’est-ce qu’elle a entrepris de significatif ? Qu’a-t-elle réalisé de substantiel qui mériterait d’être souligné, d’être mentionné au grand public ?

– Vous êtes venus à plusieurs reprises au Sénat de la République, vous avez dû vous rendre compte des conditions très précaires dans lesquelles nous travaillons. Il y a eu par exemple une réunion haïtiano-dominicaine qui s’est tenue en Haïti. Cela remonte à quelques mois. Ma Commission, la commission des Affaires étrangères, n’en a pas été informée.

– Comment expliquez-vous ce manquement, ou cette exclusion de la part des autorités gouvernementales ?

– Il n’y a pas vraiment une… démocratie chez nous. Nous en sommes encore loin du chemin. Pour certains ministères, les Commissions sénatoriales sont plutôt gênantes. Il n’est pas toujours aisé de s’entendre poser des questions sur ce que l’on fait. Et surtout sur ce que l’on ne fait pas.

– Vous exercez un pouvoir de contrôle sur ce ministère…

– Voilà ! C’est ce que dit la constitution.  Or comme je vous l’ai mentionné, il y a des choses qui se font dans cette boîte qui échappent au contrôle du Sénat. Nous n’en sommes pas tenus au courant. Même à travers les convocations, nous arrivons à obtenir des informations à compte-gouttes, qui ne sont pas du tout exhaustives. Une fois, il nous arrivait de convoquer le ministre, pour avoir des informations au sujet de l’arrestation de Patrick Élie aux États-Unis. Jusqu’à ce jour, nous ne savons rien de  la situation difficile de ce compatriote. Le gouvernement de Préval refuse de nous révéler les démarches qu’il a entreprises pour venir en aide à Patrick Élie.

– Et c’est votre droit de poser des questions au sujet de cette détention arbitraire, abusive…

– Tout à fait ! D’autant plus que dans ce cas-là, il s’agit de la vie d’un citoyen haïtien.

– Enfermé en prison aux États-Unis.

– Depuis plus d’un an, n’est-ce-pas ? C’est une affaire qui commence à faire du bruit non seulement dans le pays, mais encore à l’étranger.

– On parle également de l’implication éventuelle du ministre des Affaires étrangères, M. Fritz Longchamp, dans cette mésaventure regrettable.

« Cela me paraît anormal que ces trois personnages de l’État, qui sont directement ou indirectement impliqués dans l’affaire Patrick Élie, soient les seuls à être imbus de cette problématique. »

– À ce sujet, je peux vous le dire, lors de la convocation du ministre Longchamp, nous lui avons posé une question bien précise. Je lui ai demandé qui était sur la question de Patrick Élie. Il a répondu que c’était lui, le ministre, l’ambassadeur Jean Casimir et le président de la République. Ce à quoi j’ai répliqué : « Cela me paraît anormal que ces trois personnages de l’État, qui sont directement ou indirectement impliqués dans l’affaire Patrick Élie, soient les seuls à être imbus de cette problématique. » Quand je lui ai posé la question, à savoir si les membres du cabinet ministériel étaient au courant des complications de la situation de Patrick Élie, s’ils en avaient discuté en conseil de cabinet, la réponse a été négative. Donc, il n’y a que ces trois personnes qui s’occupent du cas. Ce qui nous a paru un peu douteux. Et absurde.

– Jusqu’à présent, Patrick Élie est en prison.

– Justement, malgré les protestations de la population. Il y a eu des manifestations en faveur de l’incarcéré… Mais les réponses qui ont été données ne sont pas satisfaisantes, à mon avis.

– Monsieur Préval a déclaré dernièrement qu’il serait prêt à payer les honoraires d’un bon avocat pour sortir M. Patrick Élie des geôles étatsuniennes.

– J’ai entendu les déclarations du président de la République à travers les médias, comme vous. Cependant, je n’ai pas encore eu l’occasion de lui en parler directement.

– La Commission des Affaires étrangères du Sénat joue-t-elle un rôle quelconque auprès des Haïtiens vivant dans la diaspora, ou si vous préférez, du 10ème  département d’haïti?

– Bien sûr, nous avons reçu dernièrement la visite d’une délégation d’Haïtiens vivant à l’étranger. Il s’agit de l’Alliance des immigrés. Ils sont venus nous voir. Nous avons organisé avec eux deux séances de travail. On s’est accordés sur une certaine procédure à suivre pour essayer de résoudre ce problème important de la double nationalité et de la participation de nos citoyens vivant en terre étrangère dans le processus de vote aux élections futures. Tout s’est bien passé. Nous avons préparé un plan de travail. Chacun aura quelque chose à faire pour essayer de trouver une solution à ce handicap. Vous savez, il y a une chose sur laquelle nous sommes fermes : nous n’accepterons aucune pression tendant à nous faire violer la constitution de notre pays.

– Violer, qu’est-ce-que ce mot vient faire là-dedans ?

– La constitution est stricte là-dessus. Il faut attendre la fin de l’actuelle législature avant de procéder à une proposition d’amendement.

–  Y aurait-il un moyen quelconque de contourner les obstacles constitutionnels en vue de permettre la jouissance de certains droits aux Haïtiens de l’extérieur ?

– Nous ne pouvons pas contourner la constitution. Elle est claire à ce carrefour. Nous devons respecter ses prescrits. Nos interlocuteurs, qui étaient venus nous voir, sont tous d’accord. Il faut attendre la fin de la législature pour initier la procédure de l’amendement constitutionnel.

– C’est-à-dire, en 1999.

– Oui, en 1999. Naturellement, le gouvernement haïtien, s’il est de bonne foi, s’il veut vraiment aider nos compatriotes qui vivent à l’étranger, peut prendre des mesures et soumettre au parlement des avant-projets de loi tendant à faciliter la tâche, à favoriser le retour en Haïti des compatriotes qui le désirent, en leur procurant des avantages fiscaux, par exemple… En ce qui concerne la double nationalité, c’est-à-dire la possibilité pour un Haïtien qui a perdu sa nationalité de la recouvrer, et d’occuper un poste public bien déterminé, comme celui de sénateur…

– De président, de député…

– Exactement. Ce n’est pas possible, sans que les exigences constitutionnelles  soient remplies. Ce sera difficile de contourner la Loi mère. Nous ne sommes pas prêts à le faire. Certainement pas !

– Sénateur Jean-Robert Sabalat, nous avons entendu dire que le président René Garcia Préval aurait l’intention de réduire considérablement le nombre des consulats. En êtes-vous au courant ?

Nous pensons vraiment que certaines de nos missions diplomatiques ne sont pas efficaces. Qu’elles n’ont pas leur utilité.

– Nous n’avons rien contre cette intention du président. Au contraire… Nous pensons vraiment que certaines de nos missions diplomatiques ne sont pas efficaces. Qu’elles n’ont pas leur utilité. Il nous faudrait renforcer, par contre, plusieurs de nos ambassades qui jouent un rôle clé. Je vous donne mon opinion : la diplomatie moderne est basée sur un travail plutôt de promotion. Nos missionnaires, nos ambassadeurs, nos consuls devraient être de vrais promoteurs pour le pays.

– D’après vous, ils ne le sont pas. Comment l’expliquez-vous ?

– Non, ils ne le sont pas du tout. D’abord, ils n’ont pas les moyens d’exercer leur fonction. Il y a de ces pays où ces institutions implantées à l’étranger connaissent, enregistrent, vivent des situations vraiment catastrophiques : le téléphone est coupé pour des factures impayées. Le gouvernement central ne s’en soucie guère. Il ne fait aucun effort pour le rétablissement des lignes téléphoniques. Je pourrais vous fournir des exemples à n’en plus finir. Je vous assure que nos missions ne fonctionnent pas dans des conditions idéales. Alors là, si vous pensez fermer certaines ambassades, il faut par contre en renforcer d’autres. Et pour le faire, il faut de l’argent. Or, on a diminué le budget du ministère des Affaires étrangères. Le montant qui était prévu pour les ambassades et les consulats dans le calcul budgétaire de l’année dernière, et qui était estimé à 180 millions de gourdes, est réduit cette année à 111 millions de gourdes. La fermeture de certaines missions ne justifie pas qu’une valeur aussi faible soit demandée et allouée à des organismes d’État d’envergure pareille. Le ministère lui-même a besoin de transformation. A besoin d’être amélioré. D’être réformé.

– De quelle façon ?

– Il suffit de faire un saut au ministère des Affaires étrangères, et vous vous en rendrez compte, vous-même. Pour commencer, l’accueil laisse à désirer. Vous imaginez un ambassadeur étranger qui va au ministère des Affaires étrangères pour se renseigner ? L’accueil qu’il reçoit, c’est quelque chose d’indécent. Nous n’avons pas vraiment des archives valables au ministère. Il y a un tas de travaux qui pourraient être entrepris… Je vous le dis, cela m’a choqué de constater lors du vote du budget que le ministère des Affaires étrangères était le seul à demander un budget inférieur à celui qu’’il avait demandé l’année précédente.

– Vous dites qu’il avait demandé…

– C’est à-dire, qu’il avait présenté… ! Je trouve cela vraiment aberrant.

– Peut-être que le ministre Longchamp n’a pas vraiment de projet, qu’il  ne sait pas comment dépenser l’argent qui est alloué à son institution ?

– Moi, je constate chez lui un certain laxisme, un manque de vision… en ce qui concerne la politique étrangère. Nous l’avons convoqué une fois. Nous avons voulu savoir si le ministère avait une politique étrangère bien déterminée. Le concerné nous a répondu paradoxalement qu’il n’en avait pas. Il a même ajouté : « Nous agissons suivant les circonstances. S’il y a un  pays que le gouvernement désire contacter pour un prêt, pour un don ou quelque chose de ce genre, c’est le ministère des Affaires étrangères qui se charge de fixer le rendez-vous. »

– Donc, son rôle ne tient qu’à cela : fixer des rendez-vous…. !

– Pour moi, il est réduit au rôle d’un commis de l’État. C’est tout ! Ce n’est pas un ministère…

– Les Haïtiens, ils sont partout. On nous retrouve dans toutes les principales villes du monde. L’État est-il vraiment soucieux des conditions de vie des compatriotes qui évoluent en dehors du pays ? À travers ses ambassades et ses consulats, maintient-il des structures en vue de venir en aide, si besoin se fait sentir, à ses citoyens expatriés ?

– Je vous l’ai dit. Il existe une carence de moyens en ce qui concerne le fonctionnement de nos missions diplomatiques. Elles arrivent à peine à survivre. Figurez-vous si elles peuvent prendre des initiatives, si elles peuvent aider nos concitoyens… Ce sont des organismes qui sont pratiquement délaissés et inutilisés. D’abord, il n’y a pas de communication entre le ministère et les missions. Les ambassadeurs se plaignent toujours de ne recevoir aucune directive venant de l’institution de tutelle. Ils sont complètement laissés à eux-mêmes. Ils n’ont pas de rapport étroit avec le ministère des Affaires étrangères. Et en plus, ils n’ont pas les moyens d’entreprendre quoi que ce soit. C’est inconcevable d’imaginer que nos ambassadeurs ou nos consuls peuvent prendre des initiatives pour venir en aide à nos boursiers, aux Haïtiens qui se sont installés dans les autres pays de la planète.

– Les Haïtiens dépaysés se plaignent toujours de cela…

– Ils ne sont pas les seuls à le faire. Même les étrangers se plaignent de la pauvreté des services disponibles dans nos missions diplomatiques. Par manque de moyens, certes. Mais aussi, à cause d’un autre facteur. Nous n’avons pas encore des écoles de diplomatie. Nos représentants à l’étranger sont désignés au hasard, selon les rumeurs du ministre, suivant les relations qu’il a développées avec une personne…

– Par accointance…

– Je pourrais le dire…

(À suivre)     

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