De Jamaïque à Trinidad et Haïti, mission impossible pour la CARICOM (2)

(2ème partie)

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Une réunion de la CARICOM en Haïti

Si dans la crise haïtienne les missions de la CARICOM se suivent et se ressemblent en Haïti, le gouvernement de la Transition, pourtant, continue de planer sur le soutien qu’il avait reçu lors du Sommet du 50e anniversaire de la création de la Communauté caribéenne, tenu du 3 au 5 juillet dans la capitale trinidadienne. Bien que, au cours de ce Forum, il aura fallu vite éteindre, à Port-au-Prince, un début de polémique sur la question de la libre circulation des ressortissants haïtiens au sein de la CARICOM. De quoi s’agissait-il ?

Le Premier ministre, Ariel Henry, n’était pas encore retourné en Haïti qu’un débat faisait déjà rage dans les médias entre différents acteurs de la société suite à la position du chef de la Transition à propos d’un vote de la CARICOM sur la libre circulation des ressortissants de l’ensemble des Etats membres de la CARICOM.

En gros, ce vote donne doit à tous les habitants des pays membres de ladite Communauté de pouvoir « Voyager, vivre et travailler sans aucune restriction dans tous les Etats membres de la CARICOM à partir du 30 mars 2024, à l’exception d’Haïti». Une décision que tous les chefs d’Etat et de gouvernement de la Communauté des Caraïbes ont votée lors du Sommet. Mais, d’après le Responsable du marché et de l’économie unique de la CARICOM et aussi Premier ministre de la Barbade, Mia Motlley, « Haïti a fait une demande d’une dérogation à l’Accord de libre circulation compte tenu des circonstances du pays ». Sauf qu’un journal jamaïcain qui n’a peut-être pas saisi le sens de l’affaire, en général très technique sur le plan bureaucratique, et ignorant sans doute le niveau de la gravité de la crise sociopolitique du pays, s’est contenté d’écrire « le Premier ministre d’Haïti, Ariel Henry, a exclu les Haïtiens de la libre circulation dans l’espace de la CARICOM ». Il n’en a fallu pas plus pour qu’à Port-au-Prince la nouvelle soit accueillie avec rage tout en rendant cette exclusion d’Haïti à Ariel Henry qui aurait demandé de mettre le pays sur la touche.

Or, l’affaire est plus compliquée que cela. Comme toujours, il faut qu’on soit au fait des textes de ce genre pour comprendre de quoi on parle. Dans ce cas, il existe, en effet, deux textes : l’un portant sur la libre circulation des personnes dans l’espace CARICOM, donc y compris les Haïtiens, de pouvoir voyager avec un visa limité à 90 jours ; et un autre qui concerne uniquement des « personnes qualifiées », c’est-à-dire, des ressortissants de la CARICOM qui souhaitent s’établir ou habiter définitivement dans un Etat de la Communauté des Caraïbes. C’est bien ce deuxième texte qui a été voté en juillet dernier par les chefs d’Etat et de gouvernement y compris, évidemment Ariel Henry, pour Haïti. D’ailleurs, tout cela fait partie d’un long processus débuté depuis 18 ans suivant ce qu’on appelle: Traité de Chaguaramas, ce que l’ancien ambassadeur d’Haïti auprès de la CARICOM, Peterson Benjamin Noël, a fort bien expliqué:

« En 2005, les chefs d’État et de gouvernement de la CARICOM ont pris la décision de réviser le Traité de Chaguaramas afin d’y ajouter le marché unique.

Cela a donné lieu au CSME (Caribbean Single Market and Economy) qui se présentait comme un objectif pour la région. Le CSME comporte trois composantes que sont: la libre circulation des personnes, la libre circulation des marchandises et la libre circulation des capitaux. En support à toutes ces composantes, on a aussi ajouté les droits de contingentement. La décision dont on parle vise de préférence l’application des droits de contingentement au lieu de la libre circulation. Le Traité est clair à ce sujet, en son article 7, il est dit : toute discrimination fondée sur la nationalité est prohibée. De ce fait, aucun pays ne peut refuser des avantages à un autre sur la base de la nationalité. Donc, toutes les personnes indistinctement, y compris les Haïtiens, ont le droit de voyager sans visa dans l’espace de la CARICOM pour une période n’excédant pas 90 jours. 

La décision adoptée lors de la 45e réunion régulière des chefs d’État et de gouvernement de la CARICOM concerne de préférence la libre circulation des personnes qualifiées. Le 30 mars 2024 constitue une date butoir pour tous les pays de la région afin de résoudre certains problèmes spécifiques liés à l’application de cette mesure », propos de l’ancien ambassadeur Peterson Benjamin Noël sur Magik9 le mercredi 12 juillet 2023.

Dans ce cas de figure, le Premier ministre Ariel Henry n’est pas le responsable direct d’une décision dont il ne pourrait rien y faire surtout vu l’état de l’économie haïtienne et compte tenu de la situation sociopolitique du pays. Mais, comme dit un proverbe du terroir : « lè devenn, lèt kaye kase tèt ou », il fallait que cela arrive au pire moment pour Haïti et au moment où Ariel Henry est à la tête du pays.

Pour s’en défendre, les autorités haïtiennes, à travers un communiqué émanant de la Chancellerie le 11 juillet 2023, démentent les informations laissant croire que c’est le Premier ministre qui a demandé d’écarter les Haïtiens de la libre circulation dans l’espace de la CARICOM. « Le ministère des Affaires Etrangères tient à informer l’opinion qu’à l’occasion la 45e réunion des Chefs d’Etat et de gouvernement de la Communauté caribéenne (CARICOM), qui s’est tenue à Trinité-et-Tobago, du 3 au 5 juillet 2023, le Premier ministre Dr. Ariel HENRY a uniquement constaté qu’Haïti n’est pas en mesure de répondre dans l’immédiat, à toutes les conditionnalités contenues dans les Traités en ce qui a trait à la libre circulation des personnes. À aucun moment, le Premier ministre n’a demandé d’exclure notre pays des dispositions concernant cette facilité. Depuis sa prise de fonction, le gouvernement s’est efforcé de renforcer les liens de notre pays avec la CARICOM. Le Premier ministre a insufflé une nouvelle dynamique pour une plus forte intégration d’Haïti au sein de cette institution. Sur un total de vingt-six (26) instruments juridiques de la CARICOM, Haïti a adhéré à seulement douze (12), dont six (6) attendent d’être ratifiés par le Parlement avant leur entrée en vigueur. Il faut souligner que sept (7) de ces instruments ont été déposés par le gouvernement actuel. Il nous incombe de poursuivre dans la même voie, afin que dans un avenir proche, notre pays soit en mesure de satisfaire à toutes les exigences prévues pour intégrer le Marché et l’Économie Uniques de la CARICOM (Caribbean Single Market and Economy « CSME »). »

La polémique étant passée, très vite la politique a repris sa place.

Rencontre de la CARICOM avec les membres du Haut Conseil de la Transition (HCT)

Dans la foulée du Sommet de Trinidad-et-Tobago, on avait appris qu’une délégation de haut niveau dite Groupe de Personnalités Eminentes de la CARICOM (EPG) composée de trois anciens Premier ministre de la CARICOM : Perry Christie pour les Bahamas, Kenny Anthony pour Sainte-Lucie et Bruce Golding pour la Jamaïque, et accompagnée de l’ambassadeur Colin Granderson, un personnage que les Haïtiens connaissent bien. Celui-ci fut durant les années 90 l’un des hommes clés qui ont conduit des négociations entre le Président Jean-Bertrand Aristide exilé à l’époque à Washington, les autorités putschistes de Port-au-Prince, mené par le général félon Raoul Cédras et enfin le gouvernement américain. La délégation de la CARICOM est arrivée en Haïti le 12 juillet, elle devait y séjourner jusqu’au 15, toujours avec la même mission : trouver un Accord entre les différentes entités impliquées dans la crise politique de l’après Jovenel Moïse, comme on le sait, assassiné le 7 juillet 2021.

Ces envoyés spéciaux de l’organisation régionale entendaient porter les signataires de l’Accord du 21 décembre qui soutiennent le Premier ministre de la Transition à rejoindre ou vice-versa les signataires du document intitulé : Déclaration conjointe de la Jamaïque afin de former un gouvernement d’Union nationale et d’intégrer le Haut Conseil de la Transition (HCT) pour mettre un frein au calvaire de la population qui paie, somme toute, les frais d’une crise politique dont il n’est nullement responsable et où l’égo, la mauvaise foi des uns et des autres empêchent toute solution et imposent, de fait, un blocage du pays. Chacun des groupes antagonistes voudrait garder sa philosophie et sa méthodologie sur la manière de sortir de la crise.

Après l’échec de la Jamaïque, la CARICOM reprenait donc ses bâtons de pèlerin en venant jusqu’à Port-au-Prince pour rencontrer tout le monde, en tout cas, tous ceux qui comptent et qui animent la crise et cette autre Transition politique qui transforme la vie des Haïtiens en cauchemar avec l’incapacité des dirigeants à trouver des solutions. En revenant à la charge dans ce dossier, la CARICOM, à travers ces trois anciens chefs de gouvernement dont elle adjoint un ambassadeur rompu dans l’art des négociations compliquées, pensait faire mieux que le grand show organisé un mois plus tôt de l’autre côté du Canal de la Jamaïque. Mais, là encore, ces émissaires étaient rentrés bredouilles dans leur pays respectif. Aucun résultat notable n’avait été obtenu. Les protagonistes n’ont rien voulu lâcher après trois jours de discussion, de palabres et de pourparlers. Jamais les membres de la délégation n’ont pu trouver un espace favorable à la négociation.

Pourtant, l’équipe de la CARICOM avait rencontré le Premier ministre Ariel Henry et ses principaux ministres, la Présidente du HCT, Mme. Mirlande H. Manigat et les autres membres du Haut Conseil de la Transition (HCT), les signataires de tous les Accords, ceux du 21 décembre, de Montana, du Compromis historique, de la Déclaration conjointe de la Jamaïque, de la Société civile, du Secteur d’affaires, des spécialistes ou experts en sécurité, des défenseurs des droits humains. Selon les dires de la délégation, même des groupes sociaux qui ne représentent pas grand chose dans le conflit, donc marginaux, etc. avaient été reçus, mais personne, vraiment personne, n’était prête à céder la moindre virgule de sa vision sur la Transition post-Jovenel. Devant une telle intransigeance des acteurs, les émissaires Perry Christie, Kenny Anthony, Bruce Golding et Colin Granderson ont dû jeter l’éponge sans pour autant donner le sentiment que la partie était perdue.

Ils avaient préconisé que « Les discussions entre les différents groupes qui ont eu lieu depuis la réunion de la Jamaïque se poursuivent afin de réduire les divergences entre les protagonistes. Mettre en place un mécanisme permettant d’avancer compte tenu des difficultés inhérentes aux négociations impliquant un grand nombre de protagonistes. L’objectif a été atteint dans une certaine mesure. Le principe de réduire le groupe de négociation des représentants du gouvernement, de l’opposition et de la Société civile à une taille gérable a été plus ou moins accepté, en attendant le résultat des consultations internes par l’un des trois groupes sur un projet de protocole de processus révisé ». Après ce constat d’échec, les envoyés spéciaux avaient repris le chemin du retour avec un esprit en tête : les Haïtiens sont vraiment obtus et têtus.

(A suivre)

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