Conseil Présidentiel de Transition, histoire d’une création (6)

(6e partie)

1
713
La Secrétaire générale de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), Mme Louise Mushikiwabo

La Communauté internationale, impatiente de boucler cette histoire du Conseil Présidentiel de Transition, s’était précipitée pour réagir de manière positive à la publication du décret portant sur sa création. A tout seigneur, tout honneur ! C’est la CARICOM qui a été la première à apporter son soutien à la publication du faux-vrai décret le vendredi 12 avril 2024. Quelques instants après, c’est Washington qui annonçait avoir ordonné le décaissement de 60 millions de dollars d’aide pour l’achat de matériels destinés à la police haïtienne.

Puis, on enchaine avec un Tweet sur X, anciennement Twitter, du Bureau Intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH) qui croit qu’un grand pas a été franchi avec ce décret portant sur la création du CPT. « Le BINUH continue de suivre de près le processus politique haïtien ayant amené à la publication le 12 avril du décret portant création du Conseil Présidentiel de Transition. 

Nous réaffirmons notre engagement à accompagner les institutions du pays dans leurs efforts pour la restauration des institutions démocratiques » a posté Maria Isabel Salvador, la cheffe de BINUH et Représentante du Secrétaire général de l’ONU en Haïti ce même vendredi 12 avril 2024. Le dimanche 14 avril 2024, c’est la Secrétaire générale de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), Mme Louise Mushikiwabo, qui, dans un communiqué, avait salué, selon elle, l’esprit de concorde et de dépassement de l’ensemble des acteurs haïtiens du processus en vue d’arriver à cette étape cruciale.  « La Secrétaire générale de la Francophonie a salué l’esprit de concorde et de dépassement affiché par l’ensemble des acteurs politiques, de la Société civile et du Secteur privé au bénéfice de l’intérêt supérieur de la Nation, à cette étape sensible de l’évolution politique du pays. Je réaffirme l’engagement de la Francophonie à accompagner aux côtés de ses partenaires internationaux, Haïti, Etat membre fondateur, dans ce processus du retour à la légalité constitutionnelle et à une vie sociopolitique apaisée » peut-on lire dans le communiqué datant du dimanche 14 avril 2024 et portant la signature de sa Secrétaire générale, Mme Louise Mushikiwabo.

Le lendemain, est venu le tour de l’Union européenne  d’associer sa voix à la chorale saluant la coopération du gouvernement démissionnaire en publiant le faux-vrai décret pourtant loin de plaire aux membres du CPT.

Maria Isabel Salvador, la cheffe de BINUH et Représentante du Secrétaire général de l’ONU en Haïti

Dans un communiqué publié le 15 avril 2024, le porte-parole de l’Union européenne indique qu’« Il est désormais crucial que le Conseil Présidentiel de Transition soit formellement nommé par le gouvernement sortant du Premier ministre Ariel Henry sans plus attendre. Cela permettra ensuite la nomination d’un nouveau Premier ministre par ce Conseil. Le pays a besoin urgemment d’une solution haïtienne pour mettre fin au vide politique actuel et faire face à la crise politique, sécuritaire et humanitaire de longue date. Nous appelons toutes les forces politiques haïtiennes à coopérer sincèrement à la réalisation de cet objectif. La nomination du CPT est également nécessaire pour ouvrir la voie au déploiement de la Mission Multinationale de Soutien à la Sécurité, mandatée par la Résolution 2699 du Conseil de Sécurité des Nations-Unies, pour soutenir les efforts de la Police nationale d’Haïti dans sa lutte contre les gangs, restaurer l’État de droit et la sécurité dans le pays, pour finalement aboutir sur des élections démocratiques tenues dans des bonnes conditions ». 

HTML tutorial

Enfin, la quasi totalité des Etats dits amis d’Haïti et pour la plupart se disant prêts à envoyer des troupes en Haïti dans le cadre de la Mission Multinationale d’Appui à la Sécurité en Haïti (MMAS), notamment le Kenya, le Canada, la France et la Jamaïque, ont salué les protagonistes haïtiens pour cette significative décision qui a été prise. Or, malgré ce concert d’encouragement, l’on est toujours en plein cafouillage, controverse et polémique dûs, justement, à la maladresse des autorités assurant l’intérim en attendant la prise de fonction du Conseil Présidentiel de Transition.

Alors que le gouvernement, entendait, en effet, revenir sur le décret qui a été publié et qui, selon lui, n’avait pas eu son feu vert, les parties prenantes de l’Accord et du décret sont vite montés au créneau et ont rejeté catégoriquement le décret du gouvernement intérimaire qui n’est, en réalité, pas le bon, en tout cas, c’est ce qu’avait prétendu le Conseil des ministres qui disait travailler à finaliser le document définitif. Pour toutes les parties prenantes, le gouvernement intérimaire chercherait à saboter tout le processus en modifiant profondément le texte original. Dans une prise de position collective, l’ensemble des organisations dites parties prenantes qui ont mis en œuvre, sous le label de la CARICOM, cette structure devant remplir le rôle de la présidence provisoire de la République, a fait sortir une note publique dans laquelle elles ont notifié les causes et les raisons qui ont conduit à la mise en place de cet exécutif collégial à travers ces neufs membres désignés par les parties prenantes.

Dans un communiqué en date du 13 avril 2024, les parties prenantes se disaient « profondément choquées en prenant connaissance du décret publié le 12 avril 2024 par le gouvernement présidé par le Premier ministre empêché Dr Ariel Henry ». Pour la vérité et pour l’histoire, nous publions intégralement la note de contestation portant les signatures de tous les membres des parties prenantes. « Les représentant.e.s des organisations politiques, économiques, religieuses et de la Société civile, soussignées, parties prenantes du processus politique ayant débouché sur la signature, le 3 avril 2024, avec la facilitation de la CARICOM, de l’Accord pour une Transition Pacifique et Ordonnée, saluent le courage du peuple haïtien victime, particulièrement depuis 34 mois, d’une détérioration sans précédent de la situation sécuritaire, socio-économique et des conditions de vie de la grande majorité de nos concitoyennes et concitoyens.

Ces organisations sont profondément choquées en prenant connaissance du décret publié le 12 avril 2024 par le gouvernement présidé par le Premier ministre empêché le Dr Ariel Henry, et dénoncent l’introduction de modifications majeures qui dénaturent le projet consensuel d’un exécutif bicéphale porté par le Conseil Présidentiel de Transition, consensus patiemment et laborieusement construit entre les Parties Prenantes à partir du 11 mars 2024. Les organisations soussignées, parties prenantes du processus de dialogue dont les résultats ont permis l’entente du 11 mars 2024, contestent la validité du décret du 12 avril 2024 pour les raisons suivantes :

1. Le Premier ministre empêché et son gouvernement démissionnaires ont délibérément choisi de ne pas respecter les engagements auxquels ils ont souscrit, à travers leurs représentants directs regroupés au sein de l’Accord du 21 décembre (cf. correspondance du 1e avril 2024 adressée aux Chefs d’État et de Gouvernement de la CARICOM par les signataires de l’Accord du 21 décembre pour désigner le Dr. Louis Gérald Gilles comme membre du Conseil Présidentiel de Transition).

Le décret nommant les neuf membres du Conseil Présidentiel de Transition a été publié dans le Moniteur du 12 et celui du 16 avril 2024

Les parties prenantes, y compris les représentants de ce Gouvernement, ont désigné leurs représentant.e.s au Conseil Présidentiel de Transition dans les conditions définies conjointement à la réunion du 11 mars 2024.

2. Le Premier ministre empêché et le Gouvernement démissionnaires ont choisi de ne pas publier, ni même mentionner, l’Accord politique du 3 avril 2024 dans le décret du 12 avril portant création du Conseil Présidentiel de Transition et ne pas rendre public Le Moniteur Spécial N° 14-A relatif à l’ « Arrêté nommant les Membres du Conseil Présidentiel de Transition ». Il convient toutefois de rappeler que le Premier ministre Ariel Henry a accédé au pouvoir dans des circonstances d’exception liées à l’assassinat le 7 juillet 2021 du Président Jovenel Moise, à la faveur de trois accords politiques dont deux ont été publiés dans Le Moniteur.

3. Ces circonstances d’exception ont été traduites dans un premier temps dans l’Accord du 11 septembre 2021, publié dans le Moniteur le 17 septembre 2021 pour consolider le pouvoir du Dr Ariel Henry fraichement investi le 22 juillet 2021 par son prédécesseur le Premier ministre a.i Claude Joseph ;

Ces circonstances d’exception ont été traduites dans un second temps dans l’Accord du 21 décembre 2022, publié dans Le Moniteur le 3 janvier 2023, pour étendre le mandat du Premier ministre Ariel Henry jusqu’au 7 février 2024.

4. Après environ 33 mois d’exercice du pouvoir, ces circonstances d’exception se sont aggravées avec « les territoires perdus », les flots de déplacés internes, l’interruption des circuits d’approvisionnement du pays, le dysfonctionnement de l’Administration publique, etc. Tout cela justifie amplement la publication dans Le Moniteur de l’Accord du 3 avril 2024, portant création du Conseil Présidentiel de Transition et la mise en place d’un Gouvernement de sauvetage et d’Union nationale dirigé par un nouveau Premier ministre de consensus, conformément aux engagements pris, en présence de la CARICOM, par ce Gouvernement de facto.

5. Nous devons rappeler qu’en absence des Accords politiques du 11 septembre 2021 et du 21 décembre 2022, aucun membre de l’actuel Cabinet n’aurait été éligible pour être Ministre ou Premier ministre sur la base des dispositions de la Constitution.

6. Les parties prenantes restent attachées au consensus construit à partir du 11 mars 2024. Consensus qui est codifié dans l’Accord pour une Transition pacifique et ordonnée signé le 3 avril 2024 entre différents acteurs, y compris les signataires de l’Accord du 21 décembre 2022. Les parties prenantes soussignées exigent le strict respect des engagements auxquels le gouvernement démissionnaire a souscrit au cours du processus politique conduit par la CARICOM.

Elles demandent que les dispositions soient prises pour publier dans Le Moniteur l’Accord politique et le document portant organisation et fonctionnement du Conseil Présidentiel ; Mettre en relation les Commissions de passation de pouvoirs bipartites ; Installer dans les meilleurs délais le Conseil Présidentiel de Transition dans la forme et la teneur définies dans l’Accord Politique pour une Transition Pacifique et Ordonnée du 3 avril 2024. Ce Communiqué et prise de position commune est signé de : Andrée Magali COMEAU DENIS, Ernst MATHURIN et Jacques Ted ST-DIC pour l’Accord du 30 août 2021 dit Accord de Montana; Saurel JACINTHE et Vikerson GARNIER pour l’Accord du 21 décembre 2022; Raina FORBIN et Pierre Marie Boisson pour les Associations patronales et regroupements d’hommes et de femmes d’affaires haïtiens; Clarens RENOIS et Liné BALTHAZAR pour le Collectif des Partis Politiques du 30 Janvier 2023; Leslie Voltaire pour le parti Fanmi Lavalas; Weesley PIERRE pour le parti Pitit Desalin; Sterline CIVIL et Antoine Rodon Bien-Aimé pour la Plateforme Résistance Démocratique (RED/EDE) et le regroupement politique Compromis Historique; Georges Wilbert FRANCK et Pierre Jean Raymond ANDRE pour le Groupe de la Société civile; René JEAN-JUMEAU et Jean Lucien LIGONDÉ pour le Rassemblement pour une Entente Nationale (REN)/Inter-Foi. »

Après la sortie au vitriole des acteurs des parties prenantes pour le CPT par ce communiqué, le gouvernement démissionnaire a pris rapidement la décision de publier le « vrai décret » dès le mardi 16 avril 2024 dans le journal officiel Le Moniteur, histoire de clore une polémique qui le mettait davantage en difficulté face à l’opinion nationale et surtout devant la Communauté internationale, entre autres, la CARICOM et Washington en particulier. Certes, le projet de décret des parties prenantes a été remanié de fond en comble. D’ailleurs, c’est plus qu’une simple correction, c’est carrément un nouveau texte qui a été publié. Mais, au moins, cela a fait baisser la polémique d’un cran. Surtout, l’opinion publique et les observateurs ne comprenaient pas l’attitude du gouvernement qui a provoqué inutilement un débat sans réels fondements sur la première publication. Très peu de chose, sinon pas du tout, n’a été porté comme correctif par rapport à la publication du 12 avril. Il s’agissait de trois « erreurs matérielles » comme on dit dans le jargon qui ont été corrigées dans la version contestée. Dans l’ensemble, le texte qui a été publié dans Le Moniteur le 12 et celui du 16 avril 2024 ont très peu de différence, sinon aucune sur le fond.

Finalement, dans le décret que le gouvernement démissionnaire considère comme le « VRAI » qui a été publié quatre jours plus tard, il a seulement ajouté ces trois considérants qui, paraît-il, manquaient dans le « faux-vrai » décret du 12 avril. « Considérant que les différents secteurs, parties au Consensus, ont désigné formellement et, en toute connaissance de cause, leurs représentants au Conseil Présidentiel de Transition; ce qui implique qu’ils les ont choisis en prenant le soin de vérifier qu’ils répondent bien aux critères d’éligibilité établis par la Constitution et convenus dans l’entente trouvée le 11 mars 2024 à Kingston, Jamaïque. Considérant qu’une contre vérification par le Conseil des ministres de l’éligibilité des personnes désignées est rendue quasiment impossible, du fait de la non-présentation à date des documents requis ; Considérant que pour accélérer le processus en cours, il y a lieu de nommer les membres du Conseil Présidentiel de Transition, à charge pour ceux-ci de soumettre les pièces requises ultérieurement dans un délai raisonnable et, qu’à défaut de pouvoir le faire, ils seront obligés de se démettre » peut-on lire dans la version finale et officielle du gouvernement. Tout ça pour ça, aurait dit l’autre.

Mais, dans cette circonstance, même si le gouvernement démissionnaire ne pouvait pas ne pas publier le décret nommant les neuf membres du Conseil Présidentiel de Transition (CPT) dans la mesure où il était quasiment placé sous tutelle de Washington par CARICOM interposée, les parties prenantes ont tout de même donné au Conseil des ministres l’opportunité de modifier le projet de décret qu’elles avaient préparé pour la nomination des membres du CPT. Une erreur politique et de mise en œuvre qu’elles ont payée cher, puisque le Conseil des ministres a vidé de sa substance la quasi-totalité de leur décret passant de 45 à 13 articles. Or, selon Me Sonnet Saint Louis, plutôt partisan de la formule du juge de la Cour de cassation, ce n’était pas la peine de soumettre le projet de décret au Conseil des ministres pour être publié. Intervenant dans l’émission Panel Magik du lundi 15 avril 2024, il avait déclaré « Dans une situation de crise sans référence légale et constitutionnelle en terme de gouvernance politique, dans un contexte où le Premier ministre Ariel Henry a annoncé sa démission depuis plus d’un mois, le Conseil Présidentiel de Transition n’avait pas besoin de l’aval du Conseil des ministres pour accéder au pouvoir.

On est dans une situation semblable à celle d’un coup d’État puisque le Premier ministre Ariel Henry est dans une situation de séquestration depuis plus d’un mois. En ce sens, le Conseil Présidentiel de Transition n’a pas besoin d’un décret pour prendre le pouvoir. Il suffit d’investir le Palais et de faire une proclamation. Il n’y a pas de formalité juridique à suivre » avait-il souligné ce 15 avril 2024 sur radio Magik9.

Voilà pour les péripéties de la seule phase de nomination des 9 membres du Conseil Présidentiel Transition. Un processus lent, fastidieux, long et déroutant même, allant du 11 mars au 16 avril 2024, soit plus d’un mois de tractations et psychodrames, avant de passer à la seconde phase qu’est l’investiture en catimini du CPT au Palais national et à la Primature. Elle est suivie de la dernière séance consacrée à l’élection du Président du Conseil, séquence donnant lieu à toute sorte de combine, renoncement, coup bas, revirement et de surprise.

(A suivre)

HTML tutorial

1 COMMENT

LEAVE A REPLY

Please enter your comment!
Please enter your name here