Chine: la stabilité à tout prix (4)

Quatrième partie

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Le Tulou Tianluokeng, un parmi des dizaines de ces plus anciens immeubles d'habitation au monde, construits au 14ème siècle par le peuple Hakka pour se protéger contre de nombreux abus et génocides. Photo par Alexandra Panaguli.

Après la ville côtière de Xiamen nous avons continué notre zig-zag et sommes retournés à la campagne, environ quatre heures à l’intérieur des terres en train. Nous sommes arrivés tard le soir à la petite gare de Yongding, mais pas petite la ville. En repartant nous nous sommes promenés un peu dans les alentours en attendant le train, et avons été, une fois de plus, fêtés par les locaux. Pas de temps pour cela à l’arrivée, un homme attendait à une table près de la sortie de la gare. Il avait une carte de la région et louait des chambres dans un tulou, négocié à 14 dollars la nuit. Il pouvait même nous emmener dans sa fourgonnette, 120 yuans pour 45 km à travers une zone boisée. Il faisait nuit noire et il s’endormait, se déviait vers la voie opposée, sortant de la route dans les courbes, écrasant un petit animal. Heureusement il n’y avait pas du tout de circulation vers 23 heures, et nous sommes arrivés sains et saufs dans un endroit charmant et calme, près d’une petite rivière (vue le matin).

Il est temps d’expliquer ce qu’est un tulou. Ce sont les plus anciens immeubles d’habitation au monde, construits par le peuple Hakka – les Chinois Han – qui ont émigré vers le sud déjà au 3ème siècle avant notre ère en provenance du fleuve Jaune (celui qui traverse Lanzhou, où nous sommes montés à bord du train pour Nanjing), soumis à de nombreux abus et génocides. Ils ont construit ces grands édifices comme protection, avec une seule entrée et pas de fenêtres de bas niveau. Le premier tulou date du 14ème siècle, des rangées de petits appartements, des dizaines de chambres disposées sur 2 ou 3 étages. Ces bâtiments sont faits de terre battue, de briques de boue renforcée de gravier, de morceaux de bambous, de bois, bref de tout matériel naturel, et ils ont l’air très, très stables (en 1934, on dit que l’un d’eux a résisté aux coups de canon lequels ont fait seulement des bosses dans le mur!) La plupart sont ronds mais certains sont rectangulaires, et ils ont une salle ancestrale au milieu. Pas étonnant qu’is soient repris dans le patrimoine mondial de l’Unesco.

LES tulouS:  les plus anciens immeubles d’habitation au monde

La prochaine merveille – également de l’Unesco – était le parc forestier national de Zhangjiajie. Il nous a fait tourner la tête, au sens littéral car il faut regarder droit vers le ciel pour capturer toute la hauteur de ces énormes (tout est énorme en Chine , le Tulou, la foule, les distances, et maintenant ces roches) et minces tours de granit en quartz-grès, coiffées d’arbres et de végétation, s’élevant élégamment dans les airs.

Un téléphérique nous a emmenés au sommet de ces tours, et après la visite nous sommes redescendus sur terre par le “Hundred Dragons Elevator” (Bailong), reconnu par le Guinness Records comme l’ascenseur extérieur le plus haut, le plus rapide et avec le plus de capacité (50 passagers) au monde. Construit en 2002, il a fallu 66 secondes pour descendre 335 mètres.

Les minces et très hautes tours de granit en quartz-grès, coiffées d’arbres et de végétation, du parc forestier national de Zhangjiaje. Ayant servi d’inspiration au film Avatar. Photo par Alexandra Panaguli.

Le paysage étonnant suivant était la célèbre Tiger Leaping Gorge sur la rivière Jinsha. Nous avons descendu le très raide chemin rocheux pendant une heure jusqu’au-dessus des eaux boueuses qui se précipitaient au milieu de gros rochers vers le puissant Yangtze, dont il s’agit en fait simplement de la partie supérieure.

Nous venions de voir un autre endroit féérique, cette fois bâti par les hommes: le Petit Potala, un grand complexe de monastères tibétains – le Ganden Sumtseling Gompa – se reflétant sur le calme petit lac Lamuyangcuo, qui veut dire L’Âme du Ciel en tibétain. Pas étonnant que les Chinois s’en soient inspirés en renommant en 2001 la ville voisine de Zhongdian en Shangri-la pour attirer les visiteurs. Qu’aurait dit James Hilton, l’auteur du roman L’horizon perdu qui décrivait en 1933 un paradis terrestre avec une lamaserie dans l’Himalaya. En fait, Zhongdian ou Shangri-la est la dernière destination où un étranger est autorisé à aller. La ville suivante, Deqen, est à 5 heures au nord en bus, et au-delà c’est le Tibet.

Une décennie plus tard, en 2010, c’est au tour des piliers de grès quartzeux du parc Zhangjiajie, d’être renommés de Colonnes du Ciel Méridional en “Montagne Avatar Hallelujah”, soi-disant le lieu d’inspiration du film de science-fiction Avatar, à nouveau dans un but touristique.

Le dernier paysage inoubliable était juste avant d’entrer au Laos, les fameuses rizières en terrasses de Yuanyang à l’autre extrémité de cette province du Yunnan jouxtant le Tibet, le Myanmar, le Laos et le Vietnam. Il y en avait des centaines sinon des milliers, le long de collines escarpées parsemées de villages et bourgades. Des femmes de la tribu Hani avec leur coiffe bleue et des hommes travaillaient dans la boue, préparaient les terrasses, nettoyaient les canaux d’eau, consolidaient les talus.

Le dernier jour, nous avons d’abord été déçus car une forte brume enveloppait tout le paysage, mais rapidement le ciel a commencé à s’entre-ouvrir et a permis des prises de vue très artistiques, décrivant exactement ce que Kazantzakis avait ressenti: «Ici en Chine le rythme est patient et profond; il ne se presse pas: il agit comme immortel. Il sait que les mouvements rapides et nerveux sont éphémères et ne s’accordent pas au sérieux et à l’éternité de la Terre».

C’est peut-être pour cela que la femme de la gare routière de Lijiang a mis si longtemps à me dire où faire la file.

4 octobre 2019

Les Chinois ne sont pas seuls à persécuter les Musulmans. À partir d’août l’armée indienne sous le nationaliste Modi, a occupé et totalement isolé le Cachemire musulman après avoir décidé de dépouiller le territoire de son statut constitutionnel spécial, c’est-à-dire de son autonomie. Les plans futurs sont d’amener des colons indiens pour modifier la démographie, tout comme les Juifs font avec leurs colonies en Palestine et les Chinois dans le Xinjiang. En fait, un territoire dans le nord du Cachemire, Aksai Chin (inhabité, à haute altitude), est l’un des de nombreux conflits frontaliers que les Indiens ont avec leur voisin, en l’occurrence le Xinjiang musulman chinois. Il y a même eu la guerre en 1962.

Contrairement à la répression ouïghoure, personne n’a protesté contre l’invasion indienne au Cachemire, pas même les pays arabes du Golfe qui accueillent sept millions de professionnels indiens et font un important commerce avec l’Inde – 50 milliards de dollars en 2018 rien qu’avec les Émirats Arabes Unis – et qui se méfient des appels à l’autonomie et la détermination et droits des peuples.

Contrairement à la répression ouïghoure, personne n’a protesté contre l’invasion indienne au Cachemire

Avec une exception notable. Aujourd’hui, le Premier ministre malaisien de 94 ans, Mahathir Mohamad, a profité de son temps à l’Assemblée générale des Nations Unies pour protester contre la récente invasion du Cachemire, appelant à une solution pacifique, faisant honte au silence des Européens et des pays arabes.

Cela a provoqué une tempête de protestations indiennes appelant au boycott de la Malaisie et une contre-tempête de Malaisiens appelant au boycott de l’Inde – un homme a écrit sur Twitter @eryazmi

#BoycottMalaysia. Vous chiez dans la rue. Violez collectivement des femmes et des enfants. Soutenez le mariage des enfants. Islamophobes. Cela devrait être #BoycottIndia.

Les Indiens sont en effet parmi les plus sales que nous ayons connus, et leurs fonctionnaires sont les pires. Au moins les Chinois ont créé une société organisée et propre avec un système productif et fonctionnel dans un pays de près de 2 milliards de citoyens, pas des moindres exploits. Une véritable superpuissance, ce qui n’est pas le cas de l’Inde.

Autre nouvelle aujourd’hui, les Occidentaux sont totalement manipulés par leur propagande officielle et commerciale, et manquent complètement de conscience politique. En Europe, seuls les Grecs – comparativement les moins endoctrinés et les plus politiquement conscients – ont une opinion majoritairement favorable de la Chine (51%  de vues favorables), tandis que le reste du peloton a des majorités défavorables, et nous ne parlons même pas des Britanniques (55% de vues défavorables) et des Etatsuniens (60% de vues défavorables). Mentionnant que le Japon a l’opinion la plus défavorable de la Chine, 85%. Eux qui ont envahi la Mandchourie en 1932 et massacré jusqu’à 300 000 civils dans le célèbre viol de Nankin en 1937!

Un bon signe pour la future coopération et l’autonomisation de l’Asie, les Russes ont le taux d’approbation le plus élevé de la Chine: 71%. Mais la Russie aussi est perçue négativement par les Occidentaux désinformés, en particulier les Européens qui, au lieu de collaborer – militairement et commercialement – avec les Russes sur leur propre continent, suivent docilement les États-Unis dans leur pulsion hégémonique.

Et oubliez l’URSS, le Parlement européen vient (le 19 septembre) d’interdire l’utilisation des symboles fascistes ET communistes! Pourtant, juste après la guerre, en 1945, lorsque le sondage d’opinion français IFOP a demandé aux citoyens quelle nation, selon eux, avait le plus contribué à vaincre l’Allemagne nazie, «57% considéraient l’Union soviétique comme l’acteur décisif, contre 20% pour les États-Unis. et 12 pour cent pour la Grande-Bretagne. Pourtant, lorsque l’IFOP a mené la même enquête en 1994, après l’effondrement de l’URSS, elle a constaté que les perceptions avaient radicalement changé. Cinq décennies plus tard, seulement 25% pensaient que l’URSS avait le plus contribué à la cause alliée, contre 49% pour les États-Unis et 16% pour la Grande-Bretagne». Le résultat de la propagande politique et culturelle.

Mais ces symboles communistes ne dérangent pas les plus de 500 entreprises allemandes qui font des affaires avec la Chine ou y sont installés, et qui tentent de vendre leurs produits, à commencer par Volkswagen et Mercedes, maintenant le chômage européen à un niveau bas grâce à la Chine.

15 octobre 2019

Les Etats-Unis se réveillent. “Il y a un problème beaucoup plus important qui se joue derrière la guerre commerciale étatsuno-chinoise”, titre Adriana Belmonte, rédactrice en chef de Yahoo Finance. Mais elle présente la Chine sous un mauvais jour, citant un économiste basé à Londres, Neil Shearing: «La montée rapide de la Chine commence à déstabiliser l’ordre mondial». Puis il se corrige un peu: «des aspects de l’économie mondiale commencent à se diviser en sphères dirigées par les États-Unis et la Chine. Il suffit de dire que, même si cela se déroulera sur plusieurs années et décennies plutôt que sur des mois et des trimestres, cela risque de causer des dommages à l’économie mondiale beaucoup plus importants que le différend commercial actuel», c’est-à-dire des dommages permanents à la soi-disant suprématie actuelle des Etats-Unis.

Avec un inculte comme Trump à la barre, cela pourrait se matérialiser beaucoup plus tôt car les médias citent également le candidat démocrate à la présidentielle Pete Buttigieg qui pense que “la Chine représente un défi plus que n’importe lequel de mes collègues démocrates” et que “l’approche du président [n’a] aucun sens, car ce n’est pas une stratégie. Il ne fait que taquiner le gars [la Chine] pour voir ce qui va se passer. De plus, il a essentiellement réduit la relation étatsuno-chinoise à la question de savoir qui vend le plus de lave-vaisselles“.

Ces médias et politiciens occidentaux contribuent, ou plus précisément, se font l’écho de la diabolisation de la Chine. Dans la conclusion intéressante de sa Chronique du choc des civilisations (2011), le théoricien de politique internationale et homme politique français de droite (il est membre du Parlement européen) Aymeric Chauprade, écrit que la Chine est rendue «chaque jour plus inquiétante dans les consciences occidentales».

Les médias occidentaux se font l’écho de la diabolisation de la Chine

Revenant aux opinions publiques vis-à-vis de l’Empire jaune, en plus de la Grèce les pays africains et latino-américains ont eux aussi des majorités avec une opinion favorable de la Chine. Dans une étude de 2018 du Conseil français des investisseurs en Afrique, “81% des 1244 leaders d’opinion africains interrogés ont placé la Chine à la première place des partenaires bénéfiques à l’Afrique. 53% seulement ont désigné la France”, et 60% les Etats-Unis d’Amérique.

La même sympathie de l’Afrique a propulsé un Chinois – Qu Dongyu – à la tête de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) avec 108 voix en juin 2019, devant le favori de l’Union Européenne.

Rien de nouveau, les Français parlaient du «péril jaune» déjà en 1895. Et en 1904, l’écrivain spirituel français Austin de Croze notait: « On craint que les Japonais fusionnent avec les Chinois, les modernisent, en fassent des ‘citoyens’ et ne deviennent ainsi la première puissance du monde”.

Le sociologue Jacques Novicow discernait, toujours en 1904, que le vrai danger se situait sur le plan économique et non militaire: “le péril jaune vient surtout de l’ouvrier chinois qui se contente de cinq sous”. Novicow était moitié russe, moitié grec, et cosmopolite. Né à Constantinople en 1849, professeur à Odessa, en faveur d’une fédération européenne, défenseur du français contre l’anglais comme langue internationale, un des premiers théoriciens anti-guerre, et l’auteur de L’émancipation des femmes, un caractère intéressant.

Un quart de siècle plus tard, Malraux ressentait la nécessité de dire à ses lecteurs de “rejeter le mythe d’une Chine barbare prête à déferler sur l’Europe pour y anéantir la civilisation chrétienne”.

Une femme de la tribu Hani travaille dans l’une des centaines de rizières en terrasses de Yuanyang, pas loin du Laos et du Vietnam. Photo par Alexandra Panaguli.

Quiconque semble menacer la suprématie du monde anglo-saxon occidental – et secondairement l’héritage euro-chrétien – est considéré comme un démon. Donc la Russie et Poutine sont le parfait autre exemple. Dans un article sur la censure en Chine, Huang Yuan, écrivain et traducteur basé à Londres, écrit dans la London Review of Books que «la plupart des films de TV étrangers contiennent de la violence, des crimes et du sexe. Et surtout, ils décrivent souvent les Chinois et les Russes comme des méchants».

Heureux avec “cinq sous” … Nous avons quitté Amsterdam avec deux heures de retard, le capitaine de la compagnie hollandaise KLM était sympa. Il est venu dans la zone d’embarquement pour discuter avec les passagers. Le brouillard avait retardé un vol de Rome avec des passagers continuant vers la Chine. Nous nous sommes retrouvés avec moins d’une heure pour changer d’avion à Chengdu, une méga-métropole dans le centre du pays, et avons raté la correspondance pour le Xinjiang. La compagnie nous a mis dans un hôtel pour une nuit. Un peu miteux, mais un employé très aimable, serviable et empressé, a amené nos bagages à l’étage, ouvert la porte, la fenêtre et la lumière, avec un grand sourire. Les Chinois n’ont pas peur de travailler et ils ne sont pas fiers comme les Grecs pour qui le travail est encore, après un demi-millénaire d’occupation ottomane, synonyme de servilité, comme le mot l’indique.

Au fait, c’est dans ce premier hôtel à Chengdu que j’ai réalisé que je ne pouvais pas me connecter à mon compte de messagerie Google. Je pensais que le réseau de l’hôtel n’était pas assez bon, jusqu’à ce que j’apprenne que Google est interdit en Chine depuis 2010 alors que la société n’a pas accepté d’autocensurer ses résultats de recherche. YouTube appartient à Google et est également interdit.

On doit se connecter via un réseau privé virtuel, le télécharger, l’installer, etc., je ne vais pas entrer dans le détail ici, vous n’êtes probablement pas en Chine! J’ai résolu mon problème plus facilement en utilisant Yahoo mail au lieu de faire des cyber-opérations alambiquées. Certaines choses, ou beaucoup de choses, sont compliquées en Chine. Le jour où nous étions en transit à Urumqi, la capitale du Xinjiang, j’ai passé la moitié du temps à chercher une banque pour changer des dollars américains. En théorie, c’est la devise la plus facile à changer. Je suis d’abord entré à la Bank of Urumqi, pas de service de change, puis dans une succursale ICBC où ils m’ont envoyé au bureau principal. Là ils m’ont dit d’aller à la Bank of China même si ICBC signifie Industrial and Commercial Bank of China et est une société bancaire multinationale. Mais le garde à l’entrée m’a entrainé vers les ATM, a sorti des Yuans de son compte et m’a changé 100 dollars à un taux décent. J’ai continué et suis passé devant un imposant bâtiment de la Merchants Bank. Un jeune cadre très poli m’a dit que je pouvais faire le change mais seulement si j’avais un compte bancaire chez eux. Au bout de deux heures j’ai finalement trouvé une succursale de la Banque de Chine où ils m’ont encore envoyé dans une plus grande succursale. Dans ce dernier établissement j’ ai passé 20 minutes à changer encore cent dollars, remplissant trois formulaires en trois exemplaires et montrant bien sûr mon passeport.

J’ai à peine eu le temps de prendre le bus de Burqin pour rejoindre la Dzungarie, la frontière nord de ce grand pays. Heureusement que j’avais déjà visité la ville d’Urumqi en 2008 et 2012.

(À suivre)

 

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