D’un État kidnappé à un kidnapping d’État ?

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1912

Le kidnapping existait bien avant la mise en place de cet État kidnappeur, mais il est difficile d’en trouver ces traces fondatrices sinon il n’a jamais atteint cette phase terrifiante d’instrumentation politique à laquelle nous assistons aujourd’hui. Tout ce que l’on sait c’est que le projet d’État qu’on nous avait tous vendu suite à l’apothéose du régime dictatorial n’est pas celui qui s’est instauré dans le pays.  Personne n’avait imaginé qu’il arriverait à cet état-là.  Sans doute, l’Etat haïtien se trouve, depuis son existence, dans son pire état.

De gouvernement à l’autre, le rêve d’un Etat fort capable de s’élever à la hauteur de la dimension de notre fière histoire comme première république noire indépendante au monde s’effrite au jour le jour. Après plus de deux siècles d’histoire, cette attente n’est pas encore comblée.  On se rend finalement compte que les dirigeants d’Etat ne sont plus les mêmes. Le profil a changé. Et que les modèles de politiciens qui se produisent aujourd’hui sont loin d’être l’idéal type d’homme ou de femme qui puisse nous conduire vers l’aboutissement de cette aspiration politique. Ils ont prouvé à chaque fois qu’ils posent une action dans la république combien ils ont déconnecté de l’histoire du pays et de l’esprit qui la gouverne.

Pourtant, ce ne sont pas les tentatives qui manquent.   L’avènement du pays à la démocratie figure, par exemple, parmi l’une des plus grandes initiatives politiques qui ait marqué le 21e siècle haïtien. Il a conduit à la naissance d’une nouvelle constitution qui jetait les bases d’un nouvel Etat doté pour mission de réhabiliter nos droits politiques qui ont été bafoués sous l’ordre de l’ancien régime. Une réhabilitation qui a réussi même si on reconnaît que la liberté d’expression, qui est le plus grand acquis de ce processus de démocratisation du pays, reste jusqu’à date fragile.  Après, semblerait-il, pas trop grandes choses n’ont pourtant été réalisées.

La démocratie n’a aidé ni au redressement de l’Etat, ni à la construction d’une nouvelle société, ou du moins, à la création d’une élite éclairée

La démocratie n’a aidé ni au redressement de l’Etat, ni à la construction d’une nouvelle société, ou du moins, à la création d’une élite éclairée porteuse d’une nouvelle vision de l’Etat. Au contraire, elle s’est révélée, dans son application et par l’incompréhension que soulèvent ses principes de cohabitation des pouvoirs, une première source de conflits sociaux et politiques.  Avec l’idée du libéralisme politique et l’esprit d’individualisme qu’elle (démocratie) a évoqués, manifestés dans les différents aspects de la vie politique et sociale, elle nous conduit tout droit vers cet abîme socio-politique où les médiocres en ont profité pour prendre le pouvoir.  Et depuis, ils s’y sont installés confortablement.    

La prise du pouvoir politique par le régime phtkiste marque le couronnement de l’ère de la médiocrité dans laquelle s’est englué le pays depuis le dernier coup d’état qui engendra l’occupation militaire sous couverture de la Mission  des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti (Minustah).  Une aventure infernale ponctuée de tristes épisodes dans lesquels ne défile que l’image tragique d’une nation en péril.  Tout ce à quoi aspirent les adhérents de ce régime est de l’argent. La folie du pouvoir vient après. Les deux marchent, semble-t-il, de pair. Dans notre république corrompue, le pouvoir devient le chemin qui mène au salut.  Et pour conserver les deux, il faut entrer dans le jeu cynique du machiavélisme : tuer et éliminer l’adversaire.  Comme disait Serge RAYNAL : « Tous les pouvoirs ont un point commun : tuer pour vivre ou survivre ». On en est, sans doute témoin, depuis quelques années, de cette approche de survie politique.  Des crimes d’Etat sont devenus monnaie courante.  Des personnes de renom sont ciblées et éliminées pour leur position politique et idéologique.  Jamais l’intérêt collectif n’a été une priorité pour ces mercenaires. S’ils ont raté tous les rendez-vous historiques qui pourraient sortir le pays de ce chaos politique, ils ne laissent s’échapper aucune opportunité qui pourrait faciliter leur enrichissement et leur maintien au pouvoir.  

  Qui pis est, il nous faut presqu’une décennie pour comprendre que l’Etat que l’on avait tous souhaité d’être bâtisseur de nos rêves et à la hauteur de nos aspirations sociales, politiques, et économiques ne peut venir de ses apatrides et de ses vautours dont leur seule ambition se trouve dans la satisfaction de leurs intérêts mesquins et personnels. Pour y arriver, il faut passer, dans ce contexte où ce pouvoir se trouve en perte de légitimité populaire, par la mise en place du kidnapping pour créer une psychose de peur dans le pays, et en même temps, pour faciliter ses partisans à s’enrichir sur le dos de la population haïtienne. Mais la question qui nous intrigue tous, et à laquelle on espère trouver une réponse convaincante, c’est comment on est passé dans un si laps de temps d’un Etat kidnappé à un kidnapping d’Etat ?

Bien avant d’entrer dans le vif de ce sujet, un clin d’œil sur l’histoire récente de la politique haïtienne de ces trente dernières années nous permettrait de tirer, l’une des causes du début d’effondrement social et politique du pays, d’une simple réalité qui pourrait paraître, pour certains, anecdotique mais qui trouve, pour d’autres, tout son sens dans cette conjoncture politique actuelle.  Le 7 février 1986 marque, pour illustrer notre démarche, la fin de la dictature duvaliériste.  Le peuple s’est débarrassé de ce régime autoritaire qui a presque duré trois décennies.  Dans ce contexte de rupture, on ne se préoccupait que de l’euphorie qu’apportait ce moment de délivrance.  Car, fermer cet épisode tragique était la seule satisfaction que peut se procurer un peuple qui luttait pendant trop longtemps pour un changement de ses conditions d’existence.  C’était aussi l’occasion pour le pays de se faire une nouvelle santé sur le plan national et à l’échelle internationale en rentrant, comme c’était le cas à l’époque, dans l’ère de la globalisation démocratique qui ne cesse de séduire avec ses promesses de transformations sociales et politiques qu’elles vendaient à l’époque. 

La prise du pouvoir politique par le régime phtkiste marque le couronnement de l’ère de la médiocrité

`            Pourtant, à l’intérieur du pays, ce que personne n’avait pris en compte, c’est qu’une tendance opportuniste faisait son cours. C’est comme si, avec la démocratie, il n’y avait plus de limite. Tout le monde peut faire n’importe quoi et, là où le bât blesse, occuper n’importe quelle fonction d’État.  Qualification et compétence sont reléguées en arrière-plan. C’est le moment en Haïti où le savoir est banalisé et l’incompétence est valorisée.  Ce triomphe de la médiocrité ne prend pas de temps pour se manifester dans les différentes sphères de la vie politique et sociale.   Les incompétents ont trouvé le champ libre pour poser leurs valises dans les différentes sphères du pouvoir politique. S’il y a quelque chose de plus dramatique et dévastateur du post-duvaliérisme c’est cette imprudence insolente, laquelle a permis à ses nuls et ses incompétents de prendre en main le destin du pays.

  Comme constate Alain Deneault, : « les médiocres ont pris le pouvoir » En Haïti, comme dans tous les pays sous-développés notamment ceux qui sont encore sous le joug de la communauté internationale et d’une bourgeoisie compradore, il ne fait aucun doute. Pour preuve, aucun de nos récents chefs d’Etats, à l’exception bien sûr du professeur Manigat et du président Aristide, ne détenait un diplôme universitaire. Dans le parlement haïtien, ce constat est navrant. Que d’illettrés et des « j’approuve » y sont siégés. Plus cette tendance médiocre que l’on qualifie libérale ou “ bambocharde ” commence à prendre sa forme réelle dans la réalité politique et sociale haïtienne, moins sont les gens qualifiés, compétents, et honnêtes qui arrivent à la tête du pouvoir politique.  Et l’avènement du régime ti simonisme ou du banditisme légal ne fait que s’exposer au grand jour ce kidnapping d’Etat.  Et l’Etat est pris au piège.

D’un État kidnappé et à un kidnapping d’Etat est, avant tout, le résultat d’une politique de mauvaise gouvernance qui est marquée par des astuces criminelles de conservation du pouvoir. Cette opération s’effectue à travers un double processus marqué, d’abord, par la prise du pouvoir par l’extrême-droite en Haïti et, ensuite, par la mise en place des mécanismes de son maintien. Si le premier a été un succès si l’on tient compte des conditions de prise de pouvoir suite au vide créé à la fin du pouvoir du président Préval, le second s’est révélé difficile. Ce régime souffre, depuis son accession au pouvoir, d’un déficit de légitimité populaire. Ce qui continue jusqu’à date. Frappé dans l’œuf par ce sort, ce pouvoir actuel arrive presque au bout de son quinquennat.  Un succès gouvernemental qui constitue, paradoxalement que cela puisse paraître, un désastre collectif.  Il s’est acquis sur fond de crimes et d’assassinats politiques. Car, devant l’impossibilité de respecter ses promesses, ce pouvoir ne fait que recourir à une politique de survie. Une politique qui ne peut viser que la quête d’un succès politique personnel non celle basée sur la transformation des conditions sociales haïtiennes.  C’est pourquoi, elle obéit à un mécanisme criminel particulier qui est, comme on l’avait déjà traité dans un précédent article, la peur. C’est avec cette arme meurtrière et terrifiante que ce régime atteindra, dans moins d’un an, sa décennie et le pouvoir en place son quinquennat.

L’avènement du régime phtkiste ou du banditisme légal ne fait que s’exposer au grand jour ce kidnapping d’Etat. Et l’Etat est pris au piège. De gauche à droite Michel Martelly, Sonson Lafamilia et Jovenel Moise

  Le traumatisme psychologique qu’engendre cette politique répressive est ce qui est le plus dramatique que puisse offrir un pouvoir à son peuple. A un an de sa fin, cette stratégie politique qui, en transformant le pays en une prison pour son propre fils, s’est révélée jusqu’à date payante.  Comme disait Caroline Roose : ’’ rarement un pays a été dirigé par une bande de criminels et d’incompétents. Le quotidien du peuple, c’est la mort, les assassinats’’.  Dans ce kidnapping d’Etat, les gangs sont, sans qu’ils ne le sachent à l’exception de ceux de G9, dans une mission d’Etat.  Ils remplissent toutes les fonctions traumatisantes et criminelles que ce rôle exige. Aidé par l’Etat inexistant, Ils amènent avec art et brio la peur et l’insécurité partout dans tout le pays.  Le kidnapping n’a pas de couleur, de nationalité, et de classe sociale. Aujourd’hui, nul n’est épargné par ce monstre destructeur qui ruine la classe moyenne en particulier et la société haïtienne en générale. 

Ce dispositif criminel, qui est le kidnapping, s’inscrit dans la logique machiavéliste de conservation du pouvoir sous la forme d’une répression voilée qui est orchestrée par la lutte des gangs armés.  Et pour franchir le cap de ce quinquennat, le pouvoir en place n’avait d’autres choix que de montrer ses griffes. Il doit s’assurer que la population sombre totalement dans la frayeur des bruits des armes qui chantent chaque jour. Et qu’elle se tremble de panique et de peur à chaque fois que les médias relayent les nouvelles terrifiantes des kidnappings.  Il ne se passe pas un jour sans que ne se joignent ensemble les bruits des armes et les nouvelles retentissantes de kidnapping pour offrir au peuple ce spectacle chaotique. C’est ainsi que se façonne le quotidien haïtien.  Impuissant devant ce rapport de force, la population se plie à la volonté du maître.

C’est autour de cette trilogie destructrice de la répression, de la violence, et de la peur que s’aiguise le travail des kidnappeurs

C’est autour de cette trilogie destructrice de la répression, de la violence, et de la peur que s’aiguise le travail des kidnappeurs.  Car, sans vouloir le déresponsabiliser, ce pouvoir porte sur son dos un lourd héritage de corruption laissé par son régime. Il doit, pour tenter de se démarquer de cet environnement politique délétère qu’il a créé, projeter une présentation fausse de l’Etat en se montrant impuissant devant l’exhibition outrageuse des gangs armés.   Et cette impuissance de l’État s’est clairement concrétisée quand il a fini par jeter ses policiers dans la gueule du loup.  Ses policiers qui, au moment où ils ont été maîtrisés, brûlés, torturés par les bandits, représentaient l’Etat comme l’élément symbolique de son appareil répressif.

Il faut dire que la mort de ces policiers est celle de l’Etat haïtien. Elle symbolise la défaite de l’État et consacre, du même coup, la suprématie des gangs armés. Ce cérémoniel de passation de pouvoir reste sans précédent dans l’histoire haïtienne. Et qui pis est, même devant cet acte de barbarie extrême et d’indignation humaine, la fureur de la populaire était de courte durée. Et aujourd’hui, personne n’en parle. Ce fait horrible s’est fait bousculer par un autre, comme c’est toujours le cas dans ce pays. Cette machine infernale poursuit son petit chemin de malheur. Et elle ne va pas s’arrêter tant que cet agenda référendaire ou électoraliste ne se termine soit par une nouvelle constitution faite de pièces et de morceaux ou par une révolte populaire.  L’enjeu est de taille. Car, après avoir dilapidé les caisses publiques, détourné l’argent du pétro, réduit le pays en néant, il faut, malgré tout, trouver une sortie heureuse dont seul le changement de la constitution peut la garantir. Et le kidnappé, on le sait tous maintenant, c’est cet État kidnappeur.

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