Conseil Présidentiel de Transition, histoire d’une création (2)

(2e partie)

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Le fameux Conseil Présidentiel de Transition (CPT) de neuf membres dont deux à titre d’observateurs et n’ayant pas droit de vote

Pendant que Jean-Charles Moïse, leader du parti Pitit Dessalines, rejoignait avec armes et bagages le projet de la CARICOM en tentant des explications qui ne convainquent personne, la situation politique en Haïti demeure incertaine. Les acteurs se multiplient par quatre pour trouver la solution qui pourrait plaire à la Communauté internationale, particulièrement les Etats-Unis qui pressaient la CARICOM à imposer à la classe politique haïtienne, toute tendance politique confondue, une solution toute faite.

Pour faciliter les choses à la Communauté des Etats de la Caraïbe via la CARICOM, les autorités américaines mettaient la pression sur le Premier ministre Ariel Henry. Pour lui faire peur et l’impressionner, elles l’isolaient sur une base militaire sur la petite île de Porto Rico, d’où elles le forçaient à signer sa reddition et sa démission sans condition le 11 mars 2024.

Le même jour, à quelques kilomètres de là, à la Jamaïque, la CARICOM avait convoqué une rencontre par Zoom l’ensemble des acteurs haïtiens de la crise pour leur signifier l’accord qu’ils avaient toujours refusé de signer après des mois de pourparlers et de multiples va-et-vient dans la capitale haïtienne des émissaires et Envoyés spéciaux de l’organisation régionale. Sauf que, cette fois, la CARICOM avait envoyé un aide-mémoire, sous forme d’ultimatum, dans lequel les dirigeants caribéens imposaient leur point de vue aux acteurs politiques, à la Société civile et au Secteur des affaires haïtien pour être membre du Conseil Présidentiel de Transition. Selon ce redoutable aide-mémoire, tout d’abord, « Il faut renoncer à être candidat aux prochaines élections. Ne pas être sous le coup d’une condamnation ni sous le coup d’un acte d’accusation ou d’inculpation, ni d’une sanction de la Communauté internationale. Enfin, il faut donner son adhésion à la résolution 2699 de l’ONU sur le déploiement de la Mission Multinationale d’Appui à la Sécurité en Haïti (MMAS. »

Toujours dans le document, les Antillais imposent, entre autres, un exécutif bicéphale. Il s’agissait du fameux Conseil Présidentiel de Transition (CPT) de neuf membres dont deux à titre d’observateurs et n’ayant pas droit de vote et naturellement, un Premier ministre. Le 11 mars, depuis Kingston, Jamaïque, les chefs d’Etat et de gouvernements de la Communauté des Etats Caribéens imposaient aussi aux Haïtiens un délai de 48 heures pour que chaque entité envoie le nom de son représentant à la structure devant constituer le nouvel exécutif haïtien. A partir de cette date, ce fut un branle-bas de combat dans la capitale haïtienne pour tous les secteurs concernés, non seulement pour répondre aux directives de la CARICOM, mais aussi pour respecter le délai qu’avaient imposé ses dirigeants pour arriver à constituer le CPT. Dans tout Port-au-Prince, les rencontres et réunions se multiplient. Les smartphones sonnent sans arrêt, les groupes WhatsApp sont au bord de la saturation, ils voulaient tous former des plateformes, de regroupements ou des coalitions plus ou moins compatibles. Il n’y a pas que les chefs de partis politiques qui se mobilisent pour cette opération.

En Haïti, c’est bien connu, le Secteur privé des affaires est aussi un acteur politique, sinon l’un des plus importants du paysage. Il détient les nerfs de la guerre : l’argent. Ce secteur fait et défait les coalitions politiques selon ses intérêts. Mieux, depuis quelque temps, le Secteur privé des affaires, par le truchement du CCIH (Chambre de Commerce et d’Industrie d’Haïti), entend jouer un rôle de premier plan dans la gestion politique directe du pays. Cette nouvelle transition est pour lui l’occasion de jouer à visage découvert. D’ailleurs, depuis la parenthèse Ariel Henry avec le HCT (Haut Conseil de la Transition), un organisme mis en place par Ariel Henry et ses alliés pour faire de la figuration sans réel pouvoir, avec Mirlande H. Manigat à sa tête (la Présidente), le Secteur privé des affaires ou la CCIH avait affirmé sa présence en nommant l’un des leurs parmi les trois membres de cet organisme éphémère en la personne de Laurent Saint-Cyr.

La CARICOM, en créant cette nouvelle structure politique pour prendre la direction du pays  durant la deuxième phase de la transition post-Jovenel Moïse, a permis à ce Secteur de sortir de l’anonymat. Avant la désignation de son représentant au Conseil Présidentiel de Transition, la CCIH avait publié un Communiqué le mardi 12 mars 2024 qui laissait apparaître son inquiétude par le fait qu’elle n’avait pas encore été contactée par les instances de la CARICOM. « La Chambre de Commerce et d’Industrie d’Haïti (CCIH) a informé, en tant qu’instance représentative du Secteur privé des affaires en Haïti dans son ensemble, qu’elle n’a pas été contactée par les acteurs impliqués dans la recherche de solution. Elle rappelle que la contribution du Secteur privé est essentielle pour restaurer la stabilité économique et sociale au pays. La CCIH reste attentive au développement de la situation et espère une résolution rapide et pacifique de la crise. Elle demeure convaincue qu’une issue favorable profitera à l’ensemble des acteurs et de la population haïtienne.

La CCIH réaffirme son engagement envers le développement économique et la prospérité d’Haïti, et reste prête à apporter son soutien à tout processus visant à ramener la paix et la stabilité en Haïti » disaient les dirigeants de la CCIH qui s’étaient inquiétés finalement pour rien. Puisqu’elle a été vite intégrée dans le processus. Profitant, justement, de l’opportunité qu’on lui a offerte, le Secteur privé des affaires a tout logiquement nommé celui qui est devenu son porte drapeau et son visage public et politique, Laurent Saint-Cyr, parmi les 9 membres du Conseil Présidentiel de Transition avec, évidemment, le droit de vote. Ce secteur est composé, outre de personnalités indépendantes, de l’Association des Industries Haïtiennes (ADIH), de toutes les Chambres de Commerce et d’Industrie départementales, notamment la Chambre de Commerce et d’Industrie de l’Ouest (CCIO), la Chambre de Commerce Haïtiano-américaine (AmCham), de l’Association du Tourisme d’Haïti (ATH), de la Chambre Franco-Haïtienne de Commerce et d’Industrie (CFHCI) et de la Chambre de Commerce et d’Industrie Haïtiano-Canadienne (CCIHC), etc.

La Société civile haïtienne proprement dite aussi n’est pas en reste. Devenue partie prenante dans la vie politique active haïtienne, cette entité, constituée de multiples tendances et qu’on a vue depuis des années à l’œuvre, notamment dans le dossier PetroCaribe, est devenue un acteur important quasi incontournable de la vie politique du pays. Pour la circonstance, elle avait formé un bloc dénommé « Groupe de la Société civile » réunissant une multitude d’associations, de syndicats et de personnalités engagées. Après maints négociations, conciliabules, discussions, atermoiements et revirements, comme pour les organisations politiques, cette partie de la Société civile avait choisi, dans un premier temps, le citoyen Pierre Jean Raymond André pour être son représentant au CPT en tant que membre observateur, c’est-à-dire, n’ayant pas droit de vote, selon ce qu’a spécifié l’aide-mémoire de la CARICOM. « Le Groupe de la Société civile partie aux discussions sous les auspices de la CARICOM a fait de Pierre Jean Raymond André son représentant comme membre observateur au sein du Conseil Présidentiel », avait annoncé cette entité.

Celui-ci est le Coordonnateur général de la Coordination des Organisations de la Diaspora Haïtienne (COODAH). Mais, très vite, cette affaire de Conseil Présidentiel de Transition s’était tournée, à quelques exceptions, en psychodrame pour toutes les parties prenantes de la transition. Finalement, c’est le Révérend pasteur Frinel Joseph, ancien membre du Conseil  Electoral Provisoire (CEP) qui a été retenu pour être membre du Conseil au nom du « Groupe de la Société civile haïtienne ». Ensuite, c’était le tour de l’autre entité de la Société civile, celle regroupant le Secteur inter-religieux, notamment, l’église catholique, les cultes réformés, les Vodouisants, etc. et une partie de la diaspora de présenter, sous l’appellation de REN (Rassemblement pour une Entente Nationale et Souveraine), un membre au Conseil en tant qu’observateur sans droit de vote. Presqu’à l’unanimité, les responsables de REN avaient désigné René Jean-Jumeau, un ancien ministre Délégué, à la sécurité énergétique sous la présidence de Michel Martelly, pour être leur voix au sein du nouvel exécutif de la transition.

L’intéressé savait le rôle qu’il devrait jouer et quel était son statut dans le CPT. Curieusement, après quelques jours et après maintes discussions avec les autres membres du Conseil pour savoir s’il pouvait avoir le droit de vote, devant leur refus, René Jean-Jumeau a brutalement démissionné du Conseil Présidentiel qui était en cours de formation. Là aussi, dans la précipitation, ce groupe de la Société civile a dû chercher quelqu’un d’autre pour remplacer l’étourdi René Jean-Jumeau qui, parait-il, n’avait rien compris dans le film. Toutefois, avant de partir, celui-ci a écrit à ses ex-collègues du Conseil pour expliquer sa position. « Depuis le début, j’ai toujours exprimé clairement ma position, tant au sein du REN que lors des discussions au Conseil, ainsi qu’en dialogue avec les médiateurs internationaux. Malgré cela, face au travail à accomplir dans le cadre de la préparation des nombreux documents et outils nécessaires à la mise en place d’un processus capable de servir valablement la population, mon engagement et mon dévouement ont toujours été totaux, et je n’ai jamais cherché à entraver le processus, travaillant avec vous presque sans arrêt de jour en jour.

Mon intention n’a jamais été d’exclure qui que ce soit, mais plutôt de plaider pour que le REN joue un rôle actif, au nom et au bénéfice des membres les plus nombreux et les plus vulnérables de notre population. Je regrette sincèrement de devoir désister du rôle qui a été proposé au regroupement Rassemblement pour une Entente Nationale (REN) en tant qu’observateur au sein du Conseil. Je suis pleinement conscient de la valeur de cette position, cependant, dans le contexte actuel, j’estime qu’il est préférable pour moi de ne pas accepter ce rôle. Pour l’humble adepte de la technique que je suis, la nécessité d’action concrète est trop forte pour rester, impuissant, dans la posture de spectateur. Le REN aura certainement soin de désigner un représentant mieux adapté à ce rôle » laissait entendre l’impétrant dans un courrier expédié aux membres du CPT. Après le désistement de l’ancien ministre, le REN a immédiatement désigné cette fois-ci une femme, Mme Régine Abraham, qui, d’ailleurs, va sauver l’honneur, puisqu’elle sera la seule présence féminine parmi les huit autres membres du Conseil Présidentiel de Transition.

Si la guerre entre les divers groupes qui composent ces trois grands secteurs de la vie nationale – Secteur privé des affaires, Société civile et Secteur Interreligieux – a été moindre, tel n’était pas le cas pour les partis et autres plateformes politiques. En effet, pour arriver à la fameuse liste finale, le pays a assisté à de véritables luttes fratricides ressemblant pour certaines à de vrais combats de coq. Certains partis s’étaient livrés à une véritable guerre des tranchées tant l’ambition des uns et des autres ne laissait aucune place au compromis. L’exercice fut beaucoup plus laborieux de ce qu’attendaient les Haïtiens pour les regroupements politiques même si, dans sa grande majorité, très peu portaient une attention à ce qui se passait durant ce processus bien qu’ils avaient contribué à renverser le Premier ministre Ariel Henry en paralysant le pays durant plus d’un mois.

Une mobilisation qui avait facilité le blocus du pays par les groupes armés et provoqué l’exil involontaire du chef de la première transition. Néanmoins, les Haïtiens ne s’attendaient pas à ce que la succession et le processus pour placer un exécutif à la tête du pays prendrait un temps si long. Si pour un regroupement politique, comme l’Accord du 30 août dit l’Accord de Montana, l’affaire a été plus simple, vu que depuis plus d’une année leurs responsables avaient élu leur « Président » de la transition, Fritz Alphonse Jean, accompagné même d’un « Premier ministre » en la personne de l’ex-sénateur Steven Benoit, on ne peut dire autant pour les autres. En effet, les dirigeants de l’Accord de Montana n’avaient aucun problème pour désigner leur représentant au CPT. C’est tout naturellement qu’ils ont envoyé l’ancien Gouverneur de la Banque Centrale (BRH) siéger au sein de l’exécutif mis en place par la CARICOM. Personne ne s’est opposé à ce choix plus que logique. Sans aucune difficulté donc, les dirigeants de l’Accord de Montana avaient désigné Fritz Alphonse Jean comme membre du Conseil Présidentiel de Transition.

Jusqu’à la désignation du Président du Conseil, le mardi 30 avril 2024, il n’a jamais eu la moindre friction entre ce groupe et son Président-représentant au sein du CPT, en tout cas publiquement. Pourtant, l’Accord de Montana, ce ne sont pas moins de 86 Partis ou plateformes politiques, 106 organisations de base ou locales, 431 acteurs de la Société civile et 326 personnalités indépendantes et engagées qui le composent depuis le 30 août 2021. Cela a été pareil pour le seul parti politique qui joue souvent en solo dans cette transition, même si, de temps en temps, il tentait de se rapprocher de quelques Accords pour vite se retirer ensuite. C’est le cas du parti Fanmi lavalas de l’ancien Président Jean-Bertrand Aristide et du Dr Maryse Narcisse. Depuis toujours, dans pratiquement toutes les coalitions, accord ou autres regroupements dans lesquels il a fait une apparition, c’est l’architecte Lesly Voltaire qui a toujours été envoyé en éclaireur. Pour le processus devant conduire à la formation du Conseil Présidentiel de Transition, le parti Fanmi lavalas demeura cohérent avec lui-même.

Logiquement, c’est Lesly Voltaire qu’il a envoyé pour le représenter dans cette structure exécutive mise en place par la Communauté internationale sous la houlette de la CARICOM. Incontestable et incontesté, Lesly Voltaire, ancien ministre de l’Education nationale, ayant le soutien sans faille de son mentor Titid et l’appui de Joël Vorbe dit Pacha, un des piliers de ce parti très radical sur sa position mais parfois un peu déroutant vu sa stratégie solitaire depuis sa fondation, l’avait, dès le départ, pris très au sérieux son rôle de Conseiller Présidentiel. Bien avant l’installation et la nomination d’Edgard Leblanc Fils en tant que Coordonnateur du CPT, c’est le représentant de Lavalas qui assurait la visibilité du CPT et prenait même la parole en son nom. Visite guidée du Palais national, la question de sécurité, vérification de la faisabilité ou non de l’installation à la Villa d’Accueil ou au Palais national en compagnie de l’ex-colonel Himmler Rébu du GREH qui, lui aussi, a fait un virage assez spectaculaire compte tenu de sa position initiale sur le Conseil Présidentiel de Transition.

D’entrée de jeu, Lesly Voltaire se voyait même comme le futur Président du CPT. D’ailleurs, en tant que représentant du Parti Fanmi lavalas, il a été l’un des premiers à contester la majorité qui s’était constituée et ayant favorisé l’élection ou la nomination de l’ancien sénateur Edgard Leblanc Fils à la tête du Conseil Présidentiel de Transition avant que cette majorité, sous la pression des minoritaires qui menaçaient de faire écrouler l’édifice, accepte un nouveau compromis qui a été trouvé sur ce qu’ils appellent maintenant : la présidence tournante. En clair, si tout va bien jusque-là, après le désistement de Fritz Alphonse Jean au profit de Smith Augustin, en deux ans, Haïti connaitra quatre Présidents pour diriger la Transition probablement sous l’occupation militaire américaine via la Mission Multinationale d’Appui à la Sécurité en Haïti (MMAS) dont l’arrivée s’annonce pour la fin du mois de mai.

(A suivre)

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