Il y a environ 65 ans, Nemours imposait officiellement le konpa dirèk…

Dossier Musical

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Nemours Jean Baptiste

C’est définitivement durant la décade 1950, pendant que le « Jazz des Jeunes », l’ « Orchestre El Sahieh », « Citadelle » pour ne citer que les plus significatifs ; réinventaient les divers rythmes du terroir sous l’impulsion de la renaissance culturelle. Sans omettre la domination des sonorités latines dans les bombances locales. Un jeune musicien lui a d’autres idées en tête. Observant peut-être l’évolution de l’art populaire ailleurs ; spécialement aux E.U où une jeunesse entendant se dégager des spectres de la deuxième guerre mondiale ; en mettant fin aux interdits et aux clichés imposés. D’où l’éclosion de résonances nouvelles qui permettent de sortir des sentiers battus. La non-hiérarchisation et la popularisation de la culture ; permettant aux novices de prendre part aux plaisirs de la danse, lorsque les ball-rooms vont donner la voie aux cabarets et aux tréteaux improvisés. Comme quoi, le konpa dirèk et le rock n roll ont émergé avec la même vocation que de défouler, exalter, s’enlacer  et même se baiser comme la danse de la liberté. Tel fut le dessein de Nemours Jean Baptiste.

Sans doute, la figure la plus emblématique, la plus adulée et, aussi la plus controversée de la musique haïtienne moderne. Et pourtant, comme tous les grands de toutes les époques et de partout; il n’avait qu’une idée, faire de la musique. Et même s’il s’est révélé parmi les plus doués de sa génération, il sera ainsi dans la foulée d’une pléiade d’innovateurs; le baroudeur chargé de déblayer le terrain. Pour se placer impérialement à l’avant-garde d’une époque sans précédent, d’où il a su mettre en œuvre son génie pour gratifier du konpa dirèk, le plus dansé et le plus populaire des rythmes urbains d’Haïti. Ainsi différemment des: Chuck Berry, Little Richard, Fats Domino etc., ces initiateurs du rock & roll qui se sont fait approprier de leur invention (Dans ces Etats-Unis foncièrement racistes, leur mouvement a été attribué à un blanc, pourtant talentueux, Elvis Presley pour faire l’apparence).

Nemours lui-même a assumé la paternité de sa progéniture dès les premiers balbutiements. Même si son impact fut aussi minimisé par ses compétiteurs de l’époque, jaloux sûrement qu’il leur ait volé la vedette et, cherchant même à confondre astucieusement le public sur la vraie origine du “compas-direct”. Durant la deuxième décennie du 20e sc, un nouveau roi naquit à la rue des Fronts Forts un jour de Février 1918 à Port-au-Prince. Quartier d’anciens combattants, chevaliers sans peur..; sambas et simbies, conquérants et aspirants et d’un pionnier de souche. En effet, l’ombre de M. François Guignard, maitre musicien, domine le voisinage du petit Nemours. Car entre ses multiples responsabilités familiales, “père Guignard” s’attelle aussi à la revalorisation de la musique de climat, avec son groupe bastringue «Jazz Guignard».

Nemours lui-même a assumé la paternité de sa progéniture dès les premiers balbutiements, Même si son impact fut aussi minimisé par ses compétiteurs de l’époque

C’est encore un instructeur scrupuleux, musicien polyvalent et un initiateur d’envergure qui fabrique un petit banjo, qu’un seul gosse de la cour a eu l’audace de le jouer. C’est Nemours, proche ami de son fils Ainé Félix “féfé” Guignard. Son père cordonnier travaille pour l’éduquer en compagnie de son frère Monfort et de sa sœur Altagrâce. Entre temps, l’adolescent Nemours s’applique aux études et pratique occasionnellement le métier de coiffeur. Tout en continuant à s’inspirer de musique, en constituant avec “féfé” un duo de trouvères, doté de banjo et d’accordéon qui s’en va amuser différents recoins du pays. Il a continué à trainer dans l’entourage du «Jazz Guignard» attendant son heure ; côtoyant copieusement le guitariste Antoine Duverger, le saxophoniste Victor Flambert et des proches comme: Antoine St Armant et Jean Chardavoine.

Ses randonnées buissonnières l’emmènent aussi aux Cayes dans un bref “stint” avec le groupe de Barrateau Destinoble, pour lequel il gratte les cordes. Il en profite sous le contrôle de ce dernier de continuer à se familiariser avec le sax. Sa première initiative personnelle fut le «Trio Anacaona» avec lequel il prouve sa capacité de “strings man” (homme des cordes). Mais déjà il est plus intéressé à se montrer en souffleur, avec la possibilité de se mettre en vedette et d’être mieux rémunéré. De plus, il a rêvé tant d’être maestro. L’occasion s’est présentée, lorsqu’il est appelé à rallier l’«orchestre Atomique» avec son meneur le claviériste Robert Camille et son chanteur-vedette Joe “Atomik” Lavaud. Malgré tout, il finit par s’imposer en maestro, mais, pour n’en vouloir faire qu’à sa tête, il est éjecté du groupe par un noyau constitué de son frère, le contre- bassiste Monfort, sous la menée du trompettiste Kesnel Hall.

Cette affaire a tourné au chaud, lorsque c’est sous la demande d’un tribunal, que le maestro novice a rendu le sax alto qu’il avait confisqué. Amer, il s’en va former l’«Atomique Junior» avec l’aide de son alter ego Issa El Sahieh. Bien que cette tentative émotionnelle a été d’une durée éphémère. D’un coup, pistonné par Issa, il a atterri dans l’«Orchestre Citadelle» dont il a eu fini par abdiquer le contrôle. Inassouvi, il recrute Gérard Dupervil (voix et piston), son jeune protégé Wébert Sicot (sax, trombone) et entre autres, le superlatif Antal Murat dans son fameux «Conjunto Internacional», dans l’exploration des couleurs afro latines. Mais, on est en plein cœur de l’épopée indigéniste et le groupe est dissous après le désistement collectif dont fut responsable son grand ami Antalcidas Oréus Murat qui s’est laissé amadouer par René St, Aude, en apportant avec lui Dupervil et autres. Dès cet instant, il a promis de faire des vagues à Antal et aussi à Saint Aude qui le lui a chipé pour le compte du «Jazz des Jeunes».

A l’étape subséquente, il s’est associé à Jean Numarque, propriétaire de boite de nuits et homme-orchestre à ses heures, qui lui offre un cadre attrayant à Kenscoff, pour expérimenter de nouvelles approches. A ce carrefour, il s’est servi de Frank Briol, Julien Paul, Louis Lahens, Walter Thadal, Les Frères Mozart, Kreutzer et Richard Duroseau etc. Et, le succès ne se fit pas attendre ; permettant à Nurmarque d’inaugurer un nouveau cabaret à Mariani, baptisé “Aux Calebasses” avec son plafond au décor bucolique, fait de “calebasses” multi colorées, qui devient le fief du chef d’orchestre autodidacte, et d’un maestro désormais conquérant. Il y installe son «Ensemble aux Calebasses» ; déjà à l’entame de quelques flots. En s’imposant en chef de file, pour faire triompher l’originalité dans un climat enrichi de pluri-dimensionnalité.

Ce fut donc la conquête du “danse kare” une variante de l’ancien karabinye, ou koudyay, (cher au fondateur de la patrie)-1, mué en meringue, sortie du quintolet atavique et plus apparent à un kongo édulcoré. Dont les nombreuses ramifications ont donné ces allures syncopés qui du Kay madan Bruno post colonial, jusqu’aux bacchanales en folie des années 1930-40 du « Jazz Guignard » avec Ti Jocelyne ; n’ont fait que s’adapter au gout du temps et aux caprices de l’inventeur. C’est donc avec flair que Nemours a apporté d’autres innovations que les fans appelèrent tout simplement ‘’rythme aux calebasses’’. Mais qui ne fut rien d’autre que les premiers balbutiements du konpa dirèk. Nouveau rythme trépidant qui allait déboucher sur une symbiose du tempo ternaire de souche autochtone. Une meringue syncopée à subdivision binaire, d’orientation simplifiée, dite «une-deux», sans aucune autre interférence d’une troisième mesure. C’est le temps où l’on est  gratifié des hits : ‘’donnez- moi la main’’, ‘’maryaj solanèl’’, …avec Julien Paul à la fois à la contrebasse et au vocal.

A suivre

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