Entretien de Privert à Haïti Liberté !

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Dans une interview que le président provisoire Jocelerme Privert a accordée au journal Haïti Liberté le samedi 23 avril dernier au Tonèl Restaurant, il est clair qu’il n’est pas sur la même longueur d’onde ni avec son Premier ministre ni avec ceux-là qui exigent une vérification de la mascarade électorale du 9 aout et du 25 octobre 2015. Pour l’édification de nos lecteurs, voici donc dans toute son intégralité les réponses du Président aux questions du journaliste Kim Ives.

Kim Ives : Vous avez 76 jours de votre mandat de 120 jours. La situation politique est complètement polarisée avec la majorité du peuple haïtien et de la classe politique qui exigent une commission de vérification électorale. Mais Washington et le PHTK sont opposés. Pensez-vous que vous pouvez déterminer les irrégularités qui ont eu lieu dans le vote du 9 Août et du 25 Octobre? Y aura-t-il un nouveau président élu dans les 44 jours restants dans votre mandat?

Président Jocelerme Privert : Au départ, je ne crois pas, que c’est ma responsabilité en tant que président provisoire pour déduire s’il y avait des irrégularités ou non lors d’une élection. Ceci est une responsabilité des acteurs politiques. Je me souviens, que les élections ont eu lieu le 25 Octobre. Les résultats ont été publiés en Novembre et avaient prédit un second tour avec 2 candidats qui ont été clairement identifiés. Immédiatement, que les résultats ont été publiés, il y avait de nombreuses contestations à propos de ces résultats là. Les acteurs, en l’occurrence les partis politiques avaient clairement manifesté leur refus d’accepter les résultats qui ont été donnés. Il y avait 2 candidats en liste pour le second tour, l’un d’entre eux avait déclaré qu’il n’irait pas au second tour tout autant que la lumière ne soit pas faite sur les irrégularités que tout le monde dénonce.

1Le deuxième tour a été prévu pour le 27 Décembre, reporté au 17 Janvier, puis au 24 Janvier. Est-ce que la raison pour laquelle, elle a été reportée à 3 occasions est résolue ? Donc, aujourd’hui, les acteurs ont demandé que pour qu’ils reviennent au processus électoral, il faut rétablir la confiance dans le processus. Ce n’est pas le président provisoire qui a demandé cela, ce sont les acteurs politiques. Peuvent-ils faire une élection présidentielle avec un seul candidat? Vous ne pouvez pas le faire. Alors il nous faut réhabiliter la confiance dans le processus électoral pour que les acteurs puissent accepter de retourner aux élections.La mission de L’oea

Le deuxième élément que vous me dites, j’ai 76 jours au pouvoir, il me reste 44 jours. Certes, les120 jours qui ont été écrits dans l’accord du 5 Février ne sortent pas du ciel. C’est la constitution du pays même qui le dit. En Cas de vacances Présidentielles, des élections auront lieu dans les 60 à 120 jours pour l’élection d’un nouveau président. Mais cela signifie quoi? Lorsqu’il y a des vacances présidentielles, cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas un gouvernement, cela ne signifie pas qu’il n y a aucun conseil électoral. Dans le cas, qui a eu lieu le 14 Février, lorsque le Président Martelly est arrivé à la fin de son mandat, il y avait un gouvernement, mais dépourvu d’une légitimité constitutionnelle. Il n’y avait pas un conseil électoral parce que sur les 9 membres du CEP 6 d’entre eux avaient démissionné. Le mandat que j’avais dans le cadre de l’accord du 7 Février était :

– Tout d’abord de consulter tous les acteurs politiques, ceux qui ont des représentants au Parlement, et ceux-là qui n’en ont pas. Consulter tous les acteurs de la société civile afin que je puisse former un gouvernement de consensus. J’ai été installé 14 Février, 10 jours plus tard, 24 Février ; j’ai déjà nommé un Premier ministre Jean Fritz et formé un gouvernement.

– Deuxièmement, je devrais former le Conseil électoral, en même temps que je consulte les gens pour la formation du gouvernement. Je consulte également les différents secteurs pour monter le CEP. Et depuis le 24 Février, les 9 personnes qui devraient faire partie du conseil électoral ont été déjà connues et disponibles.

Toutefois cet accord dont vous parlez, il y a 3 personnes qui l’avaient signé: Le Président Martelly, le Président du Sénat qui n’était autre que moi et le président de la Chambre des députés, Mr Chancy. Chacun des acteurs a une responsabilité. Alors que j’ai nommé Fritz Jean Premier ministre depuis le 24 Février, c’est jusqu’au 19 Mars que la chambre des députés a rejeté le choix. Cela signifie que 25 jours se sont écoulés. Immédiatement après son rejet, je suis retourné à la consultation et le 25 Mars, j’ai formé un gouvernement. Aujourd’hui, j’ai un gouvernement et un conseil électoral. Comme la date des élections n’a jamais été de la responsabilité d’aucun président, la responsabilité revient au Conseil électoral. C’est lui seulement qui peut dire quand les élections auront lieu ou non.

44 jours ou 76 jours, il faut que j’arrive à mettre toutes les conditions indispensables pour que des élections aient lieu en Haïti.

Kim Ives : Il y a une autre contradiction. Les accusations de fraude et de violence s’appliquent à la plupart des parlementaires. Êtes-vous prêt à vous tenir debout sur le principe pour confronter les parlementaires qui ont juré : qu’il n’y aura pas de révision sur leur soi-disant Victoire?

Président Jocelerme Privert : Dans la commission d’évaluation que le président Martelly avait fait en Décembre dernier, la conclusion de cette commission avait indiqué de nombreuses irrégularités et de fraudes graves, et avait demandé une vérification approfondie de ces irrégularités.

Aujourd’hui le Conseil électoral, dont le mandat est de faire les élections déclare qu’il est en face d’un blocage politique. Alors, moi, en tant que président de la République le respect de la Constitution me donne le droit d’assurer le bon fonctionnement de l’Etat pour permettre au conseil électoral de fonctionner correctement. Il dit qu’il existe un handicap, je suis rentré à nouveau en consultation avec tous les acteurs politiques pour permettre au conseil électoral d’écarter ce blocus afin qu’il puisse organiser les élections.

Kim Ives: Est-ce que cela veut dire que certains des parlementaires ne peuvent pas y rester?

Président Jocelerme Privert : Je ne suis pas en mesure de le dire.

Kim Ives: En supposant que vos 120 jours de mandat ne sont pas suffisants, allez-vous demander un renouvellement au Parlement et pensez-vous que ce Parlement contesté, qui est en grande partie hostile à la vérification, agréera votre demande ?

Président Jocelerme Privert : Qui a dit que le Parlement est contesté? Ceci est une opinion. À l’heure actuelle, il y a les trois pouvoirs constitutifs de l’Etat, à savoir l’exécutif, le pouvoir judiciaire et le législatif. Nous avons deux de ces institutions qui sont fonctionnelles : Le parlement et l’exécutif. Quand vous parlez du 14 mai, je retournerai avec vous à l’accord du 5 Février. Tous les signataires ont convenu qu’il pourrait y avoir des contraintes empêchant la tenue des élections le 24 Avril. Il peut y avoir des contraintes qui nous empêchent d’avoir un nouveau président le 14 mai. Par conséquent, c’est pourquoi à l’intérieur de l’accord il est dit: «Si dans les 120 jours, les objectifs prévus dans le cadre de cet accord ne sont pas atteints. Il revient à l’Assemblée Nationale de prendre les dispositions qui s’imposent». L’Assemblée nationale, c’est la Chambre des députés et du Sénat réunies !

Kim Ives : Vous pensez qu’ils vont vous renouveler?

Président Jocelerme Privert : Je ne dois pas me prononcer. Je mets ça sur la stabilité politique du pays. Il y a près de trente ans, que nous organisons des élections. Toutes nos élections ont été toujours transformées en crise électorale, de crise électorale en crise politique. Aujourd’hui, je pense que je suis motivé par l’organisation d’une élection qui mettra enfin un terme à l’instabilité politique du pays pour permettre aux investisseurs au moins de venir investir dans le pays afin de mettre fin à la question de la pauvreté qui est le principal fléau qui affecte le peuple haïtien.

Kim Ives : Vous avez expérimenté des coups d’Etat avant. La dernière fois que je vous ai vu était en 2005 au Pénitencier National où vous étiez prisonniers politiques. Avec la situation de plus en plus controversée, pensez-vous qu’il soit possible qu’il pourrait y avoir un autre coup d’Etat militaire, soit par les forces de paramilitaire droite, qui ont impressionné leur volonté d’agir, ou par la MINUSTAH?

Président Jocelerme Privert : Moi, je n’ai pas vécu aucun coup d’état. En tant que citoyen haïtien, j’ai toujours vu des coups d’Etat avoir lieu dans le pays. Aujourd’hui, est-il possible pour le pays de revenir à un anachronisme ? Qui peut rêver remplacer la souveraineté populaire ? La Constitution du pays ne stipule t-elle pas que c’est seule par les élections qu’on peut prendre le pouvoir ? Donc, je pense que tous ceux qui veulent le bien-être pour le peuple haïtien, s’ils veulent arriver au pouvoir, ils doivent passer par la voie des urnes.

Kim Ives : Dans la tentative de faire pression sur votre gouvernement, Washington et ses institutions internationales alliées ont commencé à fermer le robinet de l’aide en Haïti, en dépit de la pire crise alimentaire depuis des décennies. Avez-vous été surpris par cela et qu’est-ce que vous avez intention de faire à ce sujet?

Président Jocelerme Privert : Je vais répondre à votre question de la même manière que vous l’avez posée. Il y a une mission du FMI qui est intervenue en Haïti au mois de Novembre dernier. Elle a fait une évaluation de la situation macroéconomique du pays. Elle devrait être retournée en Janvier, mais elle n’est pas revenue parce qu’il n’y avait pas eu un changement de gouvernement. Elle ne revient pas parce que les réformes économiques que le gouvernement devrait avoir faites n’ont pas été réalisées. Ainsi, depuis lors l’aide financière directe à Haïti a été arrêtée, ce que nous appelons l’appui budgétaire. Aujourd’hui efficacement le pays est confronté à une grave insécurité alimentaire, menaçant 3,5 millions de citoyens haïtiens. Et si nous ne faisons rien, il y aura 5 millions de personnes qui peuvent être touchées par cette crise alimentaire. Tous les contacts, toutes les réunions, toutes les discussions que j’ai faites avec les partenaires d’Haïti, appelés bailleurs ; qu’il s’agit du Gouvernement des Etats Unis, du gouvernement de Canada, et de l’Union Européenne, tous sont d’accord pour apporter une aide humanitaire à Haïti pour faire face à l’insécurité alimentaire. Assistance à Haïti n’est jamais une chose facile. En fait, nous pouvons dire que, après le tremblement de terre de nombreuses personnes ont été mobilisées pour apporter une aide humanitaire à Haïti, mais à l’aide nécessaire pour la remise en état des dégâts du tremblement de terre n’a jamais été réalisée jusqu’à ce jour. Nous pouvons admettre qu’Haïti est un pays encore en ruine parce que tous les bâtiments publics qui ont été détruits ne sont pas encore reconstruits. Nous avons besoin d’aide, nous avons besoin de la capacité de reconstruire, de réhabiliter tous les dommages causés par les catastrophes naturelles dans le pays.

Kim Ives : Quelle est votre opinion sur l’enquête menée par le sénateur Youri Latortue dans la corruption des gouvernements haïtiens précédents, alors que, selon l’ambassade des Etats-Unis les Câbles publiés par Wikileaks, Latortue est lui-même a « poster boy for political corruption » un garçon d’affiche pour la corruption politique?

Président Jocelerme Privert : Quand je suis arrivé au pouvoir, de nombreux acteurs politiques m’ont demandé de créer une commission d’enquête administrative pour faire la lumière sur la façon dont le gouvernement de Martelly gérait des fonds publics en particulier les fonds de Petro Caribe. Je suis quelqu’un qui crois en la Loi. Je crois dans la Constitution et dans les Institutions de mon pays. Publiquement, J’ai dit : que je suis opposé à la mise en place de toute Commission d’enquête administrative de sorte qu’on ne la transforme pas en institution de persécution politique. Mais pas contre, il y a des institutions que la loi a créées pour auditer la gestion de tout responsable public. Moi, je pense que c’est à ces institutions de faire ce travail. Et je veux parler de la cour des comptes, de l’Unité de lutte contre la Corruption ; de l’Unité Centrale de renseignements … (UCREF)… Je dis que ce sont ces 3 institutions qui peuvent créer une force capables de nous mettre ensemble pour évaluer la façon dont l’argent public a été dépensé.

Tout parlementaire, qu’il soit député ou sénateur a la compétence de faire la lumière sur la façon dont n’importe quel responsable gère les fonds de l’Etat. Ce qui est souhaitable, qu’il s’agit d’une commission d’enquête administrative, qu’il s’agit de la Cour des comptes, qu’il s’agit de CHLC, qu’il s’agit de l’UCREF ; j’ai la responsabilité d’éviter qu’aucune action ne se produit en dehors de la loi, en dehors de la Constitution de sorte qu’on ne la voit pas comme une instance de persécution politique. Le parlement en tant qu’entité souveraine, peut s’assurer que les fonds publics ont été bien gérés ; mais pas de commissions parlementaires pour faire des revanches politiques, utilisant certaines prérogatives pour persécuter d’autres gens. Voilà ce que moi, j’exhorte aux collègues parlementaires afin que leur travail se fait dans le stricte respect de la Loi et de la Constitution.

Kim Ives : Merci, Mr le président.

Président Jocelerme Privert : Je vous remercie beaucoup, Kim.

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