« Ahed… Ma fille, les cordes de mon âme … ! »

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Ahed Tamimi et son père Bassem

Par Bassem Tamimi

 

            Bassem Tamimi, le père de la militante palestinienne emprisonnée Ahed Tamimi (et l’époux de Nariman Tamimi, emprisonnée aux côtés de leur fille) a déposé un très émouvant message sur son compte Facebook pour sa fille qui vient d’avoir 17 ans.

Les Palestiniens et les initiateurs du mouvement de solidarité à travers le monde ont organisé des manifestations et des rassemblements pour réclamer la liberté d’Ahed ainsi que celle de ses compagnons palestiniens – et de la Palestine elle-même. D’autres événements et actions sont prévus dans les prochains jours.

Bassem Tamimi a passé des années en prison – notamment en tant que prisonnier d’opinion reconnu par Amnesty International – pour son rôle dans le mouvement de défense des terres indigènes du village palestinien de Nabi Saleh, visé par la répression et la confiscation des terres et des ressources en eaux par le sionisme colonisateur.

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Voici son émouvant message d’anniversaire à Ahed, sa fille emprisonnée.

 

Bonjour mes amis

Jour anniversaire … et de procès.

Pour pouvoir t’écrire dans un moment comme celui-ci, j’ai dû m’allonger sur ton lit. Puis, quand je reposais ma tête sur ton petit oreiller, tu rechargeais mon âme lourde de peine de gratitude au souvenir de ta générosité. Comment mon esprit ne peut-il pas être levé quand tu étais celle qui a poussé le monde dans une tempête, comme un ouragan, quand tu l’as fait naître comme un volcan ?

Ma courageuse, belle, timide et audacieuse petite fille – la victoire est faite pour toi autant que la joie. Ma fille, je suis tellement désolé de ne pouvoir te protéger de la laideur de l’occupation. Je suis en peine, j’ai laissé les oranges de Yafa tristes et non pelées, attendant ton contact. Tu es maintenant entourée de barreaux de fer, dans un endroit où le temps est mort, la liberté et l’amour inexistants. Pourtant, c’est dans cette cellule que mon espoir d’un avenir meilleur et la certitude que nous y parviendrons sont maintenant placés. Toi, mon rayon d’espoir, tu es enfermée dans une prison qui est construite sur les ruines d’Imm Khaled, près du rivage de notre mer. Ce même village d’Imm Khaled qui a été nettoyé ethniquement par l’armée que tu as giflée.

Ahed, ta cellule, à mi-chemin de Haïfa, où nous reviendrons un jour. Là, je m’imagine avec toi, le son de ma voix résonnant derrière les murs – Ahed … Ahed … Ahed … Ma fille, les cordes de mon âme – puissent chaque année voir briller plus fort la vérité que tu possèdes en toi. Puisse chaque année te voir plus forte, plus joyeuse et aussi solide que les rochers qui retiennent la rage des océans.

Bon anniversaire.

Lorsque les parents célèbrent les anniversaires de leurs enfants, nous essayons de les rendre particuliers et inoubliables – dignes de cette occasion merveilleuse. En tant que parents, ces jours apportent à nos cœurs une joie douce et remplie de grâce.

Aujourd’hui, c’est ton anniversaire, mais je me suis réveillé au milieu de la nuit. Pas d’excitation, mais plutôt de malaise et manquant d’air. Ton anniversaire est si différent de celui qui a précédé. Oui, c’est le jour où tu es née, mais tu es forcée de rester plus loin que je ne puis le supporter. Pourtant, tu es plus près de mon cœur que tu ne peux l’imaginer.

Aujourd’hui, ma fille, tu es d’une année plus sage, une année remplie d’un amour encore plus profond pour ta patrie. Aujourd’hui, tu entres dans une année qui sera plus difficile que celles qui l’ont précédée. Je redoute la pensée de tes nuits de prison, du froid qui y règne.

Les nuits de prison ne sont pas comme chez nous, avec nous. L’agitation des fêtes d’anniversaire est un contraste frappant avec la solitude de la cellule dans laquelle tu es. Je suis tellement désolé. Tout ce que je veux, c’est caresser doucement ta chevelure dorée, ma petite fille, comme je l’ai fait depuis que tu étais bébé; t’embrasser tendrement après avoir soufflé les 17 bougies sur ton gâteau d’anniversaire, comme je l’ai fait depuis que tu as eu un an. Mais comment mon désir peut-il franchir ces barreaux d’acier qui sont maintenant placés entre nous ?

Ne t’inquiète pas Ahed, nous verrons à nouveau la joie et célébrerons comme nous l’avons toujours fait. Je te promets que tes frères et moi serons aux portes de la prison et chanterons pour toi et la liberté de ta maman. Nous exigerons la liberté de tous ceux qui sont emprisonnés injustement; nous exigerons la liberté pour tous les esprits libres. Et toi et ta mère chanterez avec nous, et frapperez les murs de la prison de votre force inébranlable.

Ce soir, nous célébrerons ton anniversaire en montrant au monde que quoi qu’il arrive, nous célébrons la vie. Nous enseignons la vie. Nous aimons la vie et ne laisserons pas cet amour être piétiné. Jamais.

Mais jusqu’à ce que ce soir arrive, quand nous célébrons à nouveau ensemble en famille, je te souhaite de rester forte et résiliente. Je sais que les soldats peuvent venir à minuit, t’enchaîner et t’entraîner vers une autre séance d’interrogatoire. Si tu peux t’habiller plus chaudement, mets alors une chemise supplémentaire, car ils feront de leur mieux pour te priver de chaleur. Chaque pièce dans laquelle ils t’emmèneront, tous les véhicules militaires, seront intentionnellement glacés. Mais je sais que je n’ai pas à m’inquiéter. Je sais à quel point ton âme est courageuse. Cela ne devrait vraiment pas être, ma petite fille, mais je sais que tu peux résister à toutes les ténèbres et au froid avec lesquels ils essayent de te torturer.

Quelle que soit la décision qu’il prendra, le tribunal militaire israélien devant lequel tu seras jugée ne te rendra pas justice. Ces juges ne désirent pas la justice, ces tribunaux n’ont pas été mis en place pour apporter la justice, mais ont été construits dans un royaume en dehors de l’humanité. Quatre-vingt-dix-neuf pour cent de ceux qui se tiennent devant eux sont reconnus coupables. Mais ce ne sont là que les symptômes de la maladie – même si tu étais acquittée, ces tribunaux ne pourront jamais être un outil de justice, puisqu’ils ne sont qu’un autre rouage de la machine de l’occupation militaire. Le colonialisme et les valeurs fondamentales de l’humanité ne se croiseront jamais. L’occupation ne peut jamais croiser la liberté, la justice et la dignité.

L’humanité est belle. Elle peint la vie avec un pinceau de grâce et la dôte de beauté. L’occupation est laide, et elle est faite pour défigurer le visage de l’humanité. Ma fille, les gens libres ne se perdent pas dans la contemplation d’eux-mêmes, car aucun d’entre nous n’est rien, s’il n’épouse pas un but plus profond et ne se consacre pas à l’action positive. C’est à travers nos liens les plus profonds, par notre but et notre action que nous passons de la solitude de notre naissance au sens et à la valeur réels que le monde a à nous offrir. C’est cette conscience qui permet à l’humanité une conscience collective. Toi, ma petite fille, tu as su te servir de cette conscience de toute l’humanité.

Ils te soumettent aux épreuves parce qu’ils veulent tuer ce sens de l’humanité qui est en toi; ils veulent détruire ton sens de la lutte collective pour un monde meilleur. C’est trop dangereux pour eux. Crois-le ou non, ils essaient même de te priver de ta jeunesse en disant que, à l’âge de 17 ans, tu n’es plus une enfant. Et je demande, ton enfance a-t-elle pris un chemin différent du tien le jour de tes 17 ans, ou ton enfance a-t-elle eu un peu plus de temps pour jouer dans les vergers de la jeunesse et profiter en paix de tes derniers jours d’école ?

Les experts israéliens en droit immoral peuvent librement délibérer sur l’illégalité de la gifle donnée à leur soldat lourdement armé par une jeune fille, qui aurait ainsi brisé leur virilité militaire et mis leurs fragiles institutions en grand danger. Ne t’occupe pas d’eux. Ne te soucie pas de leurs lois militaires immorales, car ces lois sont hors des frontières de ce qui est humain.

Mon petit ange … Ne t’encombres pas avec les mots de ceux qui commercent dans la politique et la religion comme des marchands devant leurs étals. Les hommes religieux, pieux à leurs propres yeux, veulent porter la discussion sur tes cheveux afin de détourner l’attention de ton combat et de sa légitimité. Les endoctrinés – qui s’imaginent purs – ne reconnaissent pas l’humanité et la vérité à qui ne plaide pas aveuglément la loyauté à leurs dogmes.

Puis il y a ceux qui sont toujours absents; ceux qui refusent de prendre position pour ce qui est juste, qui frissonnent à l’idée de se tenir debout face à l’oppression. Ils refusent de se confronter à la force brutale et ceux qui luttent pour la liberté, comme vous, arrachent leurs masques pour exposer ce qu’ils sont.

Ne t’inquiète pas pour ceux qui te critiquent aujourd’hui, ma petite fille. Ta bravoure a fait de toi une protection contre la foudre, et ceux qui craignent leur propre hypocrisie ont révélé qu’ils voulaient se dissimuler en te blessant. Toute leurs critiques à ton égard ont pour but de leur permettre de continuer à se cacher derrière leurs peurs. Ils savent que c’est ton courage qui a servi de révélateur. L’empereur n’a plus de vêtements.

Tu te tiens devant le monde – comme ces jours-ci et les jours à venir – pleine de vérité parce que tu as été élevée pour être honnête avec toi-même et avec les autres, et tu as appris de notre terre et de notre histoire que la liberté ne se gagne qu’en étant prêt maintes et maintes fois à défier la peur, en refusant d’abandonner ta dignité.

Maintenant, ta si petite gifle a ébranlé leur puissante armée assoiffée de sang et brisé leur dissuasion. Ta propre vérité est notre vérité, la vérité de notre lutte historique et humaine pour rester sur cette terre. Elle défie tous les mensonges à propos de nous et d’eux-mêmes.

Ta vérité porte maintenant avec elle toute une génération qui a refusé de se soumettre à l’oppression, une génération qui continuera à se battre pour sa liberté. Ta vérité transparaît parce que tu as défendu ta communauté et ta patrie et ceux que tu aimes. Tu as refusé d’appartenir à autre chose qu’à toi-même et à la Palestine.

Ta vérité est plus pure que jamais, car de nos jours, en Palestine, les purs se trouvent à deux endroits, soit en tant que prisonniers politiques privés de liberté, soit en tant que martyrs qui nous ont été enlevés et qui du ciel nous contemplent aujourd’hui. Ta vérité est maintenant une lueur d’espoir pour les gens du monde entier qui, au lieu de succomber, ont choisi de résister à l’oppression.

Ne t’inquiète pas, ma petite fille – ta liberté, comme la fin de l’occupation est proche, et ceux qui se sont opposés à notre liberté – les hypocrites, les extrémistes et les lâches – seront abandonnés à leur déception lorsque l’histoire sera écrite.

Quand je rentrerai chez moi ce soir, j’irai dans ta chambre avec tes frères et nous allumerons une bougie pour toi, et nous sentirons ta présence avec nous, nous répétant que tu es notre « Ahed », notre promesse d’un monde meilleur. Comme un olivier enraciné dans la terre.

Ta mère t’attend en prison. Si tu arrives à la voir, s’il te plaît, prends-la dans tes bras pour moi et célébrez ton anniversaire avec nous dans vos cœurs. Et si tu es seule jusqu’à l’aube dans leurs boîtes métalliques, prends place sur la selle de l’espoir, enfourche le cheval du courage comme tu l’as toujours fait depuis ton enfance, ne fais pas attention à ceux qui veulent te tromper et te faire du mal. Regarde le soleil se lever à travers la lucarne de ta cellule et resplendis avec ton sourire, car c’est ton sourire qui nous amènera vers un avenir meilleur.

Tu me manques Ahed, mais je te dis joyeux anniversaire. Que chaque année à venir te rende plus forte. Puisses-tu toujours être pleine d’amour et pleine de vérité.

Ton père qui t’aime.

 

 Samidoun 2 février 2018

 Traduction : Chronique de Palestine

Chronique de Palestine 4 février 2018

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