Depuis bientôt un mois, la République brûle ! Les manifestations populaires enregistrées à travers le pays ne sont ni manipulées ni téléguidées. Elles sont le témoignage de l’échec avéré non seulement de la Transition post-Jovenel Moise, mais surtout de l’échec d’une politique : celle du gouvernement présidé par le Premier ministre a.i Dr Ariel Henry depuis plus de 14 mois. Or, il se trouve que le pouvoir en place, dominé par ce qu’on appelle l’ancienne opposition, détient tous les rouages des institutions. On l’a déjà dit mille fois, hormis les régimes dictatoriaux, jamais un pouvoir en Haïti n’a eu autant de liberté pour agir à sa convenance. Inutile ici de refaire la liste des institutions dysfonctionnelles. Et pour cause. Elles n’existent tout simplement plus. Même l’apprenti sorcier ou provocateur, Me André Michel du SDP, le reconnaît : « Nous sommes dans la crise politique la plus difficile de l’histoire des trente dernières années. C’est la première fois que nous faisons face à une crise politique dans le pays où toutes les institutions sont dysfonctionnelles.
Autrefois, des institutions comme la Cour de cassation, le Parlement, restaient debout même durant les crises. Aujourd’hui, toutes les institutions sont à genoux… Seule une branche de l’Exécutif est fonctionnelle ; le gouvernement ayant à sa tête le Premier ministre qui est le chef de l’Administration publique. Aucune autre institution n’est fonctionnelle. C’est pour cela que je souhaite dire aux autres acteurs politiques, aux acteurs de la Société civile, qu’il y a une nécessité de prendre la voie du dialogue » a-t-il dit sur radio Magik9 le 13 septembre 2022. Effectivement, un homme, un seul peut décider quand il veut, comme il veut de la politique sécuritaire, sociale et économique qu’il entend appliquer pour les 12 millions d’haïtiens. Si nous ne sommes pas encore dans un régime dictatorial, on aimerait bien que quelqu’un nous définisse ce que c’est la dictature. Pourtant, rien, absolument rien ne fonctionne. Ne marche dans cette contrée qui semble condamnée à être la risée du monde.
On l’a bien vu et le pays assiste à un déferlement de brutalité et même de morts de la part des forces de police à chaque fois que les citoyens tentent non pas de provoquer une révolution ou même de renverser la table, mais seulement de réclamer un peu de compréhension, de compassion et d’humanité auprès des décideurs autoproclamés. Puisqu’aucun citoyen haïtien ne leur a donné mandat. Si les haïtiens dans leurs mouvements de revendications réclament la fin de la vie chère, la baisse du coût des produits pétroliers et au passage la fin de cette dictature qui ne dit pas son nom, en sollicitant le départ de ce Premier ministre totalement insensible à leur sort, ils sont persuadés de leur bon droit. Pourtant, il semble que certains parmi les alliés du Premier ministre veulent leur enlever ce droit acquis si chèrement depuis 1986 en leur faisant peur. Or, malgré les menaces, les mises en garde et autres intimidations des profiteurs du régime de facto, les manifestations contre l’augmentation des prix du carburant (essence) continuent pour la plus belle partout dans le pays.
C’est le chaos auquel vient se greffer une paralysie totale du territoire avec l’opération « pays lock ». Même l’ONU et les principales représentations diplomatiques en Haïti plient bagages. Y compris, d’ailleurs, une partie du personnel de l’ambassade des USA à Port-au-Prince. C’est dire que l’inquiétude est à son paroxysme. Du Cap-Haïtien à Jérémie en passant par les Gonaïves, les Cayes, Hinche ou Miragoâne, le cri est unanime : on n’en peut plus. A la capitale et sa périphérie, toujours à la pointe des contestations pour être le centre névralgique des Pouvoirs politiques, économiques et culturelles, mais surtout où la population subit et ressent plus fortement le poids de cette cherté de la vie, les habitants sont vent debout quasiment 24h sur 24 depuis un mois. Première victime de la hausse des prix compte tenu qu’elle est condamnée à se déplacer soit en transport en commun soit en taxi-motos, la population de la région métropolitaine de Port-au-Prince, comme de coutume, paie un lourd tribut durant les manifestations populaires de ces dernières semaines.
Mais, en dépit de ces pertes en vie humaine et des dégâts collatéraux qui sont les conséquences directes de l’échec de la politique du gouvernement, des dirigeants de l’ex-opposition aujourd’hui au pouvoir et vivant apparemment sur une autre planète puisqu’ils profitent à vue d’œil de leur proximité avec les richesses de l’Etat, ne trouvent rien de moins à faire que de les intimider. En effet, le mardi 13 septembre 2022, on imagine qu’on n’était pas le seul à être sidéré d’entendre sur radio Magik9 dans l’émission Panel Magik l’un des plus surprenants politiciens haïtiens de cette décennie, s’agissant de Me André Michel chef incontesté du SDP (Secteur Démocratique et Populaire) justifiant la décision du régime d’augmenter les prix du carburant. L’homme fort du régime de facto conduit par le Premier ministre Ariel Henry, Me André Michel, ne cesse de surprendre de plus en plus non seulement tous les observateurs politiques locaux et étrangers mais aussi son propre camp politique. Il ne fait pas de doute, Me André Michel est un pur produit du système politique haïtien, ce qui n’est pas vraiment un compliment en le disant. Celui qu’on peut sans hésiter qualifier de l’un des tombeurs du feu Président Jovenel Moïse surprend par son attitude.
Il s’adapte aux conjonctures politiques de ce pays comme un enfant qui vient de naitre connaît immédiatement l’odeur de sa maman. Opposant intransigeant au Mouvement puis au Parti Fanmi Lavalas de l’ancien Président Jean-Bertrand Aristide, il a poursuivi sans transition sa politique de déstabilisation gouvernementale contre tous les régimes jusqu’à ce qu’il découvre enfin le luxe et les délices du pouvoir avec sa nouvelle égérie Ariel Henry. De Jean-Bertrand Aristide au régime dit PHTK mené d’abord par l’ex-Président Michel Martelly et ensuite par le Président Jovenel Moïse jusqu’au magnicide du mois de juillet 2021, Me André Michel est de toutes les oppositions. Se faisant passer pour l’avocat du peuple depuis des années, André Michel occupe l’intégralité du paysage politique haïtien. Omniprésent et extrémiste, il colonise la scène sociopolitique du pays. Toujours dans une opposition intégrale et sans concession, jamais il n’a laissé le temps aux régimes précédents de s’épanouir et de prendre forme afin qu’ils puissent mener une quelconque politique.
Aujourd’hui, ce qui frappe en premier lieu c’est l’intégration et l’adaptation si naturelle de André Michel à un régime, certes, qu’il a plus au moins couvé discrètement. Mais, pour quelqu’un autoproclamé défenseur du peuple et de la démocratie, cela continue d’étonner plus d’un, dans la mesure où ce régime qu’il chérit tant est le pire que le pays ait connu depuis la chute des Duvalier et des régimes militaires éphémères post-dictatoriaux. On n’en revient pas de la métamorphose du leader du Secteur Démocratique et Populaire passant de chef d’opposition radicale à celui de défenseur intransigeant d’un pouvoir impopulaire honni de la quasi-totalité de la population. Pire, André Michel emploie aujourd’hui les mêmes méthodes qu’il utilisait du temps qu’il ferraillait dans une opposition carrée en menaçant ses adversaires de la pire sentence pour défendre un pouvoir sans aucune légitimité ayant été installé par la seule volonté de la Communauté internationale, en l’occurrence le Core Group.
Quel ne fut pas notre étonnement d’entendre dire par cet homme de loi devenu défenseur des causes perdues que personne ne pourra renverser Ariel Henry du pouvoir. Et que le seul moyen de le remplacer est d’accepter d’aller aux élections. D’après le chef du SDP, il n’y a aucun autre moyen de le faire. « (…) Je veux dire aux acteurs politiques, de la Société civile qui n’ont pas encore compris que le dialogue est la seule option, que ce sont eux qui, en quelque sorte, font que M. Ariel Henry reste le plus longtemps possible au pouvoir. Tant que nous n’entamons pas un processus de dialogue pour trouver un consensus pour rétablir la sécurité dans le pays afin d’organiser les élections, pour rendre les institutions opérationnelles, faire la passation du pouvoir à des autorités élues, Ariel Henry restera au pouvoir (…) » a avancé sans rire Me André Michel sur Magik9 le 13 septembre 2022. On croit rêver et franchement nous sommes persuadés qu’on n’était pas le seul dans cette situation.
André Michel, hier le chantre de la démocratie et partisan tous azimuts de la mobilisation populaire contre tous les pouvoirs établis en Haïti se fait aujourd’hui l’avocat de l’impossible. Bien sûr qu’on serait tout à fait d’accord avec l’avocat si, il n’y a pas si longtemps, il n’était pas le farouche pourfendeur de tous les dirigeants qui avaient au moins un minimum de légitimité au Palais national, en tout cas, reconnus constitutionnellement par un mandat fixe et aussi soutenus par une partie de la population même minime. Prenant goût au pouvoir qu’il a eu par procuration, le dirigeant du SDP se croit vraiment au timon des affaires à travers un Premier ministre de facto que la population, celle-là même qui a fait sa fortune politique durant les années passées, ne reconnait pas. Aujourd’hui, non seulement le leader du SDP change totalement de vocabulaire en menaçant ceux qui pensent se mettre en travers du chemin de son champion qui est à la Primature, André Michel emploie également un langage qui en dit long sur sa détermination à conserver le pouvoir.
Ce comportement de soldat intrépide pousse aussi à s’interroger sur le rôle de certains dans l’arrivée de cette équipe au pouvoir. Voilà il y a à peine une année qu’un chef de l’Etat en fonction a été assassiné justement parce qu’il rêva de terminer son mandat constitutionnel. Ne pouvant attendre l’échéance prévue par la Constitution, les oligarques économiques et politiques, impatients de prendre le pouvoir et de s’installer à la tête du pays, ont tout naturellement écourté ledit mandat. Il se trouve que les premiers vrais bénéficiaires de ce crime politique sont les radicaux qui avaient prédit ce sort funeste au Président s’il ne se démet pas de ses pouvoirs. Dans le contexte des mouvements sociaux à travers le pays réclamant le départ du Premier ministre a.i, par provocation ou par mise en garde à ceux qui tenteraient de pousser son protégé vers la sortie, Me André Michel revient à une formulation ressemblant étrangement à cet épisode malheureux et criminel dans l’histoire récente d’Haïti en déclarant, lors de son passage à l’émission Panel Magik de Magik9, (…) « Ariel Henry est au pouvoir, il n’y a aucun mécanisme pour le remplacer.
Comment peut-on remplacer un Premier ministre alors qu’il n’y a aucune institution debout ? Il n’y a que deux mécanismes pour le remplacer : l’organisation des élections et une autre cause biologique, la mort (…) ». Autrement dit, soit les autres protagonistes ou Accords acceptent les propositions du Premier ministre a.i et cautionnent donc l’organisation des élections quelles que soient les conditions sécuritaires du pays. Ou Ariel Henry demeure ad vitam aeternam à la Primature et au Palais national jusqu’à ce que le Core Group le chasse ou soit, dans le cas extrême, qu’il subisse le sort du feu Président Jovenel Moïse, c’est-à-dire qu’on l’assassine ou qu’il meure de mort naturelle. Sinon, personne, même pas le peuple, ne pourrait le contraindre à abandonner la Villa d’Accueil s’il ne décidait de quitter le pouvoir de son plein gré.Qui a parlé de Transition de rupture en Haïti ? Voire du retour à la démocratie !