Après l’intervention du Premier ministre a.i, Ariel Henry, le lundi 9 mai 2022 à l’hôtel Montana à l’occasion de la journée de l’Europe, les Haïtiens sont en droit de se demander si celui-ci avait lu ou écouté l’interview de l’ambassadeur Kenneth H. Merten avant de quitter son poste en Haïti. Franchement, la question mérite d’être posée. Sinon, personne n’aurait imaginé que, quelques semaines après les déclarations fracassantes de Merten, un dirigeant haïtien, pas n’importe lequel, celui faisant office de chef du Pouvoir exécutif, puisse se jeter si bas devant la Communauté internationale, en l’occurrence l’Union européenne. Décidément, l’on ne sortira point de cette culture de la mendicité initiée par les plus hautes autorités du pays. On se souvient que, lors de sa conférence de presse dans le jardin de son ambassade à Bourdon, à Port-au-Prince, Kenneth H. Merten n’avait pas pris de gants et s’était allé franco pour dire l’exacte vérité vis-à-vis de ceux qui prétendent diriger et administrer le pays au nom de tous les Haïtiens.
Ce pays cherche désespérément une femme ou un homme capable de le prendre vraiment en charge afin de lui rendre sa fierté perdue
L’ex-ambassadeur américain avait fixé les caméras pour dire : « Le peuple sait de quoi le pays a besoin. Ce sont les acteurs de la classe politique qui n’agissent pas toujours dans un sens responsable et pour répondre aux attentes de leurs votants. » En clair, les haïtiens savent ce qu’ils veulent, mais ce sont leurs dirigeants qui ne sont pas à la hauteur de leurs responsabilités. Un message clair et sans détour à l’intention des dirigeants de la Transition et ceux qui se chamaillent, histoire d’avoir leur part du gâteau du pouvoir. Outre cette déclaration, le diplomate ne s’était pas arrêté à ce point qui est déjà le summum, il avait aussi un peu simplifié ou développé en quelque sorte ce qu’il voulait dire et fait passer le massage aux autorités. Pour bien se faire comprendre et par la population et surtout par le pouvoir en place qui a tendance à tout attendre de la Communauté internationale ou des soi-disant pays « amis » d’Haïti, il disait clairement et en créole : « Les ambassadeurs en poste en Haïti ne travaillent pas pour les Haïtiens ni pour Haïti. Ils représentent les intérêts de leur pays. »
Rien que cette petite phrase devrait, en toute honnêteté, pousser les dirigeants de Port-au-Prince à réfléchir à deux fois avant d’aller quémander six motocyclettes pour la police nationale ou quelques sacs de riz à Taïwan pour nourrir la population auprès des diplomates accrédités dans la capitale haïtienne. Enfin, toujours dans la série : occupez-vous de votre pays et de votre peuple, l’ancien Représentant américain avait repris une vieille formule connue de tous les peuples et dirigeants de la planète, et ce, depuis l’antiquité, il l’a tout simplement mis au goût de l’haïtien ce 11 avril 2022 lors de sa rencontre avec la presse en s’adressant sans aucun doute aux chefs de la Transition : « Ce sont les Haïtiens qui sont responsables de leur pays et non les États-Unis. Je ne connais pas d’autres pays qui pensent que les États-Unis ou un autre pays étranger est responsable de ses questions de sécurité, d’économie, de développement, etc. »
Ne voulant rien oublier, il était revenu sur les mêmes balivernes que les actuelles autorités racontent à propos de l’achat d’armes et d’autres équipements de la police nationale qui est une question cruciale dans la lutte contre l’insécurité et les gangs armés dans le pays. En effet, depuis le fameux embargo américain sur la vente d’armes de guerre imposé à Haïti suite au sanglant coup d’Etat militaire de 1991 contre le Président Jean-Bertrand Aristide, il y a déjà plus de trois décennies, les autorités haïtiennes, devant leur incapacité à combattre l’insécurité dans le pays, ont toujours pris prétexte qu’elles ne peuvent s’approvisionner en armes et munitions afin d’équiper la seule vraie force de sécurité que compte Haïti. D’après tous les gouvernements constitutionnels ou pas, intérimaires ou pas, si la Police Nationale d’Haïti (PNH) ne puisse monter en puissance pour pouvoir affronter les puissants chefs de gangs et leurs troupes, cela résulterait d’un manque d’équipements dû, naturellement, à cet embargo américain sur les armes en Haïti.
Sauf que, cet embargo, les marchands d’armes illégaux et les trafiquants l’ignorent complètement dans la mesure où ils arrivent à inonder le pays d’armes et de munitions en tout genre en provenance principalement des Etats-Unis d’Amérique. Une situation mettant les forces de l’ordre officielles en position d’infériorité devant les bandes armées qui sèment la terreur, la mort et la peur dans chaque famille haïtienne et dans tous les coins de la République, notamment dans la région métropolitaine de Port-au-Prince. Selon Kenneth H. Merten, Haïti, en dépit des difficultés pour acheter des armes aux Etats-Unis à cause de la loi américaine sur l’exportation des armes vers Haïti, cela n’empêche point les dirigeants haïtiens de se tourner vers d’autres fournisseurs et Etats amis des Etats-Unis pour s’en procurer. Il a dit publiquement : « Nous avons déjà expliqué nos limitations au niveau du gouvernement américain à donner des armes et des munitions à Haïti. Mais, l’Etat haïtien peut les acheter lui-même en se tournant vers des pays amis pour obtenir ces équipements létaux. »
Portant, malgré cette déclaration claire et véridique, les autorités haïtiennes continuent de trainer les pieds sur l’approvisionnement des armes et matériels adéquats pour équiper la police haïtienne qui en a grandement besoin. Outre pour les forces de police, le gouvernement peut aussi acquérir des armes et d’autres équipements de guerre pour les Forces armées d’Haïti (FADH) qui ont été remobilisées depuis quelque temps, mais n’étant toujours pas opérationnelles faute de moyens logistiques et surtout sur le plan armement. Le discours du Premier ministre a.i devant les diplomates de l’Union européenne ne laisse présager rien sur l’évolution de la mentalité des autorités étatiques haïtiennes. En effet, ce lundi 9 Mai 2022 qui marquait le jour de la fête de l’Europe, les Etats de l’Union européenne ayant une représentation à Port-au-Prince avaient invité la classe politique et les élites haïtiennes en particulier à l’hôtel Montana à Musseau en vue de faire le point sur les relations entre l’Union européenne et Haïti.
La quasi-totalité des Accords relatifs à la Transition post-Jovenel Moïse étaient présents. Celui dit de Montana se faisait très remarqué avec son « Président élu » Fritz Alphonse Jean qui n’arrêtait pas d’’échanger avec les autres partenaires. Pour l’Accord du 11 septembre, c’est Ariel Henry en personne qui portait la parole en son nom, mais aussi en tant que chef du pouvoir exécutif et chef en fonction de la Transition.
Sans faire abstraction ou apprenant mal les leçons de Kenneth H. Merten, Ariel Henry a été plus que pathétique. Dans son allocution de circonstance, le locataire de la Primature n’a fait que tendre sa casserole devant les diplomates de l’Union européenne en se lançant dans un exercice de mendicité qui en dit long sur l’orgueil et l’amour propre d’un chef de pouvoir exécutif. Sans se gêner et sans même démontrer qu’il essaie de s’en sortir seul avec son gouvernement, d’emblée, Ariel Henry a tendu ses mains comme un nécessiteux suppliant les passants, les Bons Samaritains, à lui jeter l’aumône. « Nous recherchons activement des équipements, des moyens et de la formation adaptée pour la Police Nationale d’Haïti qui lui permettront de combattre plus efficacement les gangs qui paralysent certaines zones du pays, notamment au niveau de la capitale. Mais nos moyens sont limités. Nous ne demandons pas beaucoup. »
Le chef du pays a fait pitié. Mais, ne restant pas là, le Premier ministre a.i continue sa litanie : « En tant que partenaire fidèle et de longue date, l’Union Européenne devrait envisager sérieusement de nous aider à trouver ces matériels qui font tant défaut à la PNH. Les cris de la population exaspérée parviennent jusqu’à nous et devraient encourager nos partenaires de l’Union Européenne à lui venir en aide. Le peuple haïtien vous en serait reconnaissant. Sans rétablissement de la sécurité, l’aide apportée à Haïti par l’Europe restera inefficace et inopérante. » Il ne pouvait dire davantage. Ariel Henry avoue sans nuance son impuissance à la tête de l’Etat tout en s’accrochant, néanmoins, aux dorures de la Villa d’Accueil. Puisqu’il a fait savoir, entre autres, en citant l’Accord du 11 septembre, qu’il ne cèdera le pouvoir qu’à un gouvernement élu.
A bien analyser sa lamentation devant les ambassadeurs de l’Union européenne à Port-au-Prince en ce 9 mai 2022, il y a de quoi être triste pour Haïti. D’ailleurs, en guise de réponse, l’ambassadrice de l’Union européenne en place à Port-au-Prince, madame Sylvie Tabesse, n’a fait que reprendre presque mot à mot les paroles de Kenneth H. Merten en déclarant : « L’Union européenne est en train de voir avec d’autres partenaires dans quelles mesures ils peuvent apporter leur appui en matériels bien que limité (…) Cependant, il revient aux Haïtiens de prendre leur destin en main et de s’unir. » Ce pays cherche, en effet, désespérément une femme ou un homme capable de le prendre vraiment en charge afin de lui rendre sa fierté perdue depuis qu’il est livré à ces dirigeants sans envergure, ni posture et sans grandeur.