Canal de la rivière Massacre, l’arrogance du Président Luis Abinader

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La mobilisation populaire et la détermination des citoyens auxquelles nous assistons pour achever au plus vite le canal sur la rivière Massacre a été la réponse la plus claire que le peuple haïtien a envoyée aux autorités dominicaines

Onze contre un, tout est dit. Onze, oui vous avez bien lu. Onze, c’est le nombre de canaux dont dispose déjà la République dominicaine sur la rivière Massacre délimitant la frontière avec la République d’Haïti. Onze canaux construits depuis des lustres sur cette rivière du côté dominicain sans jamais soulever la moindre récrimination, ni opposition, ni contestation de la part des autorités haïtiennes ni aucun Haïtien, d’ailleurs.

La République dominicaine dispose ou se sert de cette rivière frontalière comme si elle était sa seule propriété exclusive. L’attitude du Président dominicain, Luis Abinader, depuis la reprise de la construction du premier canal du côté haïtien sur le rivière Massacre, est plus que révélatrice de l’état d’esprit des autorités dominicaines vis-à-vis des Haïtiens qu’elles n’ont jamais considérés comme des êtres égaux aux dominicains.

En vérité, dans ce conflit de l’eau, imposé par le Président Luis Abinader à Haïti, les gens de bon sens diront que c’est un grand service qu’il rend aux Haïtiens en réagissant avec une telle arrogance face à l’unique canal en cours de construction du côté haïtien. Et cette réaction a mis en évidence comment les élites dominicaines considèrent réellement ceux avec qui leur pays partage l’île d’Haïti.

Pour les dominicains, il ne doit avoir ou exister qu’une seule relation avec les Haïtiens : celle de maître et d’esclave. Une conception assez curieuse et paradoxale à la fois dans la mesure où ce  peuple ne fut vraiment libéré du joug espagnol en février 1844 que grâce à l’aide des Haïtiens qui eux, de leur côté, ont en horreur le dictat des étrangers sur leur territoire et l’esclavagisme. N’étant pas technicien ni ingénieur, nous n’entrerons pas dans les détails de la faisabilité de ce canal sur cette rivière. Nous essayons seulement de comprendre la psychologie des dirigeants dominicains et cherchons à suivre leur logique vis-à-vis de la République d’Haïti.

Des travailleurs sur le site de la construction du canal de la rivière Massacre

Depuis le début de cette crise de l’eau et la paranoïa dont surtout fait preuve le chef de l’Etat dominicain soutenu dans sa folie guerrière par une partie de la classe politique de son pays, tout a été dit à propos des Traités internationaux entre les deux Etats. Donc, inutile de revenir sur le déploiement des centaines de milliers de soldats sur la frontière comme pour impressionner et faire peur aux Haïtiens qui seraient obligés de jouer à la politique de l’autruche et donc stopper net les travaux du canal. Pour commencer, le Président Luis Abinader, dans ce dossier, a fait preuve d’ignorance sur deux choses. Premièrement, il démontre son ignorance de l’histoire d’Haïti et du peuple haïtien qui n’a jamais reculé devant rien ni personne quand il s’agissait de défendre même pas ses intérêts mais sa dignité, son honneur et le principal, sa liberté. Abinader n’ignorait certainement pas, que les Haïtiens, dans une certaine mesure, accepteraient tout de la part de leurs dirigeants, mais jamais ils ne baisseraient la tête devant un étranger. C’est dans leur gène ! Pire, devant un dominicain qu’on appelait autrefois « panyol » par mépris.

Penser les intimider ou les effrayer en déployant une armada de soldats en face d’eux, c’est de la pure provocation tout en prenant le risque absolu de provoquer une guerre entre les deux Etats qu’il est impossible pour les dominicains, même en supériorité militaire, de gagner. La rage de vaincre des haïtiens face aux dominicains est séculaire. Autant ils n’ont jamais considéré les dominicains comme leurs ennemis, autant ils n’accepteraient jamais de vivre sous leur domination ni même d’imaginer qu’ils pourront perdre une guerre face à eux. C’est impensable pour chacun des haïtiens. Sans entrer dans l’histoire ni parler des expéditions militaires de jadis menées par Dessalines, Boyer et autres, la supériorité numérique d’Haïti est plus qu’un atout lui donnant un avantage que jamais les dominicains ne pourront réduire à sa solde même en possédant une puissante force armée qui n’a jamais impressionné personne de l’autre coté de la frontière. Deuxièmement, Luis Abinader oublie vite que le contexte de 1937 n’est plus le même.

Période au cours de laquelle (octobre 1937) les soldatesques du général-dictateur Rafael Leonidas Trujillo Molina et sa Milice avaient massacré comme des chiens 35 mille compatriotes Haïtiens sans défense et désarmés travaillant dans les champs de canne à sucre.  Connu sous le nom de « Massacre du Persil », depuis, cette date demeure vivace dans l’histoire entre les deux pays et particulièrement pour les Haïtiens qui, non seulement, n’ont jamais oublié ce crime, mais le plus important, se tiennent désormais prêts pensant qu’à tout moment, compte tenu du regard que portent les élites dominicaines vis-à-vis d’eux, une telle ignominie pourrait se reproduire. Nous disons que le contexte n’est plus le même, mais surtout la configuration des forces en présence aussi. En 1937, certes, Haïti  disposait d’une petite armée (une Garde nationale) sortie tout droit de l’occupation américaine qui a toujours marqué ses préférences pour les Dominicains. Cette garde ne pouvait pas bouger le petit doigt. Et pour cause.

Le Président de la République dominicaine Luis Abinader

Elle ne disposait pas de matériels adéquats pouvant faire face à son homologue dominicain.  C’est la fleur aux fusils qu’elle a assisté impuissante et dépitée au massacre des milliers de compatriotes hommes, femmes et enfants sur la frontière et à l’intérieur de Saint-Domingue.  Aujourd’hui, en 2023, paradoxalement la donne a changé en dépit qu’il n’existe plus de Forces armées haïtiennes. Et là, les dominicains se trompent grandement s’ils pensent qu’en l’absence d’une armée haïtienne capable de porter la réplique, ils pourront se défaire facilement des Haïtiens sur leur territoire. Si les autorités dominicaines voient les choses sur cet angle, ce serait une grave erreur de leur part. Tout abord, depuis le triste événement du massacre de 1937, le peuple haïtien n’a jamais compté sur ses militaires pour affronter si c’est nécessaire l’armée dominicaine. On en veut pour preuve, le déploiement volontaire des membres du BSAP (Brigade de Sécurité des aires protégées), certains équipés de simples flèches, faisant face à l’armada militaire dominicaine juste en face.

Mais, il y a surtout le dévouement, la détermination et le sang-froid de la population du Grand-Nord, notamment, la population du Nord-Est et de la plaine de Maribaroux, pour poursuivre les travaux du canal depuis que le Président Luis Abinader leur a lancé un ultimatum pour cesser les travaux. Alors même qu’une délégation haïtienne était à Santo Domingo pour négocier et chercher à trouver un consensus sur la construction du canal, le Président dominicain, entouré de l’état-major de ses trois armées (terre, mer et air), ordonnait unilatéralement la fermeture de toutes les frontières de son pays avec Haïti. Un geste qui constitue dans les faits une déclaration de guerre à Haïti et une prise d’otage, dans la mesure où la délégation haïtienne a dû suspendre les pourparlers et rentrer précipitamment au pays et obligée de faire un détour jusqu’à Miami pour prendre un autre avion à destination de Port-au-Prince. Martial et sûr de lui, c’est comme si en prenant cette décision idiote, irréfléchie et contre productrice naturellement pour les deux peuples sur le plan économique, mais particulièrement pour la République dominicaine, la population haïtienne allait rentrer chez elle la queue sous le ventre, tremblant de peur et obéissant aux ordres d’un « panyol » qui se prenait pour Napoléon du XXIe siècle.

La décision de Luis Abinader de fermer ses frontières a transcendé le patriotisme des haïtiens et leur a fait comprendre qu’ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes. Leur motivation a été multipliée par mille après cette décision. C’est ce qu’on appelle l’effet boomerang. La mobilisation populaire et la détermination des citoyens auxquelles nous assistons pour achever au plus vite le canal sur la rivière Massacre a été la réponse la plus claire que le peuple haïtien a envoyée aux autorités dominicaines. Cette réponse marque le refus de la population de se laisser intimider par un étranger alors même qu’elle est dans son bon droit et de surcroit chez elle. Car, après tout, la rivière Massacre n’appartient ni aux Haïtiens encore moins aux Dominicains. En clair, elle appartient à part égale aux deux peuples, aux deux Etats  indépendants et souverains partageant l’île d’Haïti.

Rien ni personne ne peut empêcher l’un ou l’autre de l’utiliser en vertu des traités bilatéraux et internationaux signés de bonne foi en 1929 et 2021 entre les deux pays reconnaissant le droit de chacun à se disposer de manière équitable des biens et  des patrimoines communs que constituent les rivières frontalières. La mauvaise foi du gouvernement dominicain est partante dans ce dossier. Avant même de venir jouer au pyromane et d’allumer la flamme patriotique et nationaliste des haïtiens, le Président dominicain aurait dû consulter les archives de son pays ou réviser les traités relatifs au partage des ressources frontalières entre la République d’Haïti et la République dominicaine. Trop fier sans doute et trop arrogant peut-être, Luis Abinader pense qu’en l’absence de dirigeants haïtiens aptes à lui tenir tête ou le ramener à la raison, il pouvait traiter tout un pays, tout un peuple digne héritier de Toussaint Louverture, Jean-Jacques Dessalines, Capoix-Lamort, Alexandre Pétion, Henry Christophe, sans oublier les Mackandal, Boukman, comme les colons espagnols traitèrent jadis les dominicains.

En intimant l’ordre aux autorités haïtiennes qui semblent prêtes à lui obéir pour stopper les travaux sous de fallacieux prétextes techniques qui ne seraient pas conformes, le Président dominicain avait oublié une chose, la principale, la volonté du peuple haïtien de se saisir de ce conflit pour marquer une fois pour toute son grand retour dans les décisions qui doivent être prises pour son avenir afin de replacer Haïti sur l’échiquier du développement durable. Peuple pacifique et tolérant, mais aussi téméraire et brave, dans l’histoire il l’a déjà prouvé et depuis quelques semaines au bord de la rivière Massacre, il dit qu’il était prêt à signer une nouvelle Epopée glorieuse afin de défendre à main nue sa terre, son territoire et son pays face à la toute puissante armée dominicaine qui déploie sans vergogne des drones, des véhicules blindés tout terrain, des chars, des hélicoptères et autres engins de guerre. L’on se croirait sur le théâtre de la guerre en Europe de l’Est!

Enfin, dans cette affaire, certains diraient que dans cette provocation, le gouvernement dominicain oublie trop vite ce qu’on appelle : l’Armée des ombres, cette cinquième colonne dont dispose Haïti chez eux en comptant de milliers et milliers d’haïtiens vivant en République dominicaine et qu’on trouve dans pratiquement tous les rouages de la société dominicaine. Qu’il réfléchisse à deux fois avant de lancer ses soldats sur le territoire haïtien, non seulement aucun ne retournera vivant mais notre « Armée des ombres » tapie dans les plantations de cannes (Bateys), dans les commerces, dans l’industrie et infrastructures touristiques, dans la construction et dans les services sera là pour soutenir leurs frères et sœurs dans la bataille comme du temps de la colonisation française et de la guerre de l’indépendance en utilisant tout ce qui sera à sa portée afin de remporter la victoire. La démonstration de force des militaires dominicains n’impressionne guère la population haïtienne encore moins les paysans du Nord-Est qui demeurent dans leur bon droit. L’Histoire appartient à ceux qui l’ont forgée. Vive les paysans du Nord-Est ! Vive les bâtisseurs du canal sur la rivière Massacre !

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