Dix ans de feuilles et de racines

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L’honneur et le courage sont la sève qui alimentent branches et feuilles de l'arbre dessalinien. Car le tronc de l’arbre national est porté par de puissantes et fécondantes racines.

Depuis déjà dix ans et presque trois mois, j’alimente cette rubrique des feuilles et des racines du vécu de mon pays natal. Leur sève irrigue le soutien inébranlable que j’apporte à la cause des opprimés du monde entier et surtout à la percée victorieuse des peuples cubain, vénézuélien et bolivien qui mènent un combat sans merci contre l’impérialisme américain. Lorsqu’elles sont vertes, les feuilles ont la couleur de l’espoir, d’autant qu’elles sont les gardiennes millénaires des secrets de Mère nature, secrets auxquels nous, hommes et femmes, aimerions bien accéder et qui feraient peut-être de nous des dieux.

Jaunies par l’automne, les feuilles tombent et se dispersent. Nous les ramassons au hasard du chemin, au gré de nos errances d’exil parce que nous n’avons pas oublié leur symbolisme, elles qui, l’espace de deux saisons, nous ont gardés pleins d’espoir de jours meilleurs, Et le cycle est à recommencer, ainsi va la vie. Les feuilles de cette rubrique se balancent au bout des branches d’histoire de notre bel arbre d’indépendance plus que bicentenaire dont les racines puisent leur force dans la matrice de cette terre de liberté, de lutte, et de résistance, cette terre éperdument nôtre léguée par le ancêtres.

Certaines feuilles sont vénéneuses, telles les feuilles de l’oléandre ou laurier rose. Originaire du bassin méditerranéen, l’oléandre produit des glycosides cardiotropes qui peuvent causer des arythmies cardiaques susceptibles même de provoquer la mort. Il en est ainsi de certains êtres humains: ils sont vénéneux, un adjectif presque aux mêmes consonnances que véreux, morveux, mafieux et crapuleux.

Ils distillent le poison de leur arrogance anti-peuple. On les reconnaît à la violence de leur comportement irrespectueux du vœu de la majorité et du vote populaire, à leur plume d’intellectuel ti koulout, à leurs discours creux de politiciens arrivés menant grand train de vie, malgré qu’ils ne lèvent ni lourd ni paille, hommes de paille et paillassons de l’étranger, fieffés paresseux vivant de la manne des dollars de l’Oncle et du pays des érables, des euros en provenance d’un Hexagone vindicatif et haineux.

Nous célébrons dix années et un peu plus de combat politique aux côtés des masses haïtiennes. Nous en sommes fiers.

On en trouve qui ont perdu des feuilles. Vivant encore dans la tour d’ivoire de leurs lubies, ils pensent pouvoir retourner à l’avant-7février 1986. Alors, certains sont nostalgiques de l’Armée d’Haïti, des kokomakak, des macaques en kaki et des chefs de section voleurs de cabris, de bœufs et de porcs de paysans livrés à leur merci. D’autres rêvent de retourner à l’âge de la pierre taillée des hommes en bleu, des grands chacals et petits chacalets, au service d’un tigre, lui-même domestiqué par l’aigle du Nord.

Déchéance morale et honte ultimes, il y en a qui, il n’y a pas longtemps, rêvaient de léopards et du retour de pitit tig, ce minable et cruel petit léopardeau au cerveau de crocodile pour en faire un personnage respectable. Et quand, éventuellement, cette caricature humaine, ce nazillon honni a finalement gagné les rivages de l’éternité, il s’est trouvé un intellectuel qui semble avoir perdu quasiment toutes ses feuilles puisqu’il a même osé écrire des ouvrage de réhabilitation du père, «tigre altéré de sang», et de sa décadente progéniture.

Pour avoir passé une bonne partie de leur vie soit en réserve de la république, soit à s’accrocher aux épaulettes de capitaines, aux aiguillettes de généraux, dans le vain espoir de se voir apporter le bifteck de la présidence sur un plateau d’argent, tout fumant, bien cuit, arrosé du sang de laissés-pour-compte fusillés au petit matin de violences militaro-politiques; pour avoir vainement fait la cour dans les antichambres de telle ambassade cinquante-étoilée et n’avoir reçu en récompense que le mépris à répétition de l’énergumène en charge des lieux, lui-même conscient que tel ou tel autre petit ou grand Nègre ne peut trouver son salut présidentiel qu’en courbant l’échine bien bas devant le Blanc; pour avoir donc passé moult saisons à ne pas s’alimenter à la sève populaire, ces aventuriers de la politicaillerie se sont étiolés, se sont laissé jaunir, pour tomber en feuille morte, vriller, tourbillonner, s’écraser sur le sol, feuilles à jamais desséchées, feuilles mortes que les bourrasques de la ferveur populaire emporteront et disperseront aux quatre coins de l’oubli.

Ils sont nombreux ceux-là qui ne s’intéressent qu’à une seule sorte de feuille, la feuille de paye. Parasites de ministères, rats de consulats, punaises d’ambassades, blattes de missions diplomatiques, leur dimanche est le premier de chaque mois quand à la messe de distribution des chèques et des enveloppes cachetées, ils pavoisent, insipides, satisfaits, repus. Akrèk comme eux seuls, ils dévoreront le premier venu si la dernière valise diplomatique arrivée d’Haïti n’a pas apporté le supplément de fric tant attendu du Palais national.

On peut se rappeler tel fils d’un preyidan de facto qui faisait des siennes à Genève et qui a fait tout un spectacle quand un coreligionnaire de la même bauge politique que lui a dû le forcer à quitter la mangeoire tant son groin en ratissait large. Mais comme Papa était président et plus porcin que sa progéniture, il encouragea son animal de fiston à continuer à patauger dans la mangeoire. Même pas une feuille de vigne pour cacher la nudité de leurs appétits voraces et rapaces!

Il a fallu la force de la sève vivifiante des feuilles et des racines du courage national pour résister aux turpitudes gratuites, aux dérives scandaleuses et malséantes, à l’inconduité dépravée, à l’indécente immoralité, au dévergondage honteux, aux choquantes obscénités, aux contorsions grossières d’un petit mec sans envergure intellectuelle, sans classe ni tact, ni respect pour les femmes, imposé au peuple haïtien par l’arrogance d’une Secrétaire d’État états-unienne abusant sciemment, délibérément, honteusement de sa toute puissance impérialiste.

Après une transition en dents de scie, un autre malheur nous est tombé dessus avec l’arrivée au pouvoir bien concoctée par les décideurs nationaux et étrangers d’un “fils de paysan”, d’un “nèg bannann” métamorphosé en défenseur heureux des intérêts d’une bourgeoisie corrompue, rompue aux pratiques d’acteurs néfastes agissant dans l’ombre contre la nation, contre les masses réduites à la portion congrue. Depuis sa mise en place par ses tuteurs, il se croit un vrai roi et n’en fait qu’à sa tête.

Inculpé pour blanchiment d’argent, le président-bannann a eu vite fait de remplacer le directeur du Fonds de développement industriel (FDI) par un homme lige. Or, l’on sait que les archives du FDI gardent précieusement les dossiers relatifs aux millions décaissés pour AgriTrans, un projet bidon pistonné, parrainé tèt kale par un prédécesseur corrompu dont le quinquennat a été pour tout un peuple une honte nationale, une agonie morale interminable, une faillite économique et sociale majuscule.

L’honneur et le courage sont la sève qui alimentent branches et feuilles de l’arbre dessalinien.

Pour bien ménager ses arrières d’inculpé, le président-bannann, au mois de juillet dernier, a remplacé illégalement, coup sur coup, les directeurs des deux bureaux de lutte contre la corruption en Haïti, nommément l’Unité centrale des renseignements financiers (UCREF) et l’Unité Anti-Corruption (ULCC), par deux de ses proches alliés politiques. Ainsi, l’élément-bannann se sera assuré un quinquennat tranquille, à l’abri de toute tracasserie, toute tètfèmal judiciaire, à l’image des recettes papadoquistes au goût de nostalgiques d’une ère révolue. Plus récemment, le chef-bannann a poussé l’outrecuidance, l’insolente témérité jusqu’à faire publier dans Le Moniteur une loi de finances scélérate et criminelle favorable aux “gros paletots”, malgré l’opposition à l’unisson des catégories populaires et de l’opposition, pratiquement toutes tendances confondues

Ces tendances dictatoriales ont été favorisées, encouragées, appuyées par un parlement élu frauduleusement lors des mêmes élections controversées de 2015 et 2016 que le grand chef-bannan. Ce dernier a acquis entre-temps le titre peu flatteur de soudoyeur de parlementaires, enrichissant ainsi de façon négative un palmarès de vagabondage politique. La soudoyure a été telle que les députés de cette 50è législature, fourmillante de délinquants, se sont appliqués à voter en première lecture le budget 2017-2018 sans omettre un pwèllième du texte original soumis par la présidence.

Qui pis est, dans le texte de la nouvelle formulation portant sur l’organisation et le fonctionnement de l’UCREF, ce parlement largement croupion a accepté de prévoir qu’au moins trois des cinq membres du Conseil d’administration seront choisis par le pouvoir exécutif. Ce qui viendrait confirmer l’instrumentalisation de cette institution qui devrait être indépendante. Pour couronner les soudoyances en cours, cette croupionnade parlementaire a éliminé le rôle du Comité national de lutte contre le blanchiment des avoirs (CNLBA) dans le choix du directeur de l’UCREF. Elle a adopté une nouvelle loi selon «laquelle le président peut nommer n’importe qui comme directeur général d’UCREF », selon l’ancien directeur de l’UCREF mis à pied par le président-bannann.

Heureusement que des racines de l’arbre national, des branches et des feuilles de l’arbre d’endurance du peuple haïtien se balancent bien plus de feuilles de dignité que de feuilles jaunies par le déshonneur de politiciens véreux; celles-là, symboles de la geste des Pères de la patrie, feuilles alimentées par la sève de persévérance du peuple haïtien; celles-ci symboles du bas niveau de déchéance morale atteint par les éléments les plus vénaux de la classe politicienne.

L’honneur et le courage sont la sève qui alimentent branches et feuilles de l’arbre dessalinien. Car le tronc de l’arbre national est porté par de puissantes et fécondantes racines. Celles-ci, source de la force, de la longanimité et de tous les espoirs du peuple haïtien, sont à l’image des racines du banian, cet arbre sacré du bouddhisme. Après une première poussée en un grand tronc, les racines du banian ont cette curieuse faculté de redescendre à la terre nourricière pour s’assurer des remontées successives à la lumière et à la vie.

À la pelle nous ramasserons les feuilles mortes des nostalgiques d’un ancien monde disparu depuis février 1986, les feuilles desséchées des agripa avides de billets verts, les feuilles putrescentes de rejetons politiques d’assassins en bleu ou en jaune kaki. Nous célébrons dix années et un peu plus de combat politique aux côtés des masses haïtiennes. Nous en sommes fiers. Et nous continuerons de faire des feuilles et racines de vie de l’arbre national de dignité et de l’honneur, des Twa fèy, twa rasin o, nos armes de lutte, de résistance et d‘endurance jusqu’à la plus prochaine et victorieuse remontée populaire vers le ciel d’un avenir meilleur.

29 octobre 2017

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