Canal de la rivière Massacre, le réveil de la conscience nationale (2)

(2e partie)

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Outre la position de personnalités politiques comme l’agronome Jean André Victor, il reste la position des premiers concernés, les habitants de la région du Grand Nord, entre autres, les paysans du Nord-Est. Le Coordonnateur du Mouvement des agriculteurs de la plaine Maribaroux, Jean Brévil Weston, est formel, rien ni personne ne peut arrêter les travaux. Rappelons que c’est ce mouvement paysan qui est à l’origine, avec le concours des Notables du lieu, de ce sursaut pour la suivie de la région et du réveil de la conscience nationale.

Jean Brévil Weston dit ne rien vouloir céder, rien lâcher. Il se dit prêt à mourir au lieu de céder sous le diktat des autorités de Port-au-Prince encore moins de Luis Abinader. Pour le Coordonnateur du Mouvement des agriculteurs de la plaine de Maribaroux, la devise est claire « Canal ou la mort ou KPK (Kanal la Pap Kanpe) ».

Interrogé par les médias le mercredi 13 septembre 2023 sur ce qu’il pense de la position guerrière du Président dominicain et si à un moment donné la construction du canal peut s’arrêter, sa réponse est sans équivoque « Je ne pense pas qu’une entité va nous demander de surseoir au projet de la construction du canal. D’ailleurs, notre position est claire : c’est le canal ou la mort. Nous sommes prêts à être enterrés dans le canal. Notre objectif est de faciliter l’accès à l’eau aux agriculteurs de la plaine de Maribaroux, deuxième plus grande plaine d’Haïti en matière de production de riz.

Le projet de construction avance à grands pas. Là maintenant nous sommes au niveau de la maçonnerie pour déboucher sur la rivière. Nous sommes à environ dix mètres de la rivière. La population de Ouanaminthe prend le projet à cœur. C’est vrai que l’initiative est d’un groupe d’agriculteurs de la commune de Ferrier, mais c’est tout Ouanaminthe qui embrasse le projet.

On n’a pas de support de l’État ni d’un quelconque groupe politique sinon des citoyens haïtiens en Haïti et la diaspora». Mais, au-delà de la position radicale de ce responsable paysan, c’est toute une chaîne de solidarité qui s’est déclenchée à travers tout le pays et dans la diaspora. Du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest, c’est la République tout entière qui s’est mise debout comme un seul homme pour soutenir la construction de l’unique canal du côté haïtien sur la rivière Massacre. A l’exemple du Conseil National de Financement Populaire (KNFP) qui soutient sans réserve cette belle initiative pour le bien de la collectivité nationale et qui apportera à coup sûr un renouveau dans l’économie du pays. L’un des dirigeants de cette organisation populaire, Lionel Fleuristin, estime que « Cette prise effectuée sur la rivière Massacre permettra aux agriculteurs d’arroser leurs champs, ainsi nous serons en mesure de consommer des produits locaux et contrôler les aliments que nous utilisons et qui seront bénéfiques pour notre santé.

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Avec le canal, l’eau sera beaucoup plus disponible, mais les paysans auront besoin de matériels comme des charrues, des motoculteurs, des engrais et épandeurs d’engrais, des tracteurs pour préparer les terres et récolter les récoltes » a conclu Lionel Fleuristin restant persuadé qu’il faut aider financièrement le Comité responsable du canal. La structure qu’il dirige, d’après ce qu’il avance, mène des démarches auprès des organismes financiers publics et privés pour soutenir la construction. L’élan de soutien à la construction du canal se manifeste à travers diverses actions. Tel ce marathon réalisé par les habitants de la commune de Camp-Perrin dans le Sud du pays. En effet, un groupe de citoyens de la commune, sous l’impulsion de madame Carmélie Montuma Ismaël, a parcouru les rues du Centre-ville, mais aussi les institutions publiques et privées, les différentes sections communales pour finir par récolter près de 500.000 gourdes qui ont été acheminés au Comité responsable de la construction du canal à Ouanaminthe.

Le Président de la Fédération Nationale des Maires Haïtiens (FENAMH), Jude Édouard Pierre a remis au Comité responsable du chantier un chèque de 4 000 000 de gourdes

Fière de réussir ce marathon baptisé : Kanperen kanpe ak Wanament », la porte-parole de ce mouvement de solidarité, Carmélie Montuma Ismaël en a profité pour envoyer un message à tous les Haïtiens de l’intérieur et de l’extérieur : « Nous avions voulu apporter notre solidarité à la construction du canal. Ce qui se passe à Ouanaminthe nous concerne tous. C’est notre combat pour rétablir la dignité de notre Haïti chérie. Ça montre clairement qu’ensemble nous pouvons trouver des solutions à nos problèmes. C’est une étincelle qui doit devenir une flamme pour qu’Haïti revive. Les contributeurs ont été généreux et courtois. Et même les personnes à mobilité réduite ont apporté leur soutien » a déclaré celle qui est à l’initiative de ce marathon en solidarité avec les « Gens du Nord » comme chantait naguère l’Orchestre Tropicana d’Haïti.

Des institutions publiques apportent aussi leurs contributions. Parmi tant d’autres, citons le cas de la Fédération Nationale des Maires Haïtiens (FENAMH) que préside Jude Édouard Pierre, le maire de Carrefour. A la fin du mois d’octobre 2023, cet organisme public a apporté son soutien à la construction du canal par un important don financier afin que la chaîne de solidarité ne s’arrête pas. Ainsi, nous avons appris par un Communiqué du Comité de gestion du canal qu’« À la tête d’une Délégation composée, entre autres, de la maire de Tabarre, Nice Simon, le Président de la Fédération Nationale des Maires Haïtiens (FENAMH), Jude Édouard Pierre, a remis un chèque de 4 000 000 de gourdes au Comité responsable du chantier de construction du canal afin d’aider à la poursuite des travaux.

Ce don est la contribution de toutes les Mairies du pays faisant partie de la FENAMH. Ce chèque arrive à un moment où les aides matérielles et financières sont nécessaires pour permettre la poursuite des travaux » annonçaient les responsables. Finalement, à la date du 27 octobre 2023, le Comité chargé des travaux du canal comptabilisait une somme totale de 4277,75 dollars américains d’une part et d’autre part 21308 605,90 gourdes, en tout cas c’est ce qu’indiquaient les comptes bancaires de cet organisme citoyen auxquels il faut ajouter 40 000 dollars américains, un don de la diaspora. C’est une délégation composée d’un ensemble d’organisations, notamment, Debout pour Haïti et Busta John Fondation, venues de la diaspora haïtienne qui a fait part le vendredi 3 novembre 2023 au Comité de gestion de la construction du canal, en guise de sa contribution un chèque de 40 000 dollars US en soutien et solidarité à l’œuvre en cours de réalisation.

Des dons affluent de toute part, d’humble citoyen aux Chambres de commerce et d’industries en passant par des artistes, des personnalités du monde musical, politique, tout le monde veut être un contributeur de la cause nationale qu’est devenue la construction de ce canal afin d’irriguer la plaine de Maribaroux dans le Nord-Est. Les religions ne sont pas en reste. Si les vodouisants étaient comme toujours les premiers à manifester leur solidarité et apportent leurs concours spirituels et matériels aux paysans et aux constructeurs du canal, les autres ont fini par prendre le train en marche. Des Révérends pasteurs, des prêtres et des Francs-Maçons de toutes obédiences ont aussi fait le déplacement tout comme des hommes politiques d’envergure nationale à l’instar de l’ancien Premier ministre Evans Paul (KP), de l’ex-sénateur Jean-Charles Moïse qui continuent de débarquer tous les jours sur le chantier au bord de la rivière.

Des membres de l’organisation « Kanperen pap kanpe » sur le site du Canal à Ouanaminthe avec Wideline Pierre, porte-parole du comité de gestion de la construction du Canal

Ils veulent constater de visu l’avancement des travaux et aussi voir l’armada militaire dominicaine juste en face pensant intimider et défier les haïtiens sur leur propre territoire. Entre-temps, des commerçants, des hommes d’affaires, des entrepreneurs de tout le pays apportent, selon leur moyen, des matériaux de construction : fer, ciment, sable, essence, clous, etc. Cet engouement citoyen et cette solidarité nationale ont poussé le Premier ministre Ariel Henry à prendre plus ou moins une position allant à l’inverse de ce que les autorités disaient tout au début du conflit. Surtout, après avoir constaté que Luis Abinader se comporte comme le chef d’Etat de toute l’île d’Hispaniola ou d’Haïti en décidant seul quand, pourquoi et comment il entend rouvrir partiellement ses frontières après les avoir fermées de manière unilatérale.

En réponse justement à l’annonce qu’il allait rouvrir très partiellement la frontière le mercredi 11 octobre, soit plus d’un mois après sa fermeture, pour écouler uniquement des produits alimentaires dominicains et ceci sans contrepartie, un groupe de citoyens mené par l’ancien sénateur du Nord-Est, Wanique Pierre, s’est présenté le dimanche 8 octobre devant la barrière,  en possession d’un camion rempli de ciment, d’eau et de parpaings avec la ferme intention de murer le passage donnant accès à la ville de Dajabon en République dominicaine. Prenant connaissance de l’initiative, des agents de POLIFRONT (Police frontalière d’Haïti), ont vite débarqué sur les lieux et ont fait usage de gaz lacrymogène pour évacuer les manifestants sur ordre des autorités haïtiennes.

Après cet échec, la population de la ville de Ouanaminthe et des communes environnantes, très remontées, avaient promis de revenir à la charge le lendemain. Comme elle l’avait annoncé, le lundi 9 octobre très tôt au matin, une foule immense, venue de partout de la région traversant les principales artères de la ville de Ouanaminthe au cri « non à la réouverture de la frontière et oui à la poursuite des travaux de construction du canal » a pris d’assaut le Pont du côté haïtien. En l’espace de quelques heures, le portail du point de passage a été muré. « Nous sommes définitivement décidés de partir à la conquête de notre souveraineté de peuple libre et d’exiger du gouvernement dominicain le respect scrupuleux des Accords et Traités signés ayant rapport aux traitements des ressortissants des deux côtés de l’île » criait la foule. Très en colère, elle dit que c’était ça sa réponse à Abinader qui pense pouvoir dicter ses ordres aux Haïtiens.

Sans doute, pris de court par cette marée humaine et peut-être ayant reçu des ordres du gouvernement, la police, cette fois-ci, n’est pas intervenue. D’ailleurs, dans l’après-midi de ce lundi 9 octobre 2023, les autorités de Port-au-Prince ont réagi en répondant au Président dominicain, Luis Abinader, par un Communiqué sur sa décision de réouverture de la frontière tout en interdisant aux Haïtiens de pouvoir traverser en République dominicaine. « Le Gouvernement de la République d’Haïti félicite la population pour son calme, sa sérénité et son patriotisme face aux mesures disproportionnées prises par les autorités dominicaines. Il continue à mener des consultations et à prendre des dispositions appropriées dans l’intérêt des Haïtiennes et des Haïtiens.

Le gouvernement réaffirme le droit inaliénable des Haïtiens d’utiliser de façon équitable les ressources hydriques binationales. (…) Le Gouvernement de la République d’Haïti considèrerait comme inacceptable et hostile toute tentative visant à détourner les eaux de ladite rivière afin d’en priver les Haïtiens, ce, en violation de l’Accord de 1929. (…) Le Gouvernement de la République d’Haïti croit qu’un dénouement ne sera considéré comme convenable que si elle permet le partage équitable des ressources hydriques, la normalisation des relations entre les deux pays et le retour de la circulation des personnes et des biens des deux côtés, comme c’était le cas entre les deux Républiques avant la fermeture unilatérale du 15 septembre.»

Comme prévu, le gouvernement dominicain avait effectivement procédé à la réouverture de la frontière le mercredi 11 octobre. Sauf qu’il n’y a eu aucun haïtien pour s’y rendre. D’une part la partie haïtienne était murée depuis lundi et d’autre part, il n’était pas question pour les Haïtiens d’aller faire leurs emplettes en République dominicaine tant qu’un accord n’ait pas été trouvé sur le différend opposant les deux Etats. Selon Moïse Charles-Pierre, le Délégué départemental du Nord-Est, « Nous sommes convenus de maintenir notre position qui est celle de garder la partie haïtienne fermée et d’exiger des excuses et des réunions en vue d’une solution respectant la dignité du peuple haïtien ».

(A suivre)

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