(4ème partie)
Malgré la participation d’un très grand nombre d’acteurs politiques et de la Société civile haïtienne à la réunion de la CARICOM en Jamaïque sur la crise haïtienne les 11, 12 et 13 juin 2023, même en l’absence de la Présidente de la HCT (Haut Conseil de la Transition), Mirlande H. Manigat, et malgré le soutien affirmé et appuyé une semaine auparavant du Core Group par le truchement de Mme Maria Isabel Salvador, cheffe du BINUH et Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations-Unis en Haïti, la formation du Conseil Electoral Provisoire (CEP) demeure incertaine dans cette conjoncture. Et pour cause. La problématique de la sécurité est le nœud gordien empêchant toute vraie initiative relative à la formation d’un CEP crédible et consensuel avant le lancement du processus électoral. Même Mme Isabel Salvador l’avait souligné lors de sa Conférence de presse du 9 juin 2023.
« Le rétablissement de la sécurité et l’organisation des élections sont deux chantiers sur lesquels on doit travailler en même temps. Selon moi, la sécurité est importante et indispensable pour l’organisation des élections. Si on n’a pas de sécurité, ce sera très difficile même du point de vue logistique d’organiser les élections. Néanmoins, cela ne veut pas dire qu’il faut travailler exclusivement sur la sécurité. Au niveau du BINUH, on continue d’appuyer le gouvernement et les acteurs sur les aspects qui vont aboutir à l’organisation des élections. Mais, pour arriver aux élections, on doit être capable de garantir un minimum de sécurité. On fait d’énormes efforts pour y parvenir » avait-elle déclaré. D’ailleurs, alors que la Société civile marque clairement son opposition au processus en cours, les politiques, eux, continuent de marquer à la culotte le Premier ministre. Prenons le cas de l’ancien sénateur Jean Hector Anacacis, dirigeant du parti LAPEH. Celui-ci, en effet, est persuadé que Ariel Henry est dans une situation politique compliquée puisqu’il ne dispose d’aucune marge ni pour procéder à un remaniement ministériel encore moins de pouvoir former un CEP.
C’est aussi l’avis et la position de Liné Balthazar, le patron du parti PHTK, qui est supposé être un soutien du pouvoir de Transition et qui avait fait le voyage de la Jamaïque. Balthazar persiste et signe qu’il est hors de question que le processus tel qu’il est entamé aille jusqu’au bout. Ce serait, d’après lui, une absurdité et irresponsable. « Le PM Henry n’a pas contacté, à notre connaissance, ni le PHTK ni le Collectif. N’étant pas signataire de l’Accord du 21 décembre, le Collectif n’est pas concerné par la mise en place du CEP suivant une procédure partisane qui garantit le contrôle de l’institution électorale par les amis politiques du Premier ministre. Nous nous opposerons à la mise en place du CEP suivant la procédure tracée par l’Accord 21 décembre qui est par ailleurs dénoncé par ses signataires et Mme Manigat » a martelé le Président du PHTK Line Balthazar qui rappelle que le Collectif du 30 janvier dont il parle regroupe : Pitit Dessalines, Unir Haïti, OPL, Mopod, Lapeh et le PHTK. D’autre part, le Parti Fanmi Lavalas du Dr Maryse Narcisse et de l’ex-Président Jean-Bertrand Aristide qu’on n’a pas trop entendu ces derniers temps, a refait surface.
Un membre influent de son Directoire, Joël Edouard Vorbe, comme d’habitude, n’a pas pris de gant pour dire tout le mal que Fanmi Lavalas pense de toute cette agitation autour de la mise en place du CEP et surtout de l’initiative du gouvernement de lancer ce processus qui, d’après lui se fait sous les recommandations de la Communauté internationale. Selon ce responsable politique, il n’y a aucune raison de précipiter l’agenda des scrutins, estimant que son parti est en dehors du processus du CEP et des élections. « Nous n’avons aucun contact avec le gouvernement. Une fois encore, on met la charrue avant les bœufs avec cette affaire de CEP. Nous n’avons même pas entamé les discussions sur les problèmes profonds de la société haïtienne. C’est dommage que ce soit encore un one man show qui est en train de se dessiner. Il faut éviter les élections « bouyi vide » et le lot de problèmes qui vient avec.
Cette fois-ci, nous avons la chance de pouvoir faire une vraie Transition réformatrice » a avancé Joël Edouard Vorbe. D’autre part, les signataires de l’Accord de Montana semblent eux aussi n’avoir pas dit leurs derniers mots sur la Transition et notamment la question du CEP et des élections cette année. L’un des membres du Bureau de Suivi de l’Accord (BSA), Jacques Ted Saint-Dic, a voulu rassurer les supporters de l’Accord du 30 août en précisant ceci « La formation du CEP est un rêve. Nous n’avons aucune relation avec les membres du gouvernement de facto et l’on n’est pas au courant de cette liste de noms à envoyer au HCT. La position de Montana est qu’il faut rétablir les institutions de l’Etat dans leur fonctionnement, dans l’esprit de la Constitution de 87, sur une base consensuelle durant la Transition politique et la mise en place d’un autre leadership politique. Vous savez comme moi qu’il n’y aura pas d’élections cette année » déclare Jacques Ted Saint-Dic sur Magig9 le vendredi 12 mai 2023 à propos des manœuvres en cours pour la formation du CEP.
Tandis que, de son côté, Emmanuel Menard du Parti Force Louverturienne Réformiste, un autre soutien d’Ariel Henry qui, depuis, rentre dans la dissidence, ne cesse d’appeler sur son compte Facebook au rassemblement afin de faire échec au processus, voire appeler à renverser le pouvoir. « La cité du drapeau ne recevra pas les honneurs ce 18 mai. Le Premier ministre n’ira pas à l’Arcahaie à cause des terroristes qui contrôlent ces territoires. Pourtant, il recrute des serfs pour monter un Conseil Electoral Provisoire. Je combattrai toute tentative de cette camarilla qui veut livrer le pays à des trafiquants et des radicaux à la solde du terrorisme international pour déstabiliser Haïti et toute la région. Je sonne le ralliement patriotique pour constituer la force populaire capable de faire échec au pouvoir. ENSEMBLE, MAINTENANT !!! » écrit le leader de la Force Louverturienne Réformiste qui n’entend laisser aucun répit au résident de la Villa d’Accueil. Dans ce concert des oppositions sur la constitution du CEP et éventuellement l’organisation des élections générales cette année, même l’un des partenaires du pouvoir de la Transition et pas n’importe lequel, met en doute toute possibilité d’avoir des élections cette année.
En effet, c’est le Haut Conseil de la Transition lui-même, par la voix de sa Présidente Mirlande H. Manigat, qui vient d’apporter de l’eau au moulin des opposants à Ariel Henry sur cette affaire d’élection en 2023. Le 9 m.ai 2023, sur MagiK9, tout le monde a été surpris d’entendre la Présidente du HCT se démarquer de la position du locataire de la Primature sur le CEP. Pour Mirlande H. Manigat, en fait, il n’y a pas de feu au lac. Il faut temporiser et prendre son temps avant de se lancer concrètement dans le processus électoral. Pour la patronne du HCT, il y a d’autres chantiers qui doivent être réalisés avant de penser aux élections. Dans l’entretien qu’elle a accordé le mardi 9 mai 2023, elle a en quelque sorte calmé le jeu et l’ardeur du Premier ministre en déclarant : « Il ne faut pas avoir l’obsession de dates. C’était une erreur de dire que le 7 février 2024 tout s’achèvera. Nous avons conscience du retard. Il ne faut pas s’accrocher à une date précise. C’est l’erreur que nous avons faite tout au long de notre histoire. Il n’y a pas de certitude qu’on pourra réaliser les élections cette année. Il faut faire un chronogramme.
Si on veut organiser les élections à une date précise, le 24 novembre par exemple, il faut accomplir des choses au préalable. Le HCT doit travailler de concert avec le gouvernement pour exécuter trois chantiers : le remaniement ministériel, la révision constitutionnelle, l’organisation des élections. Puisque ce sont des chantiers, nous y travaillons. La réalisation des élections est la phase finale. Quand est-ce qu’on va organiser les élections ? Nous ne le savons pas. Nous allons établir un chronogramme d’activités. Pour qu’il y ait des élections, il faut des mises en place; il faut avoir une loi électorale, ce que nous ne pourrons pas avoir puisqu’il n’y a pas de Parlement. Il faut avoir un décret, un document, indiquant le genre d’élections que nous allons avoir et leur date de réalisation, mais pour fixer cette date, il faut des préalables. Par exemple, un document constitutionnel qui servira de guide.
Ensuite, il faut une préparation. Je n’ai jamais visité les locaux de l’ancien Conseil Electoral Provisoire (CEP). Il y a un squelette existant pour organiser les élections. Il faut le recouvrir. Il faut travailler sur l’objectif, celui de réaliser les élections ». Pour le moment, fermez le banc ! semble dire la Présidente du Haut Conseil de la Transition à propos des élections. Pourtant, il y a un soutien au Premier ministre qui demeure intact, c’est celui de Me André Michel, le chef de file du parti SDP (Secteur Démocratique et Populaire). Hier, hostile à tout scrutin sous la présidence de feu chef de l’Etat Jovenel Moïse, aujourd’hui, l’ex-avocat du peuple ne vit et ne respire que pour les élections et ce, quelles que soient les conditions dans lesquelles elles ont lieu. L’ex-trublion de l’ex-opposition radicale semble reprendre à son compte la pensée du défunt Premier ministre de la Transition de 2004, Gérard Latortue qui, devant les difficultés à réaliser les élections dans un climat d’insécurité terrible, disait : à l’impossible nous sommes tenus. En effet, Me André Michel et son parti SDP soutiennent sous certaines conditions tout de même le processus. Et pour cause. Ils sont parties prenantes et font partie du pouvoir de la Transition.
C’est à ce titre que l’ancien opposant peut déclarer : « Je sais que des correspondances ont été adressées à beaucoup de secteurs de la vie nationale en vue de constituer la liste des 20 personnalités qui sera soumise au HCT. Je sais aussi que des noms ont déjà été acheminés à l’Exécutif dans cette dynamique. Nous supportons cette initiative, car la seule manière de transmettre démocratiquement le pouvoir politique reste et demeure l’organisation des élections. La situation sécuritaire du pays constitue un obstacle majeur à la réussite du processus électoral. Le gouvernement doit renforcer la capacité d’action de la PNH. Nous attendons également le support de l’international. Parallèlement à la lutte contre l’insécurité et le kidnapping, il faut jeter les bases d’un processus électoral crédible. C’est en ce sens que le SDP supporte sans réserve les efforts du gouvernement visant à créer les conditions sécuritaires en vue de l’organisation des élections lorsque les conditions le permettront » a déclaré le leader du SDP dans Le Nouvelliste du 11 mai 2023.
Après toutes ces prises de position qui ne jouent pas franchement en faveur des élections cette année, tout le reste dépend finalement de la limite du pouvoir du chef de la Transition vis-à-vis de la Communauté internationale, particulièrement de Washington. Car, poussé peut-être par des forces extérieures qui lui mettent des bâtons dans les roues et sans doute nourri d’arrière-pensées pour les scrutins à venir, le Premier ministre de facto veut montrer qu’il est aux commandes et agit tout en prenant l’Accord du 21 décembre comme boussole et le HCT comme alibi pour activer un dossier qu’il est le seul à croire ou fait semblant de croire en sa réussite dans cette période de sauve qui peut dans le programme humanitaire de Joe Biden « Humanitarian Parole » et que même les chiens, s’ils le pouvaient, quitteraient ce pays, comme disait un de nos contemporains du siècle dernier. (Fin)
C.C