Cri d’angoisse !

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Cathédrale de Port-au-Prince. Haïti s'enfonce plus profondément de jour en jour dans un gouffre de médiocrité et de honte…

Port-au-Prince, la capitale de la république d’Haïti, fut le théâtre, au cours de la semaine du 18 au 24 septembre dernier, de multiples et violents actes de protestation, caractérisés par le pillage et l’incendie de certaines possessions immobilières de personnes fortunées menés par le peuple; corollaire illustratif des années de frustration et d’humiliation qu’il supporte, désireux d’avoir de meilleures conditions de vie: le droit à l’éducation, à un emploi convenable, et de bénéficier d’infrastructures pouvant garantir un logement décent et un système de santé acceptable. Comme d’habitude, en réponse à ces actions, de nombreuses propositions intéressées ont émané de certains secteurs qui veulent tirer profit de cette situation chaotique, proposant des formules miraculeuses, surtout de nature cosmétique, pour résoudre les maux.

Haïti s’enfonce plus profondément de jour en jour dans un gouffre de médiocrité et de honte, où différents acteurs utilisent des ruses insolites et les moyens les plus malhonnêtes pour continuer à escroquer le peuple. Les dirigeants haïtiens manquent de toute légitimité et, néanmoins, bénéficient de la complicité, y compris de l’appui, de l’Administration nord-américaine et des pays comme le Canada et  la France. Ils affichent une dépendance servile  vis à vis de ces pays, une génuflexion choquante et scandaleuse et ne montrent pas la moindre inquiétude pour le sort de la population ou pour essayer d’ améliorer le sanglant panorama national, puisqu’ils n’ont d’autres visées que de se perpétuer au pouvoir et de continuer à jouir des privilèges inhérents aux postes qu’ils occupent, afin de dilapider encore plus les caisses publiques ; une bourgeoisie prédatrice composée de véritables vautours qui ne donnent preuve d’ aucune empathie, ni d’ un iota de pitié envers leurs semblables, avides d’un avenir prometteur. Le pire, c’ est que le pays se trouve entre les mains de gangs criminels qui organisent des extorsions, des enlèvements, des agressions sexuelles et des crimes de différente  nature; des faits qui engendrent une atmosphère de peur indescriptible. Et ce qui est nauséabond, c’est la promiscuité évidente qui existe entre le pouvoir et le cartel des gangs.

Dans ce contexte morose qu’offre le pays, il est courant d’entendre certains évoquer « l’efficacité » de la dictature des Duvalier, alléguant que, malgré sa cruauté, elle apporta une ère d’ordre et de paix au pays. D’une certaine manière, cette opinion est compréhensible, compte tenu de la détérioration progressive du pays, mais je ne la partage pas. Ce raisonnement est-il éthique et esthétique ? N’est-ce pas une offense claire et solennelle au grand nombre de victimes et aux proches de ceux qui ont enduré divers abus ou crimes pendant cette période de “paix trompeuse”, bâtie sur l’assassinat de plus de 30 000 personnes ? Indépendamment des singularités qui les caractérisent, la dictature des Duvalier était un gang, une pieuvre aux nombreuses tentacules noyant le pays, avec l’appui des redoutables Tontons-Macoutes, la milice du régime, alors qu’Haïti se trouve aujourd’hui sous le joug de diverses organisations mafieuses qui sèment la terreur et se partagent le territoire, provoquant chacune de ces étapes des tristesses incommensurables et des souffrances glaçantes.

Je n’ai pas choisi le titre au hasard, c’est le reflet fidèle de mon état d’esprit. Sporadiquement, à mon trouble psychique, au nœud dans la gorge, à mon “cœur serré” comme on dit dans la langue maternelle de mon pays, Haïti, s’ajoutent quelques symptômes physiques qui sont connus sous l’appellation d’anxiété. Ceux qui se consacrent à la santé mentale, c’est-à-dire à la psychiatrie et à la psychologie, ou certains qui ont subi cette sensation désagréable qui compresse notre thorax, un pic dans la poitrine qui s’accompagne généralement de dyspnée et de tachycardie, sauront de quoi je parle. L’étiologie ou la cause fondamentale de mon angoisse est étroitement liée à la dégradation galopante de mon pays qui se dirige vers sa désintégration physique et la disparition du peuple en tant que tel. Cette situation me ronge et je n’arrive pas à la contrôler, malgré mes efforts pour échapper à ses griffes.

Je crains que certains puissent qualifier ma préoccupation de ridicule et même me reprocher un manque de résilience pour éprouver tant de chagrin et de tourment pour ce coin de terre qui, selon eux, n’en vaut plus la peine, étant chaque jour plus dévalorisé et boueux, mais je m’en soucie peu ; ce sont mes sentiments envers le pays où je suis né et auquel je me sens toujours lié en dépit de son état d’avilissement, et je n’ ai aucune pudeur ou gêne à l’exprimer. Ce sont mes racines et les nier ne m’apporte aucun bénéfice ni tranquillité d’esprit, et essayer de les oublier ne soulage pas mon agitation. Parce que ces souvenirs sont solidement ancrés en moi, images de mon enfance et d’une partie de mon adolescence dans la chaleureuse géographie caribéenne et l’hospitalité familiale, difficiles à effacer et qui représentent « l’essence qui donne du goût à mon existence », pour citer cette phrase poétique d’une chanson du célèbre et talentueux artiste panaméen Rubén Blades.

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Je suis très perdu et ne peux m’empêcher de réfléchir sur les raisons qui ont conduit Haïti à ce puits de décomposition matérielle, culturelle et morale. Qu’est devenue ma patrie ? Je suis déçu, désorienté et partagé entre l’amour que je lui voue et le dégoût ou la haine que je ressens pour les dirigeants et pour l’élite économique, responsables en premier lieu de la ruine du pays. Nous sommes tous coupables de ce dénouement, de cette dérive. Nos traditions, notre éducation, notre culture, sont devenues un vulgaire déchet et ça m’attriste énormément. Que chacun assume sa responsabilité ! Notre inertie, notre passivité, notre confort sont quelques-uns des facteurs qui ont contribué à cette catastrophe.

Haïti est sérieusement délabrée et se trouve plongée depuis plusieurs années dans une profonde crise institutionnelle sans précédent, aggravée en juillet dernier par le magnicide de Jovenel Moïse. Beaucoup de leurs enfants dispersés à travers le monde, accablés par des nouvelles si décourageantes, fatigués de cette situation qui ne laisse pas entrevoir la possibilité d’un changement, marre de tant de hauts et de bas et désespérés devant un problème qui leur cause un malaise intérieur intense, ont pris la décision drastique et douloureuse de lui tourner le dos, car ils n’ arrivent pas à trouver une alternative qui mène à la solution de ce problème complexe.

Mon affliction est plus qu’évidente et je ne peux m’empêcher d’imaginer l’épuisement émotionnel physique et mental des “gens aux mains calleuses, des gens à pied, des gueux“, expressions empruntées de l’afro-colombienne Francia Márquez, vice-présidente du gouvernement récemment installé en Colombie et qui dépeignent adéquatement ceux qui composent la majorité du peuple haïtien, souffrant d’épreuves disparates et de douleurs infinies ; ceux qui luttent sans cesse et inlassablement contre l’exploitation à outrance pour gagner leur pain quotidien, et qui, malgré les difficultés éternelles de leur vie, dérivées des excès et du déshonneur de leurs dirigeants corrompus, sont capables d’esquisser un sourire au milieu de tant de fléaux.

L’ennemi est fort et possède de nombreux ressorts. Unissons-nous et battons-nous pour qu’un jour la devise de notre drapeau bicolore devienne réalité : Liberté, Égalité, Fraternité.

 

Article traduit en français, publié par le journal digital espagnol” El Correo de Andalucía” le 11 octobre dernier.

*Alix Coicou médecin-psychiatre

Séville, 10 décembre 2022

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